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Lecture analytique n°3 : « Femmes, soyez soumises à vos maris ». VOLTAIRE.

Introduction :

Voltaire, philosophe des Lumières, s’est trouvé sur tous les fronts de la contestation (intolérance, torture,
guerre, esclavage). Dans l’extrait de « Femmes, soyez soumises à vos maris » que nous allons étudier, il aborde
la question de l’inégalité des femmes vis à vis des hommes et de la dépendance des femmes à l’égard de leurs
maris. L’extrait proposé rapporte le dialogue entre un abbé et une femme de l’aristocratie, la Maréchale de
Grancey, en colère contre une phrase qu’elle a lue dans les Epîtres de Saint- Paul : « Femmes, soyez soumises à
vos maris ». Elle expose sa propre vision de la femme et blâme les hommes. Dans un premier temps, nous verrons
qu’elle adopte un langage vif et libéré ; puis nous analyserons la manière dont elle cherche à convaincre son
interlocuteur ; enfin, nous expliquerons comment elle utilise toutes les ressources du langage pour persuader.

I/ Une femme de caractère, au langage vif et libéré

a) Une parole vive :


- Rafale de questions qui ne laissent pas le temps à l’abbé de réagir (cf. L.32 à 37).
- Beaucoup de phrases sans verbes ou nominales, qui traduisent son emportement.
- De nombreuses exclamations et interjections qui traduisent son indignation à l’égard de la
condition réservée aux femmes.
- Emploi d’un langage très imagé qui fait surgir de véritables tableaux dans l’esprit de
l’interlocuteur.
1/ Dans la description des hommes : elle évoque un « menton couvert d’un vilain poil rude », qu’il faut « tondre de
fort près » : elle focalise sur un détail physique, qu’elle caricature (voir les deux adjectifs négatifs « vilain » et
« rude »). Elle a l’art de croquer les gens.
2/ Dans la description de la princesse allemande : la multiplication des verbes d’actions et l’emploi des pluriels
laisse imaginer un mouvement incessant, une activité fébrile.
- Elle insère dans ses arguments des conversations imaginaires (par exemple : « Sans qu’on vienne
me dire encore : Obéissez », à la ligne 37).

b) Une parole libérée :


La Maréchale dit tout ce qu’elle pense, sans se soucier des convenances et du savoir- vivre. Elle apparaît comme
une femme de caractère.
- Elle n’hésite pas à évoquer les réalités crues de la vie, sans chercher à les embellir. Elle parle
ainsi de la grossesse comme d’une « maladie de neuf mois qui est quelquefois mortelle », elle
évoque aussi l’accouchement (« mettre au jour avec de très grandes douleurs un enfant ») puis
elle termine en parlant des règles (« des incommodités très désagréables »). Elle présente de
plus les particularités physiologiques des femmes comme des inconvénients (voir les champs
lexicaux de la maladie et de la souffrance).
- Elle peut se montrer très irrespectueuse. Elle se moque ainsi de Saint Paul avec des termes qui
connotent tous le mépris : « j’ai jeté son livre », elle le déclare « très impoli », suggère qu’il est
« très difficile à vivre » (elle en fait donc le blâme). Elle ajoute avec ironie : « je lui aurais fait
voir du pays ».
- Ce langage est à l’image de sa vie. La maréchale est une femme libre. Elle fait allusion à ses
amants, certes par périphrase, mais n’oublions pas qu’elle parle à un abbé : « Nous nous promîmes
d’être fidèles : je n’ai pas trop tenu ma parole, ni lui la sienne » (lignes 31/32). On remarque au
passage qu’elle accepte les infidélités de son mari. La seule règle de conduite qui lui semble
valable est donc la liberté : elle refuse toute servitude, toute dépendance, comme le montre la
question rhétorique de la ligne 32 et l’emploi du terme « esclaves », très fort pour qualifier le
sort des femmes (elle veut provoquer l’indignation).
II/ Une femme des Lumières qui cherche à convaincre :

La Maréchale apparaît comme une sorte de Voltaire en jupons !

a) Elle adopte un raisonnement de type inductif.


 Dans tout le texte, elle adopte un mouvement pendulaire qui va alternativement du JE à des termes qui
désignent l’ensemble des femmes.

Exemple pour les lignes 25 à 39.


Elle part d’un exemple précis : la femme de saint Paul (« Etait-il marié ? ».
Puis elle se met en situation et formule une hypothèse, comme le montre le conditionnel : « Si j’avais été la
femme d’un pareil homme » (ligne 28).
Puis elle raisonne par comparaison avec sa propre expérience : « quand j’épousai M. de Grancey » (+ relever les
marques de la première personne).
Enfin, elle généralise ce premier mouvement par le biais d’expressions globalisantes/ génériques : « nous », « la
nature » (ligne 38), « pour une femme de qualité » (ligne 35).
Elle utilise ce même mouvement pendulaire entre le « je » et la généralisation dans toute la suite de l’extrait.
Cela lui permet d’être plus convaincante, car elle s’appuie sur son expérience, qui lui sert à analyser la condition
féminine dans son ensemble.

b) Elle reprend méthodiquement les thèses en faveur de l’infériorité des femmes pour démontrer leur
fausseté, voire leur absurdité.
Premier argument qu’elle conteste : les femmes doivent dépendre de leurs maris (voir le champ lexical de la
servitude).
 La maréchale rappelle d’abord les inconvénients d’être femme, en les renforçant par l’emploi des
champs lexicaux de la souffrance et de la maladie. Si elles devaient en plus « Obéir », ce serait
un inconvénient supplémentaire et intolérable.
 Elle utilise ensuite un argument se référant à la nature : la différence entre les deux sexes ne
repose pas sur une hiérarchie, mais sur une complémentarité. Elle dit explicitement que la
femme est aussi nécessaire à l’homme que l’homme est nécessaire à la femme. Les mots qu’elle
emploie insistent sur cette idée de complémentarité : « nécessaire », « union », mais aussi les
pronoms réfléchis réciproques (« les uns aux autres »). C’est une manière pour elle de montrer
que l’égalité entre les hommes et les femmes est naturelle.
Deuxième argument qu’elle conteste : les hommes sont supérieurs aux femmes.
 Elle commence par reprendre la phrase de Molière, mais sans la contextualiser (dans l’Ecole des
Femmes, c’est Arnolphe qui prononce cette phrase ; or il est constamment ridiculisé par Molière
à cause de ses idées rétrogrades sur l’éducation des filles). Cela lui permet en tout cas de
montrer sa culture et de préparer son offensive suivante en faveur de l’intelligence des femmes.
 Elle tourne cette idée de la supériorité masculine en ridicule, en disant qu’elle ne leur vient que
de leur force physique : lignes 44 à 45.
Troisième argument qu’elle conteste : les hommes sont plus intelligents que les femmes, donc davantage
capables de gouverner.
La maréchale détruit cet argument en citant un exemple concret et récent, celui d’une princesse allemande. La
multiplication des activités citées, dans des domaines variés (mécénat, éducation, charité…) montre que cette
femme exerce un pouvoir politique sensé et ferme.

III/ Une habile oratrice qui recourt à la force persuasive du langage :

a) Une femme impliquée, qui cherche à impliquer son interlocuteur :


La maréchale est très impliquée dans ce qu’elle dit, très passionnée :
Emploi de nombreux modalisateurs qui manifestent son implication dans la conversation.
- Nombreuses marques de première personne pour montrer que la question la touche de près et
qu’elle lui tient à cœur.
- De nombreux termes traduisent ce qu’elle pense et ressent.
Elle cherche à impliquer son interlocuteur, à faire qu’il se sente concerné par cette question :
- La formule « s’il vous plait » (ligne 30) n’est pas une formule de politesse, mais une invitation à
l’abbé pour qu’il confirme ses propos.
- Abondance de questions rhétoriques qui imposent son opinion comme une vérité.
- Elle utilise des hyperboles pour forcer le jugement de l’abbé et le pousser à compatir au sort
des femmes, comme lorsqu’elle évoque les « très grandes douleurs » de l’accouchement.
- Elle utilise des euphémismes pour éviter de trop choquer l’abbé : « des incommodités » (pour
parler des règles », « je n’ai pas trop gardé ma parole » (pour parler de ses infidélités) : elle
tient donc compte de son interlocuteur.

b) Elle mobilise de nombreux registres différents pour jouer sur les émotions de son interlocuteur :

REGISTRE SATIRIQUE : à propos des hommes (lignes 42 à 45).


Elle les réduit à deux attributs physiques (les poils et les muscles) ce qui les fait apparaît comme des brutes qui
n’ont de supériorité que dans leur force physique. Elle les ridiculise en ne citant aucune de leur qualité et en
insistant sur l’idée qu’ils ne parlent que par « coups de poing bien appliqués » (ligne 45) : son ton est ici ironique
(puisque la seule qualité qu’elle leur reconnaît est de savoir « bien » donner des coups de poing). Toutefois, elle
se laisse aller à un argument un peu bas (on pourrait aller jusqu’à parler d’argument ad hominem) car elle semble
leur reprocher un physique peu gracieux, à travers l’emploi de « vilain » et « rude ».

REGISTRE POLEMIQUE : à propos des couvents et de l’instruction qui y est dispensé aux femmes (lignes 50 à
52).
Elle emploie des termes violents et insultants : « des imbéciles » (pour parle des professeurs).
Elle utilise une antithèse très nette (« nous apprennent ce qu’il faut ignorer et nous laissent ignorer ce qu’il faut
apprendre ») qui met en valeur l’absurdité et l’inutilité de cet enseignement. Elle condamne donc l’instruction qui
est donnée aux femmes et appelle à un nouveau type d’éducation.

REGISTRE LAUDATIF : à propos de la princesse allemande (lignes 46 à 50).


Elle apparaît comme une reine idéale.
- elle est partout à la foi : voir la répétition de « toutes ».
- travailleuse : se lève à cinq heures du matin !
- éduquée et cultivée : « connaissances »
- intelligente : « elle a des lumières ». L’expression est fondamentale, puisqu’elle est une allusion
claire au mouvement des Lumières, qui défend la raison et la réflexion, seules capables de faire
progresser l’humanité.
- Généreuse : souci = « rendre ses sujets heureux » ; elle « répand ses bienfaits ».
- Mécène : elle « encourage les arts ».
La maréchale fait donc le tableau idyllique d’une reine idéale, en n’employant que des termes mélioratifs et en
insistant sur la polyvalence de cette reine capable d’agir parfaitement dans tous les domaines.

Bilan :
Ce texte est à la fois un faux dialogue (puisque seule la maréchale parle vraiment) et un conte philosophique :
l’histoire de la maréchale et sa personnalité servent à réfléchir sur les fondements de l’inégalité entre les
femmes et les hommes et les réflexions de la maréchales remettent en cause cette inégalité. Choderlos de
Laclos et Olympe de Gouges, dans deux essais, à leur tour, défendront les droits des femmes.

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