Vous êtes sur la page 1sur 8

CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

Introduction :

Accroche et contexte

La société de la fin du XVIIIe siècle est partagée entre un héritage « classique » et l’avènement des
idées nouvelles annoncées par les philosophes des Lumières et dont la Révolution sera un

révélateur.

Choderlos de Laclos écrit Les Liaisons dangereuses en 1782. Il s’agit d’un roman épistolaire sans
voix narrative d’une intrigue amoureuse qui se transforme en manipulation machiavélique. Ce roman
invite à réfléchir sur la condition féminine dans la société de cette époque. L’intrigue est conduite
par deux libertins, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, qui se plaisent à se jouer des

usages d’une société qu’ils jugent hypocrite, frileuse et pudibonde. Ils repèrent leurs proies, se
lancent des défis. Le jeu de la séduction se transforme au fil des lettres en duel sans pitié.

Madame de Merteuil dans cette lettre 81 adressée au vicomte de Valmont, réagit vivement,
offensée qu’il ait pu imaginer qu’elle soit faible. Ce dernier l’a mise en garde contre les dangers

d’une liaison avec un autre libertin. Elle évoque dans le début de sa lettre le manque de
discernement des autres femmes « inconsidérées » qui se laissent prendre par la passion. Elle va
prouver au Vicomte qu’elle n’est pas faible dans ce texte argumentatif et explicatif.

Problématique :

En quoi le personnage de Madame de Merteuil ne correspond-il pas aux représentations


traditionnelles des personnages féminins de cette époque ?
CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

Annonce de plan linéaire (découpage en mouvements)

Si Mme de Merteuil diffère des autres femmes (l. 1 à l. 5), c’est qu’elle s’est éduquée à la
dissimulation (l. 6 à l. 18). Elle est ainsi devenue une femme dont les talents égalent ceux des

hommes (l. 19 à l. 28)


CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

1ier mouvement

Tout d’abord, Mme de Merteuil diffère des autres femmes.

Première analyse

Elle méprise ces femmes.

1) Le texte débute par un paragraphe dans lequel la marquise affirme sa différence avec les autres
femmes. Son mépris pour les femmes est marqué au travers de l’emploi péjoratif des
déterminants « ces » ligne 1 et « autres » ligne 3 et également par deux questions rhétoriques
aux lignes 1 et 2.
2) Ces éléments confèrent à la lettre un caractère oratoire : le vicomte, dont la prise en compte
est concrétisée par le pronom « vous » et au-delà de ce destinataire, le lecteur, vont entendre

le discours que Madame de Merteuil fait sur la différence entre elle et les autres femmes.

Deuxième analyse

Elle a sa propre morale alors que les autres agissent par mimétisme.

1) La suite du paragraphe donne à voir le portrait qu’elle fait d’elle même. Elle évoque son mode
de vie intransigeant, comme le montre les noms « règles » et « principes », qu’elle s’impose

par choix et de façon autonome comme le montre l’emploi de la première personne, « je suis
mon ouvrage », « je les ai créés ».
2) Cette morale personnelle a été créée grâce à son intelligence comme le montre l’expression
« le fruit de mes profondes réflexions ».

3) Dans « je suis mon ouvrage », le verbe d’état « suis » véhicule ce que Mme de Merteuil

considère comme sa définition. Le « suis » est enfermé entre deux pronoms à la première
CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

1ier mouvement

personne. Ceci souligne le fait qu’elle se suffit à elle-même. Ce qu’elle est, c’est ce qu’elle a fait.

Troisième analyse

Elle est active alors que les autres femmes sont passives.

1) Madame de Merteuil brosse le portrait des autres femmes dont la passivité est soulignée,
elles suivent les principes « reçus » et non pas « créés » comme elle, elles les suivent «
sans examen », façon de faire qui s’oppose à la « profonde réflexion » de la Marquise.
2) Leur manque de discernement les pousse à agir « par habitude » alors que la marquise agit
par choix.
3) Dès le début du texte le personnage central de Les Liaisons Dangereuses apparaît comme

une femme intelligente et maître de son destin en opposition avec les modèles féminins
présents dans la société de l’époque.

Transition

Le passage du présent à la ligne 5 à l’imparfait à la ligne 6 marque une transition. Après avoir

exposé ce qu’elle est, elle déroule son histoire pour dire comment elle s’est faite.
CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

2ième mouvement

Dans une société où les femmes sont spectatrices, elle a appris à la dissimuler.

Première analyse

Les filles sont éduquées à la passivité.

1) Le second paragraphe donne au lecteur des informations sur la condition des femmes et des
jeunes filles à cette époque et dans ce milieu, dans cette société de la fin du XVIIIᵉ siècle.
Cette condition est désignée par les termes « fille » et « état ».
2) La passivité de la condition de jeune fille est soulignée, par la voix passive du verbe « vouer »,
« j’étais vouée ».
3) Cette passivité s’observe également dans la tournure grammaticale des propositions

suivantes dans lesquelles Madame de Merteuil est complément des verbes croire dans « on
me croyait », tenir dans « on s’empressait de me tenir » et cacher dans « on cherchait à me
cacher. ».

4) De plus, l’emploi du pronom personnel indéfini « on » montre que de nombreuses personnes


ont cherché à influencer Madame de Merteuil. Ainsi, le lecteur peut comprendre que c’est

une norme dans cette société que d’éduquer les filles en leur imposant des principes, « les
discours qu’on s’empressait de me tenir » et en les contraignant, dès le plus jeune âge, à un
mode de vie dans lequel la volonté est anéantie par le « silence » imposé et « l’inaction »
CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

2ième mouvement

Deuxième analyse

Mais elle, est intelligente

1) Dans ce discours explicatif et argumentatif, en réaction à cet abêtissement, comme le montre


le connecteur « tandis que », la Marquise de Merteuil rend compte de son intelligence au
travers de termes désignant l’activité intellectuelle tels que « observer et réfléchir », «
recueillais avec soin » « utile curiosité » « apprit » « instruire ».
2) Son intelligence va consister à apprendre à dissimuler tous ses états d’âmes, « dissimuler »,

« cacher » ligne 10, « prendre l’air de » ligne 14 et « réprimer » ligne 16.

Troisième analyse

Elle est aussi très volontaire

1) Sa capacité à dissimuler est obtenue par une volonté inflexible au prix d’importants efforts qui
lui permettent de modeler son apparence comme le montrent tous les verbes de volonté et
d’efforts tels que « obtenir », « tâcher de », « j’ai porté le zèle » et le verbe « je me suis
travaillé ».
2) Ces traits de personnalité conduisent ce personnage à mentir et à tromper, ce qui est à

l’époque aussi moralement condamnable. Cependant, le personnage est fier de sa qualité

puisqu’elle la qualifie de « puissance » à la ligne 17 et qu’elle explique à deux reprises au


Vicomte qu’elle l’a manipulé lui aussi, « que depuis vous avez loué si souvent. » ligne 13 et «

dont je vous ai vu quelquefois si étonné. » ligne 18.


CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

3ième mouvement

Elle est l’égale des hommes.

Première analyse

Elle est assurée et dominatrice

1) Ces deux derniers paragraphes opposent la fragilité apparente de cette jeune fille comme le
montrent les expressions « bien jeune », « sans intérêt », « je n’avais à moi que ma pensée
», « ne plus me laisser pénétrer » et la puissante assurance qu’elle possède en réalité comme
le souligne l’expression « sûre de mes gestes ».
2) Cette dernière apparaît comme un personnage qui domine les autres en les manipulant comme
le montre la métaphore guerrière « munie de mes premières armes ».

Deuxième analyse

C’est une femme de pouvoir

1) La fin du paragraphe met en valeur son pouvoir au moment de l’écriture de la lettre au travers

de la proposition coordonnée « et je ne me trouvais encore qu’aux premiers éléments de la


science que je voulais acquérir. » On peut imaginer que la femme plus âgée et plus

expérimentée qu’elle est devenue est également plus puissante.


2) Dans ce texte, l’auteur établit un parallèle entre le talent de manipulation de Madame de
Merteuil et celui des « politiques » qui sont des hommes et expérimentés. Par-delà la mise
en valeur du personnage de Madame de Merteuil qui est à ce moment-là une femme avec
moins d’expérience, on peut également déceler une critique « de la plus grande partie » des
hommes politiques qui usent du mensonge pour parvenir à leur fin à cette époque.
CHODERLOS DE LACLOS – LES LIAISONS DANGEREUSES – 1782

LETTRE 81

Conclusion

Bilan

Le personnage de la Marquise de Merteuil ne correspond pas aux représentations traditionnelles

des personnages féminins de cette époque car elle fait l’apologie immorale du mensonge et de la

dissimulation, elle insiste sur le rôle important que joue l’intelligence dans l’éducation d’une femme,
elle se présente comme un personnage insoumis et tout-puissant qui se joue des contraintes
sociales.

Ouverture

Cet extrait, qui met en scène le personnage de la Marquise de Merteuil, appartient bien à la

thématique « Individu, morale et société ».

Le personnage de Mme de Merteuil s’inscrit dans la lignée des femmes libertines du 18ième siècle

comme Ninon de Lenclos.

Vous aimerez peut-être aussi