Le Malade imaginaire, Molière, (1673), acte I / scène 1 (extrait)
I. Introduction
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673)
Dramaturge, directeur de troupe, metteur en scène et acteur. A 21 ans il s’associe avec des camarades (dont Madeleine Béjart) pour former sa propre troupe : l’Illustre Théâtre. Il devient le comédien et auteur favori de Louis XIV et de sa cour. En 1661, il crée avec Jean-Baptiste Lully le genre de la Comédie-ballet. Le Malade imaginaire (1673) Comédie-ballet en 3 actes et dernière œuvre de Molière. Comédie d’intrigue traditionnelle, comédie de caractère et comédie de mœurs. Argan, le personnage éponyme est le ‘’malade imaginaire‘’. Béline sa seconde femme veut hériter de sa fortune. Angélique sa fille aime Cléante, ce qui le contrarie car il veut un médecin pour gendre. Le passage à l’étude est un extrait de la scène 1 de l’acte I
II. Analyse linéaire
Comment ce monologue d’exposition permet-il de révéler un caractère, tout en
évitant l’ennui ?
Lorsque la scène 1 de l’acte I commence, le spectacle a déjà débuté puisqu’il s’agit
d’une comédie-ballet et qu’il y a déjà eu un Prologue. Cette pièce est une comédie de caractère car au fil des scènes, on découvre la complexité et la profondeur psychologique du protagoniste. La scène 1 de l’acte I met en scène un personnage unique et va permettre de découvrir son caractère car il se trouve seul et livre ici un monologue. La didascalie initiale installe cette situation de monologue « assis », « lui-même ». Le personnage est en position statique. Monologue = ruine de la double énonciation. Ce monologue se transforme en dialogue fictif à deux voir même trois voix. Il va réinstaller une situation de double énonciation, c'est un véritable spectacle car un personnage en joue trois. Cela permet de supprimer les risques de monotonisme et de statisme. l.6 Argan ici lit l’ordonnance et la commente. On remarque tout de suite une situation de double énonciation : pronom démonstratif « votre » + pronom personnel « vous » = montrent cette situation fictive d’énonciation. Présent d’énonciation : « font », « plaît », « c’est »... Cette situation d’ouverture est porteuse du caractère obsessionnel d’Argan. Cette comptabilité de professionnel contraste avec un particulier qui est diminué par la maladie. Argan assis avec un registre fait ses comptes = introduit comiques de geste, de situation, de mot (répétition des chiffres) et de caractère. On comprend qu’Argan fait les comptes d’un mois. La scène commence ‘’in medias res‘’ (= au milieu de l’action) car Argan a déjà commencé à faire ses comptes. Trois champs lexicaux voisinent dans ce passage : remède, chiffres et bas corps. Le dynamisme de cette scène repose sur le dialogue contestuel et conflictuel du dialogue fictif. l.6-7 « Trente sols un lavement ! » = clystère pour laver les intestins. « Je suis votre serviteur » formule ironique qui montre l’agacement d’Argan. Ton de la contestation, de la réprobation. Éléments d’exposition : « autre » déterminant indéfini + « je vous l’ai déjà dit » en incise Argan, le rôle-titre est un habitué des médecines. « Parties d’apothicaire » = liste des prix, « en langage d’apothicaire » = les apothicaires passent pour des gens qui gonflent les prix. Le comique de la scène repose sur le fait qu’Argan fait du ‘’moins moins moins‘’ alors qu’il est écrit « Plus [...] plus [...] plus ». Argan est passé autoritairement de « trente sols » à « dix sols » : son propos est péremptoire malgré qu’il est malade. l.15-16 « Ah ! Monsieur Fleurant » interjection qui traduit l’émotion colère + apostrophe du nom de l’apothicaire. Comique de l’onomastique M. Fleurant = fleurer (respirer les matières rejetées par les malades) / M. Purgon = purger. Comique de foire Fleurant, Purgon = scatologie... « C’est se moquer » ton autoritaire + « mettez, mettez » impératifs mode de l’injonction, de l’autorité. l.17-26 Argan vérifie ensuite sa facture au rythme des adverbes « plus » (addition) et « bon » (prix décidé par Argan). Les tournures de phrases reviennent à l’identique, ce qui nourrit le comique de répétition qui réfère ici au comique de mot et de geste. l.17-19 « Anodine et astringente » = qui ressère les tissus. Les prescriptions sont données sous forme de groupes nominaux expansés, suivis d’un complément circonstanciel de but (pour indiquer à quoi cela sert), suivi du prix à payer. Argan suit les jours « vingt-sixième » « vingt-septième » ce qui atteste d’une obsession. l.21-22 « Chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur » au XVIIe et XVIIIe siècles, le savoir médical repose sur la théorie des humeurs héritée du V es av. J-C (Hippocrate). Les humeurs sont les fluides organiques du corps humain. Il y en a quatre : le sang / la bile jaune / la bile noire / la lymphe. Une personne en bonne santé conserve un équilibre des humeurs. Le physique et le psychologique sont liés. Argan est à la fois colérique (bile jaune) et mélancolique (bile noire). l.26-27 Les propos adressés à M. Fleurant placent Argan dans une position supérieure : « tout doux » + « mettez, mettez » (l.16). « Si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade » = comparaison + « on » crainte de la maladie qui dit que l’on a affaire à une personne névrosée, à un malade imaginaire on a là l’aveu inconscient de la maladie imaginaire. Les traitements qui sont donnés à Argan sont de vrais traitements vérifiables historiquement mais qui sont modérés. Ils permettent de soigner l’atrabile = problème abdominal, bile noire. l.28-30 On voit bien l’omniprésence du champ lexical des chiffres. « Si bien donc » conjonction de coordination + connecteur logique de conclusion. Argan a une logique étonnante : c’est le nombre de remèdes qui dit la santé du malade raisonnement paralogique et défectueux qui témoigne bien du raisonnement du malade imaginaire et donc de son hypocondrie. l.31-32 Argan se délecte pendant tout ce passage à compter ses traitements. Il jouit de ce moment en se plaignant des prix. À la fin, il s’aperçoit que la somme des traitements a diminué par rapport au mois précédent, ce qui l’apeure et le terrorise. « Je le dirai à M. Purgon » remarque puérile qui souligne la névrose et la fragilité d’Argan. « Afin qu’il mette ordre à cela », ordonnance = médecine autoritaire et sans souplesse qui refuse le progrès. On passe de la plainte financière à la plainte morbide. Ce paralogique et cette panique confirment qu’il est dangereux pour son entourage.
III. Conclusion
On voit bien apparaître le personnage du malade imaginaire, dans la folie de
l’hypocondriaque. Argan est un bourgeois centré sur lui-même, narcissique, fortuné, autoritaire et égoïste qui est dangereux pour son entourage. Il est ridicule comme l’est la réalité : la médecine de l’époque est autoritaire et refuse le progrès. Cette scène d’exposition recours au monologue du héros, procédé qu’on a abandonné. Molière l’a revisité et en a fait un passage dynamique et comique. Selon Pierre Larthomas (théoricien du théâtre), ce passage est un adagio (=morceau de musique lent et volupteux), on peut le qualifier de poème pharmaceutique.