Vous êtes sur la page 1sur 12

Descriptif pour l’oral blanc de français mai 2024- 1Gen3

Objet d’étude n°1. La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle


Etude d’une œuvre intégrale : Olympe de Gouges, La Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne, 1791
EL1. « Discours sur le colonialisme », Aimé Césaire
EL2. « Préambule »
EL3. « Postambule », du début jusqu’à « vous n’avez qu’à le vouloir »
EL4. « Contrat Social » de « Il était bien nécessaire » jusqu’à « chaque jour plus effroyables »

Lectures cursives : Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal – Guerre aux hommes, Olympe Audouard –
Jour de courage, Brigitte Giraud

Objet d’étude n°2. Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle


Etude d’une œuvre intégrale : Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737
EL5. Acte I, scène 14 : de « Il vous adore » à « vous aviez tout expédié »
EL6. Acte II, scène 10 : de « C’est par pure colère » à « Retirez-vous tous deux »
EL7. Acte III, scène 12 : de « Vous donner mon portrait ! » à « on doit lui pardonner, lorsqu’il a réussi »
EL8. Victor Hugo, Ruy Blas, Acte I scène 4, de « Ecrivez » à « De m’obéir en tout ».

Lectures cursives : Le Voyage de Monsieur Perrichon, Eugène Labiche – La Nuit des Rois, William
Shakespeare

Objet d’étude n°3. Le roman et le récit du Moyen-Age au XXIe siècle


Etude d’une œuvre intégrale : Colette, Sido (1930) et Les Vrilles de la Vigne (1908)
EL9. Nathalie Sarraute, « La recherche du mot juste »
EL10. « Toby-Chien parle », de « Elles ont menti » à « Tu n’auras pas de pâtée, ce soir ! »
EL11. Sido, « La petite meurtrière », de « Tu m’entends bien ? » à « Celle-là m’était d’ailleurs assez
dure ».

Lectures cursives : Novecento, Alessandro Baricco – Neige, Maxence Fermine – Un si petit oiseau, Marie
Pavlenko – Bitna, sous le ciel de Séoul, JMG Le Clézio

 Points de grammaire abordés : analyse de la phrase complexe (juxtaposition- coordination-


subordination et les différentes subordinations), l’interrogation, la négation.
Explication linéaire n° 1

Extrait du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire

Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face


à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et,
en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de
fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes
5 nécessaires à la bonne marche des affaires.

J’ai parlé de contact.

Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la


pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance,
la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

10 Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui


transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote
et l’homme indigène en instrument de production.

À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries,


15 de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions


minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques
anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux,
20 de chemins de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle
de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je
parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur
vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire, 1950


Explication linéaire n° 2

Préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être
constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris
des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption
des gouvernements, [elles] ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les
5 droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration
constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse
leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir
des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution
politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées
10 désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de
la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les


souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être
Suprême, les droits suivants de la femme et de la citoyenne.

« Préambule », DDFC, Olympe de Gouges, 1791


Explication linéaire n°3

Postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ;


reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés,
de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous
les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu
5 besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste
envers sa compagne. Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels
sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué,
un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la
faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction
10 des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages
décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot
du législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos législateurs français,
correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui
n’est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et
15 nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre
cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la
force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les
étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez
bientôt ces orgueilleux, nos serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de
20 partager avec vous les trésors de l’Être-Suprême. Quelles que soient les barrières que
l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

« Postambule », DDFC, Olympe de Gouges, 1791


Explication linéaire n°4

Extrait du Contrat social de l’homme et de la femme

Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-
on, le décret en faveur des hommes de couleur, dans nos îles. C’est là où la nature frémit
d’horreur ; c’est là où la raison et l’humanité, n’ont pas encore touché les âmes endurcies :
c’est là surtout où la division et la discorde agitent leurs habitants. Il n’est pas difficile de
5 deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires : il y en a dans le sein même
de l’Assemblée nationale ; ils allument en Europe le feu qui doit embraser l’Amérique.
Les colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les
frères ; et méconnaissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source jusque dans
la plus petite teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans
10 leurs veines, mais nous le répandrons tout [entier], s’il le faut, pour assouvir notre
cupidité, ou notre aveugle ambition. C’est dans ces lieux les plus près de la nature, que
le père méconnaît le fils ; sourd aux cris du sang, il en étouffe tous les charmes ; que
peut-on espérer de la résistance qu’on lui oppose ? la contraindre avec violence, c’est la
rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c’est acheminer toutes les calamités vers
15 l’Amérique. Une main divine semble répandre partout l’apanage de l’homme, la liberté ;
la loi seule a le droit de réprimer cette liberté, si elle dégénère en licence ; mais elle doit
être égale pour tous, c’est elle surtout qui doit renfermer l’Assemblée nationale dans son
décret, dicté par la prudence et par la justice. Puisse-t-elle agir de même pour l’Etat de
la France, et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle l’a été sur les
20 anciens qui deviennent chaque jour plus effroyables !

« Contrat social de l’homme et de la femme», DDFC, Olympe de Gouges, 1791


Explication linéaire n° 5
Acte I, scène 14 : Araminte, Dubois

Dubois. Il vous adore ; il y a six mois qu’il n’en vit point, qu’il donnerait sa vie pour avoir
le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu’il a l’air enchanté, quand il
vous parle.
Araminte. Il y a bien, en effet, quelque petite chose qui m’a paru extraordinaire. Eh !
5 Juste ciel ! Le pauvre garçon, de quoi s’avise-t-il ?
Dubois. Vous ne croiriez pas jusqu’où va sa démence ; elle le ruine, elle lui coupe la
gorge. Il est bien fait, d’une figure passable, bien élevé et de bonne famille ; mais il n’est
pas riche ; et vous saurez qu’il n’a tenu qu’à lui d’épouser des femmes qui l’étaient, et de
fort aimables, ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune et qui auraient mérité qu’on la
10 leur fît à elles-mêmes. Il y en a une qui n’en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous
les jours ; je le sais, car je l’ai rencontrée.
Araminte, avec négligence. Actuellement ?
Dubois. Oui, Madame, actuellement, une grande brune très piquante, et qu’il fuit. Il n’y a
pas moyen ; Monsieur refuse tout. Je les tromperais, me disait-il ; je ne puis les aimer,
15 mon cœur est parti ; ce qu’il disait quelquefois la larme à l’œil ; car il sent bien son tort.
Araminte. Cela est fâcheux. Mais, où m’a-t-il vue, avant que de venir chez moi, Dubois ?
Dubois. Hélas ! Madame, ce fut un jour que vous sortîtes de l’Opéra, qu’il perdit la
raison ; c’était un vendredi, je m’en ressouviens ; oui, un vendredi, il vous vit descendre
l’escalier, à ce qu’il me raconta, et vous suivit jusqu’à votre carrosse ; il vous avait
20 demandé votre nom, et je le trouvai qui était comme extasié, il ne remuait plus.
Araminte. Quelle aventure !
Dubois. J’eus beau lui crier : Monsieur ! Point de nouvelles, il n’y avait plus personne au
logis. A la fin, pourtant, il revint à lui avec un air égaré. Je le jetai dans une voiture, et
nous retournâmes à la maison. J’espérais que cela se passerait, car je l’aimais. C’est le
25 meilleur maître ! Point du tout, il n’y avait plus de ressource. Ce bon sens, cet esprit
jovial, cette humeur chantante ; vous aviez tout expédié.

Marivaux, Les Fausses Confidences, I, 14, 1737


Explication linéaire n° 6
Acte II, scène 10
Araminte, Le Comte, Madame Argante, Marton, Dubois, Arlequin
Dubois
C'est par pure colère que j'ai fait cette menace, Madame ; et voici la cause de la dispute.
En arrangeant l'appartement de Monsieur Dorante, j'ai vu par hasard un tableau où
Madame est peinte, et j'ai cru qu'il fallait l'ôter, qu'il n'avait que faire là, qu'il n'était point
décent qu'il y restât ; de sorte que j'ai été pour le détacher ; ce butor est venu pour m'en
5 empêcher, et peu s'en est fallu que nous ne nous soyons battus.

Arlequin
Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ôter ce tableau qui est tout à fait gracieux, que mon
maître considérait, il n'y avait qu'un moment, avec toute la satisfaction possible ? Car je
l'avais vu qui l'avait contemplé, de tout son cœur, et il prend fantaisie à ce brutal de le
priver d'une peinture qui réjouit cet honnête homme. Voyez la malice ! Ôte-lui quelque
10 autre meuble, s'il en a trop, mais laisse-lui cette pièce, animal.

Dubois
Et moi, je te dis qu'on ne la laissera point : que je la détacherai moi-même, que tu en
auras le démenti, et que Madame le voudra ainsi.

Araminte
Eh ! que m'importe ? Il était bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux tableau
qu'on a mis là par hasard, et qui y est resté. Laissez-nous. Cela vaut-il la peine qu'on en
15 parle ?

Madame Argante, d'un ton aigre


Vous m'excuserez, ma fille ; ce n'est point là sa place, et il n'y a qu'à l'ôter ; votre intendant
se passera bien de ses contemplations.

Araminte, souriant d'un air railleur


Oh ! vous avez raison. Je ne pense pas qu'il les regrette. (A Arlequin et à Dubois.) Retirez-
vous tous deux.
Marivaux, Les Fausses Confidences, II, 10, 1737
Explication linéaire n° 7
Acte III, scène 12
Dorante et Araminte
Araminte
Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?

Dorante
Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?

Araminte, d'un ton vif et naïf


Et voilà pourtant ce qui m'arrive.

Dorante, se jetant à ses genoux


Je me meurs !

Araminte
5 Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.

Dorante, se lève, et tendrement


Je ne la mérite pas ; cette joie me transporte ; je ne la mérite pas, Madame : vous allez
me l'ôter ; mais, n'importe, il faut que vous soyez instruite.

Araminte, étonnée
Comment ! que voulez-vous dire ?

Dorante
Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie,
10 et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un
domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui par le charme de l'espérance du
plaisir de vous voir, m'a, pour ainsi dire, forcé de consentir à son stratagème : il voulait
me faire valoir auprès de vous. Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon
caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre
15 tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise ; j'aime mieux votre haine que le
remords d'avoir trompé ce que j'adore.

Araminte, le regardant quelque temps sans parler


Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais, sans doute ; mais l'aveu que
vous m'en faites vous-même, dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de
sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du
20 monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour
gagner mon cœur n'est point blâmable : il est permis à un amant de chercher les moyens
de plaire, et on doit lui pardonner, lorsqu'il a réussi.

Marivaux, Les Fausses Confidences, III, 12, 1737


Explication linéaire n° 8
Acte I, scène 4
Ruy Blas, Don Salluste
Don Salluste
[…] Ecrivez.
(Il fait signe à Ruy Blas de s’asseoir à la table où sont les plumes et les écritoires. Ruy
Blas obéit.)
Vous m’allez aujourd’hui servir de secrétaire.
D’abord, un billet doux, — je ne veux rien vous taire, —
Pour ma reine d’amour, pour doña Praxedis1,
5 Ce démon que je crois venu du paradis.
— Là, je dicte. « Un danger terrible est sur ma tête.
Ma reine seule peut conjurer la tempête,
En venant me trouver ce soir dans ma maison.
Sinon, je suis perdu. Ma vie et ma raison
10 Et mon cœur, je mets tout à ses pieds que je baise. »
(Il rit et s’interrompt.)
Un danger ! la tournure, au fait, n’est pas mauvaise
Pour l’attirer chez moi. C’est que j’y suis expert.
Les femmes aiment fort à sauver qui les perd.
— Ajoutez : — « Par la porte au bas de l’avenue,
15 Vous entrerez la nuit sans être reconnue.
Quelqu’un de dévoué vous ouvrira. » — D’honneur2,
C’est parfait. — Ah ! signez.

Ruy Blas.
Votre nom, monseigneur ?

Don Salluste.
Non pas. Signez César. C’est mon nom d’aventure.

Ruy Blas, après avoir obéi.


20 La dame ne pourra connaître3 l’écriture ?

Don Salluste.
Bah ! le cachet4 suffit. J’écris souvent ainsi.
Ruy Blas, je pars ce soir, et je vous laisse ici.
J’ai sur vous les projets d’un ami très sincère.
Votre état va changer, mais il est nécessaire
25 De m’obéir en tout.
Victor Hugo, Ruy Blas, I, 4, 1838

1 Dona Praxedis : personnage fictif ; Don Salluste fait semblant de s’adresser à une maîtresse.
2 D’honneur : ma parole.
3 connaître : reconnaître.
4 Cachet : morceau de cire qu’on appose pour fermer une lettre et qui porte la marque distinctive de son auteur.
Explication linéaire n° 9

La recherche du mot juste

Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir
ne serait-ce qu'encore quelques instants ce qui m'est arrivé... comme viennent aux petites
bergères les visions célestes... mais ici aucune sainte apparition, pas de pieuse enfant...
J'étais assise, encore au Luxembourg, sur un banc du jardin anglais, entre mon père
5 et la jeune femme qui m'avait fait danser dans la grande chambre claire de la rue Boissonade.
Il y avait, posé sur le banc entre nous ou sur les genoux de l'un d'eux, un gros livre relié... il
me semble que c'étaient les Contes d'Andersen.
Je venais d'en écouter un passage ... je regardais les espaliers en fleurs le long du
petit mur de briques roses, les arbres fleuris, la pelouse d'un vert étincelant jonchée de
10 pâquerettes, de pétales blancs et roses, le ciel, bien sûr, était bleu, et l'air semblait vibrer
légèrement... et à ce moment-là, c'est venu... quelque chose d'unique... qui ne reviendra plus
jamais de cette façon, une sensation d'une telle violence qu'encore maintenant, après tant de
temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient, j'éprouve... mais quoi?
quel mot peut s'en saisir? pas le mot à tout dire « bonheur », qui se présente le premier, non,
15 pas lui... « félicité », « exaltation », sont trop laids, qu'ils n'y touchent pas... et « extase »...
comme devant ce mot ce qui est là se rétracte... « Joie », oui, peut-être... ce petit mot
modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger... mais il n'est pas capable de recueillir
ce qui m'emplit, me déborde, s'épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses, les
espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l'air qui vibre parcouru de
20 tremblements à peine perceptibles, d'ondes... des ondes de vie, de vie tout court, quel autre
mot?... de vie à l'état pur, aucune menace sur elle, aucun mélange, elle atteint tout à coup
l'intensité la plus grande qu'elle puisse jamais atteindre...

Nathalie Sarraute, Enfance, 1983, p.66-67 (éd. Folio Gallimard)


Explication linéaire n°10

Extrait de « Toby-Chien parle »

TOBY-CHIEN : « Elles ont menti, forniqué, cocufié, avec une joie et une fureur de harpie,
autant par haine de moi que pour l’amour de Lui…
Alors… adieu tout ! adieu… presque tout. Je Le leur laisse. Peut-être qu’un jour Il
les verra comme je les vois, avec leurs visages de petites truies gloutonnes. Il s’enfuira
5 effrayé, frémissant, dégouté d’une vie inutile… »
Je haletais autant qu’Elle, ému de sa violence. Elle entendit ma respiration et se
jeta à quatre pattes, sa tête sous le tapis de la table, contre la mienne…
« Oui, inutile ! je maintiens le mot. Ce n’est pas un sale petit bull bringé 5 qui me
fera changer d’avis, encore ! Inutile s’Il n’aime pas assez ou s’Il méconnaît l’amour
10 véritable ! Quoi ?... ma vie aussi est inutile ? Non, Toby-Chien. Moi, j’aime ! J’aime tant
tout ce que j’aime ! Si tu savais comme j’embellis tout ce que j’aime, et quel plaisir je me
donne en aimant ! Si tu pouvais comprendre de quelle force et de quelle défaillance
m’emplit ce que j’aime !... C’est cela que je nomme le frôlement du bonheur. Le frôlement
du bonheur… caresse impalpable qui creuse le long de mon dos un sillon velouté, comme
15 le bout d’une aile creuse l’onde… Frisson mystérieux prêt à se fondre en larmes,
angoisse légère que je cherche et qui m’atteint devant un cher paysage argenté de
brouillard, devant un ciel où fleurit l’aube, sous le bois où l’automne souffle une haleine
mûre et musquée… Tristesse voluptueuse des fins de jour, bondissement sans cause
d’un cœur plus mobile que celui du chevreuil, tu es le frôlement même du bonheur, toi
20 qui gis au sein des heures les plus pleines… et jusqu’au fond du regard de ma sûre
amie…
Tu oserais dire ma vie inutile ?... Tu n’auras pas de pâtée, ce soir ! »

« Toby-Chien parle », Les Vrilles de la Vigne, Colette Willy, 1908

5
tacheté, rayé.
Explication linéaire n°11

La petite meurtrière

- Il n’y a qu’à gratter, pour voir…


Une main preste arrêtait la mienne – que n’a-t-on moulé, peint, ciselé cette main de
« Sido », brunie, tôt gravée de rides par les travaux ménagers, le jardinage, l’eau froide
et le soleil, ses doigts longs bien façonnés en pointe, ses beaux ongles ovales et
5 bombés…

- A aucun prix ! Si c’est la chrysalide, elle mourra au contact de l’air : si c’est le crocus,
la lumière flétrira son petit rejet blanc, -et tout sera à recommencer ! [ Tu m’entends
bien ? Tu n’y toucheras pas ?
- Non, maman…
10 A ce moment, son visage, enflammé de foi, de curiosité universelle, disparaissait sous
un autre visage plus âgé, résigné et doux. Elle savait que je ne résisterais pas, moi non
plus, au désir de savoir, et qu’à son exemple je fouillerais, jusqu’à son secret, la terre du
pot à fleurs. Elle savait que j’étais sa fille, moi qui ne pensais pas à notre ressemblance,
et que déjà je cherchais, enfant, ce choc, ce battement accéléré du cœur, cet arrêt du
15 souffle : la solitaire ivresse du chercheur de trésor. Un trésor, ce n’est pas seulement ce
que couvent la terre, le roc ou la vague. La chimère de l’or et de la gemme n’est qu’un
informe mirage : il importe seulement que je dénude et hisse au jour ce que l’œil humain
n’a pas, avant le mien, touché…

J’allais donc, grattant à la dérobée le jardin d’essai, surprendre la griffe ascendante


20 du cotylédon, le viril surgeon que le printemps chassait de sa gaine. Je contrariais
l’aveugle dessein que poursuit la chrysalide d’un noir-brun bilieux et la précipitais d’une
mort passagère au néant définitif.

- Tu ne comprends pas… Tu ne peux pas comprendre. Tu n’es qu’une petite meurtrière


de huit ans… de dix ans… Tu ne comprends rien encore à ce qui veut vivre.
25 Je ne recevais pas, en paiement de mes méfaits, d’autre punition. Celle-là m’était
d’ailleurs assez dure. ]

Sido, Colette, 1930

Vous aimerez peut-être aussi