Vous êtes sur la page 1sur 1

Objet d’étude : Littérature d’idées, du XVIe au XVIIIe siècle.

Séquence 2 : ŒUVRE INTEGRALE.


Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

Problématique : Comment la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s’impose-t-elle comme une étape
importante dans le combat pour l’égalité femme/homme ?

Texte n° 4 = La DDFC, « Forme du contrat social1 de l’homme et de la femme », extrait n° 3,


pages 43 à 47 de l’édition Hatier, 2021.

1 Voilà à peu près la formule de l’acte conjugal 2 dont je propose l’exécution. A la lecture de ce bizarre
écrit, je vois s’élever contre moi les tartuffes3, les bégueules4, le clergé et toute la séquelle5 infernale.
Mais combien il offrira aux sages de moyens moraux pour arriver à la perfectibilité d’un gouvernement
heureux ! J’en vais donner en peu de mots la preuve physique. Le riche Epicurien 6 sans enfants, trouve
5 fort bon d’aller chez son voisin pauvre augmenter sa famille 7. Lorsqu’il y aura une loi qui autorisera la
femme du pauvre à faire adopter au riche ses enfants, les liens de la société seront plus resserrés, et les
mœurs plus épurées. Cette loi conservera peut-être le bien de la communauté, et retiendra le désordre
qui conduit tant de victimes dans les hospices de l’opprobre 8, de la bassesse et de la dégénération des
principes humains, où, depuis longtemps, gémit la nature. Que les détracteurs de la saine philosophie 9
10 cessent donc de se récrier10 contre les mœurs primitives, ou qu’ils aillent se perdre dans la source de
leurs citations11.
Je voudrais encore une loi qui avantageât12 les veuves et les demoiselles trompées par les fausses
promesses d’un homme à qui elles se seraient attachées ; je voudrais, dis-je, que cette loi forçât un
inconstant13 à tenir ses engagements, ou à une indemnité proportionnée à sa fortune. Je voudrais
15 encore que cette loi fût plus rigoureuse contre les femmes, du moins pour celles qui auraient le front 14
de recourir à une loi qu’elles auraient elles-mêmes enfreinte par leur inconduite, si la preuve en était
faite. Je voudrais, en même temps, comme je l’ai exposé dans Le Bonheur primitif de l’homme, en
1788, que les filles publiques15 fussent placées dans des quartiers désignés. Ce ne sont pas les femmes
publiques qui contribuent le plus à la dépravation 16 des mœurs, ce sont les femmes de la société. En
20 restaurant les dernières, on modifie les premières. Cette chaîne d’union fraternelle offrira d’abord le
désordre, mais par les suites, elle produira à la fin un ensemble parfait.
J’offre un moyen invincible pour élever l’âme des femmes ; c’est de les joindre à tous les exercices
de l’homme : si l’homme s’obstine à trouver ce moyen impraticable, qu’il partage sa fortune avec la
femme, non à son caprice17, mais par la sagesse des lois. Le préjugé tombe, les mœurs s’épurent, et la
25 nature reprend tous ses droits. Ajoutez-y le mariage des prêtres ; le Roi, raffermi sur son trône, et le
gouvernement français ne saurait plus périr.

1. Le contrat social, depuis Hobbes (1588-1679), Locke (1632-1704) et Rousseau (1712-1778), est le concept philosophique qui explique ce qui est au fondement même
de la société et du pouvoir politique. Il désigne le pacte signé, tacitement, entre l’Etat et les citoyens. Ces derniers renoncent à une part de leur liberté individuelle afin
d’éviter d’être dans un conflit perpétuel entre eux. Ils confient à l’Etat, incarné par un roi et/ou une assemblée de représentants, d’édicter des lois et de les faire
respecter pour la paix sociale. Ici Olympe de Gouges rapproche donc le contrat de mariage (ou d’union civile libre) du contrat social, faisant des relations
hommes-femmes un enjeu équivalent de celui des relations entre tous les citoyens.
2. L’acte conjugal : Olympe de Gouges propose de remplacer le mariage par cet acte conjugal, qui est donc l’ancêtre du PACS (pacte civil de solidarité). Elle est en
avance de plus de 200 ans sur son temps.
3. Tartuffes : Tartuffe est le nom du personnage éponyme de la pièce de Molière, devenu un nom commun (également orthographié « tartufe ») pour désigner les faux
dévots, c’est-à-dire ceux qui prétendent être très respectueux de la morale religieuse mais qui ne le sont absolument pas.
4. Bégueules : Personnes (surtout des femmes) qui se montrent très pudiques, de façon à se faire remarquer, plus que par sincérité.
5. Séquelle : suite de personnes attachées à quelqu’un. Le terme est péjoratif : il désigne ici tous ceux qui suivent le clergé de façon intéressée et non sincère. Olympe de
Gouges renforce le sens péjoratif du terme par l’adjectif épithète « infernale » qui est très ironique. Elle associe de façon provocatrice ceux qui se piquent de religion à
l’Enfer !
6. Epicurien : qui profite des plaisirs des sens. L’épicurisme, philosophie antique du Ive siècle avant Jésus-Christ, avait une image négative alors qu’en réalité c’était une
philosophie qui préconisait une vie simple et austère. Ce « riche Epicurien » est ce qu’on appelle un libertin, un noble qui a des mœurs libres et peu respectueuses de la
morale dominante.
7. Augmenter sa famille : Périphrase ironique qui signifie que le libertin a fait un enfant à une femme mariée pauvre.
8. Hospices de l’opprobe : lieux où on accueille les malades et les pauvres. Ces lieux suscitent la honte car ils présentent des conditions de vie indignes.
9. Saine philosophie : Allusion à la philosophie telle qu’elle était pensée par les écrivains des Lumières.
10. Se récrier : protester avec émotion.
11. La source de leurs citations : Note d’Olympe de Gouges : « Abraham eut des enfants très légitimes d’Agar, servante de sa femme. » Elle fait ici allusion à un épisode
de l’Ancien Testament. Abraham, premier patriarche de la religion juive, n’avait pas eu d’enfant avec son épouse qui l’avait alors autorisé à avoir des enfants avec sa
servante Agar. Abraham avait reconnu le fils, Ismaël, qu’il avait eu d’Agar.
12. Qui avantageât : qui puisse avantager, pour qu’elle avantage. L’imparfait du subjonctif donne une valeur de but ou de conséquence à la proposition relative.
13. Un inconstant : un homme qui n’est pas constant dans ses sentiments amoureux, un homme infidèle.
14. Qui auraient le front : qui auraient une audace sans scrupules, sans honte.
15. Filles publiques : prostituées.
16. Dépravation : dégradation morale.

Vous aimerez peut-être aussi