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fr – Lycée Montmajour, Arles

Corrigé de Dissertation – Ecrire et combattre pour l’égalité


[Introduction proposée par Gabrielle C. et corrigée par Mme Jeannot] En août 1789, la Déclaration des Droits
de l’homme et du citoyen est décrétée par l’Assemblée nationale Constituante issue de la Révolution française. Ce
texte, une fois promulgué par Louis XVI en octobre, transforme en lois positives l’ensemble des droits reconnus
comme naturels par les députés. Ils se font alors l’écho d’un peuple désormais massivement attaché à ces droits, à la
suite de leur défense dans l’espace public, notamment par les philosophes des Lumières. Cependant, bien que les
députés entendent légiférer pour tous les humains du territoire, il semble aller de soi que certains de ces droits ne
s’appliquent pas pleinement aux femmes. Olympe de Gouges ne s’en satisfait pas, elle qui était alors connue pour
son combat contre l’esclavagisme, à travers des œuvres théâtrales, mais aussi pour son attachement à réclamer des
progrès dans la condition des femmes. C’est encore animée par cette ambition qu’elle s’empare en 1792 des
promesses contenues dans la déclaration de 1789, proposant, à son imitation, une Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne. Ce texte prétend alors énoncer sans ambiguïté le socle des droits naturels primordiaux de
la femme autant que de l’homme, afin qu’ils deviennent les droits légaux de la Nation, en complément de ceux déjà
inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme. La Nation se garantirait désormais, grâce à ces droits, contre toute
oppression, y compris celle de sa plus douce moitié : la masse des femmes. La contribution d’Olympe de Gouges,
pourtant, nous le savons, resta longtemps lettre morte. Il est par conséquent intéressant de l’examiner de près pour
décider s’il s’agit vraiment d’un texte engagé. C’est pourquoi nous étudierons dans un premier temps les divers
aspects de la cause qu’il défend. Nous chercherons ensuite si Gouges a combattu avec détermination les ennemis de
sa cause dans son texte. Enfin nous verrons si elle a visé à obtenir une large adhésion aux idées qu’elle exposait.

Pour que l’on puisse affirmer qu’une œuvre écrite est engagée, il faut que ce texte poursuive un but qui
vérifie un certain nombre de caractéristiques. Pourrons-nous qualifier d’engagé le texte de Gouges au regard de ces
critères ?
Tout d’abord, premier critère discriminant, la notion d’engagement suppose une noble cause. Or, l’œuvre
qui nous occupe s’intitule Déclaration des droits […]. Nous retiendrons ici la notion de « droits ». Elle laisse entendre
un certain nombre d’actions permises et de bénéfices octroyés. Par conséquent, déclarer des droits, c’est proclamer
une liberté encadrée. Elle est encadrée car elle fait l’objet d’une liste de droits (cette liste est la déclaration), qui est
de fait limitative. La « Déclaration des droits », ainsi que l’indique l’expression, suppose à la fois une inscription dans
la loi et la reconnaissance de libertés. A cet égard, l’œuvre ainsi intitulée fait appel à deux valeurs éminemment
prisées : la liberté, aspiration fondamentale de tout être humain, et l’ordre, qui rassure à travers la loi. L’œuvre
revendique donc dès son titre des valeurs auxquelles les humains sont très attachés et pour lesquelles on a toujours
trouvé des personnes dévouées, jusqu’à y sacrifier leur vie. Ainsi, si l’on s’en tient aux intentions annoncées, que
respecte le texte, Olympe de Gouges écrit bien en faveur d’une noble cause : l’association étroite et délicate de la
liberté et de la loi, la conciliation rêvée entre la règle injonctive et l’absence d’entraves : l’équilibre démocratique,
confirmé par l’emploi du mot « citoyenne », désignant l’acteur souverain dans une démocratie.
Secondement, l’engagement ne saurait être au bénéfice d’une seule personne ou d’un petit groupe : il doit
s’orienter en faveur d’un nombre de personnes suffisantes pour qu’il n’apparaisse pas comme la défense d’un
privilège au profit d’une minorité. Alors, bien sûr, s’impose, concernant l’œuvre qui nous occupe, le fait qu’elle
expose des « droits de la femme et de la citoyenne ». Ce sont donc toutes les femmes qui peuvent tirer bénéfice de
ce texte. Les articles I à XVII évoquent ainsi presque toujours «la femme », terme générique au singulier, introduit
par l’article défini : ce groupe nominal les désigne en général ; donc il les représente toutes. De plus, le
« Préambule » de cette Déclaration débute par une demande de la part de toutes les femmes, « être constituées en
Assemblée nationale » : à travers cette entité qu’elles exigent de devenir, elles veulent débattre, légiférer. Il ne s’agit
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ici rien moins que de donner le pouvoir aux citoyennes de la même manière qu’en sont dotés les hommes, grâce aux
nouvelles institutions révolutionnaires. Olympe de Gouges réclame donc un progrès de taille pour toutes les
femmes, leur libération, leur montée en puissance. A ces titres encore, il est manifeste que la Déclaration des droits
de la femme et de la citoyenne est l’expression d’un engagement.
Cependant, défendre un groupe humain, si large soit-il, pourrait conduire à des antagonismes, des
confrontations d’intérêts divergents : une guerre. Diviser un peuple ne peut être perçu comme une cause noble.
Pour qu’un véritable engagement soit reconnu, il faut que le but poursuivi le soit dans le plus large intérêt possible,
au mieux dans l’intérêt général. Olympe de Gouges, dans sa Déclaration, se fait-elle l’ennemie des hommes ou leur
rend-elle service, à eux aussi ? Une des affirmations les plus audacieuses de cette déclaration, dès la deuxième
phrase du préambule, résulte pourtant d’une modification mineure de la Déclaration des droits de l’homme : d’après
Gouges, ce sont « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme » qui « sont les seules causes des malheurs
publics ». Autrement dit, tout ce qui tourne vraiment mal, tout ce que l’on peut déplorer dans un Etat, résulte de
l’oppression des femmes. Ou encore : qu’on libère les femmes, qu’on leur donne du pouvoir, et la France s’en
trouvera beaucoup mieux. De quelque manière que l’on retourne cette assertion étonnante de l’autrice, elle
proclame que le bonheur de tous, l’intérêt général, dépendent des droits octroyés aux femmes. La logique de cette
affirmation n’est pas évidente car nous serions plutôt portés à croire que le respect des droits des femmes n’influe
que sur le bonheur de celles-ci. Olympe de Gouges écarte d’emblée ce préjugé pour faire du respect du droit des
femmes une question d’intérêt général. Par ailleurs, le but de cette déclaration, nous dit encore Gouges dans son
préambule – et nous tendons l’oreille car ces buts prouveront l’engagement du texte – le but ici, donc, est, entre
autres, que les « réclamations des citoyennes […) tournent toujours […] au bonheur de tous ». Ainsi, fortes de leurs
nouveaux droits, les citoyennes qui voudront légiférer, revendiquer encore d’autres droits, devront songer à ce que
ces droits, ou la correction des mœurs, contribuent à améliorer la vie du plus grand nombre. Ici plus qu’ailleurs, le
déterminant au masculin « tous », dans l’expression « au bonheur de tous », désigne les femmes et les hommes ;
elle inclut ces derniers avec d’autant plus d’évidence que l’autrice s’affaire sans cesse à faire apparaître partout le
féminin pour donner à voir les femmes, là où la grammaire les dilue dans un masculin neutre. Par opposition, dans
une telle démarche, le maintien du masculin met en évidence la désignation des hommes : tous ceux pour qui les
femmes vont désormais exiger justice, ce sont donc aussi les hommes. On le voit, Olympe de Gouges souhaite faire
apparaître de manière nette et incontestable le caractère universel, général et généreux des bénéfices engendrés
par l’octroi de nouveaux droits aux femmes. L’autrice propose donc des changements en faveur de toute la société ;
elle n’opère aucune exclusion, au contraire. Les progrès universels vers lesquels elle tend font décidément de sa
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne une œuvre engagée.
Engagée, cette œuvre l’est donc déjà à trois titres : elle vise la réalisation d’une cause qui fait consensus : la
liberté légale ; elle défend les intérêts d’un large groupe humain : les femmes ; enfin, les progrès visés ne se feront
au détriment de personne mais bien pour améliorer la vie de tous.

D’autre part, écrire et combattre pour l’égalité, comme le veut Olympe de Gouges par cette œuvre, suppose
aussi de dénoncer les abus qui vont à l’encontre de la reconnaissance des droits féminins. L’autrice ne peut éviter
d’adopter une posture accusatrice, attaquant les idées qui s’opposent directement à celles qu’elle défend.
Cela paraîtra peut-être surprenant : le premier problème auquel elle se heurte, si l’on y réfléchit, c’est cette
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’elle a pourtant entrepris d’imiter. En effet, dans le titre de ce
texte constitutionnel, dans ses lignes, le terme « homme » est censé être de portée universelle et désigner les
humains. Pourtant, à y regarder de plus près, il appert que dans tous les esprits, y compris ceux des constituants, la
femme allait continuer de ne pas être égale en droits aux humains de l’autre sexe : il n’est pas envisagé qu’elle vote,
qu’elle soit élue et élabore des lois. Il ne semble guère prévu de l’émanciper de la tutelle de son père ou de son
mari ; on ne voit guère s’élever de voix pour réclamer qu’elle use de son bien comme bon lui semble, encore moins
qu’elle puisse pratiquer les mêmes métiers intellectuels que les hommes et avec les mêmes salaires. Alors, Olympe

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de Gouges a cette idée brillante d’imiter la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen justement pour en
montrer les limites. En introduisant la femme et ses droits dans tous les articles, en étendant la prétention d’égalité
en droits à tous les humains, c’est-à-dire en l’élargissant aux femmes, elle met en évidence ce continent enfoui et
oublié par les députés de l’Assemblée nationale. C’est bien ainsi qu’elle procède : certains de ses articles ne sont que
l’extension au féminin de l’article à la même place dans la Déclaration des droits de l’homme. Et le premier article, à
la position symbolique, le plus important, qui imprime son orientation à tout le reste, se contente de déplacer le mot
« homme » pour en faire le représentant du genre masculin, et de placer les femmes comme leurs égales : « Les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » devient « La femme naît et demeure égale à l’homme » :
Olympe fait primer cet équilibre sur l’égalité des humains entre eux. Cette dernière reste présupposée : elle est
inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, laquelle se voit donc plutôt complétée que remplacée, mais n’en
demeure pas moins dénoncée.
Mais Olympe de Gouges va plus loin. Pour elle, cette usurpation du pouvoir qu’exercent les hommes sur les
femmes, l’oppression qu’elles subissent, « est la seule cause des malheurs publics ». Elle accuse donc les hommes,
dans le préambule de pervertir toute la société en écrasant les femmes de leur domination. Olympe prétend ainsi
s’attacher au problème qui est à la racine de tous les autres. Elle subvertit totalement la Déclaration des droits de
l’homme. En rendant hommage aux ambitions de ce texte fondamental et fondateur, elle met en évidence le fait que
les Constituants n’ont pas tiré toutes les conséquences de ces ambitions. C’est alors elle qui le fera : la femme est un
homme comme les autres. Et la constitution, en intégrant, comme Gouges le souhaite, le texte complémentaire que
cette autrice propose, doit évoquer la domination masculine pour mieux l’abolir. Le « Postambule » de Gouges
dénonce aussi la légèreté et la désinvolture de ces hommes qui abandonnent une femme ou qui font, à une autre,
mariée à un second et pauvre, un enfant qu’ils refusent de reconnaître. Dans son attaque ici, elle demande que le
refus de reconnaître son enfant soit un délit puni par la loi. Elle met en cause ces hommes qui prennent la femme
comme un objet de plaisir en rejetant toute responsabilité qui leur en incomberait. L’engagement de l’autrice ne
recule pas devant les accusations qui s’imposent : elle fustige le mépris et les injustices à l’égard des femmes, dont
font preuve ces messieurs.
Enfin les femmes sont aussi les ennemies de leurs propres intérêts. Il y a celles qui demeurent dociles et
résignées, la majorité silencieuse, à laquelle Olympe dit « réveille-toi ! » ; et à toutes ses semblables : « quand
cesserez-vous d’être aveugles ? ». Contre celles qui plaident encore pour l’indulgence à leur égard, la faiblesse des
femmes, elle établit, dans les articles 7 à 9 de son texte, l’égalité des femmes aux hommes dans les peines pénales,
aussi rudes soient-elles, et, dans l’article 13, l’égalité dans l’exécution des corvées pour la collectivité. Elle souhaite
aussi que les femmes changent radicalement de mœurs : elle n’a pas de mots assez durs, semble-t-il, pour critiquer
celles qui, ayant séduit un homme, le conseillent et le mènent dans ce qu’elle nomme : « l’administration
nocturne », c’est-à-dire grâce à l’attachement né de la relation sexuelle, et en échange de cette dernière. Selon
Gouges, c’était la posture des femmes sous l’Ancien Régime, « méprisables et respectées ». Elle laisse entendre que
la Révolution a permis à ses semblables d’abandonner de telles pratiques. Mais l’énergie avec laquelle elle accuse
ces femmes au pouvoir occulte montre bien qu’elle souhaite en dissuader ses contemporaines. Gouges a conscience
du fait que ces dernières ne sont pas encore décillées et revendicatrices de leurs droits. L’inertie des femmes est
aussi son ennemie.
Ainsi, cette drôle d’œuvre qui se veut un texte législatif est aussi un réquisitoire contre toutes les pratiques
qui, loin d’aider à l’émancipation des femmes, les maintiennent dans un écrasant assujettissement.

Mais l’engagement qui se traduit par des textes et des discours est avant tout porté par un puissant espoir ;
mieux encore : une volonté ; il s’agit de produire des progrès transformant une société. Pour cela, il faut atteindre le
plus grand nombre de lecteurs. Qui Olympe de Gouges vise-t-elle ? Comment cherche-t-elle à convaincre ces
personnes et à les persuader ?

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La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, à y regarder de près, est un texte étrange, un
patchwork, une forme hybride : comme si l’autrice ne savait plus où donner de la tête, comme si elle voulait tout
réussir, tout embrasser dans l’urgence, elle donne plusieurs fonctions à son texte, pour des cibles variées. Le livret
s’ouvre sur une dédicace « à la Reine ». En effet, Gouges dédie son ouvrage à Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI.
Elle lui donne du « Madame », en ouverture, au lieu de « Majesté » que nous attendrions. C’est ainsi, en cherchant
sa complicité, qu’Olympe lui demande son soutien, parce que cette reine est femme, parce qu’Olympe l’a défendue
lorsqu’elle était honnie. Et, surtout, Gouges compte sur le pouvoir de cette femme pour faire entendre et accepter
largement ses revendications. Pourtant, les choses deviennent plus sérieuses encore lorsque, entre le titre et le
préambule, Gouges insère : « A décréter par l’Assemblée nationale […] ». Ce texte signé Gouges, elle a donc
l’ambition d’en faire une émanation de l’Assemblée même, qui est ainsi invitée à s’en emparer. L’Assemblée
nationale constituante est donc la principale destinataire de ce texte avant d’en devenir la source s’il devait
accomplir sa fonction de déclaration constitutionnelle des droits. Cette assemblée ne compte que des hommes pour
députés. Aussi ne sommes-nous pas surpris que Gouge fasse précéder sa déclaration d’une exhortation aux
hommes, dans laquelle elle les apostrophe pour les faire rougir de l’oppression qu’ils exercent sur les femmes ; elle
les met au défi de se montrer justes. Plus largement que les seuls députés, elle vise tous les hommes, dont le
comportement et le regard sur les femmes doit changer. Enfin, elle s’adresse aux femmes elles-mêmes, les
apostrophant à leur tour dans le « Postambule » qui suit sa déclaration. Olympe se tourne de tous côtés ; elle
multiplie les chances d’être écoutée en s’adressant à différents groupes qui, rassemblés, forment la totalité du pays.
Mais elle ne dit pas même « Français » ou « Françaises » ; elle évoque dans son préambule « tout l’univers » comme
théâtre des débats intellectuels ; elle s’adresse à tous par-delà quelque frontière que ce soit, adoptant les termes
génériques « homme » et « femme », de portée universelle.
Afin que tous ces lecteurs adhèrent aux changements proposés et admettent de nouveaux droits pour les
femmes, Gouges entreprend de les convaincre, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à leur raison, elle fait appel à leur
logique qui leur dictera d’admettre ce qu’impose la rationalité avec éclat. Dans ce but, elle emploiera des
connecteurs logiques dans son argumentation, et ce d’autant plus qu’elle sait à quel point certaines de ses
revendications sont difficiles à accepter. Dans l’article 11, Gouges veut introduire rien moins que la déclaration
officielle par les mères de l’identité du père de leur enfant mais cette déclaration de la mère imposerait les devoirs
de la paternité. Ici, elle usera du connecteur « puisque », qui introduit clairement une cause ou une conséquence et
invite à la déduction logique ; de même que « donc », qu’elle emploie à la fin de son raisonnement, souligne que l’on
met en évidence ce qu’engendre une cause. La pensée rationnelle s’applique aussi lorsque l’on émet une hypothèse
et qu’on en examine les suites logiques. C’est ce qu’elle fait dans le postambule, avec, pour parler de toute femme
dotée de beauté : « si elle n’en profitait pas […] alors elle n’était plus considérée que comme une mauvaise tête ».
Ou encore pour annoncer la fin de la mode qui consiste à subvenir financièrement aux besoins ou caprices des
femmes en échange de leurs faveurs, ce que l’autrice appelle le « commerce des femmes », qui aurait perdu tout
« crédit », Gouges affirme : « S’il en avait encore, la Révolution serait perdue ». Elle relie ainsi, dans une formule
logique, le sort de la Révolution à celui des femmes. Remarquons aussi les recours à l’antithèse : cette figure
introduit de nettes séparations au moyen de la négation ou des antonymes, qui opposent à deux extrêmes. Pour
cette raison, elle confère une impression d’ordre et de clarté au discours. Nous la retrouvons aussi dans le
Postambule. C’est par exemple pour évoquer les facultés d’action des femmes : « ce que la force leur avait ravi, la
ruse leur a rendu », établit clairement Gouges. C’est encore l’antithèse soulignée par un chiasme pour comparer et
dissocier les femmes de l’Ancien Régime d’avec celles de son présent : « ce sexe autrefois méprisable et respecté et
depuis la Révolution respectable et méprisé ». Elle recourt ici à la logique pour rendre hommage autant aux femmes
qu’au nouveau régime. Gouges a donc usé des procédés les plus efficaces pour convaincre.
Mais elle n’a pas pour autant négligé de persuader, bien au contraire. C’est-à-dire qu’elle va solliciter les
sentiments et émotions de ses lecteurs. Tout d’abord, elle les impressionne par l’autorité qui émane de son texte. Il
se présente, dans sa partie centrale – les dix-sept articles – comme des lois dans leur forme aboutie et déjà
promulguées, qui s’imposent, avec leur cortège de formules injonctives : des interdictions, comme : « ne peuvent »
(art. 2) , « ne peut » (art. 3, art. 5, etc…) ; des obligations, comme : « doivent » (art. 4), « doit » (art. 6, etc…). Ces lois
s’imposent à tous, avec « Toute femme », « toute société », « Nul », dont les déterminants ou pronoms indéfinis
rassemblent ou excluent en totalité. Les présents performatifs font advenir ce qu’ils énoncent, exerçant le pouvoir
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ontologique des mots pour imposer ici l’égalité, avec, par exemple : « les contributions de la femme et de l’homme
sont égales » (art. 13) qui fait de la femme une contribuable, inscrite sur les rôles d’imposition (ils servent de base
aux listes électorales…), ou bien « les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés », ce qui enrichit
instantanément les femmes. Bien sûr, nombre de ces formules sont imitées de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. L’on sait que certains passages de ce texte constitutionnel sont simplement recopiés par Gouges. Elle
s’appuie sur l’autorité du texte fondateur du nouvel Etat de droit, protecteur des citoyens, pour conférer une part de
cette puissance à son propre texte. Il ne manquera à ses lois que d’être ratifiées. Mais Gouges n’oublie pas non plus
de faire appel à nos émotions. Elle provoque notre pitié pour la femme vieillissante que son amant ne nourrit plus :
« que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris » : ici, c’est par le choix du vocabulaire et d’une métaphore,
pathétiques. Gouges soulève l’admiration pour son sexe opprimé en rappelant, dans le préambule le « courage [des
femmes] dans les souffrances maternelles », d’où elle tirera le superlatif hyperbolique de « sexe supérieur » pour les
désigner. Achevons notre rapide tour d’horizon des émotions nombreuses que stimule le texte par un exemple de
mépris provoqué. Nous le retiendrons pour l’alliance de concision et de force accusatrice : il s’agit, pour l’autrice, de
dénoncer les lois alors en vigueur parce qu’elles avantagent les hommes et ne garantissent, à l’inverse, aucun droit
aux femmes qui ont donné à ces hommes leur vie, leur amour et leur confiance en échange de promesses de
l’homme sur l’honneur : « Si quelque engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des
lois. » Nous avons déjà évoqué la variété qui caractérise cette œuvre de Gouges, nous voyons ici qu’elle se traduit
aussi par la diversité des procédés de persuasion.
En multipliant les destinataires pour son œuvre ambitieuse, en s’adressant à la raison mise à l’honneur par
les Lumières, en faisant la part belle au cœur, à la sensibilité, aux émotions, Olympe de Gouges a déployé des
moyens souvent très originaux et remarquables pour obtenir l’adhésion à son engagement féministe (quoique ce
mot n’existât pas à l’époque).

En somme, Olympe de Gouges a écrit avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne un texte
engagé par chacun de ses mots : elle y défend la dignité de la moitié de l’humanité, si étonnamment bafouée par
l’autre moitié dans un déséquilibre qui les ampute toutes deux. C’est une cause résolument humaniste et elle
s’affaire à n’y léser personne. Où il y a quête de progrès humain, on parlera sans hésiter d’un engagement. Et
naturellement, malgré les intentions louables qui y président, cet engagement s’accompagnera d’attaques
polémiques contre les ennemis de la cause défendue : la légitime égalité entre les femmes et les hommes. L’autrice
visera un lectorat concerné le plus large possible et déploiera un éventail de procédés efficaces pour susciter
l’adhésion à cette cause. Néanmoins, de tels projets n’avaient guère d’écho dans l’espace public tel qu’il existait à
l’époque : les journaux, les libelles, les livres ; les chansons des rues, les discours des salons et des cafés, des
cercles.... Rares étaient les personnes qui revendiquaient des droits pour les femmes. Celles qui ont imité les cahiers
de doléances, auxquels elles n’avaient a priori pas droit, sont des anonymes. Certaines femmes révolutionnaires se
réunissaient entre elles ; quelques hommes les défendaient : Choderlos de Laclos, Condorcet. Plus tôt dans le siècle,
Marivaux, avec sa comédie La Colonie, fait prôner aux femmes l’égalité et le pouvoir législatif ; mais cette pièce ne
fut pas jouée dans un théâtre public ni par des comédiens professionnels. Ainsi, Olympe, malheureusement, prêche
quasiment dans un désert ; ses idées n’ont pas suffisamment essaimé dans la société française d’alors pour qu’elles
trouvent un autre large écho que l’indignation et la colère des gardiens de l’ordre. Ils sont fâchés que cette autrice
ne sache où se trouve sa place de femme. Alors que Robespierre est Président du Club des Jacobins, leur revue
intitulée Révolutions de Paris apporte en quelque sorte la réplique à Olympe de Gouges. Les rédacteurs font paraître
ces lignes en mai 1792 : « L’honneur des femmes consiste à cultiver en silence toutes les vertus de leur sexe, sous le
voile de la modestie et dans l’ombre de la retraite. Ce n’est pas non plus aux femmes à montrer le chemin aux
hommes. » Ce n’est rien moins que les faire taire. Olympe sera, quant à elle, réduite au silence en novembre 1793.
Pour la punir de continuer à alimenter le débat politique par ses publications, elle dont le seul crime, en effet, est
d’apporter la contradiction au nouveau régime, sera guillotinée après un procès inique. Mais son engagement a été
si fort qu’il a agacé bien des hommes dans les siècles qui suivirent, pour finir par inspirer bien des femmes et des
hommes d’aujourd’hui. Cet engagement était réel ; il a fini par trouver son efficace. Il n’était pas vain.
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