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Eléments pour l’introduction (cf.

p112, édition Folio+ Lycée) : acte III essentiel, apporte la résolution, et amène l’intervention du frère
SEQUENCE 5 – E.L.2, acte III, scène 3 (l. 1503-1550) d’Argan, Béralde, son opposé, tant le premier est l’allégorie de la folie, et tant le second représente la raison, l’honnête homme. On
assiste dans cette scène à un débat entre eux, un véritable agôn, dans lequel Béralde a clairement le dessus, ce qui attire la sympathie
Le Malade imaginaire, MOLIERE
du public sur lui. En quoi ce dialogue rend-il compte d’une joute verbale entre les deux frères sur la question de la médecine et plus
largement de la croyance aveugle ?

1. Ouverture d’un débat sur la médecine et ses dangers


1) Béralde commence par une question adressée à son frère pour ouvrir le débat en ciblant un thème clair, annoncé à travers son champ
BÉRALDE.— Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de lexical : la médecine, et qu’il oppose à un concept propre à un homme de raison : la Nature, nom mis en valeur en fin de phrase. Le terme
péjoratif « embéguiné » et le paradoxe qui associe le verbe de volonté au fait d’être malade dans la proposition : « vous vouliez être
vos apothicaires, et de vos médecins, et que vous vouliez être malade » rend compte de la folie d’Argan qui aime sa prétendue maladie. C’est une façon de désigner son hypocondrie. Preuve de la folie
du personnage, ou du moins de son entêtement qui le rend sourd aux propos de Béralde : à la question de son frère, il répond par une
malade en dépit des gens, et de la nature?
question qui marque bien avec le verbe « entendre » son incompréhension.

2) A partir de cette question d’Argan qui est la première d’une longue série pour chacune de ses répliques, traduisant ainsi
ARGAN.— Comment l'entendez-vous, mon frère? l’incompréhension mais aussi son entêtement, s’ouvre une série d’échange de répliques entre les deux frères, fonctionnant sur une
relance de l’une par rapport à l’autre. Béralde montre ainsi sa capacité à rebondir sur la parole de son frère en reprenant un de ses mots
et en développant dessus son argumentation. Autant la parole d’Argan stagne sur la même modalité interrogative et sur le même point
BÉRALDE.— J'entends, mon frère, que je ne vois point d'homme,
de vue sur la médecine, autant la parole de Béralde est habile et rend compte de la réflexion développée d’un honnête homme. Ainsi
qui soit moins malade que vous, et que je ne demanderais point dans cette réplique lignes 5 à 12, Béralde rebondit sur le verbe « entendre » auquel il donne un autre sens, plus abstrait, celui de
« comprendre » et répète l’expression faussement affective « mon frère », comme pour rendre compte du face à face qui s’engage entre
une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que eux. La réponse de Béralde est construite sur deux phrases amples et structurée qui mettent en évidence la capacité d’argumentation de
vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien Béralde et son équilibre psychique, à travers des parallélismes en rythme binaire articulé par la conjonction de coordination « et » : « que
je ne […] point […] et que je ne […] point », « marque que vous […], et que vous [ ...] » ; une conjonction de coordination qui articule les
composé ; c'est qu'avec tous les soins que vous avez pris, vous dernières propositions complétives du présentatif « c’est », cette fois en chiasme. De fait le chiasme place au centre de la phrase le G.N.
« la bonté de votre tempérament » cerné par une structure inversée de part et d’autre : « « avec tous les soins que vous avez pris, vous
n'avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, n’avez pu parvenir à gâter» / « « et que vous n’êtes point crevé de toutes les médecines qu’on vous a fait prendre. » ; c’est à l’image
et que vous n'êtes point crevé de toutes les médecines qu'on vous d’Argan cerné par les médecins et qui cependant reste en bonne santé, comme le soulignait déjà le parallélisme de la première phrase
avec une antithèse entre un comparatif d’infériorité et un comparatif de supériorité : « moins malade que vous » // « meilleure
a fait prendre. constitution que la vôtre ». dans la 2ème phrase cette fois, Béralde souligne le paradoxe qui associe la prise de médicaments à la mort
évoquée d’autant plus fortement avec l’hyperbole « crevé ». Notons l’évolution entre le début du chiasme sur les soins qu’Argan prend
vers les soins qu’un « on » (pronom indéfini) anonyme lui fait prendre.

3) Toute la tirade argumentée et structurée de Béralde se trouve alors résumée et réduite au seul pronom démonstratif « cela » dans la
ARGAN.— Mais savez-vous, mon frère, que c'est cela qui me
bouche d’Argan prouvant que ce dernier n’est pas en capacité de développer la même argumentation que son frère ; preuve en est qu’il
conserve, et que Monsieur Purgon dit que je succomberais, s'il était a aussitôt recours à une nouvelle question et à une tierce personne avec l’évocation de M. Purgon, derrière l’autorité médicale duquel il
se cache, en toute crédulité. On peut remarquer de fait le verbe « succomberais » au conditionnel à valeur d’irréel ; il n’y a donc aucune
seulement trois jours, sans prendre soin de moi? certitude dans le pronostic de Purgon, juste des conjectures sans fondement. La question d’Argan avec l’utilisation du verbe savoir met
en doute les connaissances de Béralde face à celles de Purgon et ouvre la question du savoir qui sera reprise dans les dernières répliques
BÉRALDE.— Si vous n'y prenez garde, il prendra tant de soin de de l’extrait de manière insistante. Une nouvelle fois Béralde va pouvoir rétorquer à Argan en se servant de ses propos pour les contredire ;
dans un jeu à nouveau de chiasme, Béralde renverse l’argument de son frère ; à l’argument emprunté à Purgon qu’Argan propose :
vous, qu'il vous enverra en l'autre monde. « Monsieur Purgon dit que je succomberais, s’il était seulement trois jours, sans prendre soin de moi », Béralde oppose inversement : « il
prendra tant soin de vous, qu’il vous enverra en l’autre monde », avec cette fois l’utilisation d’un futur de certitude : « enverra » qui
marque l’assurance de Béralde.
2. Dénonciation de la croyance aveugle

4) Ce 2ème mouvement marque une étape, signalée par la conjonction de coordination "Mais » : on glisse du thème de la médecine au
ARGAN.— Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez thème plus général de la croyance ; et ce dès cette question d’Argan qui amène le verbe « croire ». Notons d’ailleurs qu’il est en antithèse
avec le premier verbe formulé à l’impératif et au pluriel de la 1ère personne pour inclure les deux frères : « raisonnons ». De fait cette
donc point à la médecine? volonté de « raisonner » que manifeste Argan, qui en est en réalité incapable, est annulée aussitôt par le verbe « croire » qu’il utilise
par la suite dans une question adressée à Béralde : « Vous ne croyez donc point à la médecine ? ». Béralde y répond par l’adverbe de
BÉRALDE.— Non, mon frère, et je ne vois pas que pour son salut, il négation fort : « Non » conforté par l’expression « mon frère ». Entre la question déjà formulée par Argan de manière négative, dans
une phrase déclarative et la réponse catégorique de Béralde dans laquelle il redouble la négation : « Non [ ...] je ne vois pas que […] »,
soit nécessaire d'y croire. l’opposition entre les deux frères est nettement marquée. Toutefois ils s’accordent sur ce glissement de la médecine à la croyance en
général avec une connotation religieuse que revêtent le verbe croire répété mais aussi l’utilisation par Béralde du nom « salut »
(renvoyant au salut de Dieu).

ARGAN.— Quoi vous ne tenez pas véritable une chose établie par 5) Ainsi devant la contestation forte de Béralde, telle que nous venons de la voir, Argan marque son étonnement à travers l’interjection
tout le monde, et que tous les siècles ont révérée? « Quoi » et poursuis sur la même formulation que précédemment son questionnement de l’incrédulité de Béralde avec tournure
déclarative et usage de la négation : « vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont
révérée ? ». Notons que le propos s’élargit fortement avec le terme générique « chose » et qu’il n’est plus fait mention de la médecine
BÉRALDE.— Bien loin de la tenir véritable, je la trouve entre nous, ici. Par ailleurs Argan qui ne comprend pas la position de Béralde fait appel aux seuls arguments de l’universalité et de l’intemporalité
avec les hyperboles « tout le monde et « tous les siècles » pour défendre sa croyance, dont l’affinité avec la religion est réitérée ici avec
une des plus grandes folies qui soit parmi les hommes; et à regarder le verbe final « révérée ». La raison qui fait qu’Argan croie c’est que tout le monde fait pareil depuis longtemps, mettant en évidence
les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante l’absence de raisonnement des uns et des autres mus par le seul instinct grégaire.
Béralde, comme pour les autres échanges, va rebondir sur la parole de son frère, en répétant l’adjectif « véritable » qu’il va opposer de
momerie ; je ne vois rien de plus ridicule, qu'un homme qui se veut manière antithétique à l’hyperbole superlative : « l’une des plus grande folies ». A ce nom « folie » il va encore opposer par la suite le
mot « philosophe » dont il se réclame : « à regarder les choses en philosophe ». Argan relève de la folie, tandis que Béralde a les qualités
mêler d'en guérir un autre. d’un philosophe, c’est-à-dire d’un homme qui use de sa réflexion. A travers un parallélisme qui présente à suivre deux comparatifs de
supériorité : « je ne vois point de plus plaisante momerie », je ne vois rien de plus ridicule », il va associer la médecine à des termes
péjoratifs : « momerie » et « ridicule ». Notons la construction de la phrase qui permet de rejeter en fin de réplique le retour du thème
de la médecine après le détour sur la croyance.
3. Mise en question du savoir des médecins

ARGAN.— Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu'un homme 6) Dans l’échange suivant, Argan demande cette fois à son frère de justifier son incrédulité face à la médecine avec l’adverbe
d’interrogation : « pourquoi » et en répétant avec un parallélisme en épiphore les termes de Béralde : « un homme |…] en guérir un
en puisse guérir un autre? autre », ce qui crée un rythme et un effet d’échos soulignant la tension entre les deux frères ; tension palpable aussi à travers la réplique
de Béralde qui lui aussi reprend l’expression « mon frère » avec une résonnance plus ironique que fraternelle. Béralde va expliquer par
BÉRALDE.— Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre le recours à la Nature et ses mystères insondables pour l’homme ses doutes sur la capacité d’un homme à les percer en proposant de
guérir un malade. Les mystères de la nature sont identifiés dans sa réplique par le nom lui-même « mystères » et la métaphore « des
machine sont des mystères jusques ici, où les hommes ne voient voiles trop épais » ; et l’ignorance des hommes qui relève de l’aveuglement est soulignée à deux reprises par des métaphores touchant
à la vue « les hommes ne voient goutte » et « des voiles trop épais pour y connaître quelque chose ». Béralde fait preuve de l’humilité
goutte ; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles d’un honnête homme qui s’incline devant les mystères de la nature et de notre nature humaine en particulier évoquée par la métaphore
mécanique souvent usitée : « les ressorts de notre machine » (Dieu en est alors « le grand horloger » et l’homme ferait preuve de vanité
trop épais pour y connaître quelque chose.
que de croire pouvoir maîtriser notre machine).

7) Du verbe connaître qui clôt la réplique de Béralde, on glisse donc dans la question suivante d’Argan sur cette question du savoir, de la
science dont est capable l’homme. Nous retrouvons une nouvelle fois la formulation déclarative de la question chez Argan comme pour
souligner à quel point il n’y a pas de questionnement, de discussion à ce propos possible pour Béralde : « Les médecins ne savent donc
ARGAN.— Les médecins ne savent donc rien, à votre compte? rien, à votre compte ? ». D’ailleurs la conjonction de coordination conclusive « donc » résonne comme une affirmation des propos
d’Argan concernant son frère.
BÉRALDE.— Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles C’est pourquoi la réponse de Béralde peut apparaître a priori étonnante puisque contradictoire. Il reprend le verbe savoir et le décline
de manière affirmative avec pour sujet le pronom « ils » renvoyant aux médecins mais que Bérade ne prend plus la peine de nommer
humanités ; savent parler en beau latin, savent nommer en grec ainsi, soulignant qu’ils n’en sont pas. Ainsi avec les énumérations : « Ils savent la plupart de fort belles humanités ; savent parler en beau
latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir, et les diviser », Béralde semble valoriser les médecins et leur savoir
toutes les maladies, les définir, et les diviser ; mais pour ce qui est notamment par les adjectifs mélioratifs « belles » (renforcé par l’adverbe d’intensité « fort »), « beau » et l’hyperbole « toutes les
maladies » ; mais à y regarder de plus près, ils n’ont pour science que celle du beau langage avec les synonymes : « parler », « nommer »,
de les guérir, c'est ce qu'ils ne savent point du tout.
« définir » et « diviser » (au sens de « deviser »), doublé de la déclinaison du sens « humanités » en « latin » et « grec ». Et leur langage
n'est beau que parce qu’il est mystérieux, incompréhensible.
En réalité c’est une stratégie de Béralde qui va ainsi rejeter en fin de phrase son opinion sur la science des médecins ; la conjonction de
coordination d’opposition « mais » ouvre la dernière proposition de sa réplique, la dernière étape de son argumentation, construite de
manière emphatique : « mais pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent pas du tout. » rejetant ainsi en fin de phrase la forte
négation « point du tout » associée au verbe « savent ». Il y a donc une différence entre savoir parler et savoir agir, entre parler de
médecine et guérir les maladies.

8) Toutefois Argan reste buté sur sa foi en la médecine, ce que traduit la conjonction de coordination d’opposition « mais » qui ouvre sa
ARGAN.— Mais toujours faut-il demeurer d'accord, que sur cette réplique ainsi que le verbe « demeurer » qui suggère la permanence, l’obstination d’Argan, et cherche coûte que coûte un « accord »
avec son frère sur le savoir des médecins qui serait supérieur aux autres comme le suggère le comparatif de supériorité : « en savent plus
matière les médecins en savent plus que les autres. que les autres ». Il est intéressant de noter ce sur quoi les médecins en savent plus que les autres, « cette mati-re », un terme générique
flou, que chacun des deux frères interprète à sa façon. Et de fait Béralde rebondit dans la réplique suivante sur le groupe verbal : « ils
savent » pour y associer ce qu’il avait déjà suggéré : « ce que je vous ai dit », c’est-à-dire une pratique relevant de la rhétorique dont
BÉRALDE.— Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit Béralde propose une déclinaison à travers deux périphrases péjoratives : « pompeux galimatias », « spécieux babil » soulignant que les
pas de grand-chose, et toute l'excellence de leur art consiste en un discours des médecins auxquels se réduit leur pratique, sont qui plus est incompréhensibles (« galimatias »), pas plus évolués que ceux
des enfants (« babil »), et qu’ils ‘ont que l’apparence de belles paroles (« spécieux ») et rendent compte de la prétention des médecins
pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots (« pompeux »). Ainsi l’hyperbole « toute l’excellence de leur art », employé ironiquement par Béralde se trouve anéantit par ces
références péjoratives à une parole médicale inutile qui ne guérit pas et ne relève que du passe-passe rhétorique, comme le met en
pour des raisons, et des promesses pour des effets. évidence le dernier parallélisme : « qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets ». Les médecins
n’agissent pas, ils ne font qu’agiter leur langue : ils ne savent rien et paradoxalement sont prétentieux.

Eléments de conclusion (cf. p117, édition Folio+ Lycée) : débat argumenté qui rend compte d’une tension entre les deux frères + glissement d’une critique de la médecine à la critique de la foi religieuse, et finalement de
l’attitude de crédulité face au savoir. De fait Molière a toujours cherché à dénoncer l’intolérance à travers ses pièces, quelle qu’elle soit : ouvrir sur autre pièce comme Le Tartuffe par exemple, ou Dom Juan de Molière.

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