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: lecture linéaire
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Voici une analyse de la rencontre entre Julien Sorel et Mme de Rênal au chapitre 6
du Rouge et le Noir de Stendhal.
L'extrait traduit ici en explication linéaire va de « "Avec la vivacité et la grâce qui lui
étaient naturelles" » à « "qui viendrait gronder et fouetter ses enfants" ».
Issus de milieux sociaux différents, entourés par les interdits moraux qui codifient le
monde bourgeois, rien en semble devoir réunir les deux personnages.
Problématique
Comment Stendhal a-t-il réussi à faire cet extrait d'une scène de rencontre
amoureuse en faisant naître sous nos yeux deux héros romanesques ?
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Le début du chapitre 6 du Rouge et le Noir met en scène une rencontre amoureuse
déconcertante (I) qui initie une transformation des deux personnages , Mme de
Rênal et Julien Sorel (II).
(Du début du chapitre 6 à « "une voix douce dit tout près de son oreille" « )
La citation de Mozart est prononcée par Cherubin à l'attention de Susanne dans les
Noces de Figaro (« "Non so piu cosa son Cosa facio » – je ne sais plus qui je suis ni ce
que je fais" ».) Par cette citation, Stendhal aiguille son lecteur vers une scène de
rencontre amoureuse ce qui crée un effet d'attente chez le lecteur.
Les premières lignes du chapitre 6 accentuent cet effet d'attente puisqu'elles sont
constituées du champ lexical de la beauté (« "vivacité », « grâce », « naturelles" »).
Le contraste entre l' imparfait «" Mme de Rênal sortait" » et le passé simple «" quand
elle aperçut" » crée un effet d'accélération dramatique qui met l'accent sur la rencontre
entre les deux personnages.
Ainsi, il passe en focalisation interne à partir de « "Quand elle aperçut près de la porte
d'entrée" » (en prenant le point de vue de Mme de Rênal ), pour dresser un portrait
féminin très de Julien .
Loin de l'image de l'amant qui subjugue, c'est le champ lexical de l'enfance qui
caractérise Julien : « "jeune », « encore enfant », « pâle », « pleurer », « bien
blanche" ».
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Les adverbes intensifient « "extrêmement pâle », « bien blanche " » accentuent le
décalage entre ce que le lecteur assiste lors d'une rencontre amoureuse et le portrait de
Julien.
Le décalage est aussi social puisque les périphrases « "jeune paysan" » et « "ce
petit paysan" » mettent en évidence la barrière sociale entre le monde bourgeois de
Madame de Rênal et le monde paysan de Julien, maladroitement endimanché comme le
suggère le terme « "ratine" » une étoffe assez grossière.
Stendhal continue à inverser les codes amoureux par le champ lexical de la modestie
se rapportant à Julien : « "pauvre », « créature », « n'osait pas " » souligné par
l'adverbe ironique « évidemment ». Julien Sorel apparaît comme un anti-héros n'ayant
aucune des qualités viriles traditionnelles.
II - La naissance de l'amour
(De « "Que veux-tu ici mon enfant ?" » à « "qui viendrait gronder et fouetter ses
enfants" » )
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Quant à Julien, il essaie d'effacer la figure enfantine par le geste symbolique «" ses
larmes qu'il essuyait de son mieux" » comme pour évacuer la partie enfantine qui est en
lui.
L'adjectif « interdit » dans la phrase « "Mme de Rênal reste interdite" » révèle l' effet
sidérant du coup de foudre .
Mais Stendhal joue aussi sur la polysémie de cet adjectif : Madame de Rênal est aussi «
interdite » au sens de la morale bourgeoise et religieuse car elle déjà mariée.
Dans les deux phrases suivantes, Stendhal adopte successivement le point de vue de
Julien puis de Mme de Rênal afin de montrer l' attirance mutuelle des deux
personnages.
Dans la phrase « "Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme
avec un teint si éblouissant, lui parler d'un air doux" « , les termes mélioratifs («
"éblouissant « , « doux" « ) accentués par des adverbes intensifie (« "bien « , « si" « )
s'inspire de la fascination de Julien pour Mme de Rênal.
Cette fascination est mutuelle comme en témoigne les adverbes intensifiés de la phrase
suivante, qui dévoile le point de vue de Mme de Rênal sur Julien Sorel : « "joues si pâles
« , « si rose" « .
Il s'agit bien sûr d'une subtile parodie car chez Stendhal, le cadre n'est pas la fastueuse
cour d'Henri II comme dans La Princesse de Clèves , mais une maison bourgeoise. Le
décalage entre le style précieux et l'univers décrit peut ainsi prêter à sourire.
La pâleur du candide Julien laisse place à la couleur rose qui semble annoncer le rouge
de la passion amoureuse (« "si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune
paysan" »).
Mme de Rênal se transforme elle aussi sous les yeux de Julien et du lecteur. Le champ
lexical du rire (« "rire » « gaieté », « folle », « moquait » « bonheur" ») vient
casser le sérieux du monde bourgeois par une légèreté toute adolescente.
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Le complément de nom « "gaiété folle d'une jeune fille" » remonte le temps et rend
Madame de Rênal à sa jeunesse et à sa disponibilité sociale.
La dernière phrase de l'extrait au discours indirect libre , avec l' interjection « Quoi »
met en évidence le surgissement de l'émotion chez Madame de Rênal : « "Quoi, c'était
là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendra
gronder et fouetter ses enfants ! " » .
Par cette exclamation, Stendhal montre que Madame de Rênal se rend disponible à
l'amour en faisant sauter les barrières qui la séparent de ce nouveau précepteur.
Anti-héros au départ, Julien devient un héros potentiel et Madame de Rênal fait aussi
sauter les digues qui deviennent cet amour impossible.
La plume ironique de Stendhal prend le personnage dans les pièges subtils de la surprise
de l'amour comme dans une pièce de Marivaux ou de Beaumarchais.
5/5