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Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731 : l’évasion


-Des Grieux de Manon
donne des vêtements pour travestir Manon en homme. Cela

Introduction : Publié en 1831, Manon Lescaut est un roman de l’abbé Prévost qui raconte les amours contrariées et tumultueuses d’un jeune cadet de bonne famille, Des Grieux et d’une
jeune fille d’origine modeste, Manon Lescaut. Réduits à employer des moyens malhonnêtes et immoraux pour vivre, ils tentent de duper un riche et vieux libertin qui avait des vues sur
Manon, M. de G..M… mais sont arrêtés et incarcérés. Dans notre extrait, des Grieux, après s’être lui-même évadé de la prison de Saint-Lazare, exécute, non sans maladresse, le plan mis
au point pour faire évader Manon de l’Hôpital Général.
Problématique : En quoi cette évasion particulièrement romanesque prend-elle une tournure comique ?
1ère partie : lignes 1 à 10 : du début à « d’une longueur insupportable » : Le travestissement de Manon
2ème partie : lignes 10 à 15 « enfin » à « séparé de Manon » : L’exécution du plan d’évasion
3ème partie : lignes 16 à la 22 « ce transport » à la fin : Les réticences du cocher

rapproche le passage d’une scène de comédie.


Premier mouvement : : Le travestissement de Manon (lignes 1 à 10) - L’oubli de la culotte est un élément comique : « que j’avais malheureusement
oubliée », « sortir moi-même sans culotte ». C’est le grain de sable qui vient
- Pour commencer, on remarque que ce récit d’évasion est fait à la perturber le plan soigneusement mis en place. Sans ce vêtement, une partie de
première personne « nous », « je » : le narrateur est intérieur à l’histoire. l’anatomie masculine sera exposée, ce qui contribue à l’effet burlesque.
C’est une focalisation interne. Le « Nous » renvoie à Des Grieux et M de La phrase courte « Je laissai la mienne à Manon met en évidence la générosité de
T…. Le Narrateur est le personnage principal. Il raconte l’événement à DG qui accepte de perdre sa dignité pour sa bien-aimée.
Renoncour deux après les faits. - Finalement, DG a un habit rafistolé si bien que tous les deux sont déguisés : « à
- Par ailleurs, l’évasion est une aventure qui relève d’un enchaînement l’aide de quelques épingles »
d’actions décisives comme le révèlent la suite de verbes d’action au -Un réseau d’antithèse parcourt ce premier mouvement révélant l’était d’esprit
passé-simple : « retournâmes », « fûmes », « laissa », « donnai » de DG
- Le commentaire du narrateur, Des Grieux, « L’oubli…prêtait à rire si l’embarras
Lignes 1 à 5 : Un épisode vraisemblable
…moins sérieux » juge la situation à la fois dramatique et ridicule comme le
- La référence à « l’hôpital Général », qui correspond maintenant à la Salpêtrière
souligne la subordonnée de condition qui marque une antithèse.
(La Salpêtrière a d’abord été une prison où l’on enferme les plus pauvres pour
- DG panique car il a peur d’échouer dans son entreprise comme le souligne une
combattre la mendicité. A partir du 18ème siècle, sont enfermées les femmes
seconde antithèse : « désespoir/ bagatelle ». La phrase du dernier mouvement
débauchées et les prostituées sous prétexte sanitaire de lutte contre la
révèle également l’angoisse du narrateur dont l’attente de la nuit tombée est une
propagation de la syphilis. Au 19ème siècle, cela deviendra un asile pour femmes…
torture : « le reste du jour me parut insupportable ».
et maintenant, c’est un des plus grands hôpitaux de Paris.) et le champ lexical du
vêtement masculin (« Bas,juste-au-corps, surtout, veste, culotte) sont des
2e mouvement : l’exécution du plan d’évasion
précisions réalistes qui renvoient le lecteur du XVIIIème siècle à des éléments concrets qui
font partie de son quotidien. - DG relance l’intérêt romanesque après l’épisode burlesque avec
l’utilisation d’un adverbe de temps « enfin » qui rappelle son impatience
Un passage qui peut évoquer une scène de théâtre et recentre le récit sur l’action. L’indication temporelle nocturne « la nuit
étant venue » accentue l’effet romanesque.
- La succession de phrases courte donne l’impression que les actions juge sans ménagement : « faillit m’attirer un fâcheux embarras ». Et le cocher
s’enchaînent rapidement (citez le texte). C’est la mise en œuvre d’un pointe ironiquement l’erreur commise par DG et invoque des scrupules moraux,
plan préparé comme le soulignent les descriptions détaillées : « dans un comme le soulignent le terme dépréciatif : « Il me répondit qu’il craignait que je
carrosse un peu au-dessous de la porte de l’hôpital », « notre portière ne l’engageasse dans une mauvaise affaire ». L’utilisation de la négation exceptive
étant ouverte ». « n’était qu’une envie de me faire payer la voiture plus cher » révèle que les
- La dimension romanesque : dans un élan amoureux, DG trahit son plan et scrupules moraux du cocher sont en fait une stratégie pour extorquer de l’argent.
révèle au cocher que Manon est une jeune femme et non un JH.
L’expression est lyrique : « je reçus ma chère maîtresse dans mes bras ». - L’épisode avec le cocher traduit une forme de tension sociale L’utilisation de
Par ailleurs, la comparaison « elle tremblait comme une feuille » rappelle l’appellation « coquin », très dépréciative au XVIIIe siècle et de l’impératif « tais-
le danger vécu par les protagonistes, ce qui dramatise l’événement. toi » marque le mépris de DG qui se comporte comme un homme habitué à
- La réponse de DG au cocher fait peut faire sourire car, alors que la commander et à être servi. Ces deux expressions révèlent la brutalité dans les
cocher demande une adresse précise comme le montre l’interrogation rapports de classe au XVIIIe siècle. Mais il y a comme une inversion des rôles
indirecte partielle : « le cocher me demanda où il fallait toucher », la maîtres/serviteurs car le cocher parvient à se faire obéir par la classe dominante
réponse de DG, rapportée au style directe (citez le texte) est d’un lyrisme comme le révèle l’expression « filer doux » (= qui signifier « s’incliner »).
qui est peu adapté à la question du cocher qui demande une information -Importance récurrente de l’argent qui est récurrente dans le roman et qui
et non une déclaration. révèle sa puissance. L’indication monétaire « il y a un louis d’or à gagner pour
3e mouvement : les réticences du cocher toi » le montre.

-Le thème de la passion est traité sur un mode plus léger que comique : le terme La dernière phrase du texte constitue une chute comique : l’hyperbole « il
« transport (= amour passionné) est souvent employé par DG mais ici, il est m’aurait aidé, après cela, à brûler l’hôpital même » indiquent que les scrupules
associé à une mésaventure comique moraux du cocher énoncées précédemment dan une longue phrase sont invalidés
par cette chute comique.
- Le discours rapporté du cocher contribue au comique du passage. En effet,
même à l’abri du carrosse, les mésaventures de DG continuent. Le narrateur se

Conclusion : Cet épisode d’évasion nocturne impliquant un travestissement est ponctué d’imprévus et de frayeurs, qui contribue au plaisir romanesque. Il met en scène un héros qui,
quoique courageux et prêt à tout par amour, s’avère pour le moins maladroit et burlesque. La suite de l’évasion continue sur la même lancée par une succession de péripéties en cascade
: leur cocher les abandonne, Lescaut est abattu, ce qui se rapproche du roman picaresque*. Ce passage alerte et comique dans lequel le narrateur Des Grieux fait montre
d’autodérision, contraste avec les élans lyriques et pathétiques qui envahissent le roman. Nous retrouvons la même veine comique dans le dîner où Des Grieux essaie de tromper M. G
de M… en se faisant passer pour le frère de Manon et en énonçant des paroles à double sens qui amusent le lecteur.
*Le roman picaresque = né en Espagne au XVIème siècle, il met en scène un héros populaire et sans scrupule, affrontant de nombreuses aventures pour faire son chemin dans la société.
La narration est pleine de rebondissements et présente des personnages variés et une peinture critique de la société.

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