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Dissertation n°2

Proposition d’un corrigé


Sujet : « Molière est un pourvoyeur de divertissements royaux ». Vous discuterez cette
affirmation en vous appuyant sur votre lecture du Malade imaginaire et votre compréhension
du parcours « spectacle et comédie ».

[Introduction]
Au XVII siècle, Louis XIV organise de grandes fêtes et de nombreux spectacles dans son
château de Versailles afin d’impressionner les courtisans. La richesse et la diversité des
divertissements fournis aux nobles s’inscrivent dans la politique du monarque absolu qui cherche à
restreindre la puissance de la noblesse, en l’attirant à la cour et en l’obligeant à mener grand train
pour conserver son prestige. Molière est employé par le roi dans ce cadre pour animer des fêtes
grandioses. Aussi Molière apparaît-il comme « un pourvoyeur de divertissements royaux ». Il
s’efforce d’amuser le Roi-Soleil et sa cour en leur fournissant des spectacles comiques. Pourtant,
peut-on réduire l’œuvre de Molière, notamment Le Malade imaginaire, à une production artistique
uniquement vouée à amuser le roi ? [Plan] Nous verrons d’abord que Molière a effectivement joué ce
rôle d’amuseur de Louis XIV à Versailles [partie1]. Néanmoins, nous démontrerons ensuite que
l’œuvre de Molière ne consiste pas seulement à divertir le roi et à lui plaire : il livre, à travers ces
pièces, une réflexion profonde sur son temps [partie 2].

[Développement]
[Partie 1]
Molière fournit à Louis XIV des spectacles grandioses et amusants pour le divertir.
[Sous-partie 1]
En recourant à la forme de la comédie-ballet, Molière propose à la cour un spectacle total,
étourdissant. En effet, en mêlant la musique et la danse au théâtre, la comédie-ballet propose une
réunion des arts. Molière précise au début du troisième intermède qu’il s’agit d’une cérémonie
burlesque « en récit, chant et danse ». Ces moments musicaux sont placés à des endroits stratégiques
afin d’attirer puis de conserver l’attention du public : au début de la pièce (prologue), entre chaque
acte (intermèdes 1 et 2) et à la fin de la pièce (intermède 3), pour clôturer le spectacle. Afin d’éblouir
les spectateurs, le dramaturge fait venir sur scène un grand nombre de danseurs et de musiciens,
vêtus de costumes soignés, variant selon le thème de l’intermède. Ainsi, la didascalie indiquant
l’entrée de ballet au moment du troisième intermède annonce-t-elle « plusieurs tapissiers » puis toute
une assemblée « composée de huit porte-seringues, six apothicaires, vingt-deux docteurs, celui qui se
fait recevoir médecin, huit chirurgiens dansants, et deux chantants ». Celle du deuxième intermède
annonce « plusieurs Égyptiens et Égyptiennes, vêtus en Mores, qui font des danses entremêlées de
chansons. » Ces moments musicaux permettent de ponctuer la pièce, qui progresse sur un rythme
soutenu et varié. Le tempo culmine lors des nombreuses scènes de conflits entre Argan et Toinette
qui offrent des passages vifs, reposant sur le procédé de la stichomythie (ainsi des scènes 2 et 5 de
l’acte I, de la scène 2 de l’acte II ou de la scène 5 de l’acte III). Enfin, le caractère étourdissant du
spectacle est renforcé par la diversité linguistique proposée par Molière. Si la pièce est dans
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© Bordas/SEJER, 2021 – ISBN 978-2-04-733862-9
l’ensemble rédigée en français et en prose, les moments de spectacles intercalés permettent de varier
le ton. Ainsi le prologue est en alexandrins, le premier intermède partiellement rédigé en italien, et le
dernier rédigé dans un latin fantaisiste, mêlant des termes empruntés à l’italien, au français et au latin,
le tout dans une forme versifiée. Tout est donc fait pour captiver et emporter le spectateur.
[Sous-partie 2]
Or, ces scènes qui doivent impressionner les spectateurs en s’adressant à leur vue (danse,
costumes), leur ouïe (musique), et leur réflexion (texte, théâtre), sont bien destinées au roi et à sa cour
comme l’indique la dédicace du Prologue. Molière écrit ainsi : « Après les glorieuses fatigues et les
exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire
travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire, et ce prologue
est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont
le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux. » Le lexique mélioratif (glorieuses, exploits,
victorieux, auguste...) participe à construire le panégyrique du roi. Molière assigne explicitement aux
auteurs (qu’il présente modestement dans une relative euphémistique comme « ceux qui se mêlent
d’écrire ») le devoir de « divertir » et de « délasser » le souverain. Le prologue dresse d’ailleurs du roi
un portrait très flatteur sur un ton épique : « Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis : / Il
quitte les armes, / Faute d’ennemis. » Il est enfin désigné comme « le plus grand des rois » dans une
formule au superlatif. Mais Molière indique dans le prologue qu’il est inutile de chanter ses louanges,
la langue française étant incapable d’en décrire la grandeur et se propose un but plus adapté à son
talent : « laissons là sa gloire / Ne songeons qu’à ses plaisirs ». Le Malade Imaginaire semble donc bien
avoir été écrit pour servir cet objectif.
[Sous-partie 3]
Pour divertir et amuser le roi, Molière reprend les motifs de la comédie classique qui plaisent
au public. On retrouve ainsi le personnel traditionnel de la comédie : le barbon (vieillard aigri et
obsédé par une « marotte »), les jeunes amoureux tentant de contrer son dessein pour pouvoir s’unir,
la servante effrontée se jouant de l’autorité de son maître, des personnages secondaires ridicules (les
Médecins), etc. Ces personnages familiers, adaptés de la commedia dell’arte, sont complétés dans les
intermèdes par des personnages directement tirés de la comédie italienne, comme Polichinelle
(premier intermède), ou inspirés de la mythologie et de la poésie pastorale, tels que Dorilas, Tircis,
Clymène ou Daphnés (prologue) bien connus des spectateurs du XVIIe siècle. De même, en reprenant
des thèmes qui plaisent au public de l’époque, comme l’exotisme (deuxième intermède) ou le
carnaval (troisième intermède), Molière cherche à le séduire. Il réemploie enfin les motifs habituels
de la comédie, selon un schéma connu et apprécié par les spectateurs. On retrouve ainsi le thème du
mariage des jeunes gens, empêché par un vieillard acariâtre. Cléante et Angélique luttent avec
Toinette pour empêcher le mariage organisé par Argan entre sa fille et Thomas Diafoirus. Molière
propose dans un premier temps un traitement léger et comique du sujet à la scène 5 de l’acte I. La
scène repose en effet sur un quiproquo savoureux : Argan annonce à sa fille son mariage proche.
Persuadée que son père parle du prétendant qu’elle aime secrètement, Cléante, elle se réjouit de ce
mariage et assure à son père sa joie d’obéir à son projet. Mais elle découvre après un long échange le
malentendu : son père veut lui faire épouser le neveu de son médecin, M. Purgon. Face au revirement
de situation, Angélique se trouve « toute ébaubie » et reconnaît son erreur : « C’est, mon père, que je
connais que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre. » Le comique est engendré
par le décalage entre l’élégant Cléante et le burlesque Thomas Diafoirus, au nom ridicule. Toinette
tente dès lors de faire réaliser à son maître le caractère « burlesque » de son projet. Elle jouera ce rôle
jusqu’au dénouement de la pièce, qui se conclut, comme attendu, sur la promesse d’un mariage
heureux des jeunes gens.
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[Transition]
Molière offre donc avec cette comédie-ballet un spectacle étourdissant, mêlant tous les arts,
et reprenant les éléments qui plaisent au public de l’époque, afin de contenter et de divertir le roi et sa
cour. Néanmoins, faire de Molière un simple « pourvoyeur de divertissements royaux » serait
réducteur et empêcherait de voir l’importance des enjeux abordés par la pièce.

[Partie 2]
En effet, Molière ne se contente pas d’amuser le roi par un spectacle léger et comique : il
aborde aussi des sujets graves, parfois polémiques.
[Sous-partie 1]
Les comédies de Molière ont en effet une forte charge critique et dénoncent un certain
nombre de sujets sociaux tels que les mariages arrangés, l’hypocrisie et l’avarice. Selon l’adage latin
Castigare mores ridendo (Corriger les mœurs en riant), Molière, dans Le Malade imaginaire ne cherche pas
seulement à divertir le roi, mais aussi à faire réfléchir ses contemporains. Les mariages arrangés sont
condamnés à travers la situation d’Angélique et de Cléante. Dans l’acte II scène 6, Argan apparaît
comme un père tyrannique, se moquant du bonheur de sa fille et de sa volonté. Il répond ainsi à ses
protestations : « Écoute, il n’y a point de milieu à cela : choisis d’épouser dans quatre jours, ou
Monsieur, ou un convent », avant de rassurer Thomas Diafoirus et son père : « Ne vous mettez pas
en peine, je la rangerai bien. » L’alternative offerte à Angélique est cruelle : elle doit accepter un
époux ridicule, qu’elle abhorre, ou une mort sociale, une vie de recluse dans un couvent. En
s’adressant aux Diafoirus, il désigne Angélique à la troisième personne : cette position grammaticale
d’objet montre que le père ne considère pas sa fille comme un sujet à part entière, dont il faut
écouter les désirs. Déjà à l’acte I scène 5, Argan avait répété à Toinette la fermeté de sa résolution :
« Je l’y forcerai bien », « Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis ».
Ces formules assertives soulignent son despotisme et montrent l’immense pouvoir que les pères
peuvent exercer sur leurs filles. Or cette position favorable au mariage forcé est soutenue par les
personnages ridicules et moralement condamnables de la pièce : Béline, Argan et Thomas Diafoirus.
Au contraire, les personnages présentés comme raisonnables et censés emporter l’adhésion du
spectateur, Toinette et Béralde, dénoncent la cruauté et le danger des mariages arrangés. De même,
Molière dénonce l’avarice et l’hypocrisie à travers la figure de Béline. Elle n’a épousé Argan et ne lui
montre de l’intérêt que dans le but de s’accaparer son héritage. Elle est tellement avide d’argent
qu’elle est prête à envoyer l’héritière légitime, Angélique, dans un couvent, afin de la priver de ses
droits. Sa véritable nature est révélée à l’acte III lorsque Toinette lui fait croire qu’Argan est mort :
« Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de
cette mort ! » Celui qu’elle appelait maternellement son « pauvre petit fils » (I, 7) est devenu un
« fardeau », « Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant ». Le contraste entre la
réaction qu’elle prévoyait à l’acte I scène 7 devant son mari et le notaire (« Et je suivrai vos pas [sous-
entendu : dans la mort, en mettant fin à mes jours ou en me laissant dévorer par le chagrin], pour vous faire
connaître la tendresse que j’ai pour vous. ») et sa réaction véritable est flagrant. Loin de vouloir
quitter le monde, Béline cherche à s’accaparer immédiatement la fortune d’Argan : « Il y a des
papiers, il y a de l’argent dont je veux me saisir, et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de
lui mes plus belles années », contrairement à son affirmation à l’acte I : « Tous les biens du monde,
mon ami, ne me sont rien au prix de vous. »
[Sous-partie 2]
Mais plus encore que les pratiques sociales de son temps, Molière en dénonce les préjugés,
notamment en matière de médecine. Poursuivant la satire des médecins qu’il a abordée dans Le
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Médecin malgré lui ou Dom Juan, il se livre ici à une critique impitoyable. Cette satire se révèle dès
l’onomastique. Molière appelle en effet ses Médecins Purgon, Fleurant et Diafoirus. Le nom Purgon
rappelle la purgation (des intestins), Fleurant renvoie au verbe « fleurer », « sentir », faisant de lui un
homme « fleurant » les selles du malade ; enfin Diafoirus semble composer à partir du substantif
« diarrhée » et de l’adjectif « foireux ». En réduisant les médecins au domaine scatologique, Molière
les ridiculise d’emblée. Dès la première scène, il suggère leur charlatanisme et leur cupidité. Argan
faisant ses comptes reconnaît lui-même que les apothicaires ont tendance à « écorcher les malades »
sur le plan financier, et évoque un « langage d’apothicaire » : il sous-entend que les apothicaires
gonflent leur prix et qu’il faut donc diviser leur facture par deux pour ne pas se faire duper. Ils sont
également ridiculisés par leur emploi pédant, et complètement inutile, du latin. Ainsi dans la scène 5
de l’acte II voit-on les docteurs Diafoirus père et fils mêler leur diagnostic de termes latins :
« Distinguo, Mademoiselle : dans ce qui ne regarde point sa possession, concedo ; mais dans ce qui la
regarde, nego. » Ils recourent à un lexique technique, emphatique et superflu : « Ce qui marque une
intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate », « qui dit parenchyme, dit l’un et
l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble, par le moyen du vas breve du pylore, et
souvent des méats cholidoques. » Leur ignorance est pourtant révélée par leurs diagnostics
contradictoires et les divergences de leurs prescriptions : M. Diafoirus conseille à Argan de la viande
rôtie alors que M. Purgon avait recommandé de la viande bouillie, après avoir diagnostiqué au malade
imaginaire une maladie de la rate, là où son confrère avait vu un problème de foie. Enfin dans le
dernier intermède, Molière fait dire à ses faux médecins qu’ils aiment à être regardés « comme des
dieux », avant de conclure sur la bénédiction suivante : « Pendant mille et mille ans, qu’il mange et
boive, / Et qu’il saigne et qu’il tue ». La conjonction « et » met les deux verbes sur un même plan :
pour Molière les pratiques des médecins ne sont pas seulement moralement douteuses, elles sont
dangereuses. Molière dénonce donc avec force leur incompétence et leur cupidité, en soulignant les
dangers de leurs pratiques.
[Sous-partie 3]
Enfin, la réflexion développée dans la pièce prend une dimension universelle en abordant des
sujets plus graves, qui concernent les hommes de tous temps : la vieillesse, la maladie et la mort. Le
personnage d’Argan n’est pas seulement ridicule : son obsession pour la santé montre une crainte de
la mort très vive, une angoisse profonde qui peut lui donner parfois un caractère touchant, sinon
pathétique. Certains metteurs en scène ont ainsi choisi de montrer un Argan sombre, abattu, comme
Claude Stratz donnant au personnage central, joué par Guillaume Gallienne, un teint cadavérique et
l’air fatigué du vieil homme hanté par l’idée de la mort. La première scène le montrant seul sur scène,
faisant les comptes de ses frais médicaux, fait de lui un vieillard isolé, complètement obsédé par la
maladie, et totalement soumis à l’emprise de ses médecins. La colère qui l’envahit lorsque ses gens ne
viennent pas à ses cris révèle son angoisse : « Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre
malade tout seul ? Drelin, drelin, drelin : voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin : ah, mon
Dieu ! ils me laisseront ici mourir. » Il se perçoit lui-même comme un être solitaire et maladif, ayant
besoin du secours des autres. Il panique lorsque M. Purgon le quitte après sa « désobéissance », et
s’exclame : « Ah, mon Dieu ! je suis mort. Mon frère, vous m’avez perdu. [...] Je n’en puis plus. Je
sens déjà que la médecine se venge. » (III, 6). Son hypocondrie témoigne d’une peur absolue et d’un
refus de mourir. Il exprime d’ailleurs à la scène 7 de l’acte I son désir d’avoir un enfant de Béline et
fantasme même ce projet : « M. Purgon m’avait dit qu’il m’en ferait faire un ». Ce désir d’être père
montre surtout le refus d’Argan de reconnaître son âge et son désir de continuer à exister. Molière
aborde certes ce sujet à travers un personnage ridicule, égoïste et tyrannique, mais il n’en invite pas
moins le spectateur à s’interroger sur ses propres craintes de la mort. Le personnage portant les
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valeurs de la pièce, le raisonneur Béralde, délivre finalement une leçon au lecteur à travers sa
recommandation à Argan : « Songez que les principes de votre vie sont en vous-même ». À travers
lui, Molière invite ainsi le lecteur à ne pas se laisser guider et abuser par des autorités extérieures, mais
à cultiver sa connaissance de soi, pour mieux vivre.

[Conclusion]
Ainsi, si l’œuvre de Molière a été créée dans le but de divertir Louis XIV grâce à un spectacle
total comme celui de la comédie-ballet du Malade imaginaire, le travail de Molière consiste aussi à
mettre en scène les comportements de ses contemporains pour mieux les critiquer. Le spectacle
destiné au roi n’exclut donc pas une vive satire de la société. Si Le Malade imaginaire éblouit la cour du
Roi-Soleil, les personnages incarnent aussi des défauts humains qu’il s’agit de corriger et posent au
spectateur des questions sur son rapport au monde. De même, la fin spectaculaire de Dom Juan
brûlant en Enfer laisse place à une satire des incohérences de la société chrétienne à travers les
derniers pleurs comiques du valet.

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