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Explication linéaire n°7

Eléments de correction
Eléments d’introduction
• En 1788, Olympe de Gouges adhère à la Société des amis des Noirs, + la pièce Zamore et Mirza ou
l’Esclavage des Noirs (1784, pièce décrivant les conséquences de l’esclavage vues par deux
esclaves durant la colonisation, corrigée en 1789 pour la rendre plus consensuelle). 1791,
Publication de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

• « Forme du Contrat social de l’Homme et de la Femme » est le dernier texte recueilli dans la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Il s’agit, d’abord, d’un document juridique
(fixant les termes équitables de l’union entre un homme et une femme), qui est suivi d’un essai
dans lequel Olympe de Gouges condense son argumentation en faveur des femmes. Après avoir
incité les femmes à la lutte, Olympe de Gouges affirme avec force sa thèse en faveur de l’égalité,
rendue possible par la participation conjointe des deux sexes au fonctionnement de la société.

• Dans les lignes qui précèdent le passage qui nous intéresse, elle élargit sa réflexion par une
comparaison de la situation des femmes à celle des esclaves, révélatrice du statut des femmes.

• Elle s’attache ensuite à la situation des esclaves des colonies françaises, dans une volonté de
défendre la cause de tous les opprimés.
Eléments d’introduction (bis)
• Problématique : Comment, à travers son plaidoyer, Olympe de Gouges
démontre-t-elle que l’abolition de l’esclavage est une nécessité ?
• Mouvements:
• I - Dénonciation du système colonial (lignes 1 à 6)
• II - Le blâme des colons (lignes 6 à 12)
• III - L’esclavage : une menace (Lignes 12 à 14)
• IV - l'éloge de la loi (lignes 14 à 23)
Remarques essentielles pour le premier mouvement
• La formule qui introduit le sujet, « Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que
cause, dit-on, le décret en faveur des hommes de couleur dans nos îles », associe les revendications
d’égalité entre femmes et hommes à une même réalité contemporaine, celle de l’esclavage. Olympe de
Gouges ne veut pas oublier ce combat, alors qu’il n’est pas le sujet de son recueil. Elle insiste sur son
engagement dans un débat capital et d’actualité, en se plaçant d’emblée du côté des opprimés ; c’est un
devoir pour elle.

• Elle fait référence à la situation historique qui a suivi le refus d’accorder des droits aux esclaves, un
double massacre à Saint-Domingue (île qui était la plus grande colonie française des Caraïbes, de nos
jours 2 états Haïti et la République Dominicaine). Trois cent cinquante mulâtres (= personne née d’un
parent blanc et d’un parent noir) mènent une révolte dans la nuit du 28 au 29 octobre 1790, réprimée
dans le sang par l’armée et la Garde Nationale. Cela oblige la Constituante en mai 1791 à se prononcer
plus clairement sur les droits des noirs ; finalement accord pour affranchir ceux nés de père et mère libres
(évoqués ligne 11)… à peine 5% d’entre eux. Ainsi ce qui est considéré alors comme un « décret en faveur
des hommes de couleur » ne peut satisfaire ni les noirs des colonies, ni les propriétaires puisque cela
contrevient déjà à leurs privilèges de blancs. (Les troubles sont incessants, et s’étendent en Martinique,
en Guadeloupe et même à La Réunion...)
Petite parenthèse informative
• Pour en savoir plus sur le statut des Noirs du XVIe au XIXe siècles (car tous ne sont pas esclaves), je vous
invite à lire la page du podcast « Être noir en France avant l’abolition de l’esclavage » (et à écouter le
podcast, évidemment !)
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/etre-noir-en-france-avant-l-aboli
tion-de-l-esclavage-4555232

• Vous pouvez aussi faire la connaissance de Jean-Baptiste Belley, député (Noir !) de Saint-Domingue à la
Convention :
https://histoire-image.org/fr/etudes/jean-baptiste-belley-depute-saint-domingue-convention

• Parmi les députés révolutionnaires, Benoît-Louis Gouly était considéré comme un esclavagiste camouflé. Il
devait y en avoir d’autres, mais étonnamment, la lumière n’a pas vraiment été faite sur cet aspect difficile
à assumer de notre Histoire !

• Pour en savoir plus sur les « mulâtres », vous pouvez consulter les pages Wikipédia « Mulâtre » et « Gens
de couleur libres » qui sont assez bien faites ! Ceux-ci pouvaient devenir propriétaires… et même posséder
des esclaves !
Remarques essentielles pour le premier mouvement (bis)
• Olympe de Gouges entre dans le vif du sujet, la dénonciation du traitement fait aux esclaves à
l’aide d’une triple anaphore, qui s’ouvre sur une personnification de la nature : « C’est là où la
nature frémit d’horreur ; c’est là où la raison et l’humanité, n’ont pas encore touché les âmes
endurcies ; c’est là surtout où la division et la discorde agitent leurs habitants. » La répétition
signe l’indignation d’Olympe de Gouges. C’est un plaidoyer sur le mode pathétique au nom de
la fraternité entre tous les hommes. Le vocabulaire renvoie aux Lumières et au concept de la
nature, qui inspirent la Révolution. Ainsi elle présente les colonies (avec la périphrase « îles »)
comme un lieu où ne sont pas appliqués ses principes, d’où son accusation plus loin «
méconnaissant les droits de la nature » (lignes 7-8).

• Puis, elle évoque comme une évidence, sur un ton polémique, les véritables responsables des
« troubles », qu’elle ne nommera que dans la phrase suivante (ligne 6) : non les esclaves mais
leurs maîtres, les colons et ceux qui les soutiennent. Elle dénonce ainsi la corruption de certains
députés, voire des intérêts financiers qui seraient placés avant la cause révolutionnaire. « Il n’est
pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires : il y en a dans
le sein même de l’Assemblée Nationale » (l. 5 à 6)
Remarques essentielles pour le premier mouvement (ter)
• L’article Ier de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a
supprimé de fait l’esclavage en proclamant la liberté et l’égalité de droits de
« tout homme ». Mais les propriétaires dans les colonies ne l’entendent pas
ainsi, et ils ont, pour des raisons économiques, leurs soutiens dans la vie
politique française. La suite de la phrase : « ils allument en Europe le feu qui
doit embraser l’Amérique. » (l. 6) dénonce leurs actes à travers une
hyperbole.
• La métaphore filée de l’incendie lui permet d’introduire une vision
chaotique, celle d’une situation hors de contrôle. C’est un moyen de
dénoncer les agissements des esclavagistes et du danger encouru pour
tous. Mais en même temps, elle ne nomme pas directement les
responsables.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement
• Elle les désigne alors ouvertement « Les colons » (ligne 6) : il s’agit des propriétaires terriens qui
exploitent les esclaves dans les colonies.

• Ils sont violemment dénoncés, à la fois par le verbe, qui détruit par avance leurs protestations, et
par le lexique, qui fait écho à la dénonciation par les révolutionnaires de la monarchie absolue : «
Les Colons prétendent régner en despotes sur des hommes » « méconnaissant les droits de la
nature ». Leurs agissements sont contraires aux principes mêmes de la Révolution, ce qui en fait
de mauvais révolutionnaires, des coupables.

• Olympe de Gouges les dépeint alors comme des barbares, les qualifiant dans la phrase suivante
d’« inhumains » (ligne 9). Puis elle souligne leur injustice par le discours direct qu’elle leur prête :
« notre sang circule dans leurs veines, mais nous le répandrons tout [entier], s’il le faut, pour
assouvir notre cupidité, ou notre aveugle ambition. » C’est un discours fictif, bien évidemment,
sans quoi ils reconnaîtraient ainsi leur culpabilité, blâmant eux-mêmes, par ce lexique péjoratif,
leur inhumanité et leurs massacres guidés par leurs intérêts financiers et leur désir
d’enrichissement.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement (bis)
• Ces attaques ad hominem (= qui vise personnellement l’adversaire) s’appuient sur un blâme moral
qu’expriment les termes péjoratifs tels que « inhumains », « âmes endurcies », « notre cupidité »,
« notre aveugle ambition ».
• Pour renforcer ce blâme, elle choisit le champ lexical de la famille, « des hommes dont ils sont les
pères et les frères », « le père méconnaît le fils ; sourd aux liens du sang », en s’indignant : « il en
étouffe tous les charmes ». Leur comportement, qui nie cette « nature » commune à tous les êtres
créés est une aberration pour elle, d’autant plus inadmissible qu’il a lieu dans « ces lieux les plus près
de la nature », les terres coloniales, encore sauvages au sens premier et positif du terme : où la vie est
proche de la nature, corrompue par les hommes (blancs implicitement) qui y ont introduit les méfaits
de la civilisation qui n’est pas baignée par la raison.
• On notera dans ce mouvement le vocabulaire du crime associé aux actions des colons : « horreur »,
« âmes endurcies », « embraser », « étouffe », « violence », qui participe à l’indignation de l’autrice
dans le constat qu’elle établit. Elle passe sous silence le soulèvement des esclaves car il est légitime,
puisqu’ils revendiquent l’application des droits naturels : la liberté et l’égalité.
• Notons toutefois qu’elle dénonce, mais ne réclame pas ouvertement l’abolition.
Remarques essentielles pour le troisième mouvement
• Pour convaincre de la nécessité de l’abolition de l’esclavage, qu’elle expose implicitement, elle
avance l’argument de la menace qu’il représente. Cet argument est introduit par une question
rhétorique qui fait une allusion directe à la révolte de Saint-Domingue : « que peut-on espérer de
la résistance qu’on lui oppose ? » Elle fait ainsi appel à la raison de ses destinataires pour qu’ils
remettent en cause de façon générale l’usage de la violence et donc celui de l’esclavage.

• L’alternative (qui est la position des colons) qu’elle pose est très habile : « la contraindre avec
violence, c’est la rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c’est acheminer toutes les
calamités vers l’Amérique. » Elle met en avant l’intérêt ultime des colons blancs, en proposant une
nouvelle vision apocalyptique. On notera le parallélisme de la construction qui souligne la
nécessité de supprimer l’esclavage, comme une évidence, pour éviter un malheur et donc une
perte de richesse !

• Maintenir à tout prix l’esclavage constitue donc un double risque, « terrible », car il ne peut
qu’entraîner le massacre des colons eux-mêmes, par vengeance, ou bien déchaîner, sur ces terres
lointaines, « toutes les calamités », une répression sanglante (et contreproductive) que la
révolution a voulu faire cesser en France, mais qu’elle juge alors inévitables.
Remarques essentielles pour le quatrième mouvement
• Les principes revendiqués (Lignes 14 à 19)

• Pour terminer sa démonstration, Olympe de Gouges fait l’éloge de la loi (révolutionnaire, inspirée par la nature et la raison).
Elle en affirme le juste pouvoir dans l’exercice de la liberté. Elle mentionne d’abord le premier droit de l’homme, « Une main
divine semble répandre partout l’apanage de l’homme, la liberté », dont elle fait une caractéristique humaine et un privilège
absolu, relevant de « l’Être suprême », le créateur de toute chose, représentant à la fois l’ordre naturel et la raison. Posé dans
le premier article de la Déclaration de 1789, c’est un argument d’autorité, il prend donc force de loi, il n’est pas discutable.

• Immédiatement elle l’explique, en insistant sur le deuxième principe révolutionnaire, l’égalité : « la loi seule a le droit de
réprimer cette liberté, si elle dégénère en licence ; mais elle doit être égale pour tous, c’est elle surtout qui doit renfermer
l’Assemblée Nationale dans son décret, dicté par la prudence et par la justice. » (Elle fait directement référence à l’article 4,
contrepoint à l’article 1er : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de
chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. »)

• Elle réaffirme son attachement à la Révolution, et se pose même en porte-parole, qui rappellerait sa loi. Elle formule ensuite
un souhait, exprimé par une exclamation renforcée (subjonctif + inversion du sujet : « Puisse-t-elle agir de même pour l’État
de la France, et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle l’a été sur les anciens qui deviennent chaque jour
plus effroyables ! » ) Elle élargit le rôle de la loi à la situation en France à l’époque de l’écriture. Elle invite ainsi les
législateurs à une vigilance accrue car les résistances à la révolution persistent, avec de nombreux troubles en province et
des agitations à l’étranger.
Remarques essentielles pour le quatrième mouvement (bis)
• L'équilibre des pouvoirs (Lignes 19 à 23)

• Elle pose enfin une volonté, qui peut sembler audacieuse alors même que la fuite de la famille royale a été
arrêtée à Varennes, ce qui installe l’idée que seule une république peut pérenniser la révolution : « Mon
opinion serait encore de raccommoder le pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif, car il me semble que l’un
est tout, et que l’autre n’est rien ; d’où naîtra, malheureusement peut-être, la perte de l’Empire Français. »
Elle réclame, avec courage, une monarchie constitutionnelle. Elle prévoit, en fait, le risque d’une abolition
de la monarchie, qui entrainerait une guerre des monarchies extérieures coalisées contre la France.
Cet ultime souhait d’équilibre des pouvoirs, revient en clausule : « Je considère ces deux pouvoirs, comme
l’homme et la femme qui doivent être unis, mais égaux en force et en vertu, pour faire un bon ménage. » Le
passage se clôt par une comparaison (entre les droits des femmes et des esclaves) habile qui lui permet
d’englober les deux luttes dans une vision optimiste et triviale (la métaphore finale renvoie à la tranquillité de
la vie familiale, autour d’un foyer) d’une grande simplicité et donc efficace.

• Elle vient de démontrer que seule l’égalité des droits permet l’entente, nécessaire à toute existence apaisée
par une image calme et paisible très évocatrice.

• Sans même l’avoir formulée, elle a démontré la nécessité de l’abolition de l’esclavage, comme de toute
exclusion, afin de maintenir les avancées de la Révolution = un monde de partage et non pas d’exclusion.
Eléments de conclusion
• [Bilan] Ce passage de « Forme du contrat social de l’homme et de la femme » offre un
double intérêt : d’une part, il montre que, pour Olympe de Gouges, la situation de la
femme, privée de liberté et de droits par les hommes, est semblable à celle des
esclaves dans les colonies. Or, pour les unes comme pour les autres, les révolutionnaires
tardent à corriger cette injustice. D’autre part, il inscrit cette écrivaine dans les combats
du siècle des Lumières, notamment celui en faveur de l’abolition de l’esclavage
(Voltaire, Condorcet), en recourant, comme les philosophes, à une argumentation qui
s’appuie à la fois sur la raison, universellement partagée, et sur l’idée de « nature ».

• [Ouverture] Rappelons cependant qu’elle fait figure, parmi les révolutionnaires, de


"modérée", puisqu’elle ne réclame pas la fin de la monarchie. C’est d’ailleurs son
manifeste, Les Trois Urnes, affiché le 20 juillet 1793, dans lequel elle propose « le retour à
une monarchie constitutionnelle », qui lui vaudra d’être guillotinée le 3 nov. 1793.

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