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Le Cahier de Douai

A l’automne 1870, après des fugues successives, R trouve refuge à Douai chez son professeur de
rhétorique Georges Izambard. Il y rencontre Paul Demeny , poète et éditeur. Encouragé par ce
dernier, il recopie 22 poèmes qu’il a composés précédemment. En 1871, il demande à Demeny de les
détruire. Mais ce dernier décide de les conserver. Ils seront publiés sans que Rimbaud le sache et
n’intervienne dans l’ordre des poèmes.

Ces poèmes témoignent de l’exceptionnelle virtuosité du jeune poète qui maîtrise les formes
classiques comme le sonnet. (+ Usage de l’alexandrin et du quatrain) Sa grande inventivité n’éclate
pas encore car R se montre influencé par la lecture des poètes contemporains comme V Hugo et
Baudelaire.

Le Cahier de Douai laisse transparaître toutefois une évidente originalité. R en lutte contre la
religion, la société, le Second Empire et la guerre, crie sa révolte. La rage s’y accompagne de dérision
et de moquerie. Des audaces d’écriture surgissent : emploi d’un vocabulaire familier, nombreux
rejets et contre-rejets, images inattendues.

Les thèmes transversaux dans le Cahier de Douai

Rimbaud est au moment de l’écriture de ces textes qui constituent le Cahier de Douai un jeune poète
encore nourri de connaissances classiques, qui malgré le but de les contourner, sont très présentes.
De plus, tous les thèmes poétiques traditionnels sont présents dans le Cahier de Douai et la poésie a
toujours été considérée comme le genre noble où s’exprime le « je « lyrique. C’est donc
naturellement qu’elle est apparue comme propice au développement de thèmes essentiels par
l’alliance entre l’intime et le commun. Les lieux communs traditionnels sont : l’amour, la mort, la
nature, le temps, la mélancolie. L’épanchement du poète sur ses malheurs amoureux ou la douleur
mélancolique devant la fuite du temps sont des poncifs poétiques qui ont traversé les siècles
d’écriture.

Sublimés par les romantiques, ces thèmes sont également des lieux de caricature dans une poésie
plus moderne. Rimbaud oscille entre ces deux postures puisqu’il va jouer sur ces thèmes
traditionnels.

 La sensualité et l’amour

Le Cahier de Douai est une œuvre de jeunesse composée par un adolescent de 16 ans. Même s’il est
brillant et très mature, Rimbaud explore des thèmes propres à l’adolescence, empreints de fraîcheur
et de découverte. Des références purement enfantines sont visibles dans les textes comme « les
doux froufrous » de « Ma Bohème » ou « les tartines » du « Cabaret-Vert ». Mais l’intérêt ne réside
pas seulement dans ce lexique léger et malicieux.

l De nombreux poèmes placent le jeune poète en pleine découverte de l’amour, du corps des
femmes. Il s’en dégage alors une extrême sensualité où les sentiments côtoient des sensations
nouvelles qui sont exploitées poétiquement. Souvent Rimbaud se laisse envahir et guider par la
sensualité et à chaque fois, le désir est présenté comme innocent. (Menacé par la surveillance des
parents comme dans »Roman ».

Ex : le lexique du corps et de la nudité ds « Première soirée » ( titre évoque la nouveauté


amoureuse) : « déshabillée, nue, sein , lèvres… ». La sensualité est ici au liée au « rire » dont le mot
est répété à plusieurs reprises. Sont donc mêlés un certain malaise adolescent et érotisme dans
cette scène rendue de façon très réaliste la sensation du moment retranscrit. (NB que très peu
souvent les yeux sont peu évoqués dans les poèmes sur l’amour mais plutôt les pieds, la poitrine, la
bouche= sensualité.)

l La séduction des jeunes filles et la sensualité = un élan vital central, où réside parfois la
provocation.

Ex : « A la musique »: R y coupe brutalement la description méprisante d’une petite bourgeoisie


de province pour se poser comme symbole d’une jeunesse prise par la vie et le désir : le poème
se clot sur « les désirs brutaux qui s’accrochent à leurs lèvres ».

Dans « Roman », il rappelle, en effet en début et fin de texte qu’on n’est pas sérieux Il parle
d’amour et de poésie mais procède à une réelle mise à distance avec la lourdeur de la poésie
canonique avec la répétition du vers d’ouverture du poème qui prend ici une dimension ironique
: la promesse d’une histoire exaltante sonne avec humour la fin des illusions. Et les sonnets qui
ont fait rire la jeune fille désirée sont sans doute de « Mauvais goût » aux yeux de ses amis qu’il
retrouve à la fin du récit.

= Dans la poésie rimbaldienne qui est très corporelle, le fait d’appréhender ces sensations sont un
point de départ nécessaire à l’écriture et à la création. (Ces sensations = celles que découvre R dans
une jeunesse pleine de candeur et constituent un élan vital de l’écriture.) . Souvent Rimbaud se laisse
envahir et guider par la sensualité et à chaque fois, le désir est présenté comme innocent.

l Le lyrisme est présent mais n’est pas utilisé de manière traditionnelle puisqu’il est malmené par la
distance, la demi-mesure et l’ironie. R casse le modèle lyrique en discréditant la dimension mièvre (.
D'une grâce enfantine et fade) parfois liée à l’expression de l’intime.

EX : Dans « Les Reparties de Nina » (Repartie : dans la conversation, répondre aussitôt à un propos.
S’écrit avec l’usage : répartie). R propose un rêve, une évasion amoureuse dans un espace-temps
fantasmé où règnent la sensualité et la fusion amoureuse avant de laisser la place à un prosaïsme
cru :

« Les fesses luisantes et grasses


D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc »

Cette subversion encore timide dans le recueil montre une distance prise avec le registre sacré qu’est
le lyrisme et l’expression des sentiments. Libérer le lyrisme classique et donc une vision figée de
l’amour.
 L’amour, cliché absolu, représente également un univers particulièrement soumis à la rigidité
morale de l’époque que ne cessera de combattre Rimbaud dans sa vie comme dans son œuvre. Ainsi
se libérer d’une vision étriquée et bourgeoise de l’amour revient chez Rimbaud à se libérer en même
temps des carcans poétiques. L’expérience est donc double. Pour peindre l’amour, il adopte un ton
irrévérencieux où le prosaïsme et la vulgarité ont toute leur place et brise les marques du lyrisme
traditionnel puisque ce registre a été longtemps assimilé à l’univers amoureux.

EX : « Les réparties de Nina « : ds ce texte très sensuel, le poète dit « Lui », propose à une femme un
rêve amoureux idéalisé, léger et coupé du monde . Le corps et le tactile sont mis en lumière dans un
cadre bucolique. Mais, au bout de 14 strophes, un changement de ton radical s’opère et laisse place
au cynisme et au sarcasme. Les corps qui étaient fantasmés sont réduits à leur dimension
scatologique et la nature devient crue :

« Une vache fientera, fière, / A chaque pas … »

Et :

« Les fesses luisantes et grasses


D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc »

Par ce prosaïsme, l’envolée lyrique se fait ironique et la proposition amoureuse insolite. Toute vision
édulcolorée (atténuée, affadie) de l’amour disparaît au profit d’une moquerie des conventions
amoureuses.

( EX autre : Dans « Les Colchiques » d’Apollinaire, Alcools, 1913 = le poète associe l’impensable : le
thème de la nature qui habituellement représente la beauté du monde voit apparaitre des éléments
prosaïques comme les vaches. Le poète et les vaches et leur gardien sont liés par leur chant (les
vaches « meuglent » et le gardien du troupeau chante comme le poète ; ainsi, Apollinaire désacralise
le lyrisme amoureux par l’humour, voire l’ironie.)

 L’utilisation de l’enfance comme sujet d’émancipation (Utilisé aussi dans le thème des fugues et
de la nature)

Le C de D = œuvre de jeunesse de R , donc on peut considérer la jeunesse ou l’enfance


comme un enjeu d’affranchissement. Adolescent au moment de l’écriture, l’enfance est
l’état que le poète est en train de quitter, le moment où il s’émancipe des tutelles diverses.
Pour autant l’univers de l’enfance est maintenu stylistiquement. R quitte ce monde pour le
manipuler, le transformer et en faire un objet littéraire non pas puéril mais signe de rupture
dans l’écriture. Il en fait une marque stylistique. Puisque cet univers est peu valorisé, il est
inattendu de trouver des marques enfantines, ce qui amène l’étonnement, voire
l’amusement de la part du lecteur.

Ex : « Au Cabaret –Vert » = peint de façon pittoresque un moment de bien –être


pendant un vagabondage adolescent. Le poète décrit ce qu’il consomme : « des tartines,
du beurre et du jambon ». Derrière le caractère insolite de ces images prosaïques, c’est
une réelle modernité stylistique et poétique qui est proposée. Le texte est très sensoriel
et le « je « lyrique loin des grandes effusions lyriques poétiques, se découvre dans
l’exploitation des sens développée par des aliments simples voire triviaux. En outre, il est
à noter que dans le premier quatrain »tartines « rime avec « bottines », rimes
inhabituelles créant une forte tonalité enfantine et amusante. AU V 8, la fille aux tétons
énormes rappelle les épithètes homériques qui servent à qualifier un individu par la mise
en valeur d’un trait physique ou d’une qualité. Ici, les « tétons « sont aussi enfantins que
vulgaire et la suite : « Celle là, , ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! » est une pure
provocation adolescente. Les termes enfantins sont donc utilisés ici pour provoquer et
mettre à mal la tradition grandiloquente de la poésie classique, à l’image de la posture
relâchée du poète dans le texte : « Bienheureux, j’allongeai mes jambes sous la table »

De manière générale, l’exploitation de la jeunesse va amener un vent de fraîcheur et de


vitalité nécessaire à l’émancipation de l’écriture de R .

EX : « Rêvé pour l’Hiver » : Le poète relate un potentiel (irréel) voyage amoureux en train et y
retranscrit de manière assez picturale diverses impressions ressenties. L’univers enfantin est
visible par le vocabulaire qui exprime une intention affectueuse et les diminutifs tels que « petit »
ou « moelleux » qui relèvent d’une candeur et d’une fraîcheur qui accentuent le cadre doux et
onirique ». Cette création d’un cocon douillet, métaphorisé par le « nid », met en place un
univers dans un univers. Tout y est sensoriel et sensuel, ce qui répond à l’esthétique
rimbaldienne où le monde se découvre en se laissant porter par les sens. Dans le2° quatrain, il
transfigure à nouveau le réel en rendant ce qu’on voit par un train monstrueux et
fantasmagorique. La précision donnée sur les yeux fermés (qui échappent à cette vision) évoque
cette liberté enfantine de fuir ce que l’on ne veut pas subir. De fait, la douceur se maintient et la
fin du poème évoque la sensation d’un baiser comparée à celle de l’araignée, animal qui fusionne
avec le poète. L’animal sort de son emploi habituel et bénéficie dans cette image d’une
connotation positive et sensuelle. Tout prend la forme d’un voyage, d’une fuite et devient ce qui
échappe. L’univers des possibles est ouvert et propice à la création. Ici, la liberté et la sensualité
se découvrent dans le rêve d’une fugue adolescente.

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