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Le diagnostic de Toinette : Le malade Imaginaire

Introduction:

La méfiance pour la médecine au 17ème siècle est particulièrement visible dans de


nombreuses pièces de théâtre de Molière.
Ainsi, Le Malade Imaginaire, pièce jouée pour la première fois en février 1673, est
rédigée par Molière peu de temps avant sa mort, alors qu'il est lui-même malade.
personnage hypocondriaque, Argan, manipulé par ses médecins malgré les avertissements
de son entourage.
Dans l'acte 3 scène 10, après que Monsieur Purgon a abandonné Argan, Toinette
décide de prendre les choses en main et se fait passer pour un médecin. Ainsi déguisée,
elle essaie de ramener son maître à la raison afin de le guérir de son hypocondrie. C'est
l'occasion pour Molière de singer de manière burlesque les pratiques délirantes de la
médecine de son temps.
Notre objectif va être de comprendre comment le double rôle joué par Toinette
permet-il de ridiculiser la médecine du 17è siècle ?
Pour cela, nous verrons en premier temps l'auto portrait satirique d’un médecin
charlatan, de la ligne 1 à 11, puis en second temps nous verrons un diagnostic médical
comique, de la ligne 12 à 37.

1ère Partie : L’autoportrait satirique d’un médecin charlatan :

Dès le début de la tirade, Toinette prend un ton grandiloquent, ce qui donne un impression
de surjouer. Il y a une double énonciation qui est faite. On remarque qu’il y a un effet
comique créé pour le spectateur. C’est un faux discours qui est fait par ce médecin.
D’ailleurs, le terme de “médecin passager” renvoie à l’idée d’un médecin charlatan.

A la ligne 1, “de ville en ville, de province en province, de royaume, en royaume”, un


parallélisme, plus un effet de gradation est créé. Les prépositions “de” et “en” insistent sur
un effet de mouvement, avec également le verbe “vais”, et l’adjectif "passager".

On a ici un médecin prétentieux, vaniteux, qui est présenté par Molière. Molière dénonce la
vanité, ainsi que l’égo surdimensionné des médecins à cette époque. Le médecin ici, essaye
d’attirer l’attention du patient avec des adjectifs mélioratifs comme “illustre”, ou encore
“grand”, pour mettre en valeur ses capacités.

On peut voir un mépris pour les maladies ordinaires : “fievrottes”, bagatelles de


“rhumatisme" etc… Fiévrotte est dévalorisé, comme si ce n’était rien du tout. “Ce menu
fatras”, avec “ce” qui a une valeur méprisante, c’est ce qui est suggéré implicitement.
A la ligne 5, une énumération de maladies rares est faite, et crée un effet de gradation. On
peut penser que ce médecin essaye d’étaler son savoir.

On peut y voir de nouveau une critique des médecins par Molière, car ils sont trop
prétentieux, aiment étaler leurs savoirs avec un vocabulaire plutôt technique.
Il y a un oxymore de fait par ce médecin : “de bonnes fièvres", “de bonnes pestes”... Il y a un
adjectif mélioratif, avec un nom “négatif”. Il y a une anaphore de “bonnes”, ce qui rythme
l’énumération.

D’ailleurs, on remarque un étrange enthousiasme pour les “mauvaises” maladies et un


dégoût profond pour les “petites” maladies. Il souhaite d’ailleurs qu’Argan souffre, qu’il soit
sévèrement malade pour qu’il puisse le soigner.
Ligne 7 : “C’est là que je me plais, c’est là que je triomphe” un parallélisme est créé. Le mot
triomphe montre qu’il cherche une certaine reconnaissance. C’est encore une fois une
critique de Molière à l’encontre des médecins, car ils ne travaillent uniquement que pour la
gloire. A la ligne 9-10, il y a un emploi de la première personne, qui montre le narcissisme du
personnage.

Ligne 11 : le spectateur rit de la crédulité d’Argan, un effet d’opposition se crée, car le


médecin lui souhaite tous les malheurs du monde, cependant, Argan le remercie.

2ème Partie : Un diagnostic médical comique :

Toinette commence à ausculter Argan : « Donnez-moi votre pouls ». Sa réplique est


l’occasion d’un comique de geste, mais aussi de mot avec la personnification du pouls « ce
pouls-là fait l’impertinent ». De plus, le caractère comique se remarque par la ponctuation
expressive, les points d’exclamation qui exagèrent la posture de Toinette.
Bien qu’elle paraisse se laisser aller à son personnage, elle garde en tête son objectif, sa
stratégie: « Qui est votre médecin? », c'est-à-dire de décrédibiliser Purgon aux yeux
d’Argan.
A noter évidemment que nous sommes dans une mise en abîme du théâtre avec Toinette,
qui joue un rôle en costume.
Après avoir blâmé M. Purgon « Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les
grands médecins », elle commence son diagnostic : « De quoi dit-il que vous êtes malade?
»
La pluralité des diagnostics précédents, la réponse sincère et hésitante d’Argan, qui croit
être face à un nouveau médecin, montre un nouvelle fois le manque de foi de Molière dans
la médecine: « Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate. »
Toinette offre une réponse très tranchée, très affirmative en critiquant ses supposés
confrères: « Ce sont des ignorants. C’est du poumon que vous êtes malade. ». La réponse
aussi directe surprend puisqu’elle n’a effectué aucune observation, elle n’a pas ausculté
Argan…
Se met ensuite en place une stichomythie, un jeu de répliques rapides entre Toinette et
Argan. Ce rythme trépidant accentue l’effet du comique de répétition autour du « poumon ».
L’interrogatoire pseudo-médical de Toinette est décomposé en deux parties: tout d’abord sur
les douleurs d’Argan, puis sur sa vie quotidienne.
Durant ce passage, on observe l’absurdité de la réponse répétée de Toinette « le poumon »,
et de ses questions.
Le poumon, d’après Toinette, explique donc des douleurs à la tête, aux yeux, au cœur, au
ventre… Les réponses d’Argan paraissent ordonnées puisqu’il va du haut du corps vers le
bas. Cependant, nous assistons à une énumération de douleurs assez impressionnante.
Il est encore remarquable que Toinette n’apporte aucune explication au lien de ces douleurs
avec le poumon. Elle cite le seul organe qui paraît ne pas faire souffrir Argan.
Entraînée dans son jeu, elle continue à ponctuer ses répliques par « le poumon », même
quand elle pose des questions à Argan sur son mode de vie: « Le poumon. Vous aimez
boire un peu de vin? ».
De plus, les questions et les réponses d’Argan n’impliquent aucunement une maladie, un
problème. Argan aime manger, boire un peu de vin, et faire une sieste après le déjeuner.
Tout cela semble normal… et n’avoir aucun lien avec le poumon.
Toinette termine la première phase de son diagnostic en insistant bien sur le poumon par
une répétition « Le poumon, le poumon vous dis-je ».
Cette fausse consultation médicale tourne évidemment en ridicule le médecin, qui n’explique
rien, et ne procède pas de manière scientifique pour trouver l’origine du mal.
Conclusion:

Ainsi, les deux mouvements de cet extrait mettent en valeur deux aspects de la
critique de Molière d'une part, il s'agit de pointer l'autosatisfaction pédante des médecins;
d'autre part, il s'agit de dénoncer l'absurdité de diagnostics médicaux qui n'ont rien de
scientifique, ni de rationnel, ni de logique. Par la suite, la surenchère de prescriptions
médicales effrayantes comme l'amputation finit par terrifier Argan qui revient à la raison
grâce au stratagème de son habile servante.
Cette satire des médecins est également exploitée en 1923 par Jules Romains dans
Knock où le personnage éponyme, médecin également, se révèle être un charlatan
incompétent dont les diagnostics sont absurdes et comiques. Mais au-delà de la satire de la
médecine, l'œuvre de Jules Romains met en garde, de façon plus générale, contre l'emprise
idéologique, en dénonçant à la fois les manipulateurs et le comportement des hommes
naïfs, prêts à se laisser embrigader.

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