Vous êtes sur la page 1sur 3

A conserver pour l’oral du bac.

Linéaire N°6

Linéaire N°6 : Voltaire, Mélanges, pamphlets, « Femmes, soyez soumises à vos maris », 1786.

Le XVIII°, siècle des Lumières remet en question la monarchie absolue et lutte contre
l’obscurantisme, l’injustice. Ce siècle qui a confiance dans la raison et le progrès cherche à donner
accès à la connaissance (L’Encyclopédie de Diderot) et se pose aussi la question de la condition des
femmes. Voltaire (1694-1778) est une figure majeure des Lumières. Cet écrivain-philosophe,
auteur notamment de contes philosophiques comme Candide ou Zadig, a combattu toute sa vie
contre l’obscurantisme et les injustices comme pour l’affaire Calas par exemple. Dans l’extrait de «
Femmes, soyez soumises à vos maris » il aborde la question de l’inégalité des femmes vis à vis des
hommes et de la dépendance des femmes à l’égard de leurs maris. Il s’agit de l’un des rares textes
dans lequel il prend parti pour les femmes, le reste de son œuvre montrant plutôt son faible intérêt
pour cette question. Le récit est rendu vivant par un dialogue très polémique qui laisse la place aux
idées de La Maréchale de Grancey. La maréchale a lu dans les Épîtres de saint Paul : « Femmes,
soyez soumises à vos maris. ». Elle fait alors part de sa désapprobation à l’abbé de Châteauneuf
dans une longue réplique ininterrompue.

LECTURE

Nous nous demanderons comment Voltaire parvient dans ce texte à défendre la condition des
femmes au travers du personnage de Mme de Grancey.

Mouvement 1 : Voltaire fait le portrait d’une femme déterminée et libre. ( lignes 1 à 5)


Lignes 1-2 : La maréchale débute sa longue réplique de manière ironique avec l’expression « bien
bonne créature » pour évoquer la femme de Saint Paul qui accepterait d’obéir à ce précepte :
« Femmes, soyez soumises vos maris ». Avec la circonstancielle d’hypothèse introduite par « si »,
elle va plus loin et s’imagine à la place de cette dernière, remettant ainsi le saint à une place
quotidienne. Elle utilise alors une expression forte et familière « je lui aurais fait voir du pays » qui
commence à esquisser le portrait d’une femme au caractère fort et déterminé bien décidée à ne
pas se laisser faire. L’expression péjorative « la femme d’un pareil homme » montre bien ce qu’elle
pense du saint homme et de la religion en ce qui concerne la condition féminine. Elle reprend
d’ailleurs ensuite la citation des épîtres selon Saint Paul : « Femmes soyez soumises à vos maris »
sous la forme d’une phrase exclamative qui souligne sa colère et son indignation, mises en valeur
aussi par le rythme haché des phrases avec de nombreuses pauses fortes.
Lignes 2- 4 : Elle imagine alors d’autres expressions que Saint Paul aurait pu utiliser avec une
énumération qui liste différentes qualités que l’on juge comme typiquement féminines : « douces,
complaisantes, attentives, économes » montrant par là que ce qui pose problème est vraiment ce
mot « soumises » qu’elle interroge d’ailleurs ensuite avec une interrogation directe : « et pourquoi
soumises, s’il vous plait ? ». La formule de politesse contraste avec la colère du ton souligné par les
exclamatives, par l’interrogative.
Lignes 4-5 : elle fait alors le lien avec son expérience personnelle en comparant le Saint à son mari
qui semble doté de bien meilleurs qualités. Elle semble faire preuve d’une grande liberté de mœurs
et admet avoir eu des amants grâce à l’emploi d’une périphrase « je n’ai pas trop gardé ma parole
ni lui la sienne »… Comme le souligne la litote ici, elle accorde peu d’importance à ces infidélités
allant à l’encontre des lois du mariage et de la religion rappelées dans la phrase : « Nous nous
A conserver pour l’oral du bac. Linéaire N°6

promîmes d’être fidèles ». Ces propos confirment le portrait qui commence à se dessiner d’une
femme libre, au mode de vie très masculin et relativement moderne pour l’époque.
On le voit ici, Voltaire, grâce à l’ironie dont il dote son personnage, au vocabulaire fort, aux
phrases exclamatives, interrogatives, trace le portrait d’un personnage féminin fort, au caractère
affirmé et qui manie parfaitement les outils de la rhétorique pour marteler son message sur les
relations homme-femme.
Mouvement 2 : lignes 5 à 10 : les femmes, victimes de la nature.
Lignes 5 à 7 : la Maréchale enchaine alors avec une série de questions rhétoriques destinées à
l’abbé auquel elle ne laisse pas le temps de répondre. En effet, cette suite d’interrogations n’attend
pas de réponses mais vise à mettre en lumière l’absurdité de la phrase de Saint Paul qui voudrait
rajouter l’état de soumission, d’esclavage aux nombreuses inégalités physiques que subissent déjà
les femmes. La 1re question rejette avec force cette proposition : « sommes-nous donc des
esclaves ? ». Elle poursuit ensuite avec la liste des particularités physiologiques des femmes qu’elle
présente comme avec des inconvénients majeurs avec le champ lexical de la maladie et de la
souffrance : « maladie de neuf mois, mortelle, grandes douleurs, incommodités ». Elle désigne ainsi
la maternité, l’accouchement et les menstruations à travers des périphrases qui insistent sur la
souffrance que ces réalités induisent. Cette énumération est soulignée par le parallélisme de
construction et l’anaphore « N’est-ce pas ? » qui viennent souligner la construction rhétorique très
rigoureuse d’un discours qui vise aussi bien à persuader qu’à convaincre son auditoire. Elle
poursuit ensuite en montrant que les femmes sont aussi victimes de la société. En effet, sur le plan
juridique, la femme n’a pas de droit. Elle ne peut pas gérer ses biens, ou garder un héritage : ses
enfants mâles peuvent la dépouiller de tout sans qu’elle puisse se défendre et donc la « plaider
quand il sera majeur ». « Ne suffit-il pas » insiste sur le fait que la femme subit suffisamment
d’inconvénients sans qu’on ajoute encore celui d’obéir.
 A travers l’emploi d’une rhétorique bien construite avec des parallélismes de construction,
avec des anaphores, des questions rhétoriques, une énumération, la Maréchale et à travers
elle, Voltaire liste tous les éléments dont par nature, sont déjà victimes les femmes et qui
justifient que l’esclavage ne soit pas une nouvelle injustice de plus à leur faire subir. Après avoir
établi que les femmes sont des victimes à de nombreux titres, la Maréchale développe son
plaidoyer pour une égalité des sexes. Elle va alors s’attaquer à la prétendue supériorité
masculine pour appuyer sa thèse.
Mouvement 3 : lignes 10 à 21 : Une prétendue supériorité masculine
Lignes 11 à 13 : Elle plaide pour une égalité entre homme et femme par une double argumentation.
Tout d’abord, on trouve une idée d’une complémentarité qui vient remplacer celle d’une
différence avec l’emploi de tournures négatives :”la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des
organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle
n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage”. Elle souligne avec les négations que la nature
n’a pas impliqué un lien de soumission entre homme et femme mais plutôt une complémentarité,
un enrichissement mutuel : « en nous rendant nécessaires les uns aux autres ».
A conserver pour l’oral du bac. Linéaire N°6

Lignes 11 à 19 : Une prétendue supériorité physique ? Elle continue en repoussant l’argument


d’une supériorité physique de l’homme en le ridiculisant : elle cite les propos d’Arnolphe dans
l’Ecole des femmes : “« Du côté de la barbe est la toute-puissance ». Elle utilise alors l’ironie avec
l’emploi d’une antiphrase exclamative « Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître !
» pour dénoncer le ridicule de cet argument. Elle poursuit sa démonstration avec l’interjection «
Quoi ! » et la question rhétorique “Parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, …
il faudra que je lui obéisse très humblement ?” qui accentuent la force persuasive de son propos en
insistant sur le ridicule de cet argument adverse en opposant « vilain poil rude, tondre de fort
près » ≠ « menton né rasé ». En expliquant que la pilosité est la raison de la supériorité du sexe
masculin, elle décrédibilise totalement les arguments de ses adversaires. Elle fait le même usage de
l’ironie avec la force physique ; l’argument se détruit de lui-même… « les muscles plus forts que les
nôtres (…) peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai peur que ce ne soit là l’origine de
leur supériorité ». Son argumentation fait apparaitre les hommes comme violents et juste bons à
utiliser leur supériorité physique pour maintenir de force les femmes dans l’obéissance.
Lignes 19 à 21 : une prétendue supériorité intellectuelle ?
Enfin, elle émet l’idée d’une égalité intellectuelle : Les hommes “prétendent” avoir une supériorité
intellectuelle sur les femmes qui leur donnent le pouvoir de gouverner : “Ils prétendent avoir aussi
la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d’être plus capables de gouverner”. Cette
supériorité est soulignée par l’emploi des superlatifs : « mieux organisé » et des comparatifs :
« plus capables » tandis que le champ lexical de la vanité : « prétendent, vantent » vient mettre à
mal cette supériorité. Comme le montre l’emploi de La conjonction de coordination « mais », elle
leur oppose alors des reines qu’elle met sur un pied d’égalité avec les rois avec le comparatif
d’égalité : « qui valent bien des rois ».

Voltaire parvient finalement à défendre la cause des femmes ici grâce à différents procédés. Tout
d’abord, il nous propose un personnage féminin à la personnalité forte, déterminée, un personnage
d’oratrice éduquée qui s’exprime librement et de manière construite. C’est à travers elle qu’il va faire passer
sa critique de la supériorité des hommes sur les femmes. La Maréchale, à travers l’emploi de l’ironie, des
questions rhétoriques, d’anaphores, de champs lexicaux, de parallélismes de construction…va tour à tour
commencer par lister les nombreux problèmes dont souffrent par nature les femmes avant de remettre en
question la prétendue supériorité physique et intellectuelle des hommes en la ridiculisant. On retrouve ici les
outils chers à Voltaire, l’argumentation indirecte, l’ironie qui lui permettent de faire ses idées de façon légère
et efficace. Le personnage de la Maréchale n’est pas sans rappeler Olympe de Gouges qui partage avec elle
aussi bien les qualités oratoires que l’indignation face à la manière dont sont traitées les femmes par la
société. Mais si l’une tient la religion pour responsable, l’autre s’attaquera à la société toute entière en
proposant une nouvelle déclaration qui tient compte des droits des hommes et des femmes.

Vous aimerez peut-être aussi