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Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-on, le décret
en faveur des hommes de couleur, dans nos îles 1. C'est là où la nature frémit d'horreur; c'est là où la
raison et l'humanité n'ont pas encore touché les âmes endurcies; c'est là surtout où la division et la
discorde agitent leurs habitants. Il n'est pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations 2
5 incendiaires : il y en a dans le sein même de l'Assemblée nationale : ils allument en Europe le feu
qui doit embraser l'Amérique. Les colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils
sont les pères et les frères; et méconnaissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source
jusque dans la plus petite teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans
leurs veines, mais nous le répandrons tout entier, s'il le faut, pour assouvir notre cupidité, ou notre
10 aveugle ambition. C'est dans ces lieux les plus près de la nature, que le père méconnaît le fils; sourd
aux cris du sang, il en étouffe tous les charmes; que peut-on espérer de la résistance qu'on lui
oppose ? La contraindre avec violence, c'est la rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c'est
acheminer toutes les calamités vers l'Amérique. Une main divine semble répandre par tout
l'apanage3 de l'homme, la liberté; la loi seule a le droit de réprimer cette liberté, si elle dégénère en
15 licence4; mais elle doit être égale pour tous, c'est elle surtout qui doit renfermer l'Assemblée
nationale dans son décret, dicté par la prudence et par la justice. Puisse-t-elle agir de même pour
l'État de la France, et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle l'a été sur les
anciens qui deviennent chaque jour plus effroyables!
1 Référence au décret porté par l'abbé Grégoire et voté le 15 mai 1791, accordant aux hommes de couleur libres, nés
de parents libres, l'égalité des droits avec les hommes blancs. Les colons et esclavagistes protestent tandis que des
esclaves se soulèvent dans les iles.
2 Fermentation (sens figuré) : agitation sociale et politique.
3 Apanage : ce qui caractérise, qui appartient en propre à.
4 Licence : dérèglement moral qui relève d'une liberté excessive et mal exercée.
Séquence 1 : Ecrire et combattre pour l'égalité 1ère G
Introduction :
– Ol. de Gouges : écrivaine engagée dont les écrits reflètent ses nombreux combats pour
l’égalité et la justice entre les êtres humains. Féministe avant tout, elle souhaite réhabiliter
les femmes dans la société et leur octroyer une place légitime en tant que citoyenne.
– DDFC : La Declaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) a pour but de
pallier les manquements de La Declaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
– extrait : Cette dénonciation de l'esclavage suit de près le plaidoyer que vient de développer
Olympe de Gouges en faveur de l'acte conjugal qui offre des droits égaux aux femmes et aux
hommes.
Découpage :
– ligne 1 à 6 : dénonciation des responsables des troubles qui agitent les îles d'Amérique
– ligne 6 à 13 : attaque frontale du traitement inhumain que les colons infligent aux esclaves
– ligne 13 à 18 : affirmation du juste pouvoir de la loi dans l'exercice de la liberté
« Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-on, le décret »
(l.1) : présent d'énonciation + modalisateur de nécessité → Ol. De Gouges réagit à l'actualité
politique immédiate (le décret de mai 1791 et la colère qu'il suscite chez les colons)
« c'est là où » x3 (l.2-3) + « la nature frémit d'horreur » (l.2) + « touché les âmes endurcies » (l.3) :
anaphore + personnification + registre pathétique → elle dramatise la situation effroyable et
bouleversante des esclaves et le refus des esclavagistes de céder aux idées abolitionnistes
Transition : Olympe de Gouges commente l'actualite brûlante en denonçant les effets nefastes des
resistances de colons face aux decrets favorables aux Noirs dans les îles.
Partie 2 : Traitement inhumain de la part des colons envers les esclaves (l. 6 à 13)
« la plus petite teinte de leur sang / notre sang circule dans leurs veines / sourd aux cris du sang »
(l.8, 9 et 10) : répétition / métonymie filée → dénonciation del'attitude sacrilège des colons qui
persécutent des hommes de leur famille
« sourd aux cris du sang / étouffe » (l.10-11) : métaphores du corps → elle souligne la tragique
situation des esclaves qui n'ont ni le droit ni la possibilité de développer leurs qualités humaines
Transition : Olympe de Gouges condamne fermement le traitement que les colons infligent aux
esclaves noirs, traitement d'autant plus inhumain qu'il nie les rapports filiaux et fraternels qui lient
les colons aux esclaves.
« Une main... justice » (l.13-16) : phrase complexe / période → phrase extrêmemnt construite, qui
reprend les étapes du raisonnement. Elle prépare la conclusion, en suivant les règles de la rhétorique
(péroraison).
« une main divine semble répandre » (l.13) : synecdoque (la partie pour le tout) → Olympe de
Gouges admet voir une origine divine dans le déploiement de la liberté à son époque
« loi / droit / licence / Assemblée nationale / décret / prudence et justice » (l.14-16) : champ lexical
du juridique → MAIS elle affirme clairement que la loi doit s'appliquer pour encadrer la liberté et
donc la protéger.
Conclusion :
En femme des Lumières, combattante de la Révolution et militante des droits civiques, Olympe de
Gouges ne recule devant aucun combat. Si la DDFC tend à établir l'égalité entre les femmes et les
hommes, elle n'en oublie pas pour autant son autre grand combat, celui qu'elle a mené avec courage
contre l'esclavage.
// L'abbé Grégoire rendra d'ailleurs hommage à son action lorsque l'Assemblée abolira l'esclavage
en 1794.