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Séquence 2 : Les Contemplations, Victor Hugo 1ère

Texte BAC n°6 :


« Vieille chanson du jeune temps », Les Contemplations (I, poème 19), Victor Hugo

VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS

Je ne songeais pas à Rose ;


Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J'étais froid comme les marbres ;


Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : « Après ? »

La rosée offrait ses perles,


Les taillis ses parasols ;
J'allais ; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l'air morose ;


Elle vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,


Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse


Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,


Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure ;
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;


Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu'elle était belle


Qu'en sortant des grands bois sourds.
« Soit ; n'y pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.

Paris, juin 1831.


Séquence 2 : Les Contemplations, Victor Hugo 1ère

Texte BAC N°6 :


« Vieille chanson du jeune temps », Les Contemplations (I, 19), V. Hugo

EXPLICATION LINEAIRE

Introduction :
Victor Hugo a publié en 1856 les Contemplations, recueil de poèmes organisé en deux
grandes parties, Autrefois et Aujourd’hui. « Vieille Chanson du jeune temps », daté de 1831,
est extrait de la 1ère partie Autrefois, plus précisément du livre I « Aurore », qui est le
livre de la jeunesse. Victor Hugo évoque ses souvenirs de collège et ses premiers émois
amoureux.
Ce poème, composé de 9 quatrains, raconte une promenade de Victor Hugo, alors âgé de 16
ans, avec une jeune femme de 20 ans, dans la nature. A travers ce poème, Victor Hugo traite
d’un thème universel, celui de l’éveil à l’amour et utilise les repères du romantisme
(littéraire!!): l'expression des sentiments, l'utilisation du « je » et l'admiration pour la Nature.
Nous avons dans ce poème une rencontre amoureuse manquée.

….......................... LECTURE EXPRESSIVE (entrainez-vous en vous enregistrant) …....................

Problématique : Comment Victor Hugo associe-t-il le romantisme et ses propres souvenirs


personnels ?

Découpage du texte :
 v.1 à 12 : un rendez-vous timide dans la nature
 v.13 à 28 : tentative de séduction
 v.29 à 36 : double constat d'échec

Partie 1 : Un rendez-vous timide dans la nature (v.1 à 12)

v1-2 : « je », « Rose », « au bois » + verbes = énonciation, imparfait/passé simple


→ poème qui commence comme un récit, avec la présentation des personnages, du lieu... Les
verbes sont à l'imparfait et au passé simple, comme dans un récit. Victor Hugo nous raconte une
histoire personnelle.

v3-4 : « quelque chose», « je ne sais plus de quoi » = pronoms indéfinis


→ peu de précisions sur le contenu de la conversation : le souvenir est très ancien et donc
forcément un peu vague. Toutefois il a de l'importance pour Hugo puisqu'il veut le partager avec
nous.

2e quatrain : 3 vers concernent Hugo + 1vers pour Rose


- v5 « froid comme les marbres » = comparaison → le jeune Hugo est insensible à cet instant,
sa jeunesse l'empêche de comprendre la raison de ce rendez-vous
- v6-7 « marchais, parlais » = 1ère pers sing → activités très naïves et innocentes pour un
garçon et une fille dans une forêt. Le sujet de ces verbes est à chaque fois « je », ce qui met en
valeur l'innocence du jeune Hugo
- v8 « Après ? » = interrogation directe → question implicite (non prononcée) de Rose, au
discours direct (avec les guillemets). Ce simple mot permet au lecteur de deviner que la jeune fille,
un peu plus âgée, attend autre chose du rendez-vous. Une complicité s'établit alors entre le lecteur,
Rose et Victor Hugo adulte car tous trois comprennent l'enjeu de cette balade, contrairement au
jeune Hugo de 16 ans.
v7, 9-10 : « fleurs, arbres » , « rosée », « taillis » = champ lexical de la nature
→ évocation de la nature, qui les entoure tout au long du poème. La référence à la Nature est une
caractéristique du romantisme (littéraire). Victor Hugo est le principal représentant du Romantisme,
dont il a défini les caractéristiques dans la préface de son livre Cromwell.

v11-12 : « merles, rossignols » = référence littéraire à Shakespeare


→ ces oiseaux ont une symbolique très particulière. Le merle est un oiseau curieux, qui peut voler
mais court souvent sur le sol ; son regard rond (un peu comme celui du pigeon) ne donne pas
l'impression d'une grande intelligence. Le rossignol, au contraire, est un petit oiseau délicat et
fragile, réputé pour la beauté de son chant ; il symbolise l'amour et apparaît déjà dans une des
scènes les plus célèbres de Roméo et Juliette de Shakespeare.
Le décalage entre ces deux oiseaux montrent le décalage entre le jeune Hugo et Rose : lui, jeune et
bête, face à elle qui veut parler d'amour. Ils ne se comprennent pas.

Transition : Puisque le jeune Hugo ne semble pas comprendre ce qu'elle attend, Rose va tenter
d'être plus explicite. (= plus claire)

Partie 2 : Tentative de séduction (v.13 à 28)

v13-14 : « Moi/Elle », « seize/vingt », « air morose/ yeux brillaient » = antithèses


→ les deux vers sont construits de la même façon, mais avec des mots qui s'opposent. Cela
accentue encore le décalage entre les deux jeunes gens.

v15 : « Les rossignols chantaient Rose » = métaphore


→ Les rossignols symbolisent l'amour. Rose voit donc clairement cette balade comme un rendez-
vous amoureux.

v16 : « les merles me sifflaient » = métaphore + polysémie


→ le verbe « siffler » est polysémique, c'est-à-dire qu'il peut avoir plusieurs sens. On peut siffler
un air musical (= chanter) mais on peut aussi siffler quelqu'un pour se moquer. C'est le cas ici.
Même les oiseaux se moquent de la naïveté du jeune Hugo.

5e et 7e quatrains :
→ « hanches, beau bras, bras blanc, petit pied, pied nu » : champ lexical du corps de la femme,
avec des parties choisies avec soin car elles évoquent à l'époque énormément de sensualité. Les
hanches, les bras, les pieds sont des parties du corps souvent couvertes et font donc fantasmer les
hommes. La blancheur de la peau est d'ailleurs un indice (la peau est blanche car elle n'est jamais
exposée au soleil). Rose dévoile des parties habituellement cachées de son corps pour faire
comprendre ses intentions. Il est impossible pour une jeune fille de l'époque de faire une déclaration
plus directe.
→ v27 « Son petit pied dans l'eau pure » : allitération (= répétition d'une consonne) de la lettre
« P » comme pour imiter le bruit du pied de Rose dans l'eau. On pense à l'expression « faire un
appel du pied », c'est-à-dire faire un geste discret (en général avec le pied) pour inciter quelqu'un à
agir. Rose invite le jeune Hugo à répondre à ses avances.
→ « Je ne vis pas » x2 : répétition de cette phrase négative, après chacune des tentatives de Rose.
Le jeune Hugo ne comprend vraiment rien. Même Hugo adulte semble désespéré en se rappelant de
cette histoire.

6e quatrain
« eau fraîche, mousses de velours, nature amoureuse, grands bois » = champ lexical de la
nature → nature extrêmement accueillante, en accord avec le romantisme. Toutes les conditions
sont réunies pour un rendez-vous amoureux parfait. Mais il ne se passe rien.

Transition : Malgré tous ces indices, le jeune Victor Hugo ne comprend pas et la jeune fille
abandonne.
Partie 3 : Double constat d'échec (l.29 à 36)

v29-30 : « je la suivais » = passivité


→ le jeune Hugo laisse l'initiative à Rose, sans comprendre

v31-32 : « parfois sourire / soupirer quelquefois » = chiasme


→ les mots s'opposent deux par deux, en ordre inverse (AB / BA). Rose sourit car elle est
heureuse d'être avec le jeune homme, mais elle s'aperçoit peu à peu qu'il ne comprend rien. Elle
pense qu'il n'est pas intéressé.

v33-34 : « ne... que » , « en sortant » = négation restrictive


→ la négation restrictive (avec « que ») montre que la réaction du jeune Hugo arrive trop tard. Le
rendez-vous est fini, l'occasion est passée car le verbe « sortir » indique la fin.

v35 : « Soit ; n'y pensons plus ! Dit-elle. » = négation totale


→ Il s'agit du premier verbe négatif utilisé par Rose. La négation « ne... plus » indique la fin d'une
action. Après avoir tenté d'attirer l'attention du jeune Hugo pendant tout le poème, Rose abandonne
et reconnaît son échec. Elle se résigne et passe à autre chose, oubliant ce rendez-vous manqué.

v36 : « Depuis, j'y pense toujours » = insistance sur l'adverbe


→ Après plusieurs verbes à la forme négative, la forme affirmative apparaît enfin. La préposition
« depuis » indique le début d'une action, mais sa place à la fin du poème est paradoxale (= non
logique). C'est une fois que tout est fini, donc trop tard, que le jeune Hugo comprend le but du
rendez-vous. Il réalise alors son échec et regrette encore son attitude des années plus tard.

CONCLUSION :
rappel de la problématique : Comment Victor Hugo associe-t-il le romantisme et ses
propres souvenirs personnels ?
On retrouve dans ce poème les grandes caractéristiques du romantisme : l'évocation des
sentiments (amour, incompréhension, regrets), l'admiration pour la nature et sa beauté,
l'implication de l'artiste par l'utilisation du « moi »
Une œuvre malgré tout très personnelle car va chercher dans les souvenirs les plus
intimes du poète, un moment de solitude qui le hante encore des années plus tard. Nous
avons bien ici les « mémoires d'une âme » : l'âme d'un Hugo dolescent, mise en scène
par Hugo adulte, chef de file du romantisme

Ouverture : Les Contemplations réunissent des souvenirs, plus ou moins heureux, puisqu'il s'agit
des « mémoires d'une âme ». Les souvenirs de jeunesse côtoient ceux, plus tristes, de sa fille
décédée (Léopoldine), par exemple dans « Demain, dès l'aube ».

Exemple de lecture du poème : https://www.youtube.com/watch?v=C3Me5Icik-I


Exemples de mise en chanson de ce poème :
https://www.youtube.com/watch?v=nA9tOCSNvkI
https://www.youtube.com/watch?v=gx5UXNrZ0Ak
Portrait de Victor Hugo à 16 ans (1818) : âge au moment de la rencontre manquée avec Rose

Portrait de Victor Hugo à 29 ans (1831) : âge au moment de l'écriture du poème

Portrait de Victor Hugo à 51 ans (1853) : 3 ans avant la publication du poème

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