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1er mouvement (l.

1 à 9) : vengeance du médecin dont l’autorité a été bafouée / parodie de procès

- l’extrait s’ouvre avec une subordonnée circonstancielle de cause introduite par la conjonction de
subordination « puisque » + deuxième réplique du médecin également introduite par « puisque »
> le redoublement anaphorique de la conj de subordination crée un effet d’insistance assez lourde
> le médecin rappelle avec solennité les fautes d’Argan, comme un juge rappelle les chefs
d’inculpation
- les deux répliques de M Purgon se terminent par des points de suspension : le médecin semble
créer un effet d’attente avant énoncer la sanction (= la conséquence) : ce sont des aposiopèses
- “PURGON” : nom propre qui fait référence à la “purge”, seul remède pour traiter toutes les
maladies de l’époque : satire de la médecine à travers l’onomastique (le médecin est réduit à son
sempiternel remède)
- entre les deux répliques : intervention comique de Toinette qui commente comme devant un
combat de boxe : « cela crie vengeance » : l’usage du terme « vengeance » montre la lucidité de
Toinette sur ce qui se joue dans cette scène : elle a bien compris que le médecin est vexé et
cherche à se venger > figure caricaturale de roi outragé. Insolence comique de la servante qui
profite de la position de faiblesse de son maître pour prendre parti contre lui et qui cherche même
à envenimer la situation
- les fautes d’Argan sont caractérisées avec un vocabulaire juridique « vous vous êtes soustrait à
l’obéissance que l’on doit à son médecin » / « vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes » > le
médecin adopte une posture de juge qui rappelle les manquements à la loi d’un criminel. Parodie
de procès de l’accusé Argan = comique de situation !
- les verbes pronominaux avec le redoublement du pronom « vous » : « vous vous êtes déclaré… »
permet d’insister sur ce pronom de 2e personne et de renforcer le ton accusateur du médecin,
comme s’il pointait du doigt son patient
- le verbe « devoir » au présent de vérité générale renforce l’impression que le médecin énonce une
loi « l’obéissance que l’on doit à son médecin » = Molière souligne ainsi la tyrannie médicale : le
médecin est convaincu de sa toute-puissance, il infantilise le patient.
- notons également l’usage du verbe « ordonnais » (qui est celui qui transparaît dans le nom
« ordonnance ») le médecin ordonne en effet au patient de prendre tel ou tel traitement = ce verbe
renforce encore l’impression de toute-puissance du médecin > satire de l’orgueil démesuré/hybris
de ce dernier
- Argan tente de se défendre en niant son crime : « Hé point du tout » mais en vain, le médecin
poursuit implacablement sur sa lancée. Argan n’a pas d’arguments, sa défense maladroite
consiste à nier : sa réplique est d’ailleurs très courte. Argan est vraiment dans la position de
l’accusé, une position de faiblesse = il est decrédibilisé. Supériorité rhétorique du médecin qui
l’écrase sous ses accusations
- c’est seulement à la ligne 5 que la proposition principale arrive (les deux premières répliques de
Purgon étant des propositions subordonnées, la phrase n’était pas terminée) : « j’ai à vous dire
que je vous abandonne à votre mauvaise constitution… » = le médecin refuse de continuer à
prendre en charge un patient récalcitrant. Verbe “je vous abandonne” : sentence irréversible de
M. Purgon envers Argan. Ironie de la situation : on attend d’un médecin qu’il soigne son patient
et non qu’il l’abandonne. C’est bien ici un anti-médecin qui abandonne tout devoir medical et
abdique toute conscience professionnelle
- notons la tournure solennelle avec « j’ai à vous dire que » : mise en scène de la parole. On voit
bien à quel point ce médecin se prend au sérieux
- la sanction prend une forme d’énumération de COI rattachés au verbe « abandonner » : « je vous
abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre
sang, à l'âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs. » > il déroule ainsi tous les
symptômes de la mauvaise condition physique d’Argan, accumulant les termes négatifs
« mauvaise », « intempérie », « corruption », « âcreté », « féculence » = tableau très noir en
inquiétant de cette santé. Remarquons l’accumulation des possessifs « votre constitution », « vos
entrailles », « votre sang », « votre bile », « vos humeurs » > ce qui renvoie Argan à sa solitude
devant tant de symptômes. On retrouve les termes de « sang », « bile », « humeurs » qui
renvoient directement à la théorie des humeurs sur laquelle la médecine du XVIIe se fondait.
Indirectement, le médecin souligne son rôle essentiel > s’il n’est pas là, on souffre de tous les
maux du monde
- Toinette commente à nouveau sur un ton badin qui contraste avec le ton cérémonieux et
menaçant du médecin : « c’est fort bien fait » > on voit avec l’adverbe intensif « fort » qu’elle en
rajoute en se réjouissant ouvertement de cette sentence, ce qui ne peut qu’achever le pauvre
hypocondriaque
- Argan est d’ailleurs atterré, épouvanté : « Mon Dieu ! » = interjection exclamative : abandonné
par son médecin, il ne peut plus se tourner que vers Dieu, ce qui montre son désarroi total. Par
ailleurs, on peut aussi penser que c’est le médecin qui occupait dans la vie d’Argan le rôle d’un
dieu puisque Argan l’idolâtrait : c’est le dieu-médecin qui abandonne son patient à son
impuissance (comique de caractère : orgueil excessif d’un côté, vulnérabilité totale de l’autre)

Conclusion/Transition : on assiste à une parodie de procès, la situation est donc comique puisque
complètement excessive : Argan n’a fait que refuser de prendre un lavement. Le rôle de Toinette,
commentatrice impertinente qui attise le ressentiment des opposants, ajoute également au comique de la
scène. On peut même parler de registre héroï-comique en ce qui concerne Argan et Purgon, puisqu’ils
semblent jouer tous deux une scène sérieuse et solennelle de procès (parodique évidemment). Mais le
médecin n’a pas fini d’effrayer Argan, puisqu’il poursuit avec une série de menaces à l’encontre de son
patient …

2ème mouvement (l. 10 à fin) : litanie de menaces dans un crescendo burlesque

- le médecin joue décidément avec le suspense : il énonce sa sanction en deux temps. Il laisse
d’abord Toinette et Argan réagir avant de poursuivre sa phrase (v. 10) avec la conjonction de
coordination « Et… » qui montre bien qu’il n’en a pas terminé avec ses imprécations (= souhait
de malheur contre qqn)
- « Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours … » : verbe « vouloir » qui place le médecin dans
une position d’autorité qui rappelle celle d’un roi énonçant sa volonté, ou d’un sorcier qui jette
un mauvais sort
- ce devin donne même un délai temporel « avant qu’il soit quatre jour » comme un dieu vengeur.
Les « quatre jours » rappellent le délai donné par Argan à sa fille pour que le mariage avec
Diafoirus se fasse (4, II : « C'est le fils d'un habile médecin, et le mariage se fera dans quatre
jours. ») : par un renversement comique, Argan se retrouve à la place de sa fille : tous deux font
face à une échéance qu’ils craignent.
- la proposition principale « je veux » est complétée ensuite par 1 subordonnée complétive « que
vous deveniez dans un état incurable » > on voit bien ici que la prophétie et la volonté (« je
veux ») se confondent : comme si le médecin exprimait une volonté divine. On retrouve la figure
de l’anti-médecin puisqu’au lieu de soigner et de tout tenter pour obtenir la guérison, il se met à
souhaiter la mort du patient « état incurable » : négation lexicale avec le préfixe « in-» qui
signifie : que l’on ne peut pas guérir. La satire du médecin est ici poussée à l’extrême puisqu’il
souhaite exactement l’inverse de ce que l’on attend de lui (= guérir), il viole délibérément le
serment d’Hippocrate.
- A nouveau, Argan pousse un cri : interjections « Ah ! » + « miséricorde ! » : il en appelle au
pardon divin, c’est le sens du mot « miséricorde » (= bonté par laquelle Dieu fait grâce aux
hommes et leur pardonne leurs péchés) > il traite Purgon en véritable dieu
- Mais le médecin, intraitable, poursuit sa condamnation : nouvelle subordonnée complétive « que
vous tombiez dans la bradypepsie » puis par un jeu d’anadiplose, il reprend le dernier terme de la
phrase précédente pour en ajouter un nouveau plus grave encore : « Que vous tombiez dans la
bradypepsie./- De la bradypepsie, dans la dyspepsie./ - De la dyspepsie, dans l'apepsie./ - De
l'apepsie, dans la lienterie… » etc. Cette anadiplose donne l’impression d’un enchaînement
inévitable de maladies jusqu’à la mort > fatalité tragique du destin d’Argan.
- Ces effets de répétition en ajoutent à l’impression d’une pluie de maux qui s’abattent sur le
pauvre malade (comique de répétition) > le médecin s’acharne avec sadisme !
- mais aussi une pluie de mots > comique de mot très net avec cette accumulation de termes
médicaux obscurs pour le non initié : termes savants qui renforcent encore l’autorité du médecin
érudit et parallèlement la vulnérabilité du patient… > On a là une autre critique indirecte des
médecins : ils font illusion grâce à leur jargon savant, mais le recours exagéré à ce lexique savant
ridiculise ici le médecin qui n’a clairement pas le pouvoir qu’il prétend sur les intestins de son
patient. L’accumulation de termes savants rappelle l’incantation d’un guérisseur charlatan, qui se
cache derrière les mots pour mieux dissimuler son incompétence.
- Tous ces termes de maladie renvoient à des maladies liée à la digestion et aux intestins : la
digestion d’Argan sera de plus en plus difficile jusqu’à aboutir à une diarrhée mortelle > Purgon
(qui ne purgera plus, donc !) souhaite une mort lente, douloureuse et humiliante. Notons en effet
la prédominance du thème scatologique (qui ajoute au comique de situation) : il y a un décalage
entre la terreur d’Argan et la mort promise par le médecin (il mourra dans ses matières fécales).
- Les assonances en « i » des noms de maladies « bradypepsie », « dyspepsie », « apepsie » créent
également un effet de répétition et renforcent l’image d’un coup de bâton qui s’abat
régulièrement sur Argan + sonorité en “i”: qui blesse déjà les oreilles = son strident qui annonce
le mal à venir
- Argan ne peut que répéter 6 fois « Monsieur Purgon ! » : l’exclamation traduisant sa terreur
grandissante, la répétition du nom propre montrant bien qu’il n’a pas de mots tant il est assommé,
anéanti par ces imprécations continuelles = comique de répétition. La répétition montre bien que
Purgon est lancé comme une machine infernale : on ne peut plus l’arrêter. Par ailleurs, avec les
jeux de rimes, les deux personnages semblent jouer un duo comique où chacun chante sa
partition (« ie/ie/ie » / « on/on/on »)
- Pour finir, le médecin en arrive à la conclusion de cette longue litanie de menaces : « Et de
l’hydropisie dans la privation de la vie » = il utilise une périphrase pour désigner la mort
« privation de la vie », ce qui lui permet une dernière assonance en « i » : point d’orgue de la
menace, châtiment suprême = la mort. Se dédouane complètement en précisant bien que c’est le
patient lui-même qui sera responsable de sa propre mort : « où vous aura conduit votre folie »
(déterminant possessif). Rappelons que la « folie » en question est d’avoir refusé de prendre un
lavement. La disproportion entre la sanction du médecin et la faute originelle permet à Molière
de ridiculiser le médecin au plus haut point.

Conclusion :
Reprise des idées principales et réponse à la problématique : La pluie de menaces de Monsieur Purgon vis-à-
vis du patient désobéissant offre une satire comique très efficace de la médecine. L’orgueil du médecin
prend complètement le dessus sur son devoir, qui est de guérir, puisqu’il va jusqu’à terroriser son patient et à
lui souhaiter la mort pour le punir de ne s’être pas soumis à sa prescription. La profession est totalement
décrédibilisée (le médecin devient bourreau !) dans cette scène puisque tout professionnalisme disparaît au
profit d’une vanité sans borne. Le comique de situation vient aussi de ce que le tyran domestique qu’est
Argan a rencontré un autre tyran plus fort que lui. Ce renversement du rapport de force n’échappe pas à
Toinette, qui prend un malin plaisir à se venger de son maître indirectement, en riant de sa terreur.
Ouverture : Cette scène qui ridiculise le médecin fait directement écho à la parodie de cérémonie qui fait
office de troisième intermède : en effet, dans ce dernier temps de la comédie-ballet, Argan intègre le corps
médical pour devenir médecin lui-même. Cette scène chantée parfaitement burlesque reprend exactement le
thème du médecin-bourreau puisque les derniers mots du Président du comité médical qui juge la
candidature d’Argan sont les suivants : « Moi, avec ce bonnet / Véritable et savant, / Je te donne et concède /
La vertu et la puissance / De médiciner, / De purger, / De saigner, / De percer, / De tailler, / De couper, / Et
de tuer / Impunément par toute la terre. »

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