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LA BRUYÈRE, LES CARACTÈRES, « Pamphile » (Livre IX, 50)

ANALYSE LINÉAIRE

Introduction :
=> Dans le Livre IX des Caractères, La Bruyère s'intéresse aux « Grands » = les courtisans les +
privilégiés, le dernier cercle de l'entourage du roi (gradation dans la suite des Livres = princes de
sang, les familles les + puissantes → leur naissance les dispense de faire leur cour = sont de la Cour
sans être courtisans → observation critique du moraliste = sont marqués par les mêmes vices que
les courtisans et les parvenus : suffisance, amour-propre, ingratitude, aveuglement devant les
intrigues des flatteurs habiles )
=> Pamphile est l'un de ces « Grands » (ou du moins « il croit l'être ») = ce portrait caractère nous
montre que Pamphile et tous ceux qui lui ressemblent sont les acteurs de cette comédie sociale que
dépeint et dénonce La Bruyère = personnage en constante représentation, qui ne vit que dans le
regard des autre → à l'opposé de la figure idéale de l'honnête homme
→ Dans ce portrait, généralisation progressive du propos = la figure de l'antonomase permet le
passage de l'individu au type social
→ Extrait qui file la métaphore du « théâtre du monde » = la Cour est par excellence le lieu des
apparences → le moraliste observe ce jeux de grimaces = aspect vivant et comique qui conduit ce
caractère.
=> Problématique : Nous verrons comment La Bruyère, dans ce caractère, passe de la satire
d'un individu à la condamnation d'un type social.
=> L'analyse suivra la progression du texte, elle s'attachera successivement aux aspects suivants :
→ Un courtisan hautain et inaccessible (Pamphile = le type même du vaniteux)
→ du début de l'extrait à « ...et qui ne veulent pas le mépriser. »
→ L'archétype de l'homme de cour (Un faux grand) : de « Un Pamphile est plein de
lui-même... » à « ...à qui n'a point encore fait sa fortune. »
→ La métaphore théâtrale au service de la satire (Un personnage comique) :
de « Il vous aperçoit un jour ... » à « ...des Floridors, des Mondoris. »

=> Analyse :
1er mouvement (Un courtisan hautain et inaccessible : de « Pamphile ne s'entretient pas .. » à
« ...et qui ne veulent pas le mépriser. »)
→ L'antiphrase du nom : Le prénom Pamphile (de pan, « tout » et philein « aimer ») signifie
étymologiquement « celui qui est aimé de tous », « celui qui aime autrui » → C'est par ailleurs le
nom du valet de trèfle dans un jeu de cartes populaire au XIIè siècle, dans lequel il devient la carte
la + forte, alors qu'il est d'ordinaire la figure la + faible = On peut donc voir une double ironie dans
le traitement de l'onomastique (le choix des noms propres) puisque, d'une part, Pamphile cherche à
se hisser au niveau des « Grands » (+ loin dans l'extrait : « Un Pamphile en un mot veut être grand,
il croit l'être, il ne l'est pas , il est d'après un grand ») sans jamais perdre une forme de servilité , et
d'autre part, il cultive une personnalité antipathique, son impolitesse est soulignée → ce personnage
est le type même de l'égocentrique (« Pamphile ne s'entretient pas avec les gens qu'il rencontre », et
plus loin « Un Pamphile est plein de lui-même »)
→ Un rythme qui mime le mouvement et construit le portrait du personnage : → La Bruyère choisit
de montrer le personnage en action = dans ce 1er passage, chacune des propositions a Pamphile
comme sujet (« Pamphile ne s'entretient pas », « il rencontre », « il les reçoit, leur donne audience,
les congédie », « il a des termes », « il a fausse grandeur » = juxtaposition qui mime une série de
gestes et de faits = donne à voir Pamphile → l'énumération « il les reçoit, leur donne audience, les
congédie » rend compte de la brièveté et de la sécheresse des entretiens de Pamphile =
condescendance, morgue du personnage.
→ À l'opposé de « l'honnête homme » : La Bruyère entrecroise les champs lexicaux de la sociabilité
(« s'entretient », « rencontre », « reçoit », « donne audience », « civils ») de la grandeur (« gravité »,
« élévation », « hautain », « impérieuse », « grandeur ») et de la médiocrité (« abaisse »,
« embarrasse », « mépriser ») → Sociabilité = enjeu central de la réflexion sur l'honnête homme =
→ ce dernier doit faire preuve, en société, d'humilité → ce qui s'oppose à la grandeur
affichée de Pamphile (opposition dans l'expression « honnêteté impérieuse » = on entend l'idée
d'autorité tyrannique qui contredit précisément l'amabilité sociale)
→ mais aussi de véritables qualités d'esprit = qui s'opposent à la médiocrité manifeste de
Pamphile (« sans discernement ») → C'est donc tout l'opposé de l'idéal de l'honnête homme =
Pamphile incarne le dédain et la vanité.
→ Petite remarque : on peut repérer un jeu de mots sur l'étymologie de l'adjectif « grave » =
signifie à la fois sérieux et lourd, pesant = le terme est donc en antithèse avec « l'élévation de sa
voix », expression qui est elle aussi ambivalente : peut désigner soit la dignité, la noblesse de ses
propos, soit la portée de sa voix (on pense alors à Théodecte) → on aura vers la fin de l'extrait :
« vous parle si haut » = confirme l'amplitude. → On retrouve un oxymore (« il a une fausse
grandeur qui l'abaisse ») = souligne l'artificialité du personnage → la formule sera développée
dans le mouvement suivant , avec une succession de précisions : Pamphile est l'imitation ridicule
d'un « grand », une sorte de petit « grand », il s'agit donc d'un portrait burlesque

2ème mouvement : (l'archétype de l'homme de cour = un faux grand, de «Un Pamphile est plein
de lui-même » à « à qui n'a point encore fait sa fortune. »)
→ La figure de l'antonomase : En utilisant la figure de l'antonomase (on passe de l'absence
d'article : Pamphile, à l'article indéfini singulier : un Pamphile → pour enfin déboucher sur l'article
défini pluriel : Les Pamphiles) , La Bruyère passe du nom propre (Pamphile) renvoyant à un
individu unique, à un nom commun, multipliable à l'envi = de ce fait, « un Pamphile » désigne un
type 'humain, reconnaissable à son comportement → on a donc une généralisation du propos = du
coup, non plus forcément un personnage contemporain de La Bruyère, l'homme de cour dissimulé
derrière ce qui serait un portrait à clef, mais une série de caractéristiques ordinaires de ce type
d'homme, le « snob » de la cour.
→ Idée de suffisance posée avec la 1ère phrase : « Un pamphile est plein de lui-même, ne se
perd pas de vue ; ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité »
= les verbes traduisent un enfermement sur lui-même (forme pronominale + pronom renforcé) +
accumulation de « signes » qui marquent sa position à la Cour (« grandeur », « alliances »,
« charge », « dignité ») = un être toujours satisfait de lui-même.
→ « Un Pamphile en un mot veut être grand, il croit l'être, il ne l'est pas, il est d'après un
grand » = imitation et vanité = Pamphile est un acteur de la comédie sociale.
→ L'animation du portrait (petite scène de comédie) :
=> l'extrait repose sur la parataxe (juxtaposition de propositions sans mot de liaison) et
l'asyndète (absence de liaison entre des mots ou des propositions qui se trouvent cependant dans un
rapport étroit de coordination) => crée de nombreuses énumérations rapides = contribue au
dynamisme du portrait : « est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l'idée de sa
grandeur » / « de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité »
=> Autre élément qui permet au moraliste d'animer le portrait = utilisation massive des verbes
d'action dont Pamphile est le sujet : « perd », « sort », ramasse », « enveloppe », « étale » :
théâtralité mise en avant + choix de métaphores très visuelles pour décrire des éléments
plus abstraits ou psychologiques du portrait : « il ramasse (…) toutes ses pièces, s'en enveloppe (…)
l'étale ou le cache »
=> Le moraliste donne ensuite la parole à son personnage, au discours direct : « Mon ordre, mon
cordon bleu » = anime la description → donne des détails visuels : « il sourit », « aussi la rougeur
lui monterait-elle au visage » = La Bruyère achève ainsi de proposer un portrait particulièrement
vivant.
→ Un portrait à charge : (antithèses qui mettent en évidence l'hypocrisie du personnage)
=> Ce portrait repose sur un jeu d'antithèses entre la réalité et les apparences => met en
évidence la caractéristique 1ère du courtisan = hypocrisie, dissimulation, volonté de manipuler
autrui pour arriver à ses fins : « il l'étale ou le cache », « il croit l'être, il ne l'est pas », « homme
du dernier ordre » / « opulent », « puissant », « ministre » → la mentions de la « rougeur » et le
participe passé « surpris » traduisent bien cet écart entre la réalité et les apparences affichées par
Pamphile.
=> Pamphile refuse d'être vu en compagnie de quelqu'un « qui n'est ni opulent, ni puissant, ni
ami d'un ministre » = vaniteux, mais aussi imbu de préjugés : tous les personnages cités occupent
une position sociale en vue (l'énumération « enfle » ainsi le préjugé social)→ à l'inverse, Pamphile
méprise ceux qui n'ont pas encore fait leur « fortune » = mot qui désigne à la fois la richesse et la
réussite sociale.
=> À travers la satire de Pamphile, La Bruyère propose donc une critique des moeurs de son
temps = en particulier la dissociation de l'être et du paraître = il s'agit donc de dénoncer le règne des
apparences dans un monde où la figure du courtisan prend de + en + de place → met au jour la
stratégie qui préside aux relations sociales = hypocrisie et mise en scène (« Si quelquefois il sourit à
un homme du dernier ordre, il choisit son temps si juste, qu'il n'est jamais pris sur le fait »)

3ème mouvement : la métaphore théâtrale au service de la satire (de « Il vous aperçoit un jour
dans une galerie » à « des Floridors, des Mondoris. »
→ Une invitation à entrer dans la comédie : « Il vous aperçoit », « et il vous fuit », « s'il vous
trouve », « il vient à vous », « il vous quitte brusquement », « il vous coupe et vous les enlève »,
« Vous l'abordez » = par le biais du pronom personnel « vous », le moraliste fait entrer le lecteur à
l'intérieur de la saynète décrite = Il instaure même un court dialogue entre Pamphile et le lecteur
(devient alors interlocuteur du personnage) : « et il vous dit : Vous ne faisiez pas hier semblant de
nous voir » » = dispositif qui invite le lecteur à regarder de + près le comportement du personnage
→ Une marionnette risible : le rythme du texte s'accélère = parataxe + asyndètes → les verbes de
mouvement se multiplient (fuit, trouve, vient à vous, quitte brusquement, ne s'arrête pas), les
adverbes et les connecteurs temporels (« un jour », « le lendemain », «tantôt ...tantôt »,
« brusquement » vont créer un effet de balancement = mise en scène comique du caractère
inconstant et changeant du personnage = apparaît dans cette fin de texte comme une sorte de
marionnette, d'automate aux gestes saccadés dont parfois la mécanique déraille.
→ La métaphore du theatrum mundi : « Aussi les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre
(…) vrais personnages de comédie, des Floridors, des Mondoris » = la pointe du texte joue sur la
métaphore du theatrum mundi avec la comparaison « comme sur un théâtre » + antithèse « faux » /
« naturel » ou « vrai » + métaphore « vrais personnages de comédie » (qui poursuit « c'est une scène
pour ceux qui passent ») + référence à deux célèbres acteurs du temps : « des Floridors », « des
Mondoris » (eux aussi transformés en type par le biais de l'antonomase)
=> La Bruyère construit donc une réflexion sur les jeux de cour = chaque courtisan joue un rôle
→ dissimulation, faux semblants et hypocrisie = principes mêmes du courtisan
=> Remarque :dans le contexte du XVIIè siècle, la référence au théâtre peut se doubler de 2
autres significations → le comédien à l'époque est une figure largement rejetée (paradoxe de
ce siècle qui adore le théâtre) = condamné par l'Église qui le juge immoral = la comparaison
est donc dégradante
→ la mention de « comédie » = désigne à l'époque toute pièce de théâtre
= peut aussi évoquer le genre de la comédie,
qui met en scène des gens de basse et moyenne condition → les Pamphiles sont
rapprochés des personnages les moins dignes qui puissent être représentés sur
scène

=> Conclusion :
→ Les Pamphiles ne voient dans les relations sociales que leur intérêt propre : flagorneurs avec
les puissants, méprisants avec les plus humbles = dans ce portrait, La Bruyère reproche aux
courtisans leur comportement outrancier et vaniteux , contraire à l'idéal de l'honnête homme
→ En passant de « Pamphile » à « un Pamphile », La Bruyère en fait un type qui est une variante
du fanfaron, personnage comique par excellence
→ Métaphore du « théâtre du monde » filée dans le texte = façon plaisante de donner à voir cette
« comédie sociale » qui se joue à la Cour.
=> Ouverture :
→ On peut évoquer d'autre exemples de cette comédie :
• IX, 15 : portrait de Théophile, ambitieux et manipulateur
• IX, 32 : « Il y a des gens nés inaccessibles... » = la métaphore théâtrale
• IX, 56 : mensonge et hypocrisie
→ Dans le chapitre précédent (« De la Cour ») :
* VIII, 17 : la suffisance des gens de cour
* VIII, 19 : Cimon et Clitandre = la manière mécanique : 2 automates

=> Grammaire : l'expression de la négation dans le texte


• Négations lexicales : par dérivation = « malheureusement », « inexorable »
• Négations syntaxiques : « Pamphile ne s'entretient pas » (négation totale = marque le
caractère hautain et méprisant), « sans discernement » (vanité et bêtise de Pamphile),
« qui ne veulent pas le mépriser » (attitude de l'honnête homme, à l'opposé de celle de Pamphile),
« ne se perd pas de vue », « ne sort point de l'idée » (négation totale + idée d'enfermement sur lui-
même = égocentrisme de Pamphile), « il ne l'est pas » (antithèse avec « il croit l'être » = faux-
semblants, le règne des apparences), « il n'est jamais pris sur le fait » (hypocrisie et jeu social),
« qui n'est ni opulent, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domestique » (négation
accumulative = enflure et préjugé social), « qui n'a point encore fait sa fortune » (préjugé social,
stratégie), « Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir » (double jeu de Pamphile = mensonge
et hypocrisie sociale), « il ne s'arrête pas » (la mise en scène du mouvement)
• Négations sémantiques : « fuit », « fausse », « cache » = mensonge et hypocrisie
« abaisse », « mépriser » = dédain de Pamphile

=> Le champ lexical de la vanité :


→ la vanité désigne l'autosatisfaction, la suffisance, mais aussi l'insignifiance = le champ
lexical qui la désigne est très varié : « plein de lui-même », « il s'en enveloppe pour se faire
valoir », « l'étale » , « Mon ordre, mon cordon bleu », « veut être grand », « sans discernement »
« gens nourris dans le faux » ...

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