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Le Rouge et le noir, chapitre 6, la rencontre amoureuse

: lecture linéaire
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Par Amélie Vioux

Voici une analyse de la rencontre entre Julien Sorel et Mme de Rênal au chapitre 6
du Rouge et le Noir de Stendhal.

L'extrait traduit ici en explication linéaire va de « "Avec la vivacité et la grâce qui lui
étaient naturelles" » à « "qui viendrait gronder et fouetter ses enfants" ».

Le rouge et le noir, la rencontre, introduction


Le Rouge et le Noir , écrit en 1830 par Stendhal, est un roman d'apprentissage qui
raconte l'ascension sociale et la chute de Julien Sorel, un jeune paysan sensé et
ambitieux.

(Voir ma fiche de lecture du Rouge et le Noir )

Sous la Restauration, M. de Renâl , le maire de Verrières, engage le jeune Julien Sorel


comme précepteur de ses enfants.

Au chapitre 6, Julien Sorel rencontre pour la première fois Madame de Rênal.

Issus de milieux sociaux différents, entourés par les interdits moraux qui codifient le
monde bourgeois, rien en semble devoir réunir les deux personnages.

Problématique
Comment Stendhal a-t-il réussi à faire cet extrait d'une scène de rencontre
amoureuse en faisant naître sous nos yeux deux héros romanesques ?

Annonce du plan linéaire

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Le début du chapitre 6 du Rouge et le Noir met en scène une rencontre amoureuse
déconcertante (I) qui initie une transformation des deux personnages , Mme de
Rênal et Julien Sorel (II).

I – Une rencontre déconcertante

(Du début du chapitre 6 à « "une voix douce dit tout près de son oreille" « )

A - Un effet d'attente chez le lecteur


Dès le début du chapitre 6 du Rouge et le Noir , Stendhal a rencontré en place le cadre
d'une rencontre amoureuse , avec un effet d'attente chez le lecteur.

Le titre du chapitre – « L'ennui » – place le lecteur dans l'univers romantique de la


mélancolie et du mal de vivre.

La citation de Mozart est prononcée par Cherubin à l'attention de Susanne dans les
Noces de Figaro (« "Non so piu cosa son Cosa facio » – je ne sais plus qui je suis ni ce
que je fais" ».) Par cette citation, Stendhal aiguille son lecteur vers une scène de
rencontre amoureuse ce qui crée un effet d'attente chez le lecteur.

Les premières lignes du chapitre 6 accentuent cet effet d'attente puisqu'elles sont
constituées du champ lexical de la beauté (« "vivacité », « grâce », « naturelles" »).

Les nombreux compléments circonstanciels de temps, de lieu et les expansions du


nom sont utilisés pour retarder le moment de la rencontre et jouer ainsi avec l'attente
du lecteur : « "madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui permettait sur le
jardin », « près de la porte d'entrée" » .

Le contraste entre l' imparfait «" Mme de Rênal sortait" » et le passé simple «" quand
elle aperçut" » crée un effet d'accélération dramatique qui met l'accent sur la rencontre
entre les deux personnages.

B – Un portrait de Julien qui renverse les codes de la rencontre


amoureuse
Alors que la scène laisse présager un coup de foudre, Stendhal déjoue les attentes du
lecteur en renversant les codes de la rencontre amoureuse.

Ainsi, il passe en focalisation interne à partir de « "Quand elle aperçut près de la porte
d'entrée" » (en prenant le point de vue de Mme de Rênal ), pour dresser un portrait
féminin très de Julien .

Loin de l'image de l'amant qui subjugue, c'est le champ lexical de l'enfance qui
caractérise Julien : « "jeune », « encore enfant », « pâle », « pleurer », « bien
blanche" ».

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Les adverbes intensifient « "extrêmement pâle », « bien blanche " » accentuent le
décalage entre ce que le lecteur assiste lors d'une rencontre amoureuse et le portrait de
Julien.

Le décalage est aussi social puisque les périphrases « "jeune paysan" » et « "ce
petit paysan" » mettent en évidence la barrière sociale entre le monde bourgeois de
Madame de Rênal et le monde paysan de Julien, maladroitement endimanché comme le
suggère le terme « "ratine" » une étoffe assez grossière.

Le champ lexical de la blancheur « "pâle » « bien blanche », « teint », « si blanc" »


donne à Julien un aspect maladif et androgyne qui le fait passer pour « "une jeune fille
déguisée" ».

Stendhal continue à inverser les codes amoureux par le champ lexical de la modestie
se rapportant à Julien : « "pauvre », « créature », « n'osait pas " » souligné par
l'adverbe ironique « évidemment ». Julien Sorel apparaît comme un anti-héros n'ayant
aucune des qualités viriles traditionnelles.

Stendhal s'amuse ensuite du quiproquo en juxtaposant l'expression « "l'amer chagrin


que lui a permis l'arrivée du précepteur" » à « "Julien, tourné vers la porte" » : cette
juxtaposition est ironique car elle rappelle que Mme de Rênal ignore que Julien et le
précepteur sont la même personne.

Ce qui proquo reprend les codes de la comédie de Beaumarchais annoncé dans la


citation qui ouvre le chapitre où les personnages sont déguisés.

L'antithèse « tressaillit / douce » crée également un décalage comique .

II - La naissance de l'amour

(De « "Que veux-tu ici mon enfant ?" » à « "qui viendrait gronder et fouetter ses
enfants" » )

A – Le croisement des regards


La phrase maternelle « "Que veux-tu ici mon enfant ? " » n'annonce en rien le coup de
foudre.

Pourtant, le croisement des regards – moment attendu du lecteur dans la rencontre


amoureuse – crée un changement de climat comme le montre le champ lexical du
trouble : « "frappé », « oublié », « étonné », « étonné" ».

Le champ lexical de la beauté (« "regard », « si rempli de grâce », « beauté », «


bien vêtu" ») éloigne Madame de Rênal de la figure maternelle pour la rapprocher de la
maîtresse .

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Quant à Julien, il essaie d'effacer la figure enfantine par le geste symbolique «" ses
larmes qu'il essuyait de son mieux" » comme pour évacuer la partie enfantine qui est en
lui.

L'adjectif « interdit » dans la phrase « "Mme de Rênal reste interdite" » révèle l' effet
sidérant du coup de foudre .

Mais Stendhal joue aussi sur la polysémie de cet adjectif : Madame de Rênal est aussi «
interdite » au sens de la morale bourgeoise et religieuse car elle déjà mariée.

Dans les deux phrases suivantes, Stendhal adopte successivement le point de vue de
Julien puis de Mme de Rênal afin de montrer l' attirance mutuelle des deux
personnages.

Dans la phrase « "Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme
avec un teint si éblouissant, lui parler d'un air doux" « , les termes mélioratifs («
"éblouissant « , « doux" « ) accentués par des adverbes intensifie (« "bien « , « si" « )
s'inspire de la fascination de Julien pour Mme de Rênal.

Cette fascination est mutuelle comme en témoigne les adverbes intensifiés de la phrase
suivante, qui dévoile le point de vue de Mme de Rênal sur Julien Sorel : « "joues si pâles
« , « si rose" « .

La multiplication de ces adverbes s'intensifie semble parodier l'incipit de La Princesse


de Clèves où Mme de La Fayette décrit un coup de foudre à l'aide de ces mêmes
procédés littéraires.

Il s'agit bien sûr d'une subtile parodie car chez Stendhal, le cadre n'est pas la fastueuse
cour d'Henri II comme dans La Princesse de Clèves , mais une maison bourgeoise. Le
décalage entre le style précieux et l'univers décrit peut ainsi prêter à sourire.

B – La transformation des personnages


Ce coup de foudre initie la transformation des personnages .

Le rapport maternel initial laisse place au rapport potentiellement amoureux.

La pâleur du candide Julien laisse place à la couleur rose qui semble annoncer le rouge
de la passion amoureuse (« "si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune
paysan" »).

Cette métamorphose de Julien est propre au roman d'apprentissage où le lecteur


assiste à la perte de la candeur enfantine et à la naissance du héros.

Mme de Rênal se transforme elle aussi sous les yeux de Julien et du lecteur. Le champ
lexical du rire (« "rire » « gaieté », « folle », « moquait » « bonheur" ») vient
casser le sérieux du monde bourgeois par une légèreté toute adolescente.

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Le complément de nom « "gaiété folle d'une jeune fille" » remonte le temps et rend
Madame de Rênal à sa jeunesse et à sa disponibilité sociale.

La multiplication des verbes réflexifs « "se mit à rire », « se moquait d'elle-même », «


s e figurer tout son bonheur" », montre un changement chez Madame de Rênal. Mère
fourniee et oublieuse d'elle-même, l'apparition de Julien fait renaître le souci de soi et le
narcissisme oublié.

La dernière phrase de l'extrait au discours indirect libre , avec l' interjection « Quoi »
met en évidence le surgissement de l'émotion chez Madame de Rênal : « "Quoi, c'était
là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendra
gronder et fouetter ses enfants ! " » .

Par cette exclamation, Stendhal montre que Madame de Rênal se rend disponible à
l'amour en faisant sauter les barrières qui la séparent de ce nouveau précepteur.

Le Rouge et le Noir, chapitre 6, conclusion


Stendhal crée une scène de rencontre amoureuse originale où le lecteur assiste à la
métamorphose des personnages.

Anti-héros au départ, Julien devient un héros potentiel et Madame de Rênal fait aussi
sauter les digues qui deviennent cet amour impossible.

La plume ironique de Stendhal prend le personnage dans les pièges subtils de la surprise
de l'amour comme dans une pièce de Marivaux ou de Beaumarchais.

5/5

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