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Classe de première, Lycée Duplessis Mornay

Professeure : Laure Fichant

Le théâtre du XVII au XXI


Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990
Parcours : Crise personnelle, crise familiale
Lectures linéaires (œuvre) : Juste la fin du monde, 1990
• Prologue dans son intégralité
• Première partie, scène 3 : de « Parfois tu nous envoyais des lettres... »à « c’est
pour les autres»
• Seconde partie, scène 2 : «CATHERINE : Elle ne te dit rien de mal... » à
« LOUIS : Je crois aussi »

Lectures linéaires (groupement de textes) :


Antigone, Anouilh, 1944 : « Tu es malade ? »à « Elle n’avait qu’à ne pas
désobéir. »
Le retour au désert, Koltès, 1988 : « Tu crois, pauvre folle...ils s’échappent et
reviennent »

La littérature d’idées du XVe siècle au XVIIIe siècle


Olympes de Gouges,
La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791
Parcours : Ecrire et combattre pour l’égalité
Lectures linéaires (œuvre) : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne,
1791
Préambule
Postambule (début) « Femme, réveille-toi...vous n’avez qu’à le vouloir »
Postambule (fin) « Quelles lois restent-ils donc...les conventions conjuguales. »
Lectures linéaires (groupement de textes) :
Regardez-nous danser, Leila Slimani, 2022
Le théâtre du XVII au XXI
Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce

Prologue

LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après


– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après‚
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste
trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour
annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un
homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin
que j’ose me souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne
connais pas (trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et
d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître.
Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, première partie scène 3
SUZANNE :Parfois‚ tu nous envoyais des lettres‚
parfois tu nous envoies des lettres‚
ce ne sont pas des lettres‚ qu’est-ce que c’est ?
de petits mots‚ juste des petits mots‚ une ou deux phrases‚
rien‚ comment est-ce qu’on dit ?
elliptiques.
« Parfois‚ tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais‚ lorsque tu es parti
(ce que j’ai pensé lorsque tu es parti)‚
lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie
(là que ça commence)‚
je pensais que ton métier‚ ce que tu faisais ou allais faire dans la vie‚
ce que tu souhaitais faire dans la vie‚
je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire)
ou que‚ de toute façon
– et nous éprouvons les uns et les autres‚ ici‚ tu le sais‚ tu ne peux pas ne pas le savoir‚ une certaine forme
d’admiration‚ c’est le terme exact‚ une certaine forme de l’admiration pour toi à cause de ça-‚ ou que‚ de
toute façon‚
si tu en avais la nécessité‚
si tu en éprouvais la nécessité‚
si tu en avais‚ soudain‚ l’obligation ou le désir‚ tu saurais écrire‚
te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore.
Mais jamais‚ nous concernant‚
jamais tu ne te sers de cette possibilité‚ de ce don (on dit comme ça‚ c’est une sorte de don‚ je crois‚ tu ris)
jamais‚ nous concernant‚ tu ne te sers de cette qualité
– c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi –
jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes‚ avec nous‚ pour nous.
Tu ne nous en donnes pas la preuve‚ tu ne nous en juges pas dignes.
C’est pour les autres.
Le théâtre du XVII au XXI
Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, seconde partie scène 2 de « Elle ne te dit rien
de mal » à « Je crois aussi » (pages 113 et 114)
Le théâtre du XVII au XXI
Antigone, Anouilh, 1944 , Scène 3

La nourrice vient de sortir.


ISMÈNE : Tu es malade ?
ANTIGONE : Ce n'est rien. Un peu de fatigue. (Elle sourit.) C'est parce que je me suis levée tôt.
ISMÈNE : Moi non plus je n'ai pas dormi.
ANTIGONE (sourit encore) : Il faut que tu dormes. Tu serais moins belle demain.
ISMÈNE : Ne te moque pas.
ANTIGONE : Je ne me moque pas. Cela me rassure ce matin, que tu sois belle. Quand j'étais petite,
j'étais si malheureuse, tu te souviens ? Je te barbouillais de terre, je te mettais des vers dans le cou. Une
fois je t'ai attachée à un arbre et je t'ai coupé tes cheveux, tes beaux cheveux... (Elle caresse les
cheveux d'Ismène.) Comme cela doit être facile de ne pas penser de bêtises avec toutes ces belles
mèches lisses et bien ordonnées autour de la tête !
ISMÈNE (soudain) : Pourquoi parles-tu d'autre chose ?
ANTIGONE (doucement, sans cesser de lui caresser les cheveux) : Je ne parle pas d'autre chose...
ISMÈNE : Tu sais, j'ai bien pensé, Antigone.
ANTIGONE : Oui.
ISMÈNE : J'ai bien pensé toute la nuit. Tu es folle.
ANTIGONE : Oui.
ISMÈNE : Nous ne pouvons pas.
ANTIGONE (après un silence, de sa petite voix) : Pourquoi ?
ISMÈNE : II nous ferait mourir.
ANTIGONE : Bien sûr. A chacun son rôle. Lui, il doit nous faire mourir, et nous, nous devons aller
enterrer notre frère. C'est comme cela que ç'a été distribué. Qu'est-ce que tu veux que nous y fassions ?
ISMÈNE : Je ne veux pas mourir.
ANTIGONE (doucement) : Moi aussi j'aurais bien voulu ne pas mourir.
ISMÈNE : Écoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce
qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis si c'est une bêtise. Moi, je suis plus pondérée. Je
réfléchis.
ANTIGONE : II y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir.
ISMÈNE : Si, Antigone. D'abord c'est horrible, bien sûr, et j'ai pitié moi aussi de mon frère, mais je
comprends un peu notre oncle.
ANTIGONE : Moi je ne veux pas comprendre un peu.
ISMÈNE : II est le roi, il faut qu'il donne l'exemple.
ANTIGONE : Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe
par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou
dans un trou. Et c'est bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir !
Le théâtre du XVII au XXI
Le retour au désert , Koltès, 1988

ADRIEN – Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer tous les
gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les habitudes des
autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? Tu n'es qu'une femme, une femme sans fortune,
une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de temps encore, tu aurais été bannie de la société,
on te cracherait au visage et on t'enfermerait dans une pièce secrète pour faire comme si tu n'existais
pas. Que viens-tu revendiquer ? Oui, notre père t'a forcée à dîner à genoux pendant un an à cause de
ton péché, mais la peine n'était pas assez sévère, non. Aujourd'hui encore, c'est à genoux que tu devrais
manger à notre table, à genoux que tu devrais me parler, à genoux devant ma femme, devant Madame
Queuleu, devant tes enfants. Pour qui te prends-tu, pour qui nous prends-tu, pour sans cesse nous
maudire et nous défier ?
MATHILDE – Eh bien, oui, je te défie, Adrien; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de femme. Je vous
défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l'entoure et l'arbre sous lequel ma fille se
damne, et le mur qui entoure le jardin. Je vous défie, l'air que vous respirez, la pluie qui tombe sur vos
têtes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie cette ville, chacune de ses rues et chacune de ses
maisons, je défie le fleuve qui la traverse, le canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est
au-dessus de vos têtes, les oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et
les enfants dans le ventre de leurs mères. Et, si je le fais, c'est parce que je sais que je suis plus solide
que vous tous, Adrien.
Aziz entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde.
Mais ils s'échappent et reviennent.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)

PRÉAMBULE.

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation,


demandent d’être constituées en Assemblée nationale.
Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la
corruption des gouvernements, [elles] ont résolu d’exposer dans
une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables 1 et
sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps
social2, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir
des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de
toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes,
fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances


maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits
suivants de la Femme et de la Citoyenne.

1
2
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
Début du postambule

Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes
droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de
superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et
de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes
pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes !
Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez
recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles
de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ;
que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre
patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si
belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos
Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la
politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun
entre vous et nous ? » — Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse,
à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement
la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards
de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les
trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en
votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
Fin du postambule

Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusques dans la racine ? Celle du partage
des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l'administration publique. On conçoit aisément
que celle qui est née d'une famille riche, gagne beaucoup avec l'égalité des partages. Mais celle qui
est née d'une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ? La pauvreté et
l'opprobre. Si elle n'excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à
aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité. Je ne veux donner qu'un aperçu des
choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de mes ouvrages politiques que je me propose
de donner au public dans quelques jours, avec des notes.

Je reprends mon texte quant aux moeurs. Le mariage est le tombeau de la confiance & de l'amour.
La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune qui ne leur
appartient pas. Celle qui ne l'est pas, n'a qu'un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui
refusaient ce droit sur le nom & sur le bien de leur père, pour ses enfants, et l'on n'a pas fait de
nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste,
est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part, et comme tenter l'impossible, je
laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer
par l'éducation nationale, par la restauration des moeurs et par les conventions conjugales.

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