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Séquence 3 

: Stendhal, Le Rouge et le Noir / LL n°1 / livre I chapitre 4

Le Rouge et le Noir raconte l’évolution sociale, sous la Restauration, de Julien Sorel,


jeune homme pauvre mais ambitieux. Au moment où débute notre passage ; Julien Sorel
n’a pas encore été présenté au lecteur. Mais il en a entendu parler : il sait qu’il est fils d’un
charpentier et qu’il étudie le latin pour entrer au séminaire. Ici, son père vient de lui
annoncer que le maire de la ville, M. de Rênal, veut l’embaucher comme précepteur pour
ses deux fils.
Fil directeur :Comment cet extrait développe-t-il un portrait en situation de Julien Sorel ?

Premier mouvement du texte : de « En approchant de son usine » à « la voix de leur
père » (l. 1 – 5) : Présentation du père et des frères par opposition à Julien.
Dès la première ligne, le père de Julien Sorel est présenté comme un homme puissant, de
même que le sont ses fils aînés. On relève en effet les expansions nominales
(complément du nom) « voix de stentor* » (l.1) et « espèces de géants » (l.2), qui
permettent pratiquement d’assimiler cette présentation à une description de conte
merveilleux.
(*Dans la mythologie grecque, Stentor est le crieur de l'armée des Grecs lors de la guerre
de Troie. Son nom signifie «gémir profondément et bruyamment, mugir ». )
Cette caractéristique de puissance et de force est accentuée par les actions des fils qui
« armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs des sapins, qu’ils allaient porter à la
scierie ».
Le lecteur a l’impression de découvrir des ogres en train de couper du bois. Les fils aînés
du père Sorel sont si absorbés par leur activité physique, qu’ils n’entendent pas leur père
les appeler : insistance par l’adverbe « tout » : « tout occupés… », et par la phrase
déclarative à la forme négative : « Ils n’entendirent pas la voix de leur père ».
La scierie du père Sorel est ainsi dépeinte comme un univers bruyant où seule la force
physique est attendue et valorisée.

Deuxième mouvement : de « Celui-ci se dirigea vers le hangar » à « il ne savait pas


lire lui-même » : Découverte de Julien (l. 5 – 11)
Lorsque le père Sorel arrive dans le hangar, il découvre que Julien n’est pas à sa place.
L’adverbe « vainement » (l.6) marque son incapacité à le trouver au premier coup d’œil,
tandis que le complément circonstanciel de lieu « la place qu’il aurait dû occuper, à côté
de la scie » vient marquer la désobéissance de Julien. Le conditionnel de la relative
montre que Julien est en faute ; il n’est pas en train de faire la tâche attendue.
Celui-ci est perché sur une poutre, dans une situation de supériorité par rapport à son
père, « il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut » (l.6), comme si, symboliquement, Julien
était du côté du l’esprit, tandis que son père et ses frères étaient du côté du corps, de la
puissance physique.
De même, la position de Julien « à cheval sur l’une des pièces de la toiture » permet
d’évoquer d’emblée la position de Napoléon sur son cheval ; d’ailleurs, c’est le Mémorial
de Sainte-Hélène que Julien est en train de lire comme on le découvrira dans la suite du
chapitre.
Le rejet en fin de phrase de la proposition « Julien lisait », après le complément
circonstanciel «  au lieu de pleurer » qui marque l’opposition et qui rappelle qu’il n’obéit
pas à son père, la met en valeur. C’est bien cette « manie de lecture » (l.10) qui rend le
vieux Sorel fou de rage. Le point de vue du père est repris par les mots péjoratifs qui
désignent l’activité de lire « manie », « odieuse ». L’adverbe « Rien » suivi de l’adjectif et
de l’adverbe d’intensité « plus antipathique » qui ouvrent la phrase suivante montrent la
désapprobation totale du père.
On apprend alors que Julien ne partage pas la même puissance physique que ses frères :
il est en effet décrit une première fois par sa taille, et l’adjectif «  mince » (l.9) évoque
davantage un corps de jeune fille que de jeune homme. On comprend à la fin du
paragraphe pourquoi le fait que son fils lise rend le père Sorel furieux ; après un passage
en focalisation interne qui présente le point de vue du père sur la lecture, l’aveu qui clôt le
paragraphe éclaire le lecteur : « il ne savait pas lire lui-même », les deux points qui
introduisent cette dernière proposition indépendante juxtaposée permettent bien
d’introduire une explication.

Troisième mouvement : de « Ce fut en vain » à « … à la bonne heure. » : Opposition


père/fils (l. 12 – 22)
Ce mouvement s’ouvre sur une situation qui fonctionne en une sorte de miroir inversé :
Julien, comme ses aînés, n’entend pas non plus la voix de son père ; mais ce n’est pas à
cause de l’attention qu’il porte à son travail à la scierie, mais « à son livre ».
Perdu dans un monde hostile et bruyant, Julien n’entend rien ; on relève à la ligne 11 le
complément circonstanciel de manière « en vain » ainsi que « deux ou trois fois » qui se
rattachent au verbe « appela » ; dans la phrase suivante, on retrouve l’expression « la
terrible voix de son père » qui rappelle la « voix de stentor » du début du passage, mais
suggère aussi l’effroi suscité par ce père tyrannique.
Tout ceci a lieu au-milieu du « bruit de la scie ». Au bruit, rattaché au monde du père,
s’oppose le silence et la concentration de Julien.
De plus, l’opposition entre les deux hommes est aussi physique : l’un est en mouvement,
tandis que l’autre est statique. Le père, « malgré son âge », saute « lestement sur l’arbre
soumis à l’action de la scie et de là, sur la poutre transversale qui soutenait le toit ».
L’adverbe « lestement » ainsi que les compléments circonstanciels de lieu tendent à
prouver que le père fait quasiment partie du mouvement de la scie lui-même. Jusqu’à la fin
du paragraphe, le père n’est présenté que par ses mouvements, tous agiles et violents
comme ceux de la machine : il saute, il frappe son fils, puis il le retient.
L’expression « coup violent » est d’ailleurs répétée deux fois, le premier coup attaquant le
livre qui « vol[e] dans le ruisseau », le second attaquant directement Julien et,
symboliquement, « la tête », siège de l’intellect du fils. Julien est prêt à suivre le livre dans
le ruisseau quand son père le retient. Là encore, la force du père est mise en valeur par le
fait qu’il n’ait besoin que d’une main pour retenir son fils.
Les paroles du père rapportées au discours direct confirment sa brutalité physique, et
mettent encore une fois en valeur son mépris de la lecture et de toute activité
intellectuelle : Julien est traité de « paresseux », et le père Sorel utilise des expressions
péjoratives pour évoquer les activités intellectuelles de Julien «  tes maudits livre » /
« perdre ton temps chez le curé ». La phrase exclamative exprime son énervement et son
mépris. Le futur « tu liras » complété par l’adverbe de temps « toujours » montre
qu’aucune réconciliation n’est possible entre le père et Julien, ce dernier est trop différent
de son père et n’a pas du tout les mêmes objectifs que son père pour la construction de
son avenir.

Quatrième mouvement : de « Julien, quoique étourdi» à la fin : Point de vue de


Julien (l. 23 – 25)
La fin du passage reprend là encore le début, puisque l’expression « son poste officiel » à
la ligne 20 rappelle « la place qu’il aurait dû occuper » du premier paragraphe.
Un deuxième indice vient construire le portrait du jeune homme, puisque l’on voit qu’il
« avait les larmes aux yeux », ce qui prouve sa sensibilité. Mais non pas tant sa sensibilité
physique, même s’il doit bien souffrir un peu, que sa sensibilité morale : ce qui lui tire les
larmes, ce ne sont pas les coups de son père mais « la perte de son livre qu’il adorait ».
Le verbe, très fort à l’époque puisque l’adoration devait être religieuse, donne au goût de
Julien une tonalité sacrée. On comprend à la fin du paragraphe suivant de notre extrait
pourquoi, ce livre étant « celui qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte Hélène ».

Conclusion
Cette présentation en action nous donne donc d’emblée des précisions importantes sur le
héros : il a un physique fragile, une grande sensibilité et c’est un intellectuel qui aime la
figure napoléonienne. Totalement opposé au reste des hommes de sa famille, le héros va
chercher tout au long du roman à compenser ce vide paternel.

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