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Le Malade imaginaire, Molière

Explication linéaire de la scène 10, acte III (extrait)


De « Donnez-moi votre pouls » (…) à « tandis que je serai en cette
ville ».

INTRODUCTION : Dernière pièce de Molière, Le Malade imaginaire, créée en 1673,


est une comédie-ballet mettant en scène un bourgeois hypocondriaque, Argan, qui veut à tout
prix marier sa fille Angélique à un médecin. Mais celle-ci est amoureuse d'un certain Cléante.
Dans la pure tradition de la farce, l’inventive servante, déguisée en médecin, se livre à un
véritable numéro de comédie pour servir l’intérêt des jeunes gens. L’objectif est de
décrédibiliser la médecine aux yeux d’Argan pour le tirer de l’emprise des médecins et de sa
maladie imaginaire. C’est donc un faux médecin qui va singer de vrais médecins, qui eux-
mêmes ressemblent pourtant déjà à des caricatures grotesques !

LECTURE

• Problématique : Quels procédés comiques Toinette utilise-t-elle dans sa mise en


scène pour ridiculiser et discréditer la médecine aux yeux d’Argan, tout en amusant les
spectateurs ?
DEMARCHE LINEAIRE
• Mouvements du texte :
! Ligne 1 à ligne 10 : Un faux médecin crédible.
! Ligne 11 à ligne 29 : « Le poumon ».
! Ligne 30 à ligne 47 : Le régime alimentaire.

• 1er MOUVEMENT : « Donnez-moi votre pouls » (…) « Que sentez-vous » = Un


faux médecin crédible.
- Afin de faire croire à sa fonction usurpée, Toinette adopte le ton docte et péremptoire
des médecins. Elle emploie des phrases injonctives « Donnez-moi votre pouls »,
« Allons, donc (…) », ponctuées de tournures emphatiques « c’est du poumon que
vous êtes malade ».
- C’est surtout l’emploi de phrases interrogatives qui lui permet de mener son
interrogatoire médical « Qui est votre médecin ? », « De quoi dit-il que vous êtes
malade ? », « Que sentez-vous ? ».
- « Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins » = c’est
par ce stratagème (faire croire qu’elle possède un registre des médecins renommés)
que Toinette porte un jugement catégorique sur M. Purgon, qu’elle connaît en tant que
servante d’Argan et qu’elle discrédite ici.
- « Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate » : critique des
médecins qui ne trouvent pas le même diagnostic.
- Toinette a décrété, en singeant l’arbitraire jugement médical, que c’est le poumon
d’Argan qui est malade, contrairement à ce qu’ont dit M. Purgon, qui incrimine le
foie, et les Diafoirus, convaincus qu’il souffre de la rate.
- Les autres médecins ne valent guère mieux et font l’objet d’un rejet catégorique de la
part de Toinette, qui n’est qu’une simple servante = comique « Ce sont tous des
ignorants ».
- - Toinette (médecin) a trouvé l’origine du mal dont souffre Argan (sans aucune
auscultation) : « c’est du poumon que vous êtes malade ».

= Toinette a aisément endossé le costume de médecin et Argan se laisse facilement


berner.

• 2ème MOUVEMENT : « Je sens de temps en temps » (…) « votre nourriture ? » =


Le poumon.
- Maintenant que la cause du mal-être d’Argan est trouvée, nous allons avoir un
comique de répétition sur cet organe « poumon ».
- Argan s’interroge « Du poumon ? ». Plusieurs organes ont été cités par ses précédents
médecins mais jamais celui-ci. Les remèdes pris par Argan sont essentiellement
destinés à soigner son système digestif et il ne présente aucun symptôme lié à un
éventuel problème respiratoire. Mais son hypocondrie prend le dessus sur les doutes.
- Ce diagnostic est répété obstinément par Toinette (elle emploie 10 fois le mot
poumon) = comique de répétition. Son maître décline ses différents symptômes « voile
devant les yeux ; maux de cœur ; lassitudes ; douleurs dans le ventre » et la servante
ne cesse de marteler « le poumon ». Tout cela provoque bien évidemment le rire du
spectateur mais pas d’Argan qui semble avoir une totale confiance en ce médecin.
- Le comique de caractère est, à nouveau, dans ce passage, le fait d’Argan, dont les
réponses dociles et apeurées font sourire.
- Toinette poursuit son rôle de médecin en posant des questions brèves à son patient.
Elle oriente les questions, comme le font les médecins, en employant des phrases
interrogatives qui ne présentent pas une syntaxe correcte : « Vous avez appétit à ce que
vous mangez ? » ; « Vous aimez à boire un peu de vin ? » ; « Vous êtes bien aise de
dormir ? ». Son ton est péremptoire et les questions n’ont aucun lien avec les origines
du mal « le poumon ». Mais la tournure assertive de ces fausses questions invite le
maître à répondre par l’affirmative. Argan se contente d’ailleurs d’y répondre
brièvement « Oui, Monsieur », ce qui crée un échange rapide à la tournure de plus en
plus absurde.
- En outre, les questions de Toinette évoquent des sensations qui ne sont nullement des
symptômes mais sont assez naturelles (plaisirs de la table et envie de faire la sieste).

= C’est donc avec ces questions sur les plaisirs de la table que nous allons passer au
troisième et dernier mouvement, le régime alimentaire.

• 3ème MOUVEMENT : « Il m’ordonne » (…) « en cette ville » = Le régime


alimentaire.
- Argan répond à son nouveau médecin « Il m’ordonne du potage », sans remarquer, une
fois encore, qu’il ne s’agit pas d’un médecin mais de sa servante. La supercherie
fonctionne toujours, pour le plus grand plaisir de Toinette et du spectateur.
- On constate qu’on a recommandé à Argan un régime alimentaire léger et peu
susceptible de lui provoquer des indigestions. Le maître se contente de citer ces
nourritures saines « potage ; volaille ; veau ; bouillon… ». Toinette entendant cela et
en réaction aux réponses de son maître clame six fois « Ignorant » (comme en écho à
la répétition de « poumon ») = comique de répétition. Ce comique trouve son apogée
dans la déclinaison incorrecte des termes latins « Ignorantus, ignoranta, ignorantum »
qui sont les formes incorrectes de ignorans, ignorantis. Afin de jouer son rôle à la
perfection, elle n’hésite pas à citer du latin, comme le font les médecins à cette
époque.
- Le faux médecin se lance maintenant dans un traitement = régime alimentaire adapté à
son patient. Toinette commence par l’injonction avec l’impersonnel « il faut », répété
deux fois dans sa réplique. Ne pas le faire est une faute et aggraverait l’état de santé
de son maître !
- La préposition « pour » marque le but, l’objectif à atteindre.
- Elle recommande un régime carné, riche et consistant « vin pur » ; « bon gros bœuf »,
« bon gros porc », « bon gros fromage » (répétition de l’adjectif « bon »), « riz »,
« marrons »… Tout cela ne va pas faciliter le transit intestinal ! On constate que
chaque ingrédient s’oppose à un ingrédient donné par le médecin précédent : « vin fort
trempé // vin pur » ; « potage ; volaille ; veau… » // « gros bœuf ; gros porc ; bon
fromage ». Nous sommes donc dans l’abondance de nourriture et non dans la
restriction.
- Mais ce régime a un objectif bien précis : « sang qui est trop subtil », excès qui est
souligné par l’adverbe « trop ». Il va donc falloir compenser = « pour épaissir votre
sang » (complément circonstanciel de but). Elle emploie ensuite un autre complément
de but « pour coller et conglutiner » = cela fait allusion à « pour lâcher le ventre ».
- On a ici des oppositions qui soulignent la stupidité des ordonnances et contre-
ordonnances et qui paraissent aussi arbitraires les unes que les autres.
- Enfin, cet extrait se termine avec une condamnation du médecin de façon péremptoire,
avec asyndète mais avec un sous-entendu de conséquence (donc) « Votre médecin est
une bête ». L’emploi du déterminant possessif « votre » marque une mise à distance et
l’attribut du sujet « bête » fait écho à « ignorant ». Face à ce constat, nouvelle
conséquence pour le nouveau médecin = engagement là aussi péremptoire qui affirme
la science du pseudo-médecin « Je veux » ; « je viendrai ». On peut relever
l’allitération en V afin de faire passer la nouvelle « Veux ; vous ; envoyer ; viendrai ;
vous ; voir ; ville ».

= Nous avons ici une servante hautement comique qui se moque de son maître en jouant
la comédie et derrière un auteur qui critique une fois encore les médecins.

CONCLUSION : Dans cet extrait, Toinette déguisée en médecin crée un quiproquo car Argan
croit avoir véritablement à faire à un médecin. Le comique de mots est largement exploité ; la
servante imite la façon de s’exprimer des médecins, leurs questions incessantes et orientées,
leurs avis péremptoires et leur emploi pédant du latin. S’y ajoute ici le comique de caractère :
la crédulité du maître est évidente et il se soumet aux avis du faux médecin, qui n’a, bien
évidemment, aucune compétence médicale. Ce passage prouve les propos tenus
précédemment par Béralde qui soutenait que les médecins sont surtout d’habiles parleurs.
Enfin, une question demeure, l’entreprise de Toinette pour sauver le jeune couple portera-t-
elle ses fruits ?

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