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Situation du passage
Les cinq premiers chapitres du roman se sont attachés à la mise en place du
contexte : la ville de Verrières et ses principales figures y ont été décrites, notamment
son maire M. de Rênal, et l’épouse de ce dernier. Le chapitre V a permis au lecteur de
faire la connaissance du protagoniste, Julien Sorel. Stendhal a ainsi mis en parallèle
la solitude de Mme de Rênal, et celle de Julien. Il s’agit donc aussi de préparer leur
rencontre. C’est l’objet de l’extrait, qui ouvre le chapitre VI, intitulé « L’Ennui »,
chapitre consacré à l’arrivée de Julien chez les Rênal, pour y devenir le précepteur
des trois jeunes fils du maire. Stendhal ne va pas à proprement parler mettre en place
une scène de rencontre amoureuse traditionnelle : il va jouer sur les perceptions
qu’ont l’un de l’autre les personnages pour désamorcer de façon légèrement ironique
les codes de ce type de rencontre.
Composition : l’extrait est construit sur les points de vue des personnages, qui
peuvent nous permettre de délimiter trois étapes :
I. La rencontre vue par Mme de Rênal (l.1 à l.3 « que lui donnait l’arrivée du
précepteur »).
II. La rencontre vue par Julien (l.13 « Julien tourné vers la porte » à l.22 « qu’il
essuyait de son mieux »).
A. La perception auditive (l.13 « Julien tourné vers la porte » à l.16 « Que voulez-
vous ici, mon enfant ? »).
III. L’union de l’émotion des deux personnages (l.23 « Mme de Rênal resta
interdite » à la fin)
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A. La réciprocité des regards (l.23 « Mme de Rênal resta interdite » à l.28 « de ce
jeune paysan »).
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- Une insistance sur la beauté : « vivacité », « grâce » et « naturelles » la
qualifient. L’enchaînement des compléments circonstanciels qui soulignent le
parcours de Mme de Rênal accentue l’image de légèreté.
- L’effet de mouvement, avec le verbe d’action à l’imparfait « Mme de Rênal
sortait » qui introduit une durée et associe sa beauté à un sentiment de liberté.
En effet, Mme de Rênal est « loin du regard des hommes », ce que confirme
l’adjectif « naturelles » : elle est débarrassée des convenances liées à son statut
d’épouse bourgeoise, qui impliquent un maintien et un comportement
particuliers.
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B. Une perception faussée de Julien (l.7 « Le teint de ce petit paysan » à l.13
« que lui donnait l’arrivée de ce précepteur »).
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• De ce fait, Julien doit se reprendre et adopter une contenance qui siée
davantage au statut auquel il prétend :
- Celui de précepteur, qu’il revendique dans sa première déclaration « - Je viens
pour être précepteur, Madame », ce qui met fin au quiproquo.
- Celui d’un homme face à une femme, et non d’un enfant face à une mère. Tout
le début du texte souligne en effet les décalages multiples entre les deux
personnages (statut social, âge, état d’esprit).
- De ce fait Julien tente de reprendre la main sur ses émotions : l’apparence
fragile et émotive qu’il renvoie le rend « honteux de ses larmes », c’est
pourquoi il les « essuyait de son mieux ». Mais ironiquement, la maladresse du
geste et l’impossibilité de cacher ses pleurs tend à l’infantiliser encore
davantage. Il se veut maître de ses émotions, mais il ne parvient pas du tout à
cacher sa sensibilité. On sait d’ailleurs que ce sera une caractéristique de Julien
tout au long de son parcours : il a du mal à porter un masque.
-
III. L’union de l’émotion des deux personnages (l.23 « Mme de Rênal resta
interdite » à la fin)
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- Le dernier paragraphe insiste à nouveau sur la forte impression que produit la
beauté de Mme de Rênal sur Julien : « un être aussi bien vêtu et surtout une
femme avec un teint aussi éblouissant » avec des termes mélioratifs renforcés
par les adverbes d’intensité « aussi ».
- Julien assume ses larmes, il ne cherche plus à les cacher et elles deviennent
même évidentes : « Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui
s’étaient arrêtées sur les joues » de Julien.
Conclusion
Il s’agit donc d’une scène qui s’inscrit dans le topos de la rencontre amoureuse
en jouant d’une intensité émotionnelle fondée sur l’authenticité et la simplicité des
personnages. Le texte suspend le cours du temps et permet à J et à Mme de R de se
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rencontrer hors des convenances sociales dont ils sont tous deux victimes, ce qui
garantit leur sincérité. Le narrateur nous donne accès à leurs pensées et à leurs
émotions grâce au jeu des focalisations internes. Tout cela correspond à priori à une
scène de rencontre amoureuse traditionnelle… Mais ce n’est pas le cas : les
quiproquos et décalages entre Mme de Rênal et Julien, permis là aussi par le jeu des
points de vue, introduisent de l’ironie. Celle-ci demeure discrète et tendre, mais elle
est bien présente.
On comprend mieux pourquoi ce chapitre s’ouvrait sur une citation de l’opéra
de Mozart, Les noces de Figaro : « Non so più cosa son, cosa facio » (« je ne sais
plus qui je suis, ni qui je fais ») C’est une réplique de Chérubin et il s’agit bien d’une
référence à une scène de rencontre amoureuse. Mais Les noces de Figaro sont une
comédie et Chérubin est un personnage de jeune homme, puéril et maladroit, qui est
facilement attiré par les femmes. En outre, il est travesti en fille au cours de l’intrigue
et celle-ci comporte de nombreux quiproquo. Tout cela nous donnait déjà des indices
sur le fait que Stendhal allait déjouer les codes de la scène de rencontre amoureuse.
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faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais
ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents et pour la rendre heureuse. Je me suis étonné
mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ;
mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il n’opérait souvent des prodiges : j’ajoutai mille
choses pressantes.
Deux extraits qui détonent avec les précédents : quand la rencontre amoureuse ne se
présente pas sous les meilleurs auspices ! Ici les codes sont inversés, un personnage va
manifester son indifférence voire son aversion pour la femme qu’il rencontre (mais qui
deviendra un amour passionné par la suite).
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qu'elle n'était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui
faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté
qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion
physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont
l'opposé du type que nos sens réclament. Pour lui plaire elle avait un profil trop accusé, la peau trop
fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux, mais si grands
qu'ils fléchissaient sous leur propre masse, fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient
toujours l'air d'avoir mauvaise mine ou d'être de mauvaise humeur. Quelque temps après cette
présentation au théâtre, elle lui avait écrit pour lui demander à voir ses collections qui l'intéressaient
tant, « elle, ignorante qui avait le goût des jolies choses », disant qu'il lui semblait qu'elle le
connaîtrait mieux, quand elle l'aurait vu dans « son home » où elle l'imaginait « si confortable avec
son thé et ses livres », quoiqu'elle ne lui eût pas caché sa surprise qu'il habitât ce quartier qui devait
être si triste et « qui était si peu smart pour lui qui l'était tant ». Et après qu'il l'eut laissée venir, en le
quittant, elle lui avait dit son regret d'être restée si peu dans cette demeure où elle avait été heureuse
de pénétrer, parlant de lui comme s'il avait été pour elle quelque chose de plus que les autres êtres
qu'elle connaissait, et semblant établir entre leurs deux personnes une sorte de trait d'union
romanesque qui l'avait fait sourire. Mais à l'âge déjà un peu désabusé dont approchait Swann, et où
l'on sait se contenter d'être amoureux pour le plaisir de l'être sans trop exiger de réciprocité, ce
rapprochement des cœurs, s'il n'est plus comme dans la première jeunesse le but vers lequel tend
nécessairement l'amour, lui reste uni en revanche par une association d'idées si forte, qu'il peut en
devenir la cause, s'il se présente avant lui. Autrefois on rêvait de posséder le cœur de la femme dont
on était amoureux ; plus tard sentir qu'on possède le cœur d'une femme peut suffire à vous en rendre
amoureux.
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s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique,
flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que
Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre potelé, ayant l'air
d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire.
Tite.
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
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