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Sujet : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits », déclare

Olympe de Gouges dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.


En quoi la Déclaration d’Olympe de Gouges met-elle l’écriture au service du
combat pour l’égalité entre hommes et femmes ?

Avant et pendant la Révolution française, Olympe de Gouges, femme des


Lumières, a pris de nombreuses fois la plume pour diffuser ses idées révolutionnaires.
Constatant que la Révolution française n’a apporté que peu de progrès pour les
femmes, malgré leur participation active, Olympe de Gouges décide de réécrire la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), texte fondateur de la nouvelle
Constitution que le roi s’apprête à ratifier. Par cette réécriture, elle s’engage dans la
lutte – relativement novatrice pour son époque – pour les droits des femmes. En
déclarant « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits », article I de sa
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle se lance dans un combat,
consistant à faire reconnaître les femmes comme des citoyennes à part entière de la
nation et à en faire les égales des hommes dans l’ordre social, politique et
économique.

En quoi la Déclaration est-elle une œuvre de combat, qui utilise l’écriture au


service de la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes ?

Nous verrons d’abord qu’Olympe de Gouges utilise l’écriture afin de faire naître
une prise de conscience de la condition féminine, chez les femmes et chez les
hommes. Ensuite, nous envisagerons la Déclaration comme une œuvre de combat et
un texte officiel pour obtenir l’égalité de droits entre hommes et femmes et changer la
société.

Dans un premier temps, Olympe de Gouges déploie une écriture engagée et


vise une prise de conscience collective de la condition féminine. En effet, Olympe de
Gouges s’implique dans les débats de société de son époque, à travers un discours
engagé et une écriture de combat. Dès la dédicace à la reine, l’autrice fait référence à
l’actualité de son époque en rappelant le contexte politique et diplomatique. De plus,
elle s’adresse ensuite à l’Assemblée nationale pour revenir sur les acquis de la
Révolution en généralisant aux femmes les principes solennels de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen d’août 1789. En outre, son style relève de l’écriture de
combat, dans le choix d’un lexique moral et d’une tonalité polémique, avec par
exemple le champ lexical de la tyrannie, très connoté à l’époque de la Révolution
française et de la Terreur, pour évoquer la domination masculine (« cet empire
tyrannique »…). Les apostrophes directes (à la reine, aux hommes ou aux femmes) et
les questions rhétoriques accusatrices s’inscrivent également dans l’écriture militante :
« Homme, es-tu capable d’être juste ? » ; « Ô femmes ! […] votre empire est détruit ».
Son discours est engagé, à l’image du style et des principes des philosophes des
Lumières, dont Olympe de Gouges s’inspire : la référence à la nature pour justifier la
coopération entre les sexes; le triomphe de la raison, qui doit guider la société, contre
«l’ignorance la plus crasse» : « le tocsin de la raison se fait entendre » (Postambule).
Enfin Olympe de Gouges valorise les valeurs des Lumières que sont le respect des
droits naturels et sacrés de l’humain (liberté, égalité). Elle insiste sur le fait que la loi
seule peut fixer des limites à la liberté et qu’elle doit être la même pour tous. Elle se
situe alors dans l’héritage de Beaumarchais et de sa pièce critique Le Mariage de
Figaro, lorsqu’il défend l’égalité entre les êtres et l’abolition des privilèges. Enfin, son
écriture est combattive parce qu’elle ose désigner directement les causes des
malheurs de la société (« l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme ») et
les « coupables ». Elle souhaite faire réagir les hommes, coupables de « tyrannie » et
les femmes, d’« aveuglement » pour les faire sortir de leur ignorance réciproque.

En effet, l’écriture d’Olympe de Gouges vise aussi prise de conscience des


femmes. C’est pourquoi elle évoque dès la dédicace à la reine le « déplorable sort »
de « ce sexe malheureux », et les « droits qu’elles ont perdus dans la société ». Dans
le Postambule, elle s’adresse même directement aux femmes, à travers des
apostrophes et des impératifs destinés à les solliciter, mais aussi des questions
rhétoriques, qui agissent comme des reproches et des catalyseurs (« Ô femmes !
femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? »). Par le singulier, elle interpelle
toute la communauté féminine, quand le pluriel vient leur rappeler qu’elles font nombre
et forment un collectif. En donnant la parole aux femmes et en les invitant à la révolte,
ce texte a une portée subversive. Olympe de Gouges n’hésite pas à s’adresser aux
femmes sans complaisance, afin de les forcer à sortir de leur ignorance ou de leur
inaction (« les femmes ont fait plus de mal que de bien », Postambule). Les impératifs
polémiques (« réveille-toi », « reconnais tes droits »…) traduisent bien la volonté de
l’autrice de les mettre en action : « il est en votre pouvoir de les affranchir [les
barrières], vous n’avez qu’à le vouloir ». Ce passage rappelle le Discours sur
l’éducation des femmes de Choderlos de Laclos, écrit en 1783, qui enjoint les femmes
à se libérer d’un asservissement dont elles sont en partie responsables. Olympe de
Gouges compose un tableau d’abord élogieux, puis pathétique de la condition
féminine, afin de susciter chez elles un sentiment de révolte. Elle fait par exemple
allusion aux naissances illégitimes et au refus de reconnaissance des enfants par les
pères (article XI), qui condamnaient beaucoup de femmes au déshonneur ou à la
misère, quels que soient les âges et les milieux sociaux, puisque la femme riche peut
perdre ses privilèges dès lors que son mari ou son amant la quitte. Même la position
des femmes de pouvoir est rendue peu enviable, car elles ne peuvent exister au sein
de la sphère politique et sociale que par la ruse et la séduction. En présentant
l’ensemble de ses concitoyennes comme des victimes de la société voire des
esclaves, l’autrice développe donc une démarche argumentative originale, qui
s’appuie sur la description des faits pour amener à une prise de conscience des
lectrices et des lecteurs.

Car la Déclaration vise également une prise de conscience des hommes. En


effet, Olympe de Gouges s’adresse à eux tout au long de la Déclaration. Ceux-ci sont
directement accusés dès le second texte, commençant par l’apostrophe « Homme es-
tu capable d’être au juste ? » qui est une attaque véhémente contre le pouvoir injuste
des hommes sur les femmes. Au sein d’une leçon didactique, par une série
d’impératifs, elle impose aux hommes d’observer la nature pour y chercher, en vain,
d’autres traces d’une supériorité ou d’une domination du masculin sur le féminin. De
même, dans l’article IV, elle dénonce la responsabilité des hommes dans
l’asservissement des femmes, en accusant « la tyrannie perpétuelle que l’homme lui
impose ». Elle conclut l’apostrophe à l’homme par un portrait péjoratif de celui-ci :
« Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, […]il veut commander en
despote ». Alors même que l’homme revendique ses droits à l’égalité (« il prétend jouir
de la Révolution »), en pleine période révolutionnaire, il apparaît comme un despote
qui exclut de sa revendication la moitié de la population. En pastichant la Déclaration
de 1789, Olympe de Gouges met donc les hommes en face de leurs contradictions et
les prend à leur propre logique : comment peuvent-ils exclure la Femme de
l’humanité ?
Par son écriture engagée et polémique, Olympe de Gouges fait prendre
conscience aux femmes et aux hommes que les inégalités entre eux sont non
seulement en opposition avec l’ordre des choses et les principes des Lumières, mais
aussi la source des malheurs de la société.

Ensuite, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s’inscrit dans


un combat législatif et politique pour une société fondée sur l’égalité hommes-femmes.
Tout d’abord, la Déclaration est un texte politique placé sous l’égide de la reine, comme
le montre la dédicace à Marie-Antoinette, qui incarne un double pouvoir symbolique :
celui de représenter l’ensemble des femmes et celui de protéger la nation toute entière.
Avec respect mais aussi fermeté, elle veut impliquer la Reine à la fois en tant que
première femme de France sur le plan politique, mais aussi en tant que femme, « mère
et épouse », ainsi plus susceptible d’avoir de l’empathie et « de donner du poids à
l’essor des droits de la femme» : « Soutenez, Madame, une si belle cause ». L’autrice
espère qu’elle l’aidera à soutenir le combat des femmes et à promouvoir sa
Déclaration.

En plus d’être un plaidoyer pour l’égalité entre hommes et femmes, la


Déclaration est un texte juridique, qu’il s’agit de faire voter par l’Assemblée.
Lorsqu’Olympe de Gouges apostrophe les hommes, elle vise en fait les détenteurs du
pouvoir, seuls par qui le changement de société peut avoir lieu. Bien plus, l’italique qui
ouvre le Préambule (« À décréter par l’Assemblée nationale dans ses dernières
séances […] ») montre que la Déclaration est directement adressée aux députés de
l’Assemblée nationale, aux parlementaires. Celle-ci est donc présentée comme un
texte officiel, à l’image de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
sur le point d’être ratifiée. L’autrice a donc une visée pragmatique : elle veut faire voter
et ratifier sa Déclaration. En cela, il s’agit donc d’un texte politique davantage qu’une
œuvre littéraire. Pour les convaincre d’écouter sa voix et de prendre connaissance de
son texte, elle pastiche donc leur texte fondateur, afin de confronter ses rédacteurs à
leurs propres principes (l’universalisme, la recherche du bonheur, l’égalité entre les
individus, la liberté d’expression…). Loin de renier ces valeurs, elle les revendique
pour l’ensemble de la population.
Enfin, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne se présente donc
comme un texte de loi, au service du combat pour l’égalité hommes-femmes. En effet,
elle réécrit à la fois le Préambule et les 17 articles de la Déclaration de 1789 et reprend
donc la composition et le style officiel du texte d’origine. Mais elle en subvertit le
contenu, en remplaçant systématiquement « homme » par « femme ». Elle montre
ainsi aux hommes que, sous la portée censément universelle de la Déclaration, se
cache un oubli total des femmes. De même, elle en transforme la finalité : il s’agit de
revendiquer l’égalité de droits entre hommes et femmes et d’affirmer la citoyenneté de
ces dernières. Dès le préambule, Olympe de Gouges souligne ici les liens naturels (du
sang, et non du mariage) qui les unissent à la Nation : « Les mères, les filles, les sœurs,
les représentantes de la Nation demandent à être constituées en Assemblée
nationale » (préambule). Ensuite, dans les dix-sept articles, elle associe
systématiquement l’homme et la femme, le citoyen et la citoyenne (articles I, II, III, VI,
XIII) et affirme l’égalité de droits dès l’article I (et dans les articles VI, XIII). Elle redéfinit
le mot « Nation », qui n’a pas de sens s’il est amputé de la moitié de ses membres,
comme « réunion de la femme et de l’homme » (III). Dès lors, elle affaiblit la Déclaration
de 1789. Enfin, Olympe de Gouges revendique l’égalité de droits sur le plan politique :
le droit de vote et celui d’être élue (VI) et celui de faire entendre son opinion (« La
femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à
la tribune » (X)). De plus, l’autrice met l’accent sur l’idée d’indépendance financière de
la femme et affirme le droit pour les femmes d’accéder aux mêmes emplois (publics)
que les hommes (article VI), et plus globalement à un travail et à un salaire (XIII). Entre
discours argumentatif et texte officiel, la Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne est une œuvre politique au service du combat pour l’égalité entre hommes
et femmes.

Pour conclure, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne


d’Olympe de Gouges est bien une œuvre de combat, à la fois un discours politique et
un texte de loi. Elle reprend le style officiel et la structure de la Déclaration, en y
ajoutant les tonalités pathétique et polémique, au service du combat pour l’égalité
entre hommes et femmes. Pour convaincre et persuader, Olympe de Gouges choisit
de reprendre les principes des Lumières et de s’appuyer sur des arguments rationnels,
mais aussi sur l’émotion. Elle vise une prise de conscience collective, des hommes
puis des femmes, du caractère injuste et néfaste pour la société des inégalités entre
les sexes. Elle compose donc un texte officiel adressé aux puissants, à la reine et aux
députés de l’Assemblée, qui énumère, article après article, les droits des femmes, à
l’image de ceux des hommes. Au-delà de la lutte pour les droits des femmes, Olympe
de Gouges met son écriture au service d’un combat plus vaste pour les minorités,
notamment en faveur des « hommes de couleur » et pour l’abolition de l’esclavage. Ce
plaidoyer n’est pas sans rappeler les thèses anti-esclavagistes développées au XVIIIe
siècle par Montesquieu dans le traité De l’esprit des lois. En femme des Lumières, elle
suit une démarche humaniste qui condamne toute forme d’oppression, au service du
« bonheur de tous » et de « la Nation »

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