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Lecture linéaire 3 – acte III, scène 12

Introduction

Représentée en février 1673, Le MI fut la dernière comédie-ballet créée par Molière. Il y met en
scène Argan, un personnage hypocondriaque dont la crédulité est sans limite.
Il croit en la médecine, prend chaque jour un grand nombre de « médicaments » et refuse de voir qu’il est
devenu dépendant d’ignorants qui exploitent sa faiblesse . De même il croit aveuglément dans l’amour et le
dévouement de sa seconde femme, Béline, sans s’apercevoir qu’elle joue la comédie de la bonne
épouse pour mieux s’emparer de sa fortune.
La servante d’Argan, Toinette, et son frère Béralde, sont convaincus que Béline est une hypocrite,
intéressée et manipulatrice. / que Béline joue un double jeu.
A l’acte III, scène 12, pour ouvrir les yeux d’Argan sur sa femme, Toinette a l’idée de mettre en scène
une petite comédie. Il s’agit de faire croire à Béline que son mari vient de mourir pour tester ses
réactions (et donc la sincérité de ses sentiments). Cela donne lieu à une scène de « théâtre dans le
théâtre ». Chacun des personnages joue donc un rôle : Argan a accepté de faire semblant d’être mort*
(non sans crainte) et T joue la servante éplorée (Béralde, lui, s’est caché). Le spectateur prend aussi une part
active à la scène, car il en sait plus que Béline et devient ainsi complice du piège qui lui est tendu.

* car Toinette lui a habilement présenté les choses : il s’agit de prouver à Béralde qu’il a tort d’avoir des doutes
sur la sincérité de Béline

- Comment Toinette s’y prend-elle pour piéger Béline et l’amener à se démasquer ?

1er mvt  l 13 : elle fait croire à Béline que son mari est mort
2ème mvt  l 35 : B. tombe dans le piège et révèle ses véritables sentiments pour Argan
3ème mvt  fin : A. arrête la comédie : il « ressuscite » ; ce qui correspond à un retournement de situation.
Acte III, scène 12

1er mouvement

T : La scène commence comme une scène de tragédie dans une comédie ! théâtre dans le théâtre
la didascalie donne le ton : Toinette joue « la comédie », elle surjoue :
- les 2 interjections Ah + les 3 exclamatives traduisent une forte émotion
- voc de la tragédie : référence à Dieu = idée de fatalité, destin + « malheur », « étrange accident » =
événement inattendu + une réplique qui est un alexandrin : rythme 3-3-6 ; mais suspense : ne dit rien
encore, ce qui crée une tension dramatique

B : étonnement – question neutre


T : émotion, bouleversée, laisse entendre que c’est grave au point qu’elle ne peut parler !
B : repose la question mais de façon + insistante/pressante, + inquiète
T : annonce la nouvelle de façon directe, brutale, phrase affirmative sans euphémisme (en insistant sur
le lien conjugal qui les unit et qu’elle s’apprête à tester)
B : reprend la phrase sous forme interrogative = étonnement, choc, incrédule  confirmation
T : « hélas, oui » interjection exprimant le regret + confirmation ; l’ensemble sur un registre pathétique
 « le pauvre » adj modalisateur, le plaint - pitié ; voc soutenu de la tragédie « trépassé », mais aussi
comique de langage dans le pléonasme défunt - trépassé (dit 2 x la même chose)
B : doute encore, pour être absolument sûre
T : reprise sur le mot « assurément », nouvelle confirmation

 ces premières répliques sont courtes, avec des reprises sur le mot, et s’enchaînent sur un rythme
rapide = des stichomythies qui renforcent la tension.

 T enchaîne sur le récit des circonstances de la mort (raconte) qui vient d’arriver, présent à valeur
passé proche ; lui tend un piège = la seule et la 1 ère à le savoir, pas de témoin.  donne la preuve en
montrant Argan dans sa chaise de malade - qui lui aussi joue la comédie = il fait semblant d’être
mort – d’un geste théâtral : impératif « Tenez » + présentatif « le voilà » + déterminant démonstratif
« cette »

T piège B. en trompant sa confiance ; et B y croit car elle pense que T est de son côté, elle a confiance en elle (cf
acte I, sc 8) + a attendu ce moment avec impatience (veut y croire)

Le 2è mouvement commence avec la réaction de Béline

B : contraste avec le drame = expression d’un immense soulagement (= tout de même un effet de
surprise pour le spectateur… au-delà des espérances de Toinette et Béralde!) exclamatives : remercie Dieu,
en tire la conséquence, heureuse pour elle : parallélisme de la formulation : le voilà / me voilà - métaphore
péjorative « un grand fardeau » (grd : effet d’insistance) = un poids dans sa vie - liberté retrouvée ;
s’adresse à Toinette pour s’étonner de sa réaction qu’elle ne comprend pas ; « cette mort »
démonstratif = mise à distance, indifférence, gomme tout lien affectif - cette mort en particulier, pas de quoi
pleurer !

T : joue la naïve, lui rappelle la réaction normale, attendue - subjonctif imparfait - la réplique s’adresse
aussi par Argan (et à Béralde, caché) pour le prendre à témoin - phénomène de double énonciation

B : balaye cette idée, pas émue, révèle son absence de sentiments - refuse de jouer la comédie des
larmes, de faire semblant de ressentir ce qu’elle n’éprouve pas, de jouer les hypocrites !!! = inversion
des rôles, arrête de jouer, alors que les autres jouent !
Pire, elle surenchérit et aggrave sa situation. Elle justifie son comportement, sa froideur par une petite
tirade explicative :
- 2 questions rhétoriques pour prendre T à témoin, laisse entendre qu’A. n’était d’aucune utilité, donc
pas de regret à avoir. Pose les questions et fait elle-même la réponse.

Se lance dans un portrait à charge / péjoratif, physique puis moral, accablant, où elle énumère ses
nombreux défauts, dans une seule et même phrase = comme une liste sans fin : où elle déverse tout
ce qu’elle a accumulé / supporté depuis des années !
Elle le définit d’abord comme « un homme incommode » = « un ho » même mise à distance, gomme tt
lien conjugal ou affectif + incommode = qui gêne, qui dérange par sa présence, embarrassant.
En donne les raisons qui sont autant de reproches dans une longue phrase énumérative : décrit le
malade et son comportement : 2 adjectifs péjoratifs, gradation –> effet produit ; champ lexical de la
maladie : remèdes, symptômes ; 3 participes présents, rythme ternaire, gradation + son « an » ; effet
global d’accumulation ; un fardeau pour tout le monde
- puis elle passe au portrait moral : un ho. sans intelligence, pas sociable, aucune conversation, d’une
compagnie peu agréable, et d’un caractère difficile : Argan est colérique, il s’énerve facilement ; le
dernier argument pour persuader T car l’inclut (cf acte I, 2), prend T à témoin, cherche à la rallier, à la
mettre de son côté.
Il se conduit ainsi en permanence : « sans cesse, tjrs, sans cesse, jour et nuit » ; le comportement et
le caractère d’A. sont insupportables « à tout le monde », « fatiguant les gens » = la famille et les
domestiques (=> a plusieurs serviteurs = Argan est riche !)

- aussi un discours de vérité sur Argan et la vie de famille, un mari peu agréable pour une jeune
femme, mais exagère !
- elle exprime du dégoût, de la répulsion, et non de l’amour ! Et Argan entend tout cela !
= parole vraie, sincère ≠ hypocrite = révèle qu’elle joue habituellement la comédie, le rôle de la bonne
épouse. En tenant ce discours impitoyable, Béline se démasque et révèle son vrai visage ; elle est
piégée : le plan a réussi, et plus encore que prévu !

T : ironie de Toinette, « belle oraison » antiphrase qui souligne le décalage entre les attentes d’A et la
réalité ! (= double énonciation, s’adresse aussi à Argan et Béralde + au public ). Double sens du présentatif
voilà : conclusif et aussi : la preuve !

Après avoir révélé son manque d’amour, Béline va montrer son autre facette : celle de la femme intéressée.
Béline passe à l’étape suivante = à l’action. Elle demande l’aide de sa servante (ce qu’elle présente
comme une obligation morale), cherchant à en faire sa complice, car elle croit que Toinette est son alliée
(en a fait sa confidente cf fin de l’acte I, scène 8) = une tentative de corruption, « elle l’achète » (et =
conséquence)
- l 29-30 : elle veut profiter de la situation (cf l 10-11) saisir sa chance, un « bonheur » !
– B élabore un plan dans l’urgence, bien et vite pensé ! (elle veut agir vite) mais qu’on sent aussi
prémédité « mon dessein ». Y associe Toinette, dans les impératifs de 1 ère pers du pluriel : « portons-
le… et tenons » = envisage une suite d’actions pour lesquelles elle a besoin de sa servante ; B
maline, dissimulatrice, veut garder le secret « jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire ». Elle développe
ensuite ce qu’elle entend par là :
- veut s’emparer de l’argent dont Argan a parlé (renvoie à la scène 7 de l’acte I : A. a caché dans sa
chambre 20.000 francs or + des billets payables = reconnaissances de dettes) : une urgence dans le
parallélisme : « il y a des papiers, il y a de l’argent » ; l’expression « je me veux saisir » : verbe de
volonté + l’infinitif, révèle sa cupidité, sa rapacité
- des actes qu’elle justifie par ce qu’elle a vécu au quotidien ; comme une compensation, bien méritée
(légitime, parle de justice) - B veut tirer profit des années perdues, sacrifiées (les + belles = superlatif)
 en fait : elle projette un vol qui priverait les enfants de l’argent de leur père !
Dans cette réplique, B. montre ses véritables intentions = s’emparer de l’argent d’Argan (ce qu’elle a
déjà entrepris avec le notaire) – « prenons » => mouvement, s’approche d’Argan, geste interrompu

3è mouvement : la fin du jeu, Argan arrête la comédie (a suffisamment de preuves)

A intervient – effet spectaculaire souligné dans la didascalie, vivacité du mvt : Argan se redresse
« brusquement » = comme une résurrection -- comique de geste – un coup de théâtre pour Béline (le
2ème de la scène !!)
B : effet sur B, précisé dans la didascalie (2 émotions) = terrifiée : une simple interjection,
onomatopée
A : distance : Madame, ironie, lui rappelle qu’elle est son épouse, B a fait un mariage d’intérêt et non
d’amour ; Argan ouvre les yeux aux 2 sens du terme ; question rhétorique (car tout est dit) = reproche,
colère et déception
B. démasquée ne réplique pas ; châtiment : échec, sort de scène
T : se moque de Béline « ah, ah ! » = rire ; reprend le même pléonasme, à la forme négative =
paradoxe ; contente car sa mise en scène et une totale réussite.

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