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(PRESENTATION DU TEXTE ET LECTURE : ENVIRON 2 MINUTES)

Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, écrit Le Rouge et le Noir en 1830. La particularité de ce roman
est que Stendhal le situe exactement à la période où il l’écrit. II s’agit donc d’un renouvellement du
roman historique puisqu’il se fond dans la période contemporaine. La Restauration vit ses derniers
jours. Stendhal l’a si bien pressenti, qu’il se précipite à Paris dès que la révolution souffle sur la ville
pour abattre les derniers Bourbon, et que son éditeur se voit contrer de publier l’ouvre sans les titres
des derniers chapitres. Cependant, l’histoire passe à côté du jeune Sorel, sans que le lecteur n’en
perçoive autre chose que ce que le jeune homme est susceptible d’entrevoir. Cette technique
descriptive relève d’une toute nouvelle forme de réalisme. Le jeune héros est d’ailleurs issu du
peuple. Mais il est cultivé et sa famille le rejette. Il devient précepteur chez le Maire, M. de Rénal. Il
se pense hypocrite et stratège, mais c’est un sensible, un passionné. Marqué par le romantisme, il
rêve à la gloire napoléonienne qu’il n’a pas connue et qu’il idéalise. Désespéré de ne pas pouvoir
porter l’habit du soldat, il Se projette dans celui de l’ecclésiastique, plus apte à le conduire à la
réussite. Il fait la connaissance de Madame de Rénal, mais il ne reconnait pas la nature des
sentiments qu’il éprouve pour elle. Cette dernière connait enfin le bonheur depuis qu’elle a
rencontré Julien et l’aime d’un amour total et désintéressé. L’extrait qui nous intéresse est le
moment ou le lecteur fait la connaissance du jeune homme, à travers la présentation des membres
de sa famille dans leur milieu de travail. Lecture du texte

Nous verrons alors comment la narration propose une opposition entre Julien et le reste de sa
famille. Pour répondre à cette question, nous analyserons le texte en montrant qu’il suit deux
mouvements : d’abord le narrateur nous fait découvrir la famille Sorel dans leur milieu de travail (du
début à la ligne 8), puis il se concentre sur l’antagonisme entre Julien et son père (de la ligne 8 à la
fin).

(ANALYSE LINEAIRE : ENVIRON 8 MIINUTES)

Cest à travers le regard du père Sorel que le lecteur découvre cette famille : le narrateur adopte un
point de vue interne, celui du père ; on suit les mouvements de Sorel qui est à la recherche de son
fils, comme le suggèrent les verbes d’action : « appela » (ligne 1), « vit » (ligne 2), « se dirigea »
« chercha » (ligne 5), « l’aperçut» (ligne 6). On peut parler de théâtralisation dans cet extrait,
puisque le narrateur met en scène l’apparition de Julien, crée de l’attente chez le lecteur, en
commençant par présenter le père et les frères de Julien. C’est à l’aide de la métaphore « voix de
stentor » (ligne 1) que le père est présenté le lecteur comprend que c’est un homme fort, puissant.
C’est Cette même idée de force qui se dégage de la présentation des frères avec la métaphore qui les
désigne, « espèce de géants » (ligne 2). Cette force est aussi suggérée par le vocabulaire se
rapportant à leur activité : ils ont de « lourdes haches » (ligne 2), et produisent des « copeaux
énormes » (lignes 4), Les adjectifs « lourdes et « énormes » suggèrent une force herculéenne qui
manipule ces objets. Mais, de cette présentation des frères se dégage surtout une certaine
déshumanisation : ils ne sont pas désignés par leur nom, ni leur nombre, mais par la périphrase
générique « fils ainés » (ligne 2). De même totalement absorbés par leur tâche physique, ils agissent
à la manière d’automates. Ainsi, dans l’une des phrases qui décrivent leurs gestes (lignes 3-4), ils ne
sont pas sujets du verbe principal « séparait », c’est leur instrument qu’il l’est ; « chaque coup de leur
hache » (ligne 4).

Ce début d’extrait permet aussi d’observer la relation que le père Sorel entretient avec ses fils,
notamment Julien : il s’agit de l’absence de communication, relation illustrée par les adverbes de
négation qui encadrent les verbes de communication : « personne ne répondit » Oigne 1-2), « ils
n’entendirent pas la voix de leur père » (ligne 5). Cest donc tardivement que Julien est mentionné.
Lorsqu’il l’est, il est décrit en hauteur, « cinq ou six pieds de haut » (ligne 6). La première apparition
du personnage est ainsi marquée par la distance qui le sépare de son père, distance physique,
spatiale, qui devient symbolique : la hauteur symbolisant sa marginalité, son décalage avec le reste
de la famille. La deuxième phrase qui évoque Julien (lignes 7-8), une phrase simple, est construite de
telle manière que l’une des caractéristiques du personnage, son amour de la lecture, est mise en
valeur avec le rejet en fin de phrase : « Julien lisait ». Le verbe l’imparfait, dans sa valeur de non
accompli et d’habitude, rend compte d’une coutume, d’une action qui le place en complet décalage
avec le lieu, les attentes de sa famille. Ainsi cette présentation de la famille Sorel qui met en valeur le
héros du roman, montre une opposition entre lui et le reste de sa famille. Cette Opposition Sera
encore plus marquée dans les lignes suivantes, qui constituent le deuxième mouvement, et qui
évoquent l’antagonisme entre le père et le fils. Cet antagonisme s’illustre d’abord dans la proposition
indépendante qui évoque l’aversion du père pour les livres : « Rien n’était plus antipathique au vieux
Sorel » (ligne 8) le pronom indéfini « rien reprenant la proposition « Julien lisait Cette haine pour la
lecture s’illustre à travers une hyperbole : la présence de la négation accentuant le sens de l’adjectif
« antipathique » mis au comparatif. Père et fils sont donc opposés sur le plan des activités : l’un aime
lire ; l’autre déteste cela. On retrouve cette dichotomie dans les deux propositions juxtaposées qui
clôturent le premier paragraphe, « mais cette manie de lecture lui était odieuse : il ne savait pas lire
lui-même. » (ligne 10). Ainsi on pourrait remplacer les deux points par la conjonction de coordination
or qui exprime à la fois opposition et addition (précision). Le recours à l’asyndète (absence de liaison)
marque l’écart qui sépare le père de son fils, ce garçon qui ne s’inscrit pas dans la logique de travail
de la famille. Cet antagonisme va s’accentuer dans les lignes suivantes, en se focalisant sur la relation
violente entre le père Sorel et Julien. Cette violence est suggérée par l’adjectif hyperbolique
« terrible » (ligne 12) qui qualifie la voix du père. Il apparait comme un être peu enclin à la
bienveillance. Et cela est confirmé au moment où il entre en contact avec son fils. En effet, il le fait
sous le made de la violence. C’est d’abord une violence physique exprimée par la répétition « un
coup violent » (ligne 14), « un second coup aussi violent » ( ligne 15). Notons que le père n’est pas le
sujet des verbes « fit voler » (ligne 14), « fit perdre » (ligne 15), comme pour le déshumaniser,
souligner son caractère inhumain. Le recours au passé simple à valeur de premier plan accentue la
violence de ces coups ; les actions viennent briser la tranquillité de Julien.

À la violence physique de la rencontre succède la violence verbale avec l’insulte

« paresseux » (ligne 18). Marquant l’animosité du père vis-à-vis du fils. On sent que cette animosité
est liée à l’activité de Julien, la lecture, les livres étant aussi qualifiés péjorativement de « maudits »
(ligne 18). Cette violence se retrouve aussi dans le recours à des phrases exclamatives et
interrogatives, « Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de
garde à la scie (Lignes 18-19) : leur emploi suaire une émotion forte, négative, de la part du père qui
reproche à son fils de préférer la lecture au travail manuel. Cette négativité est aussi suggérée par les
allitérations en et (dl employées dans ces mots : elles confèrent à la parole du père une certaine
dureté. Le père Sorel apparaît donc comme un père violent, sans pitié. Au contraire, Julien semble
une personne renfermée et sensible. Face à la violence de son père, il ne réagit pas, ne parle pas,
comme l’indique la phrase suivante : « Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant,
se rapprocha de son poste officiel, à caté de la scie. » (Lignes 20ZI). Cette phrase ne contient aucun
verbe de parole, aucun verbe d’action suggérant une certaine révolte de la part du fils. Semble
résigné, comme écrasé par le poids de son père. Julien ne laisse paraitre que son émotion, comme il
est indiqué à la ligne 21 ; « il avait les larmes aux veux n. Stendhal propose ici un personnage
maltraité. Favorisant ainsi un rapprochement avec le lecteur qui ne peut qu’avoir pitié de ce jeune
homme. Le champ lexical de la souffrance composé des mots « larmes « douleur « perte » (ligne 21)
participe à ce rapprochement en suscitant la pitié chez le lecteur. Ce même champ lexical contribue à
souligner la douleur du jeune homme face à la détérioration de son livre, suggérant ainsi sa
sensibilité. Cette sensibilité se traduit d’ailleurs par le recours à une comparaison opérée par la
locution « moins… que » aux lignes 21-22 « Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur
physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait. » Cette comparaison souligne l’émotivité du
jeune homme qui fait plus cas de son livre que de sa propre douleur.

Enfin, pour bien marquer la différence entre le père et le fils, on retrouve en fin d’extrait le verbe q
adorait (ligne 22) qui s’oppose à l’adjectif « odieuse de la ligne 10 : alors que verbe indique ce que
ressent Julien pour son ouvrage, l’adjectif qualifie l’image que le père a de la lecture. Ainsi père et fils
entretiennent un rapport diamétralement opposé avec les livres.

Pour conclure, c’est en théâtralisant rentrée de son héros que Stendhal marque l’opposition entre le
jeune homme et le reste de sa famille. En commençant par insister sur la force, l’aspect physique du
père et des aînés Sorel, il permet de mettre en exergue la sensibilité de son personnage principal. De
même, en insistant sur la violence du père, le rendant antipathique, il rend son héros encore plus
sympathique. Le lecteur perçoit mieux sa marginalité : il est différent des siens. Cet effet de
théâtralisation se retrouve aussi dans la scène de rencontre entre le chevalier Des Grieux et Manon,
dans le roman Manon Lescaut : le narrateur-personnage, Des Grieux, évoque Manon en la détachant
du reste de l’équipage du coche d’Arras.

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