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1 Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d’être constituées en
2 Assemblée nationale.
3 Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules
4 causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer
5 dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin
6 que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur
7 rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et
8 ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute
9 institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes,
10 fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien
11 de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
1 Femme, réveille-toi ; Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes
2 droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de
3 superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise
4 et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux
5 tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne.
6 Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que
7 vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé.
8 Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre
9 empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de l’homme. La
1 réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à
0 redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot du Législateur des noces de Cana ?
1 Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps
1 accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent :
1 femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre.
2 S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec
1 leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de
3 supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de
1 votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
4 pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les
1 barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le
5 vouloir.
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1 Article 1 : La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions
2 sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
3 Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
4 imprescriptibles de la Femme et de l’Homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la
5 sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
6 Article 3 : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, qui n’est
7 que la réunion de la femme et de l’homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer
8 d’autorité qui n’en émane expressément.
9 Article 4 : La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi
1 l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que
0 l’homme lui oppose : ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la
1 raison.
1 Article 5 : Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société ;
1 tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne
2 peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
1 Article 6 : La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les Citoyennes et
3 Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle
1 doit être la même pour tous ; toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses
4 yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon
1 leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
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1 En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la
2 moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme
3 la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu
4 là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, monsieur
5 Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit
6 Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un
7 caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries,
8 et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous
9 enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous
10 mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la
11 côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te
12 feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par
13 là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils
14 n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins
15 malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les
16 dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas
17 généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains.
18 Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.
19 - Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra
20 qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo. - Hélas !
21 dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal." Et il versait des
22 larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam.
1 Elle achevait ceci, quand nous fûmes interrompus par l’arrivée d’un aigle qui se vint asseoir
2 entre les rameaux d’un arbre assez proche du mien. Je voulus me lever pour me mettre à
3 genoux devant lui, croyant que ce fût le roi, si ma pie de sa patte ne m’eût contenu en mon
4 assiette. « Pensiez-vous donc, me dit-elle, que ce grand aigle fut notre souverain ? C’est une
5 imagination de vous autres hommes, qui à cause que vous laissez commander aux plus grands,
6 aux plus forts et aux plus cruels de vos compagnons, avez sottement cru, jugeant de toutes
7 choses par vous, que l’aigle nous devait commande.« Mais notre politique est bien autre ; car
8 nous ne choisissons pour notre roi que le plus faible, le plus doux, et le plus pacifique ; encore
9 le changeons nous tous les six mois, et nous le prenons faible, afin que le moindre à qui il
1 aurait fait quelque tort, se pût venger de lui. Nous le choisissons doux, afin qu’il ne haïsse ni
0 ne se fasse haïr de personne, et nous voulons qu’il soit d’une humeur pacifique, pour éviter la
1 guerre, le canal de toutes les injustices.
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1 « Chaque semaine, il tient les États, où tout le monde est reçu à se plaindre de lui. S’il se
2 rencontre seulement trois oiseaux mal satisfaits de son gouvernement, il en est dépossédé, et
l’on procède à une nouvelle élection. « Pendant la journée que durent les États, notre roi est
1 monté au sommet d’un grand if sur le bord d’un étang, les pieds et les ailes liés. Tous les
3 oiseaux l’un après l’autre passent par-devant lui ; et si quelqu’un d’eux le sait coupable du
1 dernier supplice, il le peut jeter à l’eau. Mais il faut que sur-le-champ il justifie la raison qu’il
4 en a eue, autrement il est condamné à la mort triste. ».
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1 J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt!
2 j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter
3 cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le
4 coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions
5 pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il
6 en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé,
7 qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle
8 me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une
9 fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je
10 me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement
11 timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers
12 la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses
13 sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques
14 personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument, qu’elle y était envoyée par ses parents,
15 pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon
16 cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une
17 manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi:
18 c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir,
19 qui s’était déjà déclaré, et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens.
1 En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il
2 ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de
3 sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la
4 pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la
5 voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la
6 place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur
7 l’une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme,
8 Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille
9 mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de
10 lecture lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.
11 Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son
12 livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin,
13 malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre
14 transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ;
15 un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre.
16 Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui
17 l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait :
18 – Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ?
19 Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure.
20 Julien, quoiqu’étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté
21 de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son
22 livre qu’il adorait.
1 Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à
2 ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves.
3 Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où
4 ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du
5 haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des
6 ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les
7 clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles,
8 et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset
9 rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le
1 bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en
0 pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un
1 soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et
1 des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit
1 plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en
2 gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs
1 vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient.
3 Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne
1 surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait
4 à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait à
1 tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le
5 matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait
1 les auvents de la pharmacie.
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Texte de la lecture linéaire 16
Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, « Prologue », éd. Les solitaires intempestifs, 1990.
1 Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?
2 Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée !
3 J’essuie des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un
4 langage inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant
5 Bourguignon qui m’a dégoûtée. C’est tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y entends rien.
6 Mario : Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si
7 fort sur le qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?
8 Silvia : Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot
9 qui ne me choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?
10 Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce
11 sont apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a
12 fait. Elle accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, «
13 madame, nous a-t-elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore
14 toute surprise ». C’est sur ce mot de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là
15 ne savent pas la conséquence d’un mot.
16 Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me
17 suis fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.
18 Mario : Je ne vois point de mal à cela.
19 Silvia : Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on ne
20 nuise à personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de
21 son maître, on dit que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un moment
22 après un mauvais esprit raisonne ; il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre mon parti
23 contre elle, à cause de la conséquence de ce qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc besoin qu’on
24 me défende, qu’on me justifie ! On peut donc mal interpréter ce que je fais ! Mais que fais-je
25 ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure ; cela est sérieux. Me joue-t-on
26 ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille.
Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11, Marivaux
TEXTE DE LA LECTURE LINEAIRE 20
Victor Hugo, Lucrèce Borgia, acte III, scène 3, 1833 ;
1 Gennaro : Vous êtes ma tante. Vous êtes la soeur de mon père. Qu’avez-vous fait de ma
2 mère, Madame Lucrèce Borgia ?
3 Dona Lucrezia : Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis, si je te disais tout,
4 je ne ferais peut-être que redoubler ton horreur et ton mépris pour moi ! Écoute-moi encore
5 un instant. Oh ! Je voudrais bien que tu me reçusses repentante à tes pieds ! Tu me feras
6 grâce de la vie, n’est-ce pas ? Eh bien, veux-tu que je prenne le voile ? Veux-tu que je
7 m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons, si l’on te disait : cette malheureuse femme s’est fait
8 raser la tête, elle couche dans la cendre, elle creuse sa fosse de ses mains, elle prie Dieu nuit
9 et jour, non pour elle, qui en aurait besoin cependant, mais pour toi, qui peux t’en passer ;
1 elle fait tout cela, cette femme, pour que tu abaisses un jour sur sa tête un regard de
0 miséricorde, pour que tu laisses tomber une larme sur toutes les plaies vives de son coeur et
1 de son âme, pour que tu ne lui dises plus comme tu viens de le faire avec cette
1 voix plus sévère que celle du jugement dernier : vous êtes Lucrèce Borgia ! Si l’on te disait
1 cela, Gennaro, est-ce que tu aurais le coeur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue pas,
2 mon Gennaro ! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir ! Aie
1 quelque compassion de moi ! Enfin cela ne sert à rien de traiter sans miséricorde une pauvre
3 misérable femme qui ne demande qu’un peu de pitié ! - Un peu de pitié ! Grâce de la vie ! -
1 Et puis, vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour toi, ce serait vraiment lâche ce que tu
4 ferais là, ce serait un crime affreux, un assassinat ! Un homme tuer une femme ! Un homme
1 qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne voudras pas ! Tu ne voudras pas !
5 Gennaro, ébranlé : Madame…
1 Dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce ! Cela se lit dans tes yeux. Oh ! Laisse-
6 moi pleurer à tes pieds !
1 Une voix au-dehors : Gennaro !
7 Gennaro : Qui m’appelle ?
1 La Voix : Mon frère Gennaro !
8 Gennaro. C’est Maffio !
1 La Voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !
9 Gennaro, relevant le couteau. C’est dit. Je n’écoute plus rien. Vous l’entendez, madame, il
2 faut mourir !
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