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Le Malade imaginaire, Molière, (1673), acte II / scène 5 (extrait)

I. Introduction

Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673)


Dramaturge, directeur de troupe, metteur en scène et acteur. A 21 ans il s’associe
avec des camarades (dont Madeleine Béjart) pour former sa propre troupe : l’Illustre
Théâtre. Il devient le comédien et auteur favori de Louis XIV et de sa cour. En 1661, il
crée avec Jean-Baptiste Lully le genre de la Comédie-ballet.
Le Malade imaginaire (1673)
Comédie-ballet en 3 actes et dernière œuvre de Molière. Comédie d’intrigue
traditionnelle, comédie de caractère et comédie de mœurs.
Argan, le personnage éponyme est le ‘’malade imaginaire‘’. Béline sa seconde femme
veut hériter de sa fortune. Angélique sa fille aime Cléante, ce qui le contrarie car il
veut un médecin pour gendre.
Le passage à l’étude est un extrait de la scène 5 de l’acte II

II. Analyse linéaire

Comment le curieux éloge de Monsieur Diafoirus se fait-il comiquement la satire de la


médecine ?

Cette scène est très longue, elle commence avec la venue de M. Diafoirus et de son
fils Thomas, et se termine avec la pastorale d’Angélique et de Cléante (théâtre dans
le théâtre).
l.1 « Monsieur » apostrophe de MD à Argan, futur beau-père de son fils. « Ce n’est pas
parce que je suis son père » précaution oratoire en incise + négation  captatio
benevolentiae : requête, demande de bienveillance = ‘’ce que je vais dire est
objectif‘’. « Parce que » conjonction de subordination (précède un argument) +
« mais » conjonction de coordination (connecteur logique)  engagent une tirade
argumentative dans laquelle le père va faire le portrait de son fils.
l.2-3 « J’ai sujet d’être content de lui » = avis du père + « tous ceux » déterminant
indéfini. « Qui n’a point de méchanceté » litote mais qui a une tournure négative 
éloge paradoxal car MD argumente contre son fils en pensant aller dans son sens. Ce
passage propose les deux faces du genre encomiastique : l’éloge et le blâme. Ici on a
les deux car le portrait est tissé dans le négatif. Tout au long du discours, la
répétition du « mais » permet de tourner le blâme en compliment et rythme la
réplique. « N’a jamais eu l’imagination bien vive » = enfant non inventif, « ni ce feu
d’esprit » métaphore du cerveau, de la curiosité, de l’intelligence = enfant passif, pas
comme les autres.
l.4-5 « C’est par là que » tournure emphatique valorisante, grandiloquente = fierté du
père. « Auguré » renvoie dans la sphère de prédictions occultes, de pratiques antiques
et divinatoires qui n’ont rien de scientifique. Qualités requises pour la médecine :
« judiciaire » = capacité de jugement + « lenteur » (l.10)  Satire des médecins par
Molière. « Notre art » : « notre » = déterminant possessif qui associe le père et le fils
par la profession et qui dit la prétention du père + « art » = le père parle de la
médecine comme un véritable art  valorisant. « Mièvre » « éveillé » = le fils n’est
pas un enfant vif, il n’a jamais réagi comme un enfant normal.
l.6-7 « Doux » « paisible » « taciturne » trois adjectifs juxtaposés pour caractériser
l’enfant. « Ne disant jamais » « ne jouant jamais » participe présent répété qui
constitue une rime et qui vient marteler la passivité du garçon. Négation : répétition
du « ne ... jamais » (l.3/5/6). « Toutes les peines du monde » hyperbole accablante.
Le comique repose sur le grossissement des défauts qui constituent un éloge 
caricature. Docteur < latin ‘’doctus‘’ = savant  cela commence très mal pour ce
garçon vu la description que son père fait de lui.
l.8-10 « Disais-je en moi-même » incise + proposition intercalée. Le passage entre
guillemets propose un passage rapporté au style direct dans lequel le père dit ses
craintes au sujet des capacités intellectuelles et cognitives de son fils. Il énonce
clairement les défauts de son fils. Double métaphore négative : « arbre tardif » = dit
le retard du fils / « marbre » = lourd, froid et dit l’insensibilité du fils. « Les
meilleurs fruits » superlatif de supériorité + « bien plus malaisément que » comparatif
de supériorité + « bien plus longtemps que » comparatif de supériorité  variations
en degrés de l’adjectif ou de l’adverbe qui entrent dans le projet argumentatif. MD
s’adresse à Argan à qui il faut expliquer de façon très explicite c’est pourquoi il
utilise des figures d’analogies.
l.10-11 « Mais » connecteur logique qui rythme la réplique (l.1/4/10/12).
« Lenteur » « pesanteur »  homéotéleute = rime dans la prose + vient marteler la
passivité du fils. « Bon jugement à venir » + l.4  même argument qui revient, on a
l’impression de tourner en rond, le père utilise à chaque fois le même argument pour
défendre son fils qui est fâcheusement en retard. « Lorsque » le père reprend le fil
biographique + parallélisme l.5.
l.12-13 « Peine » écho avec l.7. On trouve ensuite un portrait sur la persévérance,
l’obstination de fils pour corriger son manque d’intelligence. « Se raidissait » =
adolescent combatif + annonce manque de souplesse de la médecine (plaire et
instruire  Molière dénonce le ridicule de cette médecine). « Battre le fer »
métaphore qui désigne l’entraînement, l’effort + « assiduité » « travail »  champ
lexical de l’effort. « Marbre » « raidir » = manque de souplesse et rigidité du garçon
 satire des médecins qui refusent de progresser, d’avancer / médecine
hippocratique qui reste sur des principes antiques. « Glorieusement » adverbe qui
vient en contradiction avec ce contexte de l’enfant passif  comique.
l.14 « Licences » = grade universitaire entre bachelier et docteur  TD assiste
régulièrement à des disputes, des leçons, des soutenances de thèses. On considère ici
qu’il est bachelier depuis deux ans et qu’il lui reste à obtenir le grade de docteur.
« Sans vanité » = expression très riche : « sans » préposition qui marque la négation +
ironie  Molière nous invite à prendre l’expression au pied de la lettre (portrait
laborieux).
l.15-16 « Disputes » terme quo fait référence au cursus de la médecine = débats
contradictoires + « actes » soutenance de thèse  examens oraux de la médecine à
l’époque. « Plus de bruit que » comparatif de supériorité + « redoutable »  l’enfant
« doux, paisible et taciturne » de la l.6 a bien évolué, changé  excès = comique.
« Redoutable » « à outrance » = il est dans le ‘’trop‘’, il est tout sauf un honnête
homme (personne qui est dans la mesure). On un portrait de l’anti honnête homme, il
a versé dans le « bruit » (négatif) et dans le scandale  élève têtu jamais en accord
avec ce qu’on lui dit. « Redoutable » adjectif subjectif valorisant dans la bouche du
père mais perçu comme un blâme par le spectateur.
l.17-18 La phrase est construite sur une juxtaposition de propositions indépendantes
et de propositions indépendantes elliptiques du sujet. Le portrait est vraisemblable,
on retrouve ici ce qu’on appelle l’esthétique du ridicule. Les gens comme les
Diafoirus existent, ils sont la cible de Molière. Ce sont des gens vaniteux qui sont surs
d’avoir raison et qui ne changent jamais d’avis  on retrouve cela à travers le
« mais ». La médecine devrait être à l’écoute de l’autre.
l.19-22 La l.19 est annoncée par le déterminant possessif « notre » (l.5). On a ici un
double-portrait du père et du fils qui apparaissent et agissent dans le même ridicule :
« ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple ». « Aveuglément » adverbe
qui dit le manque de souplesse. « Opinions » + « prétendue » + « farine » (métaphore
populaire)  soulignent bien que MD refuse toute dimension du progrès. Molière
dénonce ici la médecine rétrograde. Au temps de Molière, on a un enseignement
scolastique complètement hérité du M-Â, avec des cours magistraux hiérarchisés. On
peut parler à l’époque d’absolutisme médical. Au XVIIe siècle : conflit qui naît entre
la médecine scolastique (partisans des Anciens) et la médecine progressiste
(modernes) à la suite de la découverte de la circulation du sang en 1616. Les Diafoirus
sont des anticirculationnistes, ils représentent la médecine ancienne sclérosée.

III. Conclusion

À travers ce double-portrait charge et disqualifiant des Diafoirus, c’est tout le monde


médical qui est discrédité mais Molière critique surtout la médecine à l’ancienne
(critique forte + texte satirique). Molière nous dit que la médecine est entre les mains
de personnes non brillantes et opposées au progrès. Cette médecine sclérosée est
incarnée par Thomas Diafoirus qui est comparé au « marbre » (l.9) ce qui traduit une
médecine froide et sans souplesse. A la scène 5 de l’acte III, M. Purgon incarne cette
même médecine réactionnaire et ancienne.

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