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SEQUENCE 1 : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle.

PARCOURS : LA BRUYERE, Les Caractères (1688)


La comédie sociale Séance 4 : LIVRE V « De la société et de la Conversation »
Lecture linéaire d’ « Arrias » (§ 9)

I - Introduction
▪ L’auteur & l’œuvre :
Issu de la bourgeoisie aisée, avocat de formation, précepteur du duc de Bourbon, La Bruyère observe, avec
ironie et amertume, le monde de la cour de Louis XIV à laquelle il est mêlé. L'œuvre qui le fera connaître, en
1688, se présente prudemment comme une traduction : Les Caractères de Théophraste (auteur du IIIe siècle
av. J-C) traduits du grec, avec les caractères ou les meurs de ce siècle. C'est en réalité une somme de textes
assez courts, portraits satiriques, réflexions morales, traits ironiques, observations impitoyables sur ses
contemporains et les hommes en général.
▪ Le texte :
Il appartient au chapitre V : "De la société et de la conversation".
LB dresse dans cette section une série de portraits de personnages qui enfreignent les règles du savoir-vivre
et s'opposent ainsi à l'idéal de l'honnête homme, à la fois élégant, discret, cultivé et modeste.
Arrias est le type même du causeur perverti par l'orgueil et l'autosatisfaction. L’auteur le met en scène au
cours d'un repas mondain : il monopolise la conversation, se montre grossier et finit par être démasqué.

II – Lecture du texte

III - Caractéristiques générales du texte


▪ Type de texte : un portrait en action, une saynette, avec un présent à valeur durative (1ère phrase), mais qui
se transforme ensuite en un présent de narration => le texte repose en réalité sur le récit des faits et gestes
du personnage.
▪ Genre : pas de précision spatio-temporelle, pas de détails réalistes (cadre, circonstances, autres personnages)
=> le récit a une dimension atemporelle, et le personnage d’Arrias apparaît comme un archétype. D’ailleurs le
choix d’un nom grec (comme pour tous les portraits de LB : Théophraste, Giton, Phédon, …), nous éloigne de la
réalité immédiate => on se situe dans le genre de la fable : un récit, court et plaisant, tout entier est au service
de la critique moraliste.
▪ Registre : satirique : perso. caricaturé, tourné en ridicule ; il nous fait rire et le narrateur nous invite à le juger
sévèrement.
▪ Thèmes : de la parole et du savoir (c’est le type du beau parleur, du pédant) + des apparences (vanité).

IV – Problématique
Ce texte est un portrait satirique qui, en dénonçant le défaut d'un personnage, permet de définir en creux l'idéal de
l'honnête homme :
Par quels procédés l'auteur ridiculise-t-il son personnage ?

V – Plan du texte

▪ l. 1 à 4 : un court portrait moral (1 phrase) qui campe le personnage > permet de cerner tout de suite le défaut
ou le vice ciblé. A noter l’absence complète de précision physique : c’est un personnage désincarné ; seul
compte son comportement.
▪ l. 4 à 19 : le récit (le perso est tout de suite mis en situation) > contexte fictif : un repas ("à table"), un milieu
aristocratique ("d'un grand"), un sujet de conversat° ("une cour du Nord"). Mais ces indications sont floues +
aucun repère temporel => techniques de simplification et d’épuration propres à la fable et à la caricature.
▪ l. 19 à 23 : la chute par l’intervention d’un autre convive qui démasque brutalement le mensonge d’A. : c’est un
coup de théâtre.
▪ un texte court, nerveux, qui suit un ordre chronologique et présente du discours direct > réelle vivacité.
▪ un portrait indirect : pas de longue description, mais le spectacle du personnage en pleine action.
Ce dispositif a le double avantage : 1) d’être vivant, plaisant ; 2) de soumettre directement le personnage
à notre jugement.
▪ une organisation rigoureuse qui obéit à une logique didactique : le texte n’est pas purement
anecdotique, il est au service des intentions critiques de l’auteur.
Lecture linéaire l. 1 à 4 : Présentation du caractère

OUTILS ANALYSE

Une seule phrase : Pour cerner le défaut, la cible visée.

Temps verbaux : un Exemplaire, typique du portrait ; La Bruyère ne peint pas un homme en


présent atemporel particulier, mais un type humain. Les auteurs classiques insistent sur la
permanence du caractère des hommes.

Jeu sur la focalisation : Arrias est présenté selon 2 points de vue qui alternent subtilement : le
sien, et celui, ironique, de La Bruyère. Cela permet de mettre en évidence
le décalage entre les prétentions d’Arrias et la façon dont il est perçu.

Parallélisme hyperbolique Ex.1 : "Arrias a tout lu, tout vu" = c’est ce qu’Arrias croit ou dirait de lui-
+ adj. « universel » + même (focalisation interne) ; la répétition et les superlatifs donnent un
emphase ton à la fois naïf et excessif à cette affirmation // "il veut le persuader
ainsi" = le verbe « veut » crée une distance critique et ironique = c’est le
point de vue de l’auteur, (focalisation omnisciente) qui souligne l’absurdité
d’une connaissance livresque et visuelle globale.
Ex.2 : "c'est un homme universel // et il se donne pour tel" = la précision
avec le verbe réfléchi « se donne » indique que ce n’est qu’une apparence.
2e partie de la proposition
en opposition => A chaque fois, la 2è partie de la phrase vient corriger la 1ère
introduisant le regard ironique du moraliste ; pour le lecteur, un effet de
surprise plaisante.

Arrias est donc un pédant qui se croit plus savant que les autres et
cherche à faire étalage de ses connaissances afin de briller en société.
Il est imbu de sa personne, persuadé de sa supériorité.

Champ lexical de la « veut le persuader », « il se donne pour tel », « mentir », « paraître ».


tromperie Dénonciation du caractère théâtral => société du paraître
Theatrum mundi (livre p.216) : l’homme se donne en spectacle devant ses
contemporains pour faire illusion dans la société.

Synonymes : un beau parleur, un vantard, un prétentieux, un hâbleur.

Le désir de paraître va conduire Arrias à se ridiculiser.


Lecture linéaire l. 4 à 11 : Portrait en action (Acte 1)

OUTILS ANALYSE

- Pronom indéfini : « on » Le contexte est posé : « on » désigne les courtisans : anonymat


- Groupe nominal : « une Facilite le mensonge du fait de l’éloignement.
cour du Nord »
- Antithèse : « prend / Le mépris des autres : Arrias bafoue toutes les règles du savoir-vivre
ôte » - grossier : il monopolise la parole et la coupe aux autres. Il n’a aucune
éducation et est sans gêne.
- Anaphore de « il »
- Champ lexical de la - égocentrique : il s’oppose à l’idéal classique de discrétion, de naturel et
parole : accumulation de de modestie. Il s’impose et se donne en spectacle.
verbes de paroles au « s’oriente », « discours », « récite » : Donne l’image d’un comédien qui
présent de narration joue un rôle. il sait bluffer.

- Métaphore et - menteur : Moyen habile de tromper ses interlocuteurs mais La Bruyère


comparaison (l.6-7) laisse entendre au lecteur qu’Arrias ne connaît pas le lieu.

- Longueur de la phrase - un beau parleur : intarissable sur tous les sujets : aucune modestie.
- énumération (l.8-9) Aborde tous les domaines, rien ne lui est étranger : il fait croire qu’il est
très cultivé, que c’est un érudit.

- hyperbole (l.11) - content de lui-même : il rit de ses plaisanteries ; il manie l’humour, via
« jusqu’à éclater » des histoires piquantes, sans grand intérêt (diminutif négatif).
- sans retenu : grossier, vulgaire. Il conditionne son auditoire en réagissant
le premier et bruyamment à ses propres discours.

Lecture linéaire l.11 à 19 : Portrait en action (Acte 2 : le retournement de situation)

- Pronom indéfini - Volonté de ne pas donner d’indices pour préparer la chute.


« Quelqu’un » (l.11)
- Verbe « se hasarde » - Suggère la retenue du convive dont le comportement s’oppose
(l.11) radicalement à celui d’Arrias.

- Adverbe « nettement » - Suggère la maîtrise du sujet de la part de celui qui s’exprime et qui donc
(l.12) + verbe « prouver » + ne parle pas pour rien dire, contrairement à Arrias.
adjectif « vraies » (l.13) - logique (démonstration mathématique), clarté, précision des propos.

- Négation totale (l.13) - Donne l’image d’un personnage très sûr de lui, qui ne se laisse pas
déstabiliser par les paroles.
- Métaphore « prend feu » - Arrias est colérique, ne supporte pas d’être contredit. Comportement
(l.14) déplacé vu le contexte. Il perd son sang-froid face au contradicteur : il est
intolérant.

- discours direct : l.14 à 19 Deuxième phrase très longue pour impressionner son auditoire.
Anaphore de « je » + - logorrhée : flux de paroles inutiles et mensongères. La phrase au DD se
multiplication de prop. gonfle à l’image du personnage qui se gonfle d’orgueil.
relatives.
- double négation (l.14-15) -très sûr de lui, ne se laisse pas déstabiliser.
- argument d’autorité (l.16) - il cite un personnage officiel « ambassadeur de France » pour convaincre.
Le langage n’est pas pour lui un moyen d’échanger mais une arme pour occuper la place et se faire
valoir. C'est un donc un personnage grossier et odieux. Ses excès sont mis en valeur par le
comportement inverse des convives.

Lecture linéaire l.19 à 23 : la chute comique

OUTILS ANALYSE

Une dernière phrase Arrias se défend et insiste effrontément : c’est donc le coup de théâtre
déséquilibrée final qui va définitivement ruiner le personnage :

- Reprise ironique de la - la 1ere partie ressasse l’entêtement d’Arrias : gradation dans l’assurance
fiction (imparfait) (l21 : C.C. de manière) fiction /vérité.

- Reprise de l’anonymat - suggère que les convives font preuve de discrétion et cela prépare la
(l.21) chute.

- Discours direct
- 2è partie se contente de donner la parole à un autre ("lorsque l'un des
- verbe « dire » (l.22) conviés lui dit" + effet tranchant des paroles de vérité)
- Choix de la neutralité, pas d’emportement, pas d’excès de la part du
convive ce qui rend l’intervention plus crédible.

Le coup de théâtre repose sur : le passage au discours direct (anonyme) +


l’emploi d’une simple phrase de présentation ("c’est Séthon") + le
surgissement de celui-là même qu’Arrias prétendait connaître.
Une humiliation publique.
A. est démasqué comme menteur, manipulateur et comme imposteur.
pour disqualifier Arrias, pas de long discours, pas de dénonciation en
règle, mais la confrontation directe avec le détenteur de la vérité. C'est
le procédé classique du renversement de situation, procédé comique qui
fait rire au détriment du personnage (l'arroseur arrosé). Une telle chute
sollicite donc encore notre participation active, nous laissant le soin de
formuler la morale de l’histoire.
Cette morale implicite découlant de l’anecdote racontée pourrait être :
« Quand on ne sait pas, mieux vaut se taire ».

CONCLUSION :

La Bruyère dresse ici un portrait ironique du courtisan prétentieux, symbole d’une Cour qui fait tout son
possible pour se mettre en avant, quitte à paraître ridicule.
Grâce aux procédés d’amplification et aux dialogues, le portrait gagne en force et Arrias prend vie sous
les yeux du lecteur. Le personnage s’oppose complètement à l’idéal de « l’honnête homme » du XVIIème
siècle, tempéré, modéré et tout en sagesse car lui est plutôt dans la représentation et dans la démesure.

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