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INTRODUCTION – Olympe de Gouges publie la Déclaration des Droits de la Femme et de la

Citoyenne en 1791, soit deux ans après la DDHC qu’elle pastiche en partie pour réparer
l’oubli des droits des femmes. Elle prend la plume pour mener un combat en faveur de
l’égalité entre les hommes et les femmes, pour élargir et appliquer les revendications des
hommes à toutes les femmes. Ce texte inclassable mêle style juridique, écriture
pamphlétaire et énergie du plaidoyer. Le passage étudié se situe au début de la deuxième
partie du postambule. Cette partie s’ouvre sur la proclamation de l’acte conjugal par des
époux fictifs : Gouges prend alors la parole pour défendre la promulgation de cette loi.
Nous verrons donc quelle stratégie convoque Olympe de Gouges pour défendre l’acte
conjugal qu’elle entend voir promulguer. Ce plaidoyer s’organise en trois temps : 1 /
défendre et illustrer son projet de loi ; 2/ le décrire pour justifier l’espoir qu’il suscite ; 3/
affirmer la capacité de cette loi égalitaire à imposer un équilibre social.

1 – Défense et illustration de l’acte conjugal qui vient d’être formulé


[Voilà à peu près la formule de l'acte conjugal dont je propose l'exécution. A la lecture de ce
bizarre écrit, je vois s'élever contre moi les tartufes, les bégueules, le clergé et toute la
séquelle infernale. Mais combien il offrira aux sages les moyens moraux pour arriver à la
perfectibilité d'un gouvernement heureux ! j'en vais donner en peu de mots la preuve
physique. Le riche Epicurien sans enfants trouve fort bon d'aller chez son voisin pauvre
augmenter sa famille. Lorsqu'il y aura une loi qui autorisera la femme du pauvre à faire
adopter au riche ses enfants, les liens de la société seront plus resserrés, et les mœurs plus
épurées. Cette loi conservera peut-être le bien de la communauté, et retiendra le désordre
qui conduit tant de victimes dans les hospices de l'opprobre, de la bassesse et de la
dégénération des principes humains, où, depuis longtemps, gémit la nature. Que les
détracteurs de la saine philosophie cessent donc de se récrier contre les mœurs primitives,
ou qu'ils aillent se perdre dans la source de leurs citations.]

Voilà à peu près la formule de l'acte conjugal dont je propose l'exécution.


  Terme conclusif, qui renvoie à la « Forme du contrat social de l’homme et la
femme qu’OdG vient de présenter.
 Termes juridiques / législatifs : OdG s’inscrit dans le droit, avec des propositions
concrètes.

A la lecture de ce bizarre écrit, je vois s'élever contre moi les tartufes, les bégueules, le
clergé et toute la séquelle infernale.
 "ce bizarre écrit" : périphrase par laquelle OdG désigne avec ironie sa propre œuvre :
elle adopte pour un temps la position de ses détracteurs (elle sait très bien que ses
propos sont compliqués à mettre en place à cause des mœurs). Emploi du
démonstratif « ce » + adjectif péjoratif « bizarre » (au sens d’ « extravagant ») qui
implique un certain mépris de la part de ses adversaires.
 «je vois s'élever contre moi» : Hypotypose (description réaliste, animée et frappante
de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à
l'instant ) : OdG met en scène avec humour le conflit d’elle contre tous.
 «les tartufes, les bégueules, le clergé et toute la séquelle infernale» : énumération
de mots péjoratifs, critique la pruderie excessive et l'hypocrisie des "faux religieux",
souligne qu'elle est seule contre tous. Déséquilibre entre le singulier « moi » /
énumération des pluriels « tartufes, bégueules » + « toute la séquelle infernale » :
emploi de l’adjectif « toute »
+ « séquelle » qui désigne un groupe.
 « séquelle infernale » : Le terme ne manque pas de sel ! « infernale » n’est pas un
adjectif que le clergé aimerait se voir associer… => ironie, provocation d’Olympe de
Gouges à l’égard des représentants de la morale et de l’Eglise.
Mais combien il offrira aux sages les moyens moraux pour arriver à la perfectibilité d'un
gouvernement heureux !
 « Mais » : conjonction de coordination qui souligne l’antithèse entre l’attitude des
soi-disant défenseurs de la morale chrétienne et celle des « sages »
 « combien … ! » : adverbe exclamatif qui fait l’éloge avec emphase de son texte.
 « offrira »Évoque le futur qui montre qu'elle semble sûre d’elle et des effets
bénéfiques de sa réforme, elle met en opposition le passé négatif et futur heureux
qui entrainera des progrès.
 « sages … moraux … perfectibilité … heureux  » : succession de termes mélioratifs
associés à son texte. => Cela souligne les effets positifs de sa loi.

j'en vais donner en peu de mots la preuve physique. Le riche Epicurien sans enfants
trouve fort bon d'aller chez son voisin pauvre augmenter sa famille.
 « en peu de mots » : volonté de concision, d’un langage simple et direct. => efficacité
du discours. 
 « j'en vais donner … la preuve physique » : Discours construit comme une
démonstration scientifique. Raisonnement par déduction.
 « Epicurien » : par abus de langage, bon vivant, enclin aux plaisirs.
 « trouve fort bon » : formulation ironique qui met en évidence les avantages à
coucher avec la femme d’autrui…
 « augmenter sa famille » : périphrase pour dire qu’il va coucher avec la femme du
pauvre.

 «riche… sans enfants // son voisin pauvre … sa famille » parallélisme de


construction + antithèse ( riche / pauvre ; sans enfants / sa famille ) => souligne
l’injustice de la situation => référence aux naissances illégitimes suite à
l’adultère. Le riche fait peser sur le pauvre la charge d’une famille qu’il ne peut
pas se permettre, faute de moyens.

Lorsqu'il y aura une loi qui autorisera la femme du pauvre à faire adopter au riche
ses enfants, les liens de la société seront plus resserrés, et les mœurs plus épurées.

 Emploi du futur : certitude du résultat, de l’issue de cette loi + opposition entre


la situation actuelle au présent (« Le riche trouve fort bon ») VS les perspectives
positives ouvertes par sa loi.
 Dans l’exemple précédent, la femme n’apparaissait même pas : dans cette
phrase, c’est la femme qui dispose d’un pouvoir de contrainte sur le riche (« à
faire adopter au riche ») => inversion des rapports de pouvoir, + de justice
sociale.
 Parallélisme de construction, mettant en évidence les comparatifs => il s’agit
d’améliorer la cohésion, la solidarité de la société mais aussi de sauvegarder la
morale dont précisément se réclament les faux-dévôts, adversaires d’OdG.

Cette loi conservera peut-être le bien de la communauté, et retiendra le désordre


qui conduit tant de victimes dans les hospices de l'opprobre, de la bassesse et de la
dégénération des principes humains, où, depuis longtemps, gémit la nature.

 « conservera … le bien de la communauté, et retiendra le désordre » :


antithèse + parallélisme de construction qui insiste sur les bienfaits de cette
loi et les oppose à la situation actuelle, décrite en des termes peu flatteurs.
 « qui conduit tant de victimes dans les hospices » : registre pathétique ,
allusion au traitement réservé aux femmes adultères ou à leurs enfants
recueillis par charité à l’hospice.
 « de l'opprobre, de la bassesse et de la dégénération des principes
humains » : termes moraux très péjoratifs en gradation : inhumanité de la
situation.
 « gémit la nature » : Personnification de la nature, principe positif suivant
l’esprit des Lumières, mise à mal dans les hospices.

Que les détracteurs de la saine philosophie cessent donc de se récrier contre les mœurs
primitives, ou qu'ils aillent se perdre dans la source de leurs citations.]
 « Que les détracteurs … cessent … qu'ils aillent… » : Emploi du subjonctif à valeur
injonctive : deux propositions coordonnées par « ou » => OdG invite ses
opposants à choisir entre un silence choisi ou subi.
 «la saine philosophie », « les mœurs primitives » : Référence aux conceptions
rousseauistes suivant lesquelles l’Homme, à l’état de nature, était
nécessairement bon et que c’est la civilisation qui l’a corrompu.
Bilan du premier mouvement : Le plaidoyer d’OdG s’ouvre sur une mise en scène
opposant les détracteurs et les bénéficiaires de l’acte conjugal égalitaire qu’elle
promeut. 

2 – Description pleine d’espoir d’une loi protégeant toutes les femmes


[Je voudrais une loi qui avantageât les veuves et les demoiselles trompées par les
fausses promesses d'un homme à qui elles se seraient attachées ; je voudrais, dis-je,
que cette loi forçât un inconstant à tenir ses engagements, ou à une indemnité
proportionnée à sa fortune. Je voudrais encore que cette loi fût rigoureuse contre les
femmes, du moins pour celles qui auraient le front de recourir à une loi qu'elles
auraient elles-mêmes enfreinte par leur inconduite, si la preuve en était faite. Je
voudrais, en même temps, comme je l'ai exposé dans Le Bonheur primitif de
l'Homme, en 1788, que les filles publiques fussent placées dans des quartiers
désignés. Ce ne sont pas les femmes publiques qui contribuent le plus à la
dépravation des mœurs, ce sont les femmes de la société. En restaurant les
dernières, on modifie les premières. Cette chaîne d'union fraternelle offrira d'abord le
désordre, mais par les suites, elle produira un ensemble parfait.]
 « Je voudrais » x 4 : anaphore d’un verbe de souhait au conditionnel => OdG se
fait l’avocate de cette loi et met en valeur les étapes par l’anaphore.
 Antithèse « avantageât » / « forçât » ; « les veuves et les demoiselles » / « un
homme » OdG envisage successivement les cas de ceux à qui cette loi sera
avantageuse d’une part et ceux qu’elle punira : Elle prévoit les réserves de ceux
qui craindraient les abus en prévoyant de punir sévèrement « celles qui
auraient le front de recourir à une loi qu’elles auraient elles-mêmes enfreinte »
 « trompées », « fausses promesses », « inconstant », « inconduite » :
Vocabulaire moral péjoratif qui fait des femmes séduites des victimes et des
séducteurs des coupables.
 « les filles publiques », « les femmes publiques » : périphrase désignant les
prostituées.
 Antithèse « ce ne sont pas les femmes publiques » / « ce sont les femmes de la
société » + « les dernières » (= les femmes de la société) / « les premières » (=
les femmes publiques) : cette opposition est par la suite résolue par l’idée d’une
solidarité, d’une interdépendance entre les unes et les autres.
 « en restaurant les dernières, on modifie les premières : « restaurer » est à
prendre au sens de « rétablir », « redonner son intégrité à ». Cette
interdépendance est soulignée par la métaphore de « Cette chaîne d'union
fraternelle ».
 Antithèse « d’abord le désordre » / « par les suites […] un ensemble parfait » =>
conscience du bouleversement occasionné mais OdG prédit l’amélioration du
sort des femmes comme participant à l’amélioration de l’ensemble de la
société.
Bilan du second mouvement : OdG fonde son plaidoyer sur une description précise
des effets juridiques, matériels, sociaux et moraux de la loi conjugale qu’elle espère
voir promulguée.

[3] Olympe de Gouges affirme sa foi dans cette loi égalitaire pour rétablir l’équilibre
dans le royaume.
[J'offre un moyen invincible pour élever l'âme des femmes ; c'est de les joindre à tous
les exercices de l'homme : si l'homme s'obstine à trouver ce moyen impraticable, qu'il
partage sa fortune avec la femme, non à son caprice, mais par la sagesse des lois. Le
préjugé tombe, les mœurs s'épurent, et la nature reprend tous ses droits. Ajoutez-y
le mariage des prêtres; le Roi, raffermi sur son trône, et le gouvernement français ne
saurait plus périr. ]

 Passage du futur au présent : c’est comme si OdG considérait l’issue comme


acquise.
 « un moyen invincible » : vocabulaire guerrier mélioratif, connotant la victoire
=> affirmation d’une confiance inébranlable dans le progrès que permettra la loi
qu’elle propose.
 « les joindre à tous les exercices des hommes », « qu’il partage avec sa
femme » : verbes d’action connotant l’égalité.
 « élever l’âme », « s’épurent », « ne saurait plus périr » : verbes indiquant le
progrès => le choix des verbes souligne que le progrès social dépend de l’égalité
entre les femmes et les hommes, fondée sur un partage équitable et bénéfique
à tous.
 « Ajoutez-y » : impératif qui interpelle le lecteur sur les derniers progrès à
accepter.
 « Le préjugé tombe, les mœurs s’épurent et la nature reprend ses droits » :
parallélisme de construction + rythme ternaire => suggère l’harmonie et
l’équilibre permis par cette loi.
 « la sagesse de la loi », « la nature », « le gouvernement » : groupes nominaux
désignant des entités abstraites. => Gouges révèle les moteurs de sa réflexion :
le principe rousseauiste de la nature ; la contrainte vertueuse de la loi, la
représentation politique française.

Bilan du troisième mouvement : Le plaidoyer monte en puissance, porté par la foi


inébranlable d’Olympe de Gouges dans l’importance d’un progrès par une loi
égalitaire, établissant l’harmonie entre les femmes et les hommes.

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