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OBJET D'ÉTUDE : LA LITTERATURE D’IDEES DU XVIème au XVIIIème SIECLE

Œuvre intégrale : Rabelais, Gargantua (1534)


Parcours associé : Rire et savoir

1re partie de l’épreuve : explication linéaire et question de grammaire

Textes de l’œuvre Intitulé ou questionnement éventuel choisi pour l’étude : Comment Rabelais parvient-il à
intégrale conjuguer dans son œuvre érudition et parodie, convictions humanistes et gaieté
médiévale ?

Edition GF
1) Extrait du Prologue : de « Buveurs très illustres, et vous… » à « …
inestimable drogue ».

Textes du parcours
associé

2e partie de l’épreuve : entretien

Lecture cursive

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OBJET D'ÉTUDE : LE THEATRE DU XVIIème au XXIème SIECLE

Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire (1673)


Parcours associé : Spectacle et comédie

1re partie de l’épreuve : explication linéaire et question de grammaire

Textes de l’œuvre Intitulé ou questionnement éventuel choisi pour l’étude : La comédie peut-elle guérir les
intégrale hommes de leur folie ?

Édition GF 2) I, 1, extrait du monologue d’Argan, du début de la scène à « … vingt et


trente sols. »

3) III, 3, extrait du débat sur la médecine entre Argan et Béralde, de


« Mais enfin venons au fait. » à « … les plus ignorants de tous les
hommes. »

4) III, 10, extrait du travestissement de Toinette en faux médecin, de


« Donnez-moi votre pouls » à « … borgne et manchot ».

Textes du parcours
associé

2e partie de l’épreuve : entretien

Lectures cursives

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OBJET D'ÉTUDE : LE ROMAN ET LE RECIT DU MOYEN AGE AU XXIème
SIECLE

Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut (1731)


Parcours associé : Personnages à la marge, plaisirs du romanesque

1re partie de l’épreuve : explication linéaire et question de grammaire

Textes de l’œuvre Intitulé ou questionnement éventuel choisi pour l’étude : En quoi la figure de l’aristocrate
intégrale déchu est-elle particulièrement émouvante ?

Édition GF 5) Première partie, de « C’est quelque chose d’admirable que la manière


dont la Providence… » à « … elle m’aime, elle est à moi. »

6) Seconde partie, de « Entendant ouvrir la porte de l’antichambre… » à


« … une meilleure idée du beau sexe. »

7) Seconde partie, de « Je reconnus la main de Manon. » à « … aussi lâche


et d’aussi mauvaise foi. »

Textes du parcours
associé 8) Marguerite Duras, Moderato cantabile, chapitre VII, de « Le saumon
repasse dans une forme encore amoindrie » à « … lèvres inconnues d’un
homme de la rue. »

2e partie de l’épreuve : entretien

Lectures cursives Romain Gary, Les Cerfs-volants (1980)

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1) Rabelais, Gargantua (1534), extrait du Prologue (texte original pour l’explication) :

Beuveurs tres illustres, et vous, Verolez tres precieux (car à vous non à aultres sont
dediez mes escripts), Alcibiades, ou dialogue de Platon intitulé Le Bancquet, louant son
precepteur Socrates, sans controverse prince des philosophes : Entre aultres paroles le dict
estre semblable es Silenes.Silenes étaient jadis petites boîtes telles que voyons de présent es
boutiques des apothicaires, pinctes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, Telles harpies,
satyres, oysons bridés, lievres cornuz, canes bastées, boucqs volants, cerfs limmoniers, et
autres telles peintures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire. Quel fut Silene
maître du bon Bacchus ; mais au-dedans on reservoit les fines drogues, comme baume, ambre
gris, amomon, musc, zivette, pierreries, et autres choses précieuses. Tel disoit estre Socrate :
parce qu’en le voyant au-dehors, et l’estimant par l’exterieure apparence, n’en eussiez donné
un coupeau d’oignon ; Tant laid il estoit de corps et ridicule en son maintien, le nez pointu, le
regard d’un taureau ; le visage d’un fol ; simple en mœurs ; rustique en vêtements, pauvre de
fortune, infortuné en femmes, inepte à tous offices de la république, toujours riant, toujours
beuvant d’autant à un chacun, toujours se guabelant, toujours dissimulant son divin sçavoir.
Mais ouvrant cette boyte, eussiez au-dedans trouvé une céleste et impreciable drogue (…).

Rabelais, Gargantua (1534), extrait du Prologue (texte transcrit en français moderne par
Myriam Marrache-Gouraud pour la question de grammaire) :

Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux (car c’est à vous et non à d’autres
que sont dédiés mes écrits), Alcibiade, dans le dialogue de Platon intitulé Le Banquet, faisant
la louange de son précepteur Socrates, sans conteste prince des philosophes, le déclara, entre
autres propos, semblable aux silènes. Les silènes étaient jadis de petites boîtes comme celles
que nous voyons aujourd’hui dans les boutiques des apothicaires, peintes sur le dessus de
figures joyeuses et frivoles, telles que harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes
bâtées, boucs volants, cerfs harnachés, et autres semblables peintures inventées par fantaisie
pour inciter le monde à rire. Tel fut Silène, le maître du bon Bacchus. Mais au-dedans l’on y
conservait de fines drogues comme le baume, l’ambre gris, l’amome, le musc, la civette, les
pierreries, et autres choses précieuses. Tel était Socrate, selon Alcibiade : car en voyant son
physique, et en le jugeant d’après son apparence extérieure, on n’en aurait pas donné une
pelure d’oignon, tant il était laid de corps et ridicule d’allure, le nez pointu, le regard d’un
taureau, le visage d’un fou, simple de mœurs, rustique en vêtements, pauvre sans fortune,
malheureux en amour, inapte en tout office de la république, toujours riant, toujours buvant à
tous et à chacun, toujours se moquant, toujours dissimulant son divin savoir. Mais ouvrant
cette boîte, vous auriez au-dedans trouvé une céleste et inestimable drogue (…).

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2) Molière, Le Malade imaginaire, Acte I, scène 1 (1673)

ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire
avec des jetons ; il fait parlant à lui-même les dialogues suivants.
– Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. « Plus, du
vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter,
et rafraîchir les entrailles de Monsieur ». Ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant mon
apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de Monsieur, trente
sols ». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi
raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement, je suis votre serviteur, je
vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols, et vingt sols
en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus dudit jour, un bon
clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant
l’ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols » ; avec
votre permission, dix sols. « Plus dudit jour le soir un julep hépatique, soporatif, et somnifère,
composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq sols » ; je ne me plains pas de celui-là, car il
me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six deniers. « Plus du vingt-cinquième,
une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné
levantin, et autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile
de Monsieur, quatre livres ». Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les
malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois
livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols.

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3) Molière, Le Malade imaginaire, III, 3 (1673)

ARGAN : […] Mais enfin venons au fait. Que faire donc quand on est malade ?

BÉRALDE : Rien, mon frère.

ARGAN : Rien ?

BÉRALDE : Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d’elle-même, quand nous la
laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est
notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non
pas de leurs maladies.

ARGAN : Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de
certaines choses.

BÉRALDE : Mon Dieu ! mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et,
de tout temps, il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations, que nous venons à
croire, parce qu’elles nous flattent et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables.
Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui
nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de
ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau,
de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de
rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues
années : il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité
et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui
ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.

ARGAN : C’est-à-dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous
voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.

BÉRALDE : Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos
grands médecins. Entendez-les parler : les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire : les
plus ignorants de tous les hommes.

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4) Molière, Le Malade imaginaire, III, 10 (1673)

TOINETTE : Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous
ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls−là fait l’impertinent : je vois bien que vous
ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
ARGAN : Monsieur Purgon.
TOINETTE : Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De
quoi dit-il que vous êtes malade ?
ARGAN : Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
TOINETTE : Ce sont tous des ignorants : c’est du poumon que vous êtes malade. […] Que
vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?
ARGAN : Il m’ordonne du potage.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : De la volaille.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : Du veau.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : Des bouillons.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : Des œufs frais.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.
TOINETTE : Ignorant.
ARGAN : Et surtout de boire mon vin fort trempé.
TOINETTE : Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir
votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon
fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et
conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je
viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.
ARGAN : Vous m’obligez beaucoup.
TOINETTE : Que diantre faites-vous de ce bras-là ?
ARGAN : Comment ?
TOINETTE : Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.
ARGAN : Et pourquoi ?
TOINETTE : Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là
de profiter ?
ARGAN : Oui ; mais j’ai besoin de mon bras.
TOINETTE : Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place.
ARGAN : Crever un œil ?
TOINETTE : Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-
moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.
ARGAN : Cela n’est pas pressé.
TOINETTE : Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une
grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier.
ARGAN : Pour un homme qui mourut hier ?

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TOINETTE : Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au
revoir.
ARGAN : Vous savez que les malades ne reconduisent point.
BÉRALDE : Voilà un médecin vraiment qui paraît fort habile.
ARGAN : Oui, mais il va un peu bien vite.
BÉRALDE : Tous les grands médecins sont comme cela.
ARGAN : Me couper un bras, et me crever un œil, afin que l’autre se porte mieux ? J’aime bien
mieux qu’il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !

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5) Abbé Prévost, Manon Lescaut, Première partie (1731)

[…] C’est quelque chose d’admirable que la manière dont la Providence enchaîne les
évènements. A peine avions-nous marché cinq ou six minutes, qu’un homme, dont je ne
découvris point le visage, reconnut Lescaut. Il le cherchait sans doute aux environs de chez
lui, avec le malheureux dessein qu’il exécuta. C’est Lescaut, dit-il, en lui lâchant un coup de
pistolet ; il ira souper ce soir avec les anges. Il se déroba aussitôt. Lescaut tomba, sans le
moindre mouvement de vie. Je pressai Manon de fuir, car nos secours étaient inutiles à un
cadavre, et je craignais d’être arrêté par le guet, qui ne pouvait tarder à paraître. J’enfilai, avec
elle et le valet, la première petite rue qui croisait. Elle était si éperdue, que j’avais de la peine
à la soutenir. Enfin j’aperçus un fiacre au bout de la rue. Nous y montâmes, mais lorsque le
cocher me demanda où il fallait nous conduire, je fus embarrassé à lui répondre. Je n’avais
point d’asile assuré, ni d’ami de confiance à qui je puisse avoir recours. J’étais sans argent,
n’ayant guère plus d’une demi-pistole dans ma bourse. La frayeur et la fatigue avaient
tellement incommodé Manon, qu’elle était à demi pâmée près de moi. J’avais d’ailleurs
l’imagination remplie du meurtre de Lescaut, et je n’étais pas encore sans appréhension de la
part du guet. Quel parti prendre ? Je me souvins heureusement de l’auberge de Chaillot, où
j’avais passé quelques jours avec Manon, lorsque nous étions allés dans ce village pour y
demeurer. J’espérai non seulement d’y être en sûreté, mais d’y pouvoir vivre quelque temps
sans être pressé de payer. Mène-nous à Chaillot, dis-je au cocher. Il refusa d’y aller si tard, à
moins d’une pistole : autre sujet d’embarras. Enfin nous convînmes de six francs : c’était
toute la somme qui restait dans ma bourse.
Je consolais Manon, en avançant ; mais au fond, j’avais le désespoir dans le cœur. Je
me serais donné mille fois la mort, si je n’eusse pas eu dans mes bras le seul bien qui
m’attachait à la vie. Celle seule pensée me remettait. Je la tiens du moins, disais-je ; elle
m’aime, elle est à moi.

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6) Abbé Prévost, Manon Lescaut, Seconde partie (1731)

[…] Entendant ouvrir la porte de l’antichambre, elle empoigna d’une main mes
cheveux, qui étaient flottants sur mes épaules, elle prit de l’autre son miroir de toilette ; elle
employa toute sa force pour me traîner dans cet état jusqu’à la porte du cabinet ; et l’ouvrant
du genou, elle offrit à l’étranger, que le bruit semblait avoir arrêté au milieu de la chambre, un
spectacle qui ne dut pas lui causer peu d’étonnement. Je vis un homme fort bien mis, mais
d’assez mauvaise mine. Dans l’embarras où le jetait cette scène, il ne laissa pas de faire une
profonde révérence. Manon ne lui donna pas le temps d’ouvrir la bouche. Elle lui présenta son
miroir : Voyez, Monsieur, lui dit-elle, regardez-vous bien, et rendez-moi justice. Vous me
demandez de l’amour. Voici l’homme que j’aime, et que j’ai juré d’aimer toute ma vie. Faites
la comparaison vous-même. Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur, apprenez-moi
donc sur quel fondement ; car je vous déclare qu’aux yeux de votre servante très humble, tous
les Princes d’Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens.
Pendant cette folle harangue, qu’elle avait apparemment méditée, je faisais des efforts
inutiles pour me dégager ; et prenant pitié d’un homme de considération, je me sentais porté à
réparer ce petit outrage par mes politesses. Mais s’étant remis assez facilement, sa réponse,
que je trouvai un peu grossière, me fit perdre cette disposition. Mademoiselle, Mademoiselle,
lui dit-il avec un sourire forcé, j’ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice
que je ne me l’étais figuré. Il se retira aussitôt, sans jeter les yeux sur elle, en ajoutant, d’une
voix plus basse, que les femmes de France ne valaient pas mieux que celles d’Italie. Rien ne
m’invitait, dans cette occasion, à lui faire prendre une meilleure idée du beau sexe.

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7) Abbé Prévost, Manon Lescaut, Seconde partie, (1731)

[…] Je reconnus la main de Manon. Voici à peu près ce qu’elle me marquait : G…


M… l’avait reçue avec une politesse et une magnificence au-delà de toutes ses idées. Il l’avait
comblée de présents. Il lui faisait envisager un sort de reine. Elle m’assurait néanmoins
qu’elle ne m’oubliait pas, dans cette nouvelle splendeur ; mais que n’ayant pu faire consentir
G… M… à la mener ce soir à la Comédie, elle remettait à un autre jour le plaisir de me voir ;
et que pour me consoler un peu de la peine qu’elle prévoyait que cette nouvelle pourrait me
causer, elle avait trouvé le moyen de me procurer une des plus jolies filles de Paris, qui serait
la porteuse de son billet. Signé, votre fidèle amante, MANON LESCAUT.
Il y avait quelque chose de si cruel et de si insultant pour moi dans cette lettre, que
demeurant suspendu quelque temps entre la colère et la douleur, j’entrepris de faire un effort
pour oublier éternellement mon ingrate et parjure maîtresse. Je jetai les yeux sur la fille qui
était devant moi : elle était extrêmement jolie, et j’aurais souhaité qu’elle l’eût été assez pour
me rendre parjure et infidèle à mon tour. Mais je n’y trouvai point ces yeux fins et
languissants, ce port divin, ce teint de la composition de l’Amour, enfin ce fonds inépuisable
de charmes que la nature avait prodigués à la perfide Manon. Non, non, lui dis-je en cessant
de la regarder, l’ingrate qui vous envoie savait fort bien qu’elle vous faisait faire une
démarche inutile. Retournez à elle, et dites-lui de ma part qu’elle jouisse de son crime, et
qu’elle en jouisse, s’il se peut, sans remords. Je l’abandonne sans retour, et je renonce en
même temps à toutes les femmes, qui ne sauraient être aussi aimables qu’elle, et qui sont, sans
doute, aussi lâches et d’aussi mauvaise foi.

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8) Marguerite Duras, Moderato cantabile, extrait du chapitre VII (1958)

Le saumon repasse dans une forme encore amoindrie. Les femmes le dévoreront
jusqu’au bout. Leurs épaules nues ont la luisance et la fermeté d’une société fondée, dans ses
assises, sur la certitude de son droit, et elles furent choisies à la convenance de celle-ci. La
rigueur de leur éducation exige que leurs excès soient tempérés par le souci majeur de leur
entretien. De celui-ci on leur en inculqua, jadis, la conscience. Elles se pourlèchent de la
mayonnaise, verte, comme il se doit, s’y retrouvent, y trouvent leur compte. Des hommes les
regardent et se rappellent qu’elles font leur bonheur.
L’une d’entre elles contrevient ce soir à l’appétit général. Elle vient de l’autre bout de
la ville, de derrière les môles et les entrepôts à huile, à l’opposé de ce boulevard de la Mer, de
ce périmètre qui lui fut il y a dix ans autorisé, où un homme lui a offert du vin jusqu’à la
déraison. Nourrie de ce vin, exceptée de la règle, manger l’exténuerait. Au-delà des stores
blancs, la nuit, et dans la nuit, encore, car il a du temps devant lui, un homme seul regarde
tantôt la mer, tantôt le parc. Puis la mer, le parc, ses mains. Il ne mange pas. Il ne pourrait pas,
lui non plus, nourrir son corps tourmenté par d’autre faim. L’encens des magnolias arrive
toujours sur lui, au gré du vent, et le surprend et le harcèle autant que celui d’une seule fleur.
Au premier étage, une fenêtre s’est éteinte tout à l’heure et elle ne s’est pas rallumée. On a dû
fermer les vitres de ce côté-là, de crainte de l’odeur excessive, la nuit, des fleurs.
Anne Desbarèdes boit, et ça ne cesse pas, le Pommard continue d’avoir ce soir la
saveur anéantissante des lèvres inconnues d’un homme de la rue.

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