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INTRODUCTION

1- Contextualisation

Dans l’histoire littéraire :

LB est un moraliste important du XVIIème siècle. Il est contemporain de Jean de La Fontaine et de la Rochefoucauld, il s’attache
à scruter, à observer avec finesse et justesse ses contemporains, afin d’en esquisser des portraits vifs et critiques. Il devient
un témoin de la société de son temps.

Les Caractères s’inspirent des caractères d’un philosophe grec, Théophraste. Cette inspiration est importante, elle nous montre
que LB se rattache au classicisme et qu’il se range du côté des anciens dans la querelle des anciens et des modernes. Le
mouvement classique, auquel La Bruyère se rattache revêt un fort aspect moral.

Au sein de l’œuvre : Ce qui intéresse La Bruyère c’est l’idéal de l’honnête homme : il s’agit d’un homme qui incarne dans tous
les aspects de son caractère la mesure, la civilité, la tempérance. Ce caractère de l’honnête homme est cœur de son écriture.

Le portrait d’Arrias se situe dans la section « De la société et de la conversation ». Dans cette section, LB montre que la parole
est pervertie et qu’elle est employée pour tromper et dominer les autres. Dès le XVIème siècle, Castiglione avait fixé les règles
de la conversation dans son ouvrage intitulé Le Courtisan ; il insistait sur l’importance de la mesure, de l’écoute et de la maîtrise
de la rhétorique. LB nous propose le portrait d’un personnage prétentieux, imbu de lui-même, persuadé de posséder une culture
encyclopédique.

2- Composition de l’extrait

- Présentation succincte d’Arrias : lignes 1-2


- Un portrait en action : lignes 2 à 6.
- Un coup de théâtre – l’imposture : lignes 7 à 13.

3- Projet de lecture : Comment Jean de La Bruyère compose-t-il un contre-modèle de l’honnête homme ?

4- Lecture expressive du passage.

5- Explication linéaire.
Texte : La Bruyère, Les Caractères, 1688

(VIII). Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et
il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On
parle à la table d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire
ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt
5 des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des
historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater.
Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas
vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur : « Je n’avance, lui
dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’original : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France
10 dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort
interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus
de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous
parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement de son ambassade. »
Citation Analyse Interprétation

1er mouvement : La présentation


d’Arrias

La démesure d’Arrias

« Arrias a tout lu, a tout vu », ligne 1 Parallélisme + hyperbole Ce double effet, l’exagération combinée à la répétition de « tout », permet d’intensifier la prétention du personnage.
Arrias est placé dans l’excès, ce que les grecs appellent l’hybris. Cela est l’opposé de l’idéal classique et de la sagesse
socratique (je sais que je ne sais rien)

Paronomase (lu/vu) Ces mêmes sonorités donnent l’impression qu’il a embrassé un savoir global (lecture + expérience).

« c’est un homme universel », ligne 1 Présent de vérité général + adj hyperbolique. Cela suggère une forme de démesure, idée qu’il se confond presque avec Dieu. (seul Dieu prétend à l’universalité)
Le présent de vérité générale semble confirmer cette dimension de vérité.
La distance de LB.

« Il veut le persuader » / « il se donne


pour tel », lignes 1 et 2. Rythme binaire Même structure phrastique ; d’abord, évocation de ce que pense être Arrias, puis on note une distance critique de LB en 2nde
partie de phrase : l’auteur nous montre que la première partie de l’affirmation est fausse.

« homme universel », ligne 1. Antiphrase Marque d’ironie qui montre que LB se moque de ce personnage. = registre satirique.

Un homme vaniteux

« il aime mieux mentir que … », l.2 Comparatif de supériorité Le blâme d’Arrias se fait de manière directe : le comparatif révèle la valorisation du vice au détriment de la vertu.
VERBE AIMER Cela révèle que le vice d’Arrias est volontaire. On comprend aussi qu’Arrias est un manipulateur.

« Persuader », « se donne pour tel », CL de la dissimulation Ces termes révèlent le faux-semblant d’Arrias / le masque social porté par Arrias. Cela permet à LB de montrer le caractère
« mentir », « paraître », l. 1-2 théâtral d’une société fondée sur le paraître.

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Jean de la Bruyère, dépeint brièvement, mais efficacement le Ø Le personnage d’Arrias, tel qu’il est présenté par La Bruyère, constitue l’inverse de l’honnête homme, idéal du
But de ce mouvement portrait d’un pédant, à la fois vaniteux et orgueilleux. Il en XVIIème siècle, oubliant toute forme de mesure et de tempérance.
fait la satire, sans concession.
2ème mouvement : Une mise en
situation d’Arrias Ø LB s’inscrit dans la tradition satirique du repas ridicule (déjà moqué par Boileau en 1665 et Horace).
-------------------------------------------- « table d’un grand » pose un contexte mondain et indique que certaines règles de conduite sont attendues.

Une discussion unilatérale

« il prend la parole », « il discourt », Verbes de parole Cette abondance de verbes montre une forme de monopolisation de la parole de la part d’Arrias.
« il récite », lignes 3 à 5.
Procédé de juxtaposition La longueur de la phrase transcrit l’amour d’Arrias pour la parole. Forme de logorrhée verbale.

« il prend … en savent », l.3-4 Allitérations en /p/ et /l/ Les sonorités peuvent évoquer le ton ampoulé employé par Arrias pour parler, comme s’il insistait sur chaque syllabe. Cela
peut aussi mimer son flot de paroles.

« prendre parole » … « ôte », l.3 Verbes d’action synonymes Ces verbes dévoilent un aspect autoritaire du personnage = il confisque la parole. Ceci est une marque de grossièreté.

« qui allaient dire ce qu’ils en Périphrase verbale. Cette périphrase montre que la conversation était sur le point de commencer ; elle révèle donc que ce n’est pas une
savent », l.3-4 discussion : les convives ne parlent pas. C’est plutôt un monologue.

« il prend … il s’oriente … il Pronoms personnels en fonction de sujet + anaphore Surabondance de ces pronoms qui saturent le texte. L’anaphore insiste sur le fait qu’il ne laisse nullement la place à l’autre
discourt », l.3-4 pour parler. Non maîtrise des codes de la conversation. + position de sujet montre qu’il se pose au centre des débats, il
envahit tout l’espace. C’est une forme de narcissisme que l’on verra plus tard.

Arrias l’affabulateur

« comme s’il en était originaire », l.4 Subordonnée de comparaison hypothétique. Ø Cette subordonnée révèle la fausseté du personnage ; il est question d’invention des faits.

« des mœurs de cette cour, des femmes Enumération Cette énumération donne l’impression qu’il a voyagé ; effet d’accumulation donne le sentiment qu’il vécu de riches
du pays … », v.7 expériences (variété des sujets). Mais c’est en réalité un effet d’ironie. (puisque LB a révélé que c’était mensonger). Donc
cette énumération amplifie son caractère fallacieux.

« Historiettes », ligne 6. Suffixe dépréciatif Le suffixe est réducteur. Il révèle qu’Arrias raconte des récits qui, somme toute, n’ont pas de valeur.

« qui allaient dire ce qu’ils en ANTITHESE (savoir / discourir) Opposition entre Arrias qui parle sans savoir et ceux qui savent mais qui ne peuvent parler.
savent », l.3-4

Arrias, public de sa propre parole

« il les trouve plaisantes » CL du divertissement. Ces termes liés au divertissement suggèrent une forme de narcissisme càd une forme d’autosatisfaction. Il constitue son
« il en rit le premier », l.6 propre public. Les convives sont alors réduits au rôle de figurants.

« éclater », l.6 Hyperbole Celle-ci montre l’absence de retenue du personnage. Ce rire est une absence totale de savoir vivre .
LB propose une sorte de caricature dans laquelle il tourne Arrias au ridicule.

But de ce mouvement. Ainsi, Arrias est le comédien et le metteur en scène de sa


propre scène théâtrale. Il est également le public de sa La Bruyère dresse finalement un portrait antithétique à celui de l’honnête homme, modèle du XVIIème siècle. Arrias n’est ni
propre parole, ce qui va à l’encontre des principes vrai, ni authentique, ni naturel, ni mesuré ; il est aux antipodes des caractéristiques de l’honnête homme.
conversationnels du XVII.
3ème mouvement : L’imposture
d’Arrias
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Une péripétie ð Ce nouveau locuteur s’oppose à Arrias : dans ses propos et dans sa manière de faire.

« Quelqu’un se hasarde », l.7 Pronom indéfini Ce pronom maintient l’anonymat qui permettra la chute finale ; on ne nomme pas celui qui parle, ce n’est pas important.
Cela montre également que pour Arrias, ce qui prime, ce n’est pas l’interlocuteur, mais lui-même.
+ verbe « hasarder » Ce verbe montre que la contradiction est une entreprise dangereuse. L’attitude de ce locuteur est prudente et modeste
(opposé d’Arrias).

« lui prouve nettement », l.7 Lexique de l’argumentation Ce « quelqu’un » incarne la véracité, à l’opposé d’Arrias qui incarne le mensonge. Ces termes sont liés à une argumentation
logique.
La réaction d’Arrias

« prend feu », ligne 8 Métaphore La réaction est tout d’abord physique, l’image révèle une forme d’emportement, qui est le contraire de la mesure prônée par
« l’interrupteur », ligne 8 Périphrase Castiglione. Périphrase délivre le point de vue d’Arrias qui voit cette intervention comme une indignité, voire une attaque.

DISCOURS DIRECT ð Après réaction physique, LB présente la réaction verbale : cela permet de mettre en scène la mauvaise foi
d’Arrias.

« je n’avance … je ne raconte rien Reprise synonymique. Le verbe « raconte » fait écho à « avancer » : il insiste sur la véracité des faits évoqués.
que je sache », lignes 8-9 Négation Ton autoritaire et catégorique exprimé par la négation. C’est une manière de réfuter/discréditer les propos du contradicteur.

« : je l’ai appris de Sethon », l.9 Juxtaposition Les doubles points font office d’explication ; Arrias liste les circonstances précises de ses sources.
+ verbes d’enquête (« appris », « interrogé ») Arrias cherche à donner du crédit à ses propos avec ces verbes ; il se donne une rigueur scientifique.

« Sethon, ambassadeur de France … Expansions (1 apposition + 1 proposition participiale + 3 L’allusion à Sethon fait ici office d’argument d’autorité. Cet effet d’accumulation révèle la soi-disant proximité d’Arrias
aucune circonstance », l. 9 à 11 relaitves) avec ce personnage et met en relief sa volonté d’attester, de prouver ce qu’il dit.
Mais cela crée un effet de submergement et confirme ainsi l’aspect monologué du dialogue. Il reprend le pouvoir et affirmé
sa supériorité.

« Il reprenait le fil de sa narration Préfixe itératif Le préfixe suggère un retour au point de départ ; nouvelle monopolisation de la parole.
avec plus de confiance qu’il ne l’avait Comparatif Le comparatif amplifie l’orgueil du personnage, déjà bien mis en valeur dans les premières lignes (et il prépare la chute)
… » ligne 12
Antiphrase « narration » Toutefois, ce terme replace, de manière ironique, le discours d’Arrias dans le domaine de la fiction et non dans le domaine
du vrai et de la vérité.
Vers le coup de théâtre

« lorsque l’un des conviés … », l. 12 Conjonction de subordination Cette conjonction, couplée au p.simple permet d’introduire une rupture, une chute.

« C’est Sethon … » ligne 12 Discours direct L’identité de l’interrupteur est ici dévoilée. Elle permet un réel coup de théâtre. C’est une formule brève qui, en quelques
mots, contreblance tous les propos d’Arrias.
ð Sethon, dans sa manière de parler, incarne l’honnête homme : sa parole est courte, mesurée, et fine.

Ton sarcastique Usage de la 3ème personne du singulier et du polyptote, afin de reprendre les propos d’Arrias. C’est totalement moqueur.
+ effet de polyptote « ambassade » (+ adverbe fraîchement qui fait allusion au pays du Nord où il séjournait). /

But de ce mouvement Ce mouvement nous révèle l’attitude d’Arrias face à la Ce retournement de situation, habilement préparé par La Bruyère, permet d’installer définitivement le portrait du fat incarné
contradiction ; il n’est ni celui qui écoute l’opposition, ni par Arrias. La supercherie ici dévoilée révèle tout son ridicule.
celui qui dialogue. Le texte se clôt sur le silence d’Arrias,
symbole de son échec.
En conclusion, Jean de La Bruyère propose bel et bien un contre-modèle de l’honnête homme à travers le portrait d’Arrias. Ce dernier est aux antipodes de
l’idéal du XVIIème siècle : Arrias incarne la démesure, la grossièreté mais aussi l’orgueil et la bêtise. Le moraliste affiche donc un regard critique sur son
personnage et il stigmatise la vanité du caractère qui cherche à briller en société ; il nous en œuvre ici une parole creuse qui, au lieu d’élever l’homme, le
ridiculise. Il est possible de comparer le portrait d’Arrias à celui d’Acis, un précieux qui, lui aussi, manipule le langage et se croit homme d’esprit.

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