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Ô Femmes […]. Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes
devenues son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y
plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par
votre longue habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants 1, mais
5 commodes, aux vertus plus pénibles d'un être libre et respectable. […] [Ne] vous laissez
plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez point les secours des hommes auteurs
de vos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir2, et comment pourraient-ils
vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu'on
ne sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ?
10 C 'est à vous seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage. Je me tais sur cette
question ; mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre sort, je
serai autorisé à dire, et il me sera facile de prouver, qu'il n'est aucun moyen de perfectionner
l'éducation des femmes.
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation : dans toute société, les
15 femmes sont esclaves ; donc la femme sociale3 n'est pas susceptible d'éducation. Si les
principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout
où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de
ce mot ; c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage
c'est de les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers
20 l'utilité sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société. […] On
ne peut sortir de ce principe général que sans liberté point de moralité et sans moralité point
d'éducation.
Introduction :
– Choderlos de Laclos (1741-1803) : connu pour les Liaisons dangereuses, roman épistolaire
qui montrait comment la société vouait les femmes à l'asservissement. Il s'engage aussi dans
un combat contre l'esclavage
– Discours : l'écrivain se pose ici en orateur capable de soutenir sa thèse devant les membres
éminents de l'Académie de Châlons-sur-Marne
– extrait : dans cet extrait, il établit un parallèle entre la condition des femmes et celle des
esclaves.
Découpage :
– ligne 1 à 13 : Un appel à la révolution
– ligne 14 à 22 : Une démonstration de logique
« Ô Femmes » (l.1) : apostrophe → Laclos s'adresse tout d'abord aux femmes, alors que son
discours est fait en réponse à une assemblée d'hommes. Il veut provoquer une prise de conscience
chez les femmes.
« venez apprendre » (l.1) : impératif → davantage une invitation qu'un ordre. Laclos se place
malgré tout dans une position de supériorité, il semble connaître des éléments que les autres
ignorent.
« comment » (l.1, 2 et 3) : répétition → Laclos semble posséder les clés de nombreuses questions,
il se place comme un référent ou un instructeur. Son argumentation repose sur trois points, détaillés
dans ces trois interrogations indirectes.
« compagnes / esclave » (l.1-2) : antithèse → la condition actuelle de la femme est contestable, car
elle ne correspond pas à ce qu'elle était lors de sa naissance
« vous y plaire » (l.2-3) : hyperbole → Laclos exagère volontairement l'acceptation des femmes
afin de les provoquer et d'obtenir une réaction.
« vices avilissants mais commodes / vertus plus pénibles » (l.4-5) : termes fortement connotés →
Laclos insinue, par provocation, que la femme a cédé à la facilité en acceptant de se soumettre
plutôt que de se battre. L'opposition dans les termes entre le Bien et le Mal accentue ce reproche.
« ne vous laissez plus / n'attendez point » (l.5-6) : ne + impératif = défense → malgré les reproches
très durs qu'il adresse aux femmes, Laclos ne peut s'empêcher de tenter de les guider. Il n'est pas
leur adversaire, il veut leur venir en aide.
« abuser / trompeuses promesses / auteurs de vos maux / finir / ne...ni...ni » (l.6-7) : champ lexical
du mensonge, des mauvaises actions → L'homme fait l'objet d'un portait très négatif, autant par
les défauts énumérés que par le nombre impressionnant de négations utilisées.
« on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution » (l.9) : négation restrictive → Une seule
solution est possible pour que les femmes se libèrent.
« vous seules / courage » (l.10) : connotation méliorative → Suite au portrait négatif des hommes,
les qualités des femmes sont d'autant plus mises en valeur : elles peuvent agir seules et même
prendre des initiatives.
« Je me tais / je serai autorisé » (l.10-11) : 1ère personne du singulier → seul passage avec un
pronom désignant directement Laclos, il tente de rester en dehors de l'affrontement
hommes/femmes
« il n'est aucun moyen de perfectionner l'éducation des femmes » (l.12-13) : négation totale →
sentence sans appel, d'une dureté surprenante envers les femmes par rapport au reste du discours.
« esclavage / éducation » (l.14-20) : antithèse filée (qui se prolonge sur tout un paragraphe) →
le discours se fait plus général et analyse le rapport entre esclavage et éducation dans la société. Il
ne s'agit plus seulement de parler de l'éducation des femmes ou de l'esclavage des femmes, mais de
l'esclavage en général.
« sans liberté point de moralité et sans moralité point d'éducation » (l.21-22) : chiasme → cette
conclusion résume tout le raisonnement précédent de Laclos : si l'on n'a pas de liberté dans ses actes
(esclavage), on n'a pas la possibilité de choisir entre le Bien et le Mal (moralité) ; si on ne peut
jamais faire de choix, il est inutile d'apprendre à réfléchir par soi-même (éducation). L'esclavage est
donc le véritable fléau de la société.
Conclusion :
Laclos devait faire un discours pour expliquer comment perfectionner l'éducation des femmes. Il
commence donc par rappeler aux femmes qu'elles sont libres (et responsables) de leurs actes ; de là,
le discours continue logiquement sur la liberté et le non-sens de l'esclavage.
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