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Corpus bac 2024

Objet d’étude : La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de


Gouges, 1791.
Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ».

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791.


Texte bac n°1 : Début du Préambule jusqu’à « …les droits suivants de la Femme et de la Citoyenne. »
Texte bac n°2 : Début du Postambule, « Femme, réveille-toi….vous n’avez qu’à le vouloir ».
Texte bac n°3 : Candide, « L’esclave de Surinam », Voltaire, 1759.
Texte bac n°4 : Le Supplément au voyage de Bougainville, « Le discours du vieillard », Denis Diderot, 1771.

Objet d’étude : Manon Lescaut, L’Abbé Prévost, 1731.


Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque ».

Texte bac n°5 : La rencontre entre Manon et des Grieux


Texte bac n°6 : L’évasion de Saint Lazarre.
Texte bac n°7 : La Mort de Manon.
Texte bac n°8 : « La demande en mariage », L’Etranger, Albert Camus, 1942.

Objet d’étude : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990.


Parcours : « Crise personnelle, crise familiale ».

Texte bac n°9 : Prologue.


Texte bac n°10 : « Les lettres elliptiques », sc 3/I, « Parfois tu nous envoyais des lettres…C’est pour les
autres ».
Texte bac n°11 : Le repas dominical, Scène 9/I.
Texte bac n°12 : Phèdre, Jean Racine, Scène 5/II.
Objet d’étude : La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de
Gouges, 1791.
Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ».

Texte bac n°1 : Préambule.


Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d'être constituées en Assemblée
nationale.
Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des
malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration
solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment
présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que
les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant
comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des
citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien
de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles,
reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les Droits suivants de la Femme et
de la Citoyenne.
Objet d’étude : La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de
Gouges, 1791.
Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ».

Texte bac n°2 : Début du Postambule jusqu’à « qu’à le vouloir ».


Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant
empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau
de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu
besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô
femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous recueillis dans la
révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur
la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de
l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à redouter
pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs
français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de
saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S'ils
s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez
courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la
philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles
adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. Quelles que soient
les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir.
Objet d’étude : La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de
Gouges, 1791.
Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ».

Texte bac n°3 : Candide, Voltaire, « L’esclave de Surinam ».

En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-
à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
"Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ?

- J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.

- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?

- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année.
Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous
voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez
du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait :
"Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave
de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur
fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que
nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants
d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins
issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.

- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à
ton optimisme.

- Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo.

- Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal." Et il versait des larmes en
regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam.
Objet d’étude : La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de
Gouges, 1791.
Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ».

Texte bac n°4 : Le Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot, 1771 : « Le


discours du vieillard ».

Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton
vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre
bonheur.
Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à
tous et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous
sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs
inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont
commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang.
Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni
un dieu, ni un démon, qui es-tu donc pour faire des esclaves ? Orou ! Toi qui entends la langue de ces
hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal :
« Ce pays est à nous ». Ce pays est à toi ! Et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien
débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres.
Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ?
Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es
vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée !
Objet d’étude : Manon Lescaut, L’Abbé Prévost, 1731.
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque ».

Texte bac n°5 : La rencontre entre Manon Lescaut et des Grieux.

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j'aurais porté chez
mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec
mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces
voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent
aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui
paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante
que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je,
dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport.
J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse,
je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur.
Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce
qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y
était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était
dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui
lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait
au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous
ses malheurs et les miens.
Objet d’étude : Manon Lescaut, L’Abbé Prévost, 1731.
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque ».

Texte bac n°6 : L’évasion de Saint-Lazare.

Ce compliment devait le surprendre. Il demeura quelque temps à me considérer sans me répondre. Comme je n’en
avais pas à perdre, je repris la parole pour lui dire que j’étais touché de toutes ses bontés, mais que la liberté étant le
plus cher de tous les biens, surtout pour moi à qui on la ravissait si injustement, j’étais résolu de me la procurer cette
nuit même, à quelque prix que ce fût ; et, de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler du secours, je lui
fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sous mon justaucorps. « Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils,
vous voulez m’ôter la vie pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? — À Dieu ne plaise ! lui répondis-
je ; vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité ; mais je veux être libre, et j’y suis si
résolu, que si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous absolument. — Mais, mon cher fils, reprit-il d’un
air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ? — Eh ! non, répliquai-je avec
impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer, si vous voulez vivre. Ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos
amis. » J’aperçus les clefs qui étaient sur la table ; je les pris, et je le priai de me suivre en faisant le moins de bruit
qu’il pourrait.
Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il me répétait avec un soupir :
« Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait cru ? Point de bruit, mon Père, répétais-je de mon côté à tout moment. Enfin nous
arrivâmes à une espèce de barrière qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j’étais derrière
le Père, tenant ma chandelle d’une main et mon pistolet de l’autre.
Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir, un domestique qui couchait dans une chambre voisine, entendant le bruit de
quelques verrous, se lève et met la tête à sa porte. Le bon père le crut apparemment capable de m’arrêter. Il lui
ordonna avec beaucoup d’imprudence de venir à son secours. C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi sans
balancer. Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. « Voilà de quoi vous êtes cause,
mon père, dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche point d’achever, » ajoutai-je en le
poussant vers la dernière porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis heureusement, et je trouvai à quatre pas Lescaut
qui m’attendait avec deux amis, suivant sa promesse.
Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer un pistolet. « C’est votre faute, lui dis-je ;
pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? » Cependant je le remerciai d’avoir eu cette précaution, sans laquelle j’étais
sans doute à Saint-Lazare pour longtemps.
Objet d’étude : Manon Lescaut, L’Abbé Prévost, 1731.
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque ».

Texte bac n°7 : La mort de Manon.

Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n'eut jamais d'exemple.
Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble
reculer d'horreur, chaque fois que j'entreprends de l'exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n'osais
pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le point du jour, en touchant
ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce
mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière
heure. Je ne pris d'abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les
tendres consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses
mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait.
N'exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la
perdis ; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous
apprendre de ce fatal et déplorable événement.
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement puni. Il a voulu que
j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.
Objet d’étude : Manon Lescaut, L’Abbé Prévost, 1731.
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque ».

Texte bac n°8 : « La demande en mariage », L’Etranger, Albert Camus, 1942.

Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal
et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais
déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-
t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier.
D'ailleurs, c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était
une chose grave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle
voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché
de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien
savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans
doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais,
n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. J'ai
répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit
qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment
c'était. Je lui ai dit : « C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. »
Objet d’étude : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990.
Parcours : « Crise personnelle, crise familiale ».

Texte bac n°9 : Prologue.

LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après


– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après‚
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui
réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour
annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me
souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas
(trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette
extrémité‚ mon propre maître.
Objet d’étude : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990.
Parcours : « Crise personnelle, crise familiale ».

Texte bac 10 : « Les lettres elliptiques », sc 3/I, « Parfois tu nous envoyais des lettres…C’est pour les
autres ».

« Parfois, tu nous envoyais des lettres,


parfois tu nous envoies des lettres,
ce ne sont pas des lettres, qu’est-ce que c’est ?
de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu’on dit ?
elliptiques.
« Parfois, tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais, lorsque tu es parti
(ce que j’ai pensé lorsque tu es parti),
lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie (là que ça commence),
je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie,
ce que tu souhaitais faire dans la vie,
je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire)
ou que, de toute façon
- et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir, une certaine forme
d’admiration,
c’est le terme exact, une certaine forme d’admiration pour toi à cause de ça -,
ou que, de toute façon,
si tu en avais la nécessité,
si tu en éprouvais la nécessité,
si tu en avais, soudain, l’obligation ou le désir, tu saurais écrire,
te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore,
Mais jamais, nous concernant,
jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c’est une sorte de don, je crois, tu ris)
jamais, nous concernant, tu ne te sers de cette qualité
- c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi-
jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.
Tu ne nous ne donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes.
C’est pour les autres.
Texte bac 11 : Le repas dominical, Scène 9/I.

LA MÈRE – C’est l’après-midi, toujours été ainsi :


Le repas dure plus longtemps,
On n’a rien à faire, on étend ses jambes.

CATHERINE – Vous voulez encore du café ?

SUZANNE – Tu vas le vouvoyez toute la vie, ils vont se vouvoyer toujours ?

ANTOINE – Suzanne, ils font comme ils veulent !

SUZANNE – Mais merde, toi, à la fin !


Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n’est pas à toi que je parle !
Il a fini de s’occuper de moi, comme ça, tout le temps, tu ne vas pas t’occuper de moi tout le temps,
je ne te demande rien,
qu’est-ce que j’ai dit ?

ANTOINE – Comment est-ce que tu me parles ?


Tu me parles comme ça,
jamais je ne t’ai entendue.
Elle veut avoir l’air,
C’est parce que Louis est là, c’est parce que tu es là,
tu es là et elle veut avoir l’air.

SUZANNE – Qu’est-ce que à ça a à voir avec Louis,


qu’est-ce que tu racontes ?
Ce n’est pas parce que Louis est là,
qu’est-ce que tu dis ?
Merde, merde et merde encore !
Compris ? Entendu ? Saisi ?
Et bras d’honneur si nécessaire ! Voilà, bras d’honneur !

LA MÈRE – Suzanne !
Ne la laisse pas partir,
qu’est-ce que c’est que ces histoires ?
Tu devrais la rattraper !

ANTOINE – Elle reviendra.

LOUIS – Oui, je veux bien, un peu de café, je veux bien.

ANTOINE – « Oui, je veux bien, un peu de café, je veux bien. »

CATHERINE – Antoine !

ANTOINE – Quoi ?

LOUIS – Tu te payais ma tête, tu essayais.

ANTOINE – Tous les mêmes, vous êtes tous les mêmes !


Suzanne !

CATHERINE – Antoine ! Où est-ce que tu vas ?

LA MÈRE – Ils reviendront.


Ils reviennent toujours.

Je suis contente, je ne l’ai pas dit, je suis contente que nous soyons tous là, tous réunis.

Où est-ce que tu vas ?


Louis !
Catherine reste seule.
Objet d’étude : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990.
Parcours : « Crise personnelle, crise familiale ».

Texte bac n°12 : Phèdre, Jean Racine, Scène 5, Acte II, 1677.

PHÈDRE
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur : puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.
Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux :
Je le vois, je lui parle ; et mon cœur... je m’égare,
Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare.

HIPPOLYTE
Je vois de votre amour l’effet prodigieux :
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.

PHÈDRE
Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous vois.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage ;
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crête il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crête,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite :
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non : dans ce dessein je l’aurais devancée ;
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, prince, c’est moi, dont l’utile secours
Vous eût du labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante :
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.

HIPPOLYTE
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?

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