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SÉQUENCE 4

CHAPITRE 2

Stendhal, Le Rouge et le Noir


Proposition de lecture linéaire
L’extrait que vous m’avez demandé d’analyser est tiré du roman réaliste Le
Introduction Rouge et le Noir de Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle. Publié en 1830,
ce roman, qui s’inspire d’un fait réel, narre l’ascension dans la France du
Voici ce que vous XIXe siècle d’un jeune homme ambitieux, mais sensible, Julien Sorel, fils de
pouvez dire en intro- charpentier. L’extrait qui nous intéresse est le moment où le lecteur fait la
duction. connaissance du jeune homme, à travers la présentation des membres de sa
Le début de l’intro- famille dans leur milieu de travail.
duction correspond à
un oral où la lecture LECTURE
se fait après avoir
Comme on le voit, le narrateur évoque dans cet extrait l’opposition entre Julien
présenté le texte.
et le reste de sa famille. Il s’agira de voir comment est suggérée cette
opposition, ce sera mon projet de lecture. Pour répondre à cette question,
nous analyserons le texte en montrant qu’il suit deux mouvements : d’abord le
narrateur nous fait découvrir la famille Sorel dans leur milieu de travail (du
début à la ligne 8), puis il se concentre sur l’antagonisme entre Julien et son
père (de la ligne 8 à la fin).
Je vais commencer par analyser le premier mouvement qui porte sur la
Début de l’analyse découverte de la famille Sorel.

Il faut penser à C’est à travers le regard du père Sorel que le lecteur découvre cette famille
préciser les diffé- : le narrateur adopte un point de vue interne, celui du père : on suit les
rentes étapes de mouvements de Sorel qui est à la recherche de son fils, comme le suggèrent
l’analyse. les verbes d’action : “appela” (ligne 1), “vit” (ligne 2), “se dirigea” (5), “chercha”
Ici est clairement (ligne 5), “l’aperçut” (ligne 6).
formulé le premier
mouvement. Ce qui On peut parler de théâtralisation dans cet extrait, puisque le narrateur met en
suit en est l’analyse. scène l’apparition de Julien, crée de l’attente chez le lecteur, en commençant
Pensez bien à par présenter le père et les frères de Julien.
préciser les lignes C’est à l’aide de la métaphore « voix de stentor » (ligne 1) que le père est
quand vous citez.
présenté : le lecteur comprend que c’est un homme fort, puissant.
C’est cette même idée de force qui se dégage de la présentation des frères
avec la métaphore qui les désigne, “espèce de géants” (ligne 2). Cette force
est aussi suggérée par le vocabulaire se rapportant à leur activité : ils ont de
“lourdes haches” (ligne 2), et produisent des “copeaux énormes” (lignes 4).
Les adjectifs « lourdes » et « énormes » suggèrent une force herculéenne
qui manipule ces objets. Mais, de cette présentation des frères se dégage
surtout une certaine déshumanisation : ils ne sont pas désignés par leur nom,
ni leur nombre, mais par la périphrase générique “fils aînés” (ligne 2). De
même totalement absorbés par leur tâche physique, ils agissent à la manière
d’automates. Ainsi, dans l’une des phrases qui décrivent leurs gestes (lignes
3-4), ils ne sont pas sujets du verbe principal “séparait”, c’est leur instrument
qu’il l’est : “chaque coup de leur hache” (ligne 4).

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Ce début d’extrait permet aussi d’observer la relation que le père Sorel
entretient avec ses fils, notamment Julien : il s’agit de l’absence de
communication, relation illustrée par les adverbes de négation qui encadrent
les verbes de communication : “personne ne répondit” (ligne 1-2), “ils
n’entendirent pas la voix de leur père” (ligne 5).
C’est donc tardivement que Julien est mentionné. Lorsqu’il l’est, il est décrit
en hauteur, “cinq ou six pieds de haut” (ligne 6). La première apparition du
personnage est ainsi marquée par la distance qui le sépare de son père,
distance physique, spatiale, qui devient symbolique : la hauteur symbolisant
sa marginalité, son décalage avec le reste de la famille. La deuxième phrase
qui évoque Julien (lignes 7-8), une phrase simple, est construite de telle
manière que l’une des caractéristiques du personnage, son amour de la
lecture, est mise en valeur avec le rejet en fin de phrase : “Julien lisait”. Le
verbe à l’imparfait, dans sa valeur de non accompli et d’habitude, rend compte
d’une coutume, d’une action qui le place en complet décalage avec le lieu, les
Bilan attentes de sa famille.
Pensez à faire un Ainsi cette présentation de la famille Sorel qui met en valeur le héros du
bilan du mouvement roman, montre une opposition entre lui et le reste de sa famille.
avant de passer à
Cette opposition sera encore plus marquée dans les lignes suivantes, qui
l’analyse du suivant.
constituent le deuxième mouvement, et qui évoquent l’antagonisme entre le
père et le fils.
Cet antagonisme s’illustre d’abord dans la proposition indépendante qui
évoque l’aversion du père pour les livres : « Rien n’était plus antipathique au
vieux Sorel » (ligne 8) - le pronom indéfini « rien » reprenant la proposition «
Julien lisait ». Cette haine pour la lecture s’illustre à travers une hyperbole : la
présence de la négation accentuant le sens de l’adjectif « antipathique » mis
au comparatif.
Père et fils sont donc opposés sur le plan des activités : l’un aime lire ;
l’autre déteste cela. On retrouve cette dichotomie dans les deux propositions
juxtaposées qui clôturent le premier paragraphe, “mais cette manie de lecture
lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.” (ligne 10). Ainsi on pourrait
remplacer les deux points par la conjonction de coordination or qui exprime à
la fois opposition et addition (précision). Le recours à l’asyndète (absence de
liaison) marque l’écart qui sépare le père de son fils, ce garçon qui ne s’inscrit
pas dans la logique de travail de la famille.
Cet antagonisme va s’accentuer dans les lignes suivantes, en se focalisant sur
la relation violente entre le père Sorel et Julien. Cette violence est suggérée
par l’adjectif hyperbolique “terrible” (ligne 12) qui qualifie la voix du père. Il
apparaît comme un être peu enclin à la bienveillance. Et cela est confirmé au
moment où il entre en contact avec son fils. En effet, il le fait sous le mode de
la violence. C’est d’abord une violence physique exprimée par la répétition “un
coup violent” (ligne 14), “un second coup aussi violent” (ligne 15). Notons que
le père n’est pas le sujet des verbes “fit voler” (ligne 14), “fit perdre” (ligne 15),
comme pour le déshumaniser, souligner son caractère inhumain. Le recours
au passé simple à valeur de premier plan accentue la violence de ces coups :
les actions viennent briser la tranquillité de Julien.

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À la violence physique de la rencontre succède la violence verbale avec
l’insulte “paresseux” (ligne 18), marquant l’animosité du père vis-à-vis du fils.
On sent que cette animosité est liée à l’activité de Julien, la lecture, les livres
étant aussi qualifiés péjorativement de “maudits” (ligne 18). Cette violence se
retrouve aussi dans le recours à des phrases exclamatives et interrogatives,
“Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que
tu es de garde à la scie ?” (lignes 18-19) : leur emploi suggère une émotion
forte, négative, de la part du père qui reproche à son fils de préférer la lecture
au travail manuel. Cette négativité est aussi suggérée par les allitérations en
[t] et [d] employées dans ces mots : elles confèrent à la parole du père une
certaine dureté.
Le père Sorel apparaît donc comme un père violent, sans pitié. Au contraire,
Julien semble une personne renfermée et sensible. Face à la violence de son
père, il ne réagit pas, ne parle pas, comme l’indique la phrase suivante : «
Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de
son poste officiel, à côté de la scie. » (lignes 20-21). Cette phrase ne contient
aucun verbe de parole, aucun verbe d’action suggérant une certaine révolte
de la part du fils. Il semble résigné, comme écrasé par le poids de son père.
Julien ne laisse paraître que son émotion, comme il est indiqué à la ligne 21 :
« Il avait les larmes aux yeux ».
Stendhal propose ici un personnage maltraité, favorisant ainsi un
rapprochement avec le lecteur qui ne peut qu’avoir pitié de ce jeune homme.
Le champ lexical de la souffrance composé des mots « larmes », « douleur »,
« perte » (ligne 21) participe à ce rapprochement en suscitant la pitié chez le
lecteur.
Ce même champ lexical contribue à souligner la douleur du jeune homme
face à la détérioration de son livre, suggérant ainsi sa sensibilité. Cette
sensibilité se traduit d’ailleurs par le recours à une comparaison opérée par
la locution « moins… que » aux lignes 21-22 : « Il avait les larmes aux yeux,
moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il
adorait. » Cette comparaison souligne l’émotivité du jeune homme qui fait plus
cas de son livre que de sa propre douleur.
Enfin, pour bien marquer la différence entre le père et le fils, on retrouve en
fin d’extrait le verbe « adorait » (ligne 22) qui s’oppose à l’adjectif « odieuse
» de la ligne 10 : alors que verbe indique ce que ressent Julien pour son
ouvrage, l’adjectif qualifie l’image que le père a de la lecture. Ainsi père et fils
entretiennent un rapport diamétralement opposé avec les livres.

Conclusion

Elle doit prendre la


Pour conclure, c’est en théâtralisant l’entrée de son héros que Stendhal
forme d’un bilan qui
répond à la question
marque l’opposition entre le jeune homme et le reste de sa famille. En
posée en introduc- commençant par insister sur la force, l’aspect physique du père et des aînés
tion. Sorel, il permet de mettre en exergue la sensibilité de son personnage
principal. De même, en insistant sur la violence du père, le rendant
antipathique, il rend son héros encore plus sympathique. Le lecteur perçoit
Pensez à faire une mieux sa marginalité : il est différent des siens.
ouverture, c’est-à-
dire un rapproche- Cet effet de théâtralisation se retrouve aussi dans la scène de rencontre
ment avec un autre entre le chevalier Des Grieux et Manon, dans le roman Manon Lescaut : le
texte. narrateur-personnage, Des Grieux, évoque Manon en la détachant du reste de
l’équipage du coche d’Arras.

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