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Introduction :
[Situer le texte] Figure majeure du théâtre du XVIIe siècle, alors que la tragédie
s’affirme comme le genre théâtral majeur, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, confère
à la comédie une richesse et un prestige inédits. Ses pièces comiques aux personnages
caricaturaux amusent les spectateurs mais ont aussi une ambition sociale et morale :
elles révèlent les travers humains et interrogent la société. Le malade imaginaire est la
dernière pièce de Molière, jouée en 1673. Le personnage principal de cette comédie-
ballet, Argan, est un hypocondriaque dont la folie des médecins met en péril la santé
et la famille. Dans cette scène de dénouement, Cléante vient demander la main
d’Angélique, qui refuse par respect pour son père. Celui-ci accepte finalement à
condition que Cléante consente à se faire médecin. Toinette résout enfin la situation
en proposant à Argan de se faire lui-même médecin.
Argan relève la raillerie de son frère : « Je pense, mon frère, que vous vous moquez de
moi. » Il est plaisant de voir un personnage aussi ridicule prendre conscience, à la fin
de la pièce, qu’il est en effet un objet de moquerie. Béralde écarte les doutes et les
interrogations d’Argan en lui assurant que la science des médecins n’est pas bien
grande. Le comparatif de supériorité dans une tournure négative suggère habilement
que le patient en sait davantage que le médecin : « il y en a beaucoup par mieux qui
ne sont pas plus habiles que vous. » Argan énumère alors les savoirs qu’un médecin
doit maîtriser : « Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les
remèdes qu’il y faut faire. » Cependant, Béralde lui rétorque que le savoir du médecin
passe uniquement par son habit : « En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous
apprendrez tout cela ». À travers Béralde, c’est bien entendu Molière qui dénonce la
fonction sociale du vêtement qui permet de travestir l’identité des individus, et de les
faire passer pour les savants qu’ils ne sont pas. Les médecins ne seraient donc que des
comédiens déguisés. Argan s’exclame alors : « Quoi ! l’on sait discourir sur les maladies
quand on a cet habit-là ? » Sa crédulité, et sa confiance aveugle dans les symboles du
pouvoir l’empêchent de percevoir l’écart entre l’habit des médecins et leurs
connaissances, entre les apparences et la vérité. Béralde, qui n’a pas pu raisonner son
frère hypocondriaque, s’appuie habilement sur ses passions excessives : « L’on n’a qu’à
parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise
devient raison. »
Le pronom personnel indéfini « on » dévalorise la fonction de médecin, devenue à la
portée de tous. Les substantifs « robe » et « bonnet » réduisent comiquement l’habit
de médecin à une vulgaire tenue de chambre. Quant aux antithèses « galimatias » /
« savants » et « sottise » / « raison », elles soulignent le subterfuge des médecins qui
travestissent leur ignorance en savoir. Ces aphorismes satiriques font bien
évidemment entendre la voix de Molière à travers celle du raisonneur, comme souvent
chez le dramaturge du XVIIème siècle. De nouveau, Toinette acquiesce face aux
affirmations de Béralde : « la barbe fait plus de la moitié d’un médecin. » La crédulité
d’Argan intensifie le comique de ces absurdes assertions.
La mécanique comique repose ainsi sur un personnage aussi naïf que tyrannique, aussi
dominable que dominateur.
Conclusion :
Cette scène de dénouement heureux, où Béralde convainc Argan de se faire médecin,
fait la satire de la médecine tout en légitimant le droit de la comédie à se moquer. Le
frère raisonneur manipule habilement le crédule Argan, qu’il convainc de se faire
médecin, tout en prononçant un éloge satirique de la médecine. La dénonciation des
faux médecins culmine en une complexe mise en abyme. Ce dispositif ingénieux
permet à Molière d’inscrire dans sa pièce une habile apologie du théâtre.
Le dramaturge légitime la satire par sa capacité à se moquer de tout, sans violence,
uniquement par le langage.