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Agnès Perrin

« La vérité profonde de la littérature c’est ce qui fait tenir


les êtres debout. »
Michel Le Bris, 17 janvier 2010

À Jacques, qui m’a guidée sur le chemin des livres…


Sommaire
Introduction : Pourquoi ce livre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Chapitre 1 : De l’intérêt de la littérature face aux difficultés
de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
w Des constats alarmistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
w Des réponses techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
w Un problème de représentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
w La littérature : une plongée dans l’univers symbolique . . . . . . . . 14
w Des profits symboliques qui ouvrent aux apprentissages . . . . . . 19

Chapitre 2 : De l’intérêt de la littérature pour construire


le citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
w Construire l’être culturel pour l’insérer dans le monde . . . . . . . . 22
w Découvrir le patrimoine et l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
w Développer la pensée et l’esprit critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
w Vers une culture humaniste : interroger et imaginer le monde . . 28
w Lire pour comprendre et agir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Chapitre 3 : De l’intérêt de la lecture littéraire . . . . . . . . . . . . . 38


w Réception des textes et contexte de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
w Entrer dans l’univers du récit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
w Entrer dans une coopération avec l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
w La lecture littéraire et son fonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

Chapitre 4 : La littérature oui, mais quelle littérature ? . . . . . . 51


w « Littérature de jeunesse » et littérature ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
w Quelle hiérarchisation définir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
w Des livres pour une première lecture autonome . . . . . . . . . . . . . . 59
w Des livres résistants et consistants pour former
à la lecture littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .61
Chapitre 5 : Vers la construction d’une didactique
de la lecture littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
w Organiser les lectures en parcours : quels fondements
théoriques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
• Structurer les connaissances sur les personnages
et leurs actions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
• S’approprier les structures textuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

© Retz, 2010.
ISBN : 978-2-7256-2960-5
w Conduire une lecture experte : quelques propositions . . . . . . . . 71
• Analyser la narration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
• S’appuyer sur ces relevés pour construire le sens . . . . . . . . . . 72
w Un exemple précis : Pipioli la terreur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
• Observer les personnages pour construire un premier effet
de sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
• Observer le rapport texte-image pour une lecture
plus distanciée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
• Organisation de la séquence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
w Quelques pistes pour organiser des parcours . . . . . . . . . . . . . . . 83
w Construire le personnage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
w S’approprier la structure des œuvres et la manière
dont les auteurs invitent le lecteur à la création . . . . . . . . . . . . . 86

Bibliographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
w Pour aller plus loin : quelques œuvres fondatrices . . . . . . . . . . . 89
w Bibliographie des ouvrages pour la jeunesse cités . . . . . . . . . . . 90
w Bibliographie des ouvrages pour la jeunesse cités,
par ordre alphabétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

4
Pourquoi ce livre ?

L es programmes 2002 pour l’école primaire étaient sous-


tendus par une grande ambition, qui semblait relever
du défi passionnant pour les uns, quasi insurmontable pour
les autres. Ils exhortaient les enseignants à initier vérita-
blement les élèves à la littérature et à la lecture interpré-
tative. Une telle affirmation présuppose tout d’abord la
reconnaissance de l’existence d’une littérature spécifique
pour l’enfant qui ne « se situe pas en dehors de la litté-
rature que lisent les adultes »1. Elle suggère ensuite que
cette initiation est indispensable à la formation de l’élève
à l’aube du xxie siècle et qu’une didactique doit s’installer
progressivement pour faire de l’élève un être lettré qui
pourra choisir, lire et apprécier les plus belles pages de
notre patrimoine littéraire passé ou à venir.

w Pdeourla comprendre les débats sur le rôle


littérature à l’école
Enseigner la littérature dès le plus jeune âge ? Une ambi-
tion légitime pour les équipes de recherche en didactique
qui prônent depuis plusieurs années la reconnaissance
d’une nécessité à initier l’élève à la lecture littéraire dès
l’école maternelle. Un défi à relever pour une majorité
d’enseignants du premier degré, formés plutôt à la lecture
des écrits sociaux, connaissant mal, peu ou pas du tout
le domaine de la littérature, jusque-là traditionnellement
réservé aux « spécialistes » du second degré. Une ineptie
ou une gageure pour les détracteurs de cette politique qui
ne voient dans la littérature pour enfants qu’un sous-pro-
duit littéraire sans commune mesure ou sans lien avec
les textes classiques ou patrimoniaux. Une ineptie ou une

1. MEN, La littérature, cycle des approfondissements, document d’application 5


des programmes, CNDP, 2002.
gageure également pour un certain nombre d’enseignants
du second degré (mais aussi du premier) qui dissocient
totalement l’acquisition de compétences dites de base en
lecture de celles du lecteur de littérature. « Contentez-vous
de leur apprendre à lire, nous ferons le reste », m’a dit un
jour une collègue enseignant les lettres en classes prépa-
ratoires aux grandes écoles. De telles remarques, relevant
certes de l’empirisme et de représentations idéologiques
bien ancrées dans certains groupes sociaux, sont intéres-
santes car elles traduisent l’ampleur des controverses sur
la place de la littérature dans l’enseignement.
Les contradictions ne manquent pas et le débat fait
rage pour savoir si la littérature a réellement sa place à
l’école ou si elle risque tout simplement de disparaître
pour diverses raisons, comme l’affirme J.-C. Chabanne2.
Disparaître faute d’avoir une place clairement identifiée
et identifiable dans les apprentissages. Disparaître faute
d’avoir permis aux enseignants de s’approprier une disci-
pline exigeante et une didactique encore balbutiante pour
beaucoup d’entre eux. Disparaître à force d’instrumenta-
lisation du texte pour d’autres activités : décodage, gram-
maire, analyse formelle, etc.

w Pà our comprendre qu’elle est indispensable


la formation du citoyen et du lecteur

En 2008, par la publication de nouveaux programmes


pour l’école, l’État semble donner une réponse au cher-
cheur, si ce n’est en tirant un trait sur cet enseignement,
du moins en amoindrissant considérablement le poids
de cet apprentissage. Le comble du paradoxe quand on
veut lutter contre l’illettrisme et opérer un retour à des
savoirs plus traditionnels. En effet, ce texte officiel publié
tout autant à l’intention des parents que des enseignants,
exclut d’emblée tout positionnement professionnalisant ou
formatif. Il augmente le poids des aspects formels de la

2. Jean-Charles Chabanne, Alain Dunas, Jean Validivia, « Entre social, affects


6 et langages, l’œuvre comme médiation : prendre la littérature au sérieux dès l’école
primaire », in Le français aujourd’hui n° 145, AFEF 2004.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

maîtrise de la langue en installant un lourd programme


de notions grammaticales et orthographiques, mais dimi-
nue l’horaire scolaire. Cependant, l’idée de la littérature
n’est pas rejetée totalement, puisqu’on l’évoque à travers
quelques points très parcellaires : une première culture
littéraire, des œuvres destinées à l’enfance ou à la jeu-
nesse, des textes patrimoniaux, des contes et de la poésie.
Dans le même temps, le ministère instaure l’histoire des
arts comme une nouvelle discipline scolaire afin de déve-
lopper la culture humaniste mais comble de la contradic-
tion, transforme l’éducation à la citoyenneté en instruction
civique. Pour toutes ces raisons, les maîtres continuent de
s’interroger. Conscients que l’accès à la culture est une
des clés de la réussite sociale, ils travaillent avec le monde
du livre (bibliothèque, incitation à la lecture personnelle)
mais restent souvent perplexes ou démunis face à la prise
en compte du littéraire comme objet d’enseignement légi-
time à l’école primaire. Ce livre se propose donc d’engager
une réflexion de fond sur la place de la littérature à l’école.
Les débats autour de cette question sont souvent vains.
En effet, la littérature apparaît comme indispensable à la
formation de l’élève et à l’éducation de l’enfant, mission
prioritaire de l’école.

w Pdeoursonpermettre de comprendre l’organisation


enseignement

Enfin, il est indispensable de conduire une réflexion didac-


tique pour comprendre en quoi la lecture littéraire est une
condition nécessaire à la formation du lecteur. Il ne s’agira
pas de proposer des séquences d’enseignement précises,
mais plutôt d’ouvrir des pistes réflexives pour le choix et
l’organisation des lectures travaillées avec les élèves.

7
De l’intérêt de la
littérature face aux
difficultés de lecture
w Des constats alarmistes
Les études internationales, notamment l’étude PIRLS
2006, font état de mauvaises performances en lecture pour
les élèves français à la fin de leur quatrième année de sco-
larisation obligatoire. C’est notamment sur les capacités
à inférer et à interpréter (centrées sur la lecture de textes
narratifs) que les élèves français montrent des scores rela-
tivement inquiétants. En outre, si on compare cette étude
à celle réalisée en 2001 on remarque que leurs résultats
sont stables. Le problème est donc durable ou récurrent.

Extrait de la note d’information du MEN (mars 2008)

« En 2006, quarante-cinq pays ou provinces, dont vingt et un pays européens,


ont participé à l’enquête internationale PIRLS qui vise à mesurer les performan-
ces en lecture des élèves à la fin de leur quatrième année de scolarité obligatoire
(CM1 pour la France). L’épreuve contient dix textes à partir desquels est évaluée
la maîtrise de quatre grandes compétences.
Si l’on restreint la comparaison aux pays de l’Union européenne, la France,
avec un score de 482 points, se situe en deçà de la moyenne européenne fixée
à 500 et ce, quelle que soit la compétence ou le type de texte considéré.
Comparativement aux élèves des autres pays, les élèves français réussissent mieux
les questions qui portent sur des textes informatifs plutôt que narratifs.
En outre, il est manifeste que les élèves français sont plus à l’aise avec les questions
à choix multiples de réponses (QCM) et, en revanche, s’abstiennent de répondre
encore plus que dans les autres pays lorsque les réponses doivent être rédigées.
Comparées aux résultats obtenus lors de PIRLS 2001, les performances de la
France sont statistiquement stables.

8
Quelle place pour la littérature à l’école ?

S’appuyant sur ce constat, le ministère de l’Éducation


nationale impose une nouvelle réforme des programmes,
estimant que les textes officiels publiés en 2002 n’ont pas
fait suffisamment évoluer les pratiques pour permettre une
amélioration des compétences des élèves français. Nous ne
reviendrons pas sur le fait que les historiens de l’éducation
(et notamment André Chervel) ont montré qu’on ne pou-
vait mesurer les effets d’une réforme sur une échelle tem-
porelle aussi restreinte. Nous ne chercherons pas non plus
à établir à tout prix une corrélation entre cette absence
d’évolution des performances des élèves et la diminution
constante du temps consacré à la formation continue, mais
aussi initiale, des enseignants, voire aux nombres d’heures
imparties dans les programmes à la maîtrise de la langue
orale et écrite. Rappelons simplement que l’enseignement
de la littérature à l’école élémentaire n’a été institué qu’en
2002 seulement. Tous les enseignants n’ont pas été formés
à sa mise en œuvre didactique. Rappelons aussi que les
programmes 2008 ont largement rompu avec la dimension
formative des instructions et des documents d’accompagne-
ment précédents, pour rendre les programmes accessibles
à tous (parents comme enseignants) et laisser la liberté
pédagogique (réelle ou apparente ?) aux maîtres, générant
ainsi une grande confusion sur les attentes institutionnel-
les et supprimant le guidage didactique indispensable à la
réalisation des choix pédagogiques.
Avant de proposer une remise en question des pro-
grammes pour combler les lacunes en matière d’acquisition
du lire, l’institution devrait plutôt s’atteler à la recherche
de l’ensemble des facteurs de difficultés. Naturellement,
l’enseignement de la lecture dans son ensemble est à interro-
ger. C’est donc ce qui nous préoccupe ici pour pouvoir déter-
miner la place du littéraire dans ce contexte complexe.
Quand on évoque les bases de la lecture, l’acquisition
du décodage (aptitude à identifier les mots) est mis au
centre des débats. La nécessité d’un retour aux « méthodes
traditionnelles syllabiques » apparaît dès lors incontour-
nable pour les médias et certains politiciens ou lobbies
9
Chapitre 1

idéologiques. Cette nécessité apparente est posée comme


un postulat de départ, que nul dans le grand public ne
semble remettre en question. Cela installe une défiance
des parents d’élèves à l’égard des choix exercés par les
enseignants. Pour montrer l’intérêt porté à la question et
donner des gages aux traditionnalistes, on recentre (ou on
en donne l’impression) les programmes sur la dimension
technique de l’apprentissage, rappelant qu’avant de lire
des textes il faut apprendre à lire des syllabes, puis des
mots et des phrases. On cherche à revenir vers des démar-
ches anciennes (proches de celles en vigueur au début du
xxe siècle qui voyaient la lettre et la syllabe comme unité
de base de l’apprentissage). Les tenants de ces méthodes
rejettent, au cycle 2 – moment des apprentissages fonda-
mentaux – l’idée même du littéraire parce que ce support
est jugé inaccessible à ce stade d’acquisition. Dans cette
perspective, la littérature ne devrait être réservée qu’aux
vrais lecteurs, ceux qui auraient gagné peu à peu le droit
de lire seuls des textes plus exigeants. Certes, les derniers
programmes pour l’école ne disent pas exactement cela,
et le document d’accompagnement Lire au CP, publié sur
le site Eduscol en février 2010 rappelle l’importance du
littéraire dans l’apprentissage. Néanmoins, la description
de l’activité de lecteur faite dans les programmes, seule
communication pour le grand public, peut laisser supposer
que c’est la démarche requise par ces dernières instruc-
tions. Une conception particulière de l’enseignement du
savoir lire transparaît nettement : apprendre à lire devrait
se décliner en plusieurs étapes successives : apprendre
à déchiffrer les textes adaptés pour cette activité, avant
d’apprendre à comprendre leur sens littéral et enfin, plus
tard, apprendre à interpréter les textes d’auteurs pour
accéder à la littérature. Pourtant, si on regarde de près
l’étude évoquée ci-dessus, on se rend compte que le vrai
problème se situe en CM1, donc bien avant l’entrée en clas-
se de sixième. Elle se cristallise notamment sur la capacité
des élèves à comprendre et interpréter les textes narratifs,
donc appartenant aux genres littéraires.
10
Quelle place pour la littérature à l’école ?

w Des réponses techniques


Naturellement, la majorité des chercheurs dénonce ces déri-
ves idéologiques, trop simplificatrices, et tente d’analyser
sérieusement les racines de la difficulté avérée. Les raisons
les plus souvent invoquées stigmatisent la construction de
l’apprentissage de la compréhension. Roland Goigoux et
Sylvie Cèbe3 parlent d’un déficit dans ce domaine et affir-
ment que l’on se consacre plus à évaluer les compétences
spécifiques à la compréhension qu’à les enseigner. Selon eux,
il faut installer des activités systématiques. Ils en proposent
d’ailleurs de façon assez détaillée autour du texte narratif,
pour favoriser une automatisation et une prise de conscien-
ce par l’élève des techniques employées dans l’acte lexique.
D’autres chercheurs, comme Patrick Joole4, font des constats
similaires et offrent aussi toute une typologie de fiches d’acti-
vités et une méthodologie à mettre en œuvre pour enseigner
la compréhension des textes. Dans ce type d’ouvrage, les tex-
tes littéraires sont utilisés comme un outil au service d’un
apprentissage technique. Ceux qui servent de support aux
activités, dans Lector et lectrix sont d’ailleurs volontairement
choisis parmi des passages assez courts, afin de rendre l’en-
traînement plus efficace. Cependant, ces propositions, certes
fort riches, s’appuient aussi sur une dimension technique au
même titre que le décodage visant l’acquisition de méthodes
et d’automatismes.
Notre propos ici n’est pas de les rejeter car elles ont
fait l’objet de recherches qui ont montré une efficience
indéniable dans le développement de la capacité de com-
préhension. Mais elles nous paraissent insuffisantes pour
faire reculer l’ensemble des difficultés. Autrement dit,
l’incapacité de bon nombre d’élèves à maîtriser la lecture
n’est pas due exclusivement à ce déficit d’apprentissage.
Par ailleurs, on constate parfois que la bonne qualité didac-
tique de ces supports incite les enseignants à travailler la

3. Sylvie Cèbe, Roland Goigoux, Lector et Lectrix, Retz, 2009.


4. Comprendre les textes écrits, coll. « Comment faire ? », Retz / CRDP de l’académie 11
de Versailles, 2008.
Chapitre 1

littérature dans cette unique perspective : entraîner leurs


élèves à la compréhension de textes sans prendre en comp-
te une véritable dynamique culturelle. Pourtant, l’appren-
tissage de la lecture et sa maîtrise ne peuvent se construire
indépendamment de la dimension artistique et culturelle
de l’œuvre littéraire. Il y a donc un risque majeur d’ins-
trumentalisation du texte si on réduit l’apprentissage du
littéraire à ce type d’approche.
La littérature doit être aussi considérée comme un
objet d’enseignement pour elle-même, et pas uniquement
comme un support aux activités d’apprentissage. Elle par-
ticipe à la formation du lecteur, mais aussi du citoyen, et
à la construction de la personnalité. Autant de tâches qui
s’inscrivent dans les missions premières de l’école. Pour
mieux comprendre cela, il convient d’observer divers élé-
ments de la formation de l’élève et du citoyen.

w Un problème de représentation


Gérard Chauveau5 expose les différents processus qui
permettent de comprendre comment l’enfant devient lec-
teur. Dans le suivi de nombreux élèves en difficulté de
la fin du CP à l’entrée en sixième, il a repéré plusieurs
causes qui ne sont pas toujours traitées par l’institution
et les didacticiens de façon égale. Certes, l’automatisation
du décodage que nous avons évoquée précédemment est
décrite comme une condition nécessaire à la maîtrise du
lire. Néanmoins, le postulat qui affirme qu’un bon lecteur
est obligatoirement un bon décodeur ne s’inverse pas. Il
y a d’excellents décodeurs qui n’accèdent pas au sens des
textes. Pour Gérard Chauveau, la question est donc nette-
ment plus complexe. Il évoque naturellement, comme les
chercheurs cités précédemment, des défauts de maîtrise
technique de la compréhension. Mais il montre surtout
– et c’est ce qui nous intéresse ici – que le problème réside
également dans le rapport que l’enfant entretient avec la
lecture. Pour étayer son propos, il compare, par exemple,
12
5. Gérard Chauveau, Comment l’enfant devient lecteur, Retz, 2002.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

les remarques de « bons » et de « mauvais » lecteurs sur


leur propre activité et leur relation à la lecture ce qui per-
met d’observer leurs représentations des fonctions du lire
mais aussi de l’activité lectrice en tant que telle. La conclu-
sion du chercheur est sans appel : chez les lecteurs en dif-
ficulté, les « essais de définition du savoir-lire s’attachent
principalement – voire exclusivement – à l’oralisation (ou
à la diction) et aux unités lexicales (trouver des mots). Il y
a peu de références au texte et à la compréhension. C’est
en fait toute la discipline « français » qui est massivement
décrite comme une juxtaposition de tâches sur le mot ou,
au mieux, la phrase »6.
Ces lecteurs fragiles décrivent donc leur manière de
lire comme un ensemble de techniques mises en œuvre
pour décoder le texte. Le chercheur repère enfin que leurs
difficultés essentielles sont centrées sur une conception
utilitariste de la lecture. Ils ne la perçoivent que comme
une nécessité, voire une obligation, ce qui ne leur permet
pas de tirer un profit personnel de cette activité.
À l’inverse, les bons lecteurs décrivent leur prati-
que de façon plus précise, installant un rapport intime,
personnel à l’acte de lire qui
dépasse le cadre scolaire et Les « bons lecteurs » et leur rapport
témoigne de leur capacité à à la lecture : deux propos d’élèves
particulièrement significatifs
en tirer un bénéfice symbo-
lique. Ces études, qui font « Nicolas affirme “pouvoir lire n’importe
référence aujourd’hui, nous quoi… Pour lire, il suffit de rassembler,
mettre ensemble les mots, deviner pour
permettent donc d’affirmer aller plus vite, et connaître la suite.” […]
que la formation du lecteur C’est Kamel qui résume le mieux les
ne passe pas exclusivement points de vue exprimés dans cette classe :
par des aspects techniques, « Lire c’est le plaisir de s’imaginer dans
l’histoire, d’imaginer des trucs beaux,
bien au contraire. L’enfant merveilleux… de s’instruire, de s’informer,
apprenti lecteur doit aussi de régler les problèmes de la vie quoti-
comprendre que la lecture dienne… ou bien un moyen de penser à
est un acte gratuit qui peut autre chose. » (Comment l’enfant devient
lecteur, Chauveau Gérard, Retz, 2002,
ne servir qu’à soi-même. p. 139.)
Mais pour cela, il faut que le

13
6. Ibid. p. 139.
Chapitre 1

support de travail et la démarche pédagogique permettent


de dépasser la dimension utilitariste du lire. Ne proposer
comme support à l’apprentissage que des écrits conçus pour
le décodage, des écrits documentaires ou sociaux ne favo-
rise évidemment pas cet accès à la dimension symbolique.

w Lsymbolique
a littérature : une plongée dans l’univers

Mais à ce stade de notre réflexion, il est important


de montrer ce que l’on entend réellement quand on évoque
la dimension symbolique des textes et de s’interroger sur
la manière dont on peut la construire.
La fiction crée un univers particulier qui s’inspire du
réel, le décrit, le dépasse ou le transcende. Elle offre donc
ainsi une fenêtre ouverte sur le monde et l’individu qui
permet de mieux le comprendre, le ressentir ou le juger.
Dans Le Rouge et le Noir, Stendhal expose sa conception
du réalisme en ces termes : « un roman est un miroir qu’on
promène le long d’un chemin » montrant ainsi que l’œuvre
de fiction met en scène une ou des réalités du monde et de la
vie. Albert Camus, quant à lui, écrit dans l’Homme révolté :
« Qu’est-ce que le roman, en effet, sinon cet univers où l’ac-
tion trouve sa forme, où les mots de la fin sont prononcés,
les êtres livrés aux êtres, où toute vie prend le visage du
destin. Le monde romanesque n’est que la correction de ce
monde-ci, suivant le désir profond de l’homme. Car il s’agit
bien du même monde. […] Les héros ont notre langage,
nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau
ni plus édifiant que le nôtre. »
Les deux citations semblent éloignées l’une de l’autre
dans la mesure où la première évoque la fiction comme
« un miroir », la seconde comme « une correction de ce mon-
de-ci ». La fonction de la fiction semble donc être analysée
différemment selon les auteurs ou les époques. Ce sont des
différences dans la prise en compte du réalisme qui s’expri-
ment ici. Mais qu’il déforme la réalité ou en présente les
14
Quelle place pour la littérature à l’école ?

différents aspects, dans les deux cas, le récit favorise notre


observation de l’univers. Et c’est là l’essentiel. Le lecteur
s’y plonge, parfois jusqu’à s’y perdre, à l’instar d’Emma
Bovary, personnage qui met en scène une vision romanes-
que du monde. Ainsi, la lecture permet de se projeter dans
des mondes fictifs et symboliques, pour analyser, sonder,
critiquer et donc se les approprier par délégation.
En fait, Camus et Stendal se rejoignent en montrant
que le regard posé par la fiction narrative n’est ni statique
ni uniforme. La métaphore de la promenade chez Stendhal
tout comme l’idée de correction le prouvent aisément. C’est
par le filtre de sa connaissance, de ses émotions, de son
expérience livresque ou réelle, de son projet d’écriture que
l’auteur déchiffre l’univers qui l’entoure pour mieux nous
donner à voir et à sentir ce qu’il veut présenter : un monde,
des êtres de fiction qui vont au bout de leur réalité, don-
nant alors à voir au lecteur ce qu’il ne peut vivre lui-même
par l’expérience. La littérature fonde donc une sorte d’ex-
périence par procuration, par délégation, en résumé une
expérience symbolique.
Cette conception de l’écriture narrative trouve aussi
des échos dans les discours de certains psychologues qui
tentent d’expliquer le rapport de l’être à l’histoire. Jerome
Bruner7 affirme notamment que « le récit donne forme à
ce qui existe dans le monde réel et lui confère même une
sorte de droit à la réalité ». Il montre aussi que les enfants
entrent tôt dans l’univers narratif en se construisant eux-
mêmes des histoires et conclut que, dès le début de notre
vie, nous manifestons une prédisposition au récit. C’est
donc un élément clé de la construction de l’être.
Pour le psychanalyste Bruno Bettelheim8, si « nous
voulons être conscients de notre existence au lieu de
nous contenter de vivre au jour le jour, notre tâche la
plus urgente et la plus difficile consiste à donner un sens
à la vie »9. Cette conquête psychologique ne s’acquiert pas

7. Jerome Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Retz, 2002.


8. Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976,
réédition Pocket, 1999. 15
9. Ibid, p. 13.
Chapitre 1

automatiquement et ne dépend ni de l’âge, ni de la matu-


rité. Il s’agit d’une longue évolution humaine. L’une des
fonctions de l’éducateur est d’aider l’enfant à trouver du
sens à sa vie. Pour cela, il faut qu’il parvienne à dépas-
ser les limites de l’égocentrisme et à admettre que l’on
peut enrichir sa propre vie, immédiatement ou plus tard.
La littérature, sous certaines conditions, nous y conduit
parce qu’elle permet de se projeter dans un univers dif-
férent, sorte de microcosme symbole du monde qui nous
entoure. Ainsi, l’enfant, tout comme l’adulte, trouve dans
les récits qui lui sont proposés des sources d’informations
qui vont stimuler et alimenter ses ressources intérieures.
Mais pour cela, il faut lui donner des histoires qui ne sont
pas construites sur des bases techniques donc dénuées
de sens. Si Emma Bovary se perd dans ce qu’on nomme
aujourd’hui le bovarysme, c’est justement parce que les
œuvres dont elle se délecte au couvent n’ont pas de portée
symbolique, la font rêver sans lui permettre une distance
nécessaire à l’apprentissage. Il faut des œuvres riches, qui
répondent à la définition d’Albert Camus citée précédem-
ment et mettent en scène des situations ne gommant pas
la complexité de l’humain, même si la trame narrative des
récits reste simple. C’est la raison pour laquelle, Bruno
Bettelheim analyse le conte merveilleux comme un formi-
dable vecteur symbolique permettant à l’enfant de trouver
des réponses aux conflits intérieurs qui s’imposent à lui
et qu’il ne peut résoudre seul. En effet, observant la lit-
térature enfantine, il la considère, à quelques exceptions
près, comme trop pauvre pour que le jeune puisse en tirer
un réel bénéfice, car elle ne stimule pas suffisamment son
imagination, ne lui permet pas de développer son intelli-
gence. Il ajoute que le conte et quelques rares ouvrages
particulièrement riches sont les plus propices à favoriser
une réflexion autorisant la résolution de certains conflits
intérieurs (relation au bien et au mal notamment) que se
posent l’homme et l’enfant en particulier. Ces textes, tout
comme les légendes mythologiques, mettent en scène les
grands problèmes auxquels l’homme se confrontera tout
16
Quelle place pour la littérature à l’école ?

au long de sa vie. Les représentations proposées par les


contes sont aisément déchiffrables et donnent à voir un
comportement éthique face à l’affrontement des forces du
bien et du mal qui symbolise, lui, la complexité de la psy-
chologie humaine. Elles prennent alors une signification
réelle pour le jeune enfant. Il s’agit donc, ici, de distinguer,
au sein de la littérature pour les plus jeunes tout comme
dans les œuvres pour adultes, les ouvrages porteurs de
valeurs, forts de charges symboliques, de ceux qui ne mon-
trent que l’écume des êtres, sont des miroirs qui ont oublié
de se promener le long des chemins. Il s’agit enfin d’aller
au bout de la représentation du monde.
Ainsi, mettons de côté les ouvrages très réalistes qui
se contentent de présenter quelques aspects de notre quo-
tidien pour offrir aux enfants des œuvres qui effleurent
ces questions et n’en posent que des reflets, des formes,
une sorte de kaléidoscope de situations. Par exemple, pour
manifester au tout jeune enfant la notion de différence,
préférons Petit-Bleu et Petit-Jaune 10 ou Tout allait bien 11
– qui ne disent jamais explicitement que ces taches de
couleur ou ces boutons représentent le monde humain – à
un ouvrage très réaliste comme Tous différents 12 qui expli-
que mot à mot à l’enfant en quoi la différence est riche
et intéressante, ne laissant aucune place à l’imaginaire
du lecteur et lui dictant précisément ce qu’il doit penser.
A contrario, une œuvre comme Trop ceci cela 13 est forte
car l’illustration propose une représentation inattendue de
la différence évoquée (comme cet enfant qualifié de « trop
rapide » alors qu’il ne se déplace qu’en fauteuil roulant).
Par ailleurs, la fin de l’œuvre (« Ni trop ceci, ni trop cela.
On est tous différents et tant mieux sinon ça ne serait
vraiment pas marrant ») n’expose pas en quoi la différence
peut être source d’amusement. Cette ellipse permet au
lecteur de s’interroger, d’imaginer cette différence.

10. Leo Lionni, École des loisirs, 1970.


11. Franck Prévot, Buveur d’encre, 2009.
12. Todd Parr, Bayard jeunesse, 2006. 17
13. Caroline Palayer, Frimousse, 2002.
Chapitre 1

Bettelheim s’est surtout intéressé aux contes, pré-


textant que les textes pour la jeunesse étaient trop pau-
vres. Pourtant, la production pour enfants s’est dévelop-
pée, notamment autour de
Comment Bruno Bettelheim juge-t-il
la littérature de jeunesse ? l’album et pour la France,
par l’apport des éditions
Expliquant qu’au plus jeune âge l’enfant peut
construire un rapport au monde singulier de l’École des loisirs qui a
et rassurant, Bruno Bettelheim analyse les considérablement renouvelé
œuvres proposées en ces termes : et fait évoluer le genre.
«[…] Je me suis trouvé très insatisfait de la La littérature pour enfants
plus grande partie de la littérature destinée
à former l’esprit et la personnalité de l’enfant ; a ainsi trouvé une recon-
elle est incapable en effet, de stimuler et d’ali- naissance au même titre
menter les ressources intérieures qui lui sont que celle réservée aux
indispensables pour affronter ces difficiles adultes. Si l’album Max et
problèmes. Les abécédaires et autres livres
pour débutants sont étudiés pour enseigner les Maximonstres a toujours
la technique de la lecture, et ne servent à rien autant de succès, atteignant
d’autre. La masse énorme des autres livres et ainsi une sorte d’intempora-
publications qui forment ce qu’on appelle la lité, c’est bien parce que le
« littérature enfantine » vise à amuser l’enfant
ou à l’informer, ou les deux à la fois. Mais la personnage invite l’enfant à
substance de ces écrits est si pauvre qu’elle voyager avec lui au cœur de
n’a guère de signification profonde pour lui. ses fantasmes de puissance
L’acquisition des techniques – y compris celle et de domination sans jamais
de la lecture – perd de la valeur si ce que
l’enfant a appris à lire n’ajoute rien à sa vie. » le dire clairement. Qui est
(Psychanalyse des contes de fées, pp. 14-15) Max ? Tour à tour enfant
puni, étonnant voyageur,
roi puissant d’un peuple de
monstres, enfant fantasque qui revient doucement à la
réalité du quotidien. Il représente donc, quelque part, un
être qui court jusqu’au bout de son destin, pour un instant
seulement, permettant au jeune lecteur de s’approprier
imperceptiblement la frontière entre le réel qu’il rejette
momentanément, ses pulsions violentes qu’il n’est pas en
droit d’exprimer dans le réel et ses rêves de grandeur (ou
plutôt de grandir ?).
Que vit Hyppolène 14 quand elle sillonne l’arbre
sans fin ? Dans quelles méandres de la vie se promène-
t-elle entraînant avec elle le jeune lecteur qui découvre

18 14. Personnage principal de l’album de Claude Ponti, L’Arbre sans fin,


École des loisirs, 1992.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

symboliquement, et presque sans conscience, l’idée de fini-


tude (mais aussi de filiation) dans un périple que le titre
annonce comme infini ? Cette métaphore de l’expérience
de la mort est riche parce qu’elle reste justement à l’état
métaphorique. Le combat avec Ortic symbolise cette lutte
contre le désespoir et la souffrance morale que génèrent la
perte et la peur de l’absence. Il en va de même pour À la
vie, à la…15 ou Thomas ou l’infini 16¸ récits particulièrement
poétiques qui narrent la maladie et la mort de l’enfant
dans une longue métaphore filée du jeu et du voyage.

w Daux
es profits symboliques qui ouvrent
apprentissages

Les notions que nous avons abordées précédemment ne


semblent concerner que le développement de l’être intime.
On pourrait penser alors que ce n’est pas uniquement du
ressort de l’école. Cependant, la question est souvent posée
par l’inscription d’une œuvre comme À la vie, à la… dans
les listes d’ouvrages recommandés pour le cycle 3. Le choix
des rédacteurs du texte est justifié par la qualité de l’écri-
ture : « un roman rare dont l’écriture sert jusqu’au bout
le projet d’évoquer notre insoutenable et précieuse condi-
tion »17, mais ne dit pas comment le travailler et si l’on doit
nécessairement le lire en classe.
L’expérience difficile, vécue et narrée par Serge
Boimare18 dans ses premières années d’enseignement spé-
cialisé, apporte peut-être quelques réponses à ces interro-
gations didactiques. Confronté à des adolescents en rupture
profonde, tant sur le plan scolaire que social, il ne parvient
en aucun cas à les amener à l’apprentissage jusqu’au jour
où il ouvre les contes de Grimm, et les lit inlassablement
à sa classe. L’effet semble magique, puisque les élèves,
peu à peu, réintègrent la sphère scolaire et acceptent

15. Marie-Sabine Roger, Nathan jeunesse, 2005.


16. Michel Déon, Gallimard jeunesse, 1975.
17. La littérature, Document d’application des programmes, 2002. 19
18. L’Enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 2001.
Chapitre 1

doucement de revenir vers les différents apprentissages.


Cette approche empirique lui permet de découvrir une
des fonctions de la littérature qu’il va définir ensuite
par l’appellation « médiation culturelle ». Les recherches
menées et retranscrites dans ses deux ouvrages19 expli-
citent ce qu’il entend par là. Il s’agit de considérer tous
les freins à l’apprentissage et d’admettre qu’une grande
partie des blocages vient des troubles psychologiques des
élèves. La littérature permet à l’enfant de prendre en
compte « les inquiétudes et les émotions qui parasitent
les apprentissages ». Il faut alors favoriser la construction
de profits symboliques pour parvenir à ouvrir l’esprit de
l’enfant au désir d’apprendre et l’aider à rompre avec les
peurs qui le paralysent.

Qu’entend Serge Boimare par médiation culturelle


et quelles sont les conditions à son efficacité ?
« Si l’on veut relancer le processus des apprentissages, si l’on veut restaurer la
relation pédagogique, il me paraît nécessaire de traiter avec les soubassements,
les fondements de cette pensée, même s’ils sont parfois chaotiques, archaïques
ou violents.
Toutefois, si l’on veut maintenir le cadre pédagogique, il est impératif de
respecter deux principes : le premier étant de se servir pour alimenter ce travail
d’une médiation culturelle, que celle-ci soit littéraire, scientifique ou artistique.
Cette médiation devra remplir un double rôle.
1. Permettre aux questions brûlantes et aux inquiétudes premières d’avoir droit
de cité, mais pas n’importe comment, elles devront être contenues, figurées
dans un registre symbolique, dans une métaphore qui les mettra en forme et
les atténuera.
2. Offrir dans le même temps le fil pour s’en éloigner et aménager un cadre où le
passage à l’abstraction et à la règle deviendra possible. Pour comprendre ce dou-
ble rôle de la médiation, je prendrai pour exemple Jules Verne, qui pratique ainsi
tout au long de ses romans, n’hésitant pas à ramener son lecteur au plus près
de ses angoisses archaïques avant de lui proposer un cheminement scientifique.
Et j’en arrive au second principe à respecter pour ne pas dénaturer le cadre péda-
gogique : prendre appui sur ce support, sur cette médiation symbolique, et surtout
ne pas le délaisser pour aborder les apprentissages, y compris ceux qui sont les
plus éloignés de toutes ces préoccupations. C’est à mon avis la meilleure façon
de donner une chance à ces enfants et à ces adolescents qui ont un lourd passif
scolaire : pouvoir supporter la limite et le renoncement qui vont avec la pensée. »
(L’Enfant et la peur d’apprendre, pp. 37-38)

20 19. L’Enfant et la peur d’apprendre et Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2001
puis 2008.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Ce que nous montrent les travaux de Serge Boimare,


au-delà de la connaissance des enfants en très grande diffi-
culté d’apprentissage, c’est l’importance de la construction
de soi dans l’accès aux savoirs développés à l’école. Dans
cette perspective, on observe que la littérature joue un
double rôle : tout d’abord elle est un support important à
l’apprentissage de la lecture parce que, plus que tout autre
type de texte, elle favorise le développement des capaci-
tés de compréhension des élèves. Ensuite, elle permet à
l’enfant de construire un rapport intime au monde qui
l’aide à comprendre ses réactions, à dénouer ses propres
blocages psychologiques et à donner du sens à sa vie, donc
par ricochet aux apprentissages dispensés à l’école.
Avant de clore ce premier chapitre, fondateur de notre
conception de l’enseignement littéraire, citons simplement
une œuvre pour enfant qui met en abyme cette question
de l’accès au symbolique par la littérature : Madassa, de
Michel Séonnet, illustré par Cécile Geiger (Sarbacane
2002). Madassa, personnage principal du récit, ne peut
apprendre à lire parce que « dans [sa] tête, il n’y avait pas
de place pour les mots », trop de souffrances (la guerre, la
mort, la faim, l’absence de ses proches) qui génèrent une
fermeture au monde. Et la maîtresse lui lit des histoires,
dont Le Petit Poucet, « qui avait si peur dans la forêt –
Et la peur du Petit Poucet se promenait dans la tête de
Madassa ». Elle se promène si bien sur le chemin des récits
qu’elle lui laisse à la fin ce périple « des mots pour dire la
peur de Madassa ».

21
De l’intérêt de la littérature
pour construire le citoyen

w Cdans
onstruire l’être culturel pour l’insérer
le monde

Nous l’avons montré dans notre premier chapitre, nous


nous racontons des histoires pour donner du sens à notre
existence. Cette question est souvent vécue comme un frein
à l’utilisation de la littérature à l’école, dont la mission édu-
cative vise essentiellement l’inscription sociale de l’être plus
que sa structuration psychologique qui reste de l’ordre de
l’intime. Néanmoins, les enseignants savent bien que l’un et
l’autre ne sont pas réellement dissociables, et l’une des mis-
sions fondamentales de l’école est de permettre à l’enfant
de s’approprier la culture, comme mode de pensée. Celle-ci
nous permet en effet de nous inscrire dans une commu-
nauté en nous « proposant des catégories communément
partagées »20. En outre, elle favorise notre compréhension et
notre acceptation des événements et de leurs interactions.
Pour Michèle Petit21, l’accès à la lecture est bien sûr, comme
l’affirment souvent les sociologues et les spécialistes de
l’illettrisme, un moyen de rétablir une égalité des chan-
ces liées à « la maîtrise d’un capital culturel légitime dont
bénéficient les enfants issus des catégories sociales domi-
nantes ». Mais au-delà de ce constat, l’auteure montre, à
travers des entretiens conduits avec de jeunes lecteurs, que
la lecture littéraire permet surtout de mieux « résister aux
processus d’exclusion et d’élaborer une marge de manœu-
vre par rapport aux déterminismes sociaux ou familiaux ».

22 20. Jerome Bruner, Culture et modes de pensée, Retz, 2000.


21. Michèle Petit, Éloge de la lecture, Belin, 2002.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Il s’agit donc d’édifier un socle de valeurs communes pour


apprendre à décrypter nos émotions, le monde qui nous
entoure et en comprendre le fonctionnement.
Par ailleurs, les œuvres littéraires constituent une
partie importante de notre patrimoine artistique et cultu-
rel parce qu’elles s’appuient sur les mythes fondateurs
de notre civilisation. Selon Michel Tournier, le mythe est
« une histoire fondamentale », « un édifice à plusieurs
étages qui reproduisent tous le même schéma, mais à des
niveaux d’abstraction croissante 22. » Il permet donc de
croiser l’Histoire universelle avec l’histoire individuelle
à partir de la narration d’un récit simple. C’est aussi une
des raisons pour lesquelles leur lecture est indispensa-
ble et profitable. Dès lors, on le voit, la littérature porte
en elle sa propre finalité. Elle se fonde comme un bien
appartenant à toute une société construisant une part de
son historicité et son système axiologique 23 parce qu’elle
recèle les mythes, les légendes, les valeurs sur lesquelles
cette communauté s’est érigée.
Donner à tous une première culture littéraire, objectif
toujours présent dans les programmes pour l’école, n’est
donc pas un artifice mais une véritable mission éducative
qui favorise la construction d’un être, produit d’une histoire
personnelle, mais qui prend progressivement conscience
de son appartenance communautaire.

w Découvrir le patrimoine et l’histoire


La lecture de la littérature permet donc de percevoir l’ins-
cription patrimoniale. Elle intègre l’enfant à l’Histoire, fer-
ment de la société dans laquelle il grandit. Dans le même
temps, parce qu’elle fonde l’ancrage indispensable au
développement de son sentiment d’appartenance sociale,
elle favorise le développement de la notion de citoyenneté.
De nombreux récits relatent des faits avérés et historiques.
Leur lecture amène le sujet à mieux percevoir la manière

22. Michel Tournier, Le Vent paraclet, Folio, 1978. 23


23. Ou système des valeurs éthique, philosophique, morale, politique, etc.
Chapitre 2

dont l’événement s’est réalisé et, par là même, incite à une


certaine participation du lecteur. Les œuvres constituent
au fil du temps un tissu de références et d’expériences qui
favorise le développement d’une forme de relation empi-
rique aux faits narrés. En outre, elles permettent l’édifica-
tion d’une relation éthique au monde, une éducation sociale
et affective par la projection dans des réalités historiques
qui peuvent être éprouvées symboliquement.
À une époque où l’on rappelle toute l’importance
du devoir de mémoire, ne serait-il pas opportun d’inciter
à lire, ou à faire lire, des témoignages ou des écrits fiction-
nels réalistes sur ce sujet plutôt que de proposer de parrai-
ner un enfant juif mort dans les camps ? Découvrir l’album
Grand-père de Gilles Rapaport24 peut insuffler réellement
la sensation d’horreur qu’impose tout génocide. L’auteur
lui-même précise qu’il veut rendre hommage à son propre
grand-père juif qui a pu échapper aux camps, mais qui a vu
une grande partie de sa famille décimée par la shoah. Dans
le même temps, il explique qu’il s’agit d’une œuvre à la
mémoire de millions d’hommes et de femmes. En effet, effa-
ré par la montée du néonazisme et, en Europe, par le retour
d’une guerre aux origines raciales (le conflit bosniaque),
l’auteur se sent investi d’un devoir : assurer la transmission
de ce legs familial. Il légitime donc son choix scriptural par
le souhait que les parents lisent cet album à leurs enfants,
et constate néanmoins que ce sont plutôt les enseignants
qui le présentent à leurs élèves. Notons au passage que la
narration, qui refuse tout effet pathétique par l’absence
d’ancrage subjectif, hisse le récit au rang de l’universel, lui
conférant ainsi toute sa dimension tragique.
Lire Otto de Tomi Ungerer permet, à travers le voyage
initiatique d’un ours en peluche, de percevoir la souffrance
des peuples quels qu’ils soient. La mère d’Oskar répond
à son fils qui lui demande pourquoi son ami David porte
une étoile jaune cousue sur son manteau : « Les juifs sont
différents, ils ont une autre religion, le gouvernement est
contre eux et leur rend la vie très difficile. C’est injuste
et très triste, on les oblige à porter cette étoile pour les
24
24. Grand-père, Circonflexe, 1999.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

reconnaître. » Comment analyser un tel discours ? Est-ce


conçu comme une franche dénonciation de la discrimina-
tion ? Y a-t-il révolte de la mère ? Elle n’évoque pas d’action
possible : résignation, peur, ou tout simplement sentiment
d’impuissance face à un choix politique qui dépasse une
partie du peuple allemand de l’époque ? Chaque lecteur y
trouvera une interprétation en lien avec sa connaissance
de l’histoire, sa sensibilité et son parcours social. Mais
tout l’intérêt de ce texte pour un enseignant de cycle 3 va
résider dans le regard porté sur la guerre présentée ici
du côté des Allemands qui ont aussi connu la souffrance.
Il ne s’agit pas de dicter la bonne manière de penser, une
éthique unique, mais plutôt de les faire réfléchir à la façon
dont on peut réagir ou ne pas réagir dans une telle situa-
tion, pour les guider vers une éthique sociopolitique afin
de construire chez eux une véritable posture humaniste.
Pour cela, on pourra aussi lire ou faire lire d’autres
fictions comme Rouge Braise de Rolande Causse, Missak
l’enfant de l’affiche rouge de Didier Daeninckx pour com-
prendre comment les êtres peuvent devenir des héros et ne
pas oublier le ferment de notre société. Didier Daeninckx,
à l’instar de Gilles Rapaport, mais de façon plus systéma-
tique, affirme : « Dans mes romans, je tente de déterminer
ce qui reste du passé dans le présent 25. »
Evoquer l’héroïsme d’êtres d’exception, tel Missak
Manouchian, ou l’horreur de la vie dans les camps à tra-
vers Grand-père, ne doit pas faire oublier la vie ordinaire
décrite dans Otto ou Rouge Braise, celle qu’ont vécue les
autres, ceux qui sont restés tapis dans l’ombre et la peur.
Il est important que les élèves aient une vision la plus
complète possible de l’histoire. Ils pourront ainsi admirer
les héros, rejeter l’horreur des camps et du conflit lui-mê-
me tout en comprenant qu’il y avait aussi, à cette époque
comme aujourd’hui, la vie à vivre. Ainsi, ils parviendront
à dépasser une vision manichéenne de cette période histo-
rique d’une grande complexité.

25
25. Newsletter Pocket n° 3.
Chapitre 2

Cependant, comme le
Intérêt et limites du lien histoire /
rappellent Jacques Crinon,
littérature
Brigitte Marin et Jean-
« On voit l’intérêt des croisements discipli- Claude Lallias 26, il ne
naires et des éclairages mutuels que peuvent faudrait pas réduire l’ensei-
s’apporter notamment l’histoire et la littéra-
ture : un roman historique ressuscite une gnement de la littérature
époque, fait revivre des événements, fait à l’école à un moyen d’ins-
comprendre de l’intérieur des mentalités ; truction facile. Le roman
les informations apportées en Histoire, en historique a certes une fonc-
retour, éclairent des allusions non explicitées
dans le roman. tion intéressante, mais ne
Mais ce serait avoir une vue limitée que de doit pas être le seul levier de
s’arrêter à cette conception – instruire sans la construction des valeurs
peine en racontant des histoires, plaire tout citoyennes. C’est aussi par
en instruisant – même s’il s’agit là d’un des
rôles traditionnels de la littérature. Sauf à l’éveil de l’esprit critique et
étendre ce rôle d’instruction à ce qui a été la verbalisation que l’on peut
jadis le principal objet : la connaissance permettre à l’enfant de s’ins-
de l’esprit humain, des passions humaines, crire dans un équilibre social
de ce qui fait agir les hommes confrontés
à leur semblable. » et de s’y positionner en tant
Jacques Crinon, Brigitte Marin, Jean-Claude qu’être réflexif qui analyse
Lallias, Enseigner la littérature, Nathan, 2006, les situations et se décide en
p. 20. connaissance de cause.

w Développer la pensée et l’esprit critique


Le développement de la pensée est une des missions pre-
mières de l’école. L’expérience sensible vécue dans l’activité
lectrice peut déboucher sur un apprentissage et permettre
au jeune de revenir à son propre vécu, à condition qu’elle
soit verbalisée et /ou analysée. Éveiller la citoyenneté va
plus loin que la simple éducation civique. Il s’agit, au-delà
des droits et des devoirs de l’homme qui s’inscrit dans la
cité, de faire comprendre à l’élève que les conquêtes en
matière de droits de l’humanité sont issues de longs pro-
cessus qu’il faut respecter et sauvegarder, voire améliorer.
La littérature nous y aide par son ancrage philosophique.
La révolution de 1789 aurait-elle été possible sans les prises
de position des intellectuels qui ont traversé le siècle des
26
26. Enseigner la littérature, Nathan, 2006.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Lumières et remis en cause explicitement ou implicite-


ment les systèmes de valeurs sociopolitiques et l’ancrage
religieux de ces systèmes ?
De tout temps, certains éditeurs et une certaine
presse, ont accompagné, dans la clandestinité d’abord,
puis au grand jour, ces prises de position. Aujourd’hui,
sont proposées des collections qui mettent la réflexion
politique et philosophique à la hauteur de l’enfant ou de
l’adolescent. Les éditions Syros et Milan, par exemple, ont
créé des collections spécifiques (tissant parfois des liens
entre le documentaire et la fiction) qui permettent d’ins-
taurer un dialogue enfant-adulte et génèrent une prise de
conscience du lecteur face au texte proposé. Des thèmes
divers sont exposés, notamment la relation à l’écologie et
la question des droits de l’homme et du citoyen. Ces collec-
tions dépassent largement le cadre imparti à l’éducation
civique ou à la nécessité d’installer des savoirs historiques.
On entre réellement dans la sphère du vivre ensemble et
de la citoyenneté qui est un des premiers ressorts politi-
ques puisqu’il va favoriser la socialisation de l’enfant et
l’acceptation des règles qu’elle engendre. Pour permettre
une véritable éducation de la pensée, il faut aussi évoquer
les grands problèmes philosophiques et inciter les ensei-
gnants, dès l’école maternelle, à développer des débats
dans ce domaine27 sur des problématiques fortes : « Qu’est-
ce qu’un enfant ? » « Quand on se trompe, est-ce que ça
veut dire qu’on est bête ? » qui permettront de s’exprimer
et d’apprendre à écouter l’autre. Le point de départ, pour
Jean-Charles Pettier, universitaire spécialiste des débats
philosophiques à l’école maternelle doit bien être une
fiction littéraire transcrite dans une bande dessinée.
Elle permet ainsi d’aborder de façon imagée la question
posée et de lancer le débat.

27. Voir le magazine Pomme d’Api et l’accompagnement pédagogique proposé par


Jean-Charles Pettier, ainsi que l’ouvrage de Sophie Furlaud et Jean-Charles Pettier,
illustré par Dorothée de Monfreid et Soledad Bravi, Les p’tits philosophes, Bayard, 27
2009.
Chapitre 2

Anne-Claire Beurthey, rédactrice en chef de Pomme d’Api, s’explique sur les


choix éditoriaux pour la rubrique « Les p’tits philosophes » :
« Quatre petits animaux : un petit cochon naïf, une chatte pragmatique, un
oiseau imaginatif et un loup sceptique. Quatre petits animaux qui s’interrogent
et réfléchissent à l’occasion d’événements de la vie quotidienne. Mais les p’tits
philosophes, ce sont aussi tous les enfants à partir de 3 ans. Car la philosophie
n’est pas seulement réservée aux philosophes de métier. Selon l’expression
de Jacques Lévine (philosophe et psychanalyste, pionnier de la philosophie
pour enfant), tous les enfants sont des philosophes « naturels ». Dès 3 ou 4 ans,
ils partagent les questions que tous les hommes se posent depuis toujours
sur la condition humaine : « C’est quoi être mort ? », « On était où avant
de naître ? », « Qu’est-ce qui rend heureux ? ».
Pourquoi encourager ce questionnement philosophique spontané ?
Parce qu’il permet à chaque enfant de s’inscrire dans l’humanité.
Parce qu’il témoigne d’un intérêt des enfants pour la façon dont le monde
pourrait s’améliorer.
Et parce qu’il manifeste une passion de comprendre essentielle
aux apprentissages […]. »
(Extrait de la préface d’Anne-Claire Beurthey des P’tits philosophes,
© Pomme d’Api/Bayard jeunesse 2009.)

Nous sommes ici, dans le corpus pour la jeunesse


comme dans celui destiné aux adultes, au croisement de
la littérature et de la philosophie. Cela est riche, mais il
ne faudrait pas non plus réduire l’intérêt de la littérature
à ces aspects sociaux ou philosophiques. Surtout, il ne faut
pas rechercher des œuvres à visée didactique sans se pré-
occuper de leur spécificité littéraire au risque, une fois
encore, d’instrumentaliser le texte et l’activité de lecture
littéraire au profit de la construction de connaissances.

w Vetersimaginer
une culture humaniste : interroger
le monde
Cette dernière réflexion interpelle donc la dimension
artistique de l’œuvre littéraire et nous mène à réfléchir
à la notion d’engagement auctorial et éditorial. Nathalie
Brisac, maître formatrice, conseillère pédagogique pour
les éditions de l’École des loisirs, rappelle qu’il faut des
livres à l’école parce que « les livres donnent les clés du
28
Quelle place pour la littérature à l’école ?

réel ». En publiant des ouvrages qui deviennent peu à peu


des classiques de la littérature, cette maison d’édition a
largement contribué à installer un rapport privilégié de
l’enfant avec le livre, à l’école comme dans les bibliothè-
ques. Depuis les années 1980, le livre a pénétré l’école par
le biais des bibliothèques mais aussi par celui d’une rela-
tion de proximité école /éditeur de littérature de jeunesse.
Par les interviews d’auteurs, par l’instauration de collec-
tions d’albums édités en livre de poche, par la proposition
d’abonnements diffusés par les enseignants cet éditeur se
veut partenaire de l’école dans la diffusion de la littéra-
ture. On ne peut faire un relevé exhaustif des thématiques
proposées, cependant, on rappellera que, pour l’essentiel,
elles abordent les grands problèmes humains et philoso-
phiques qui favorisent chez l’enfant une prise de conscien-
ce du monde qui l’entoure : récits de vie (exemple Comment
j’ai changé ma vie, Agnès Desarthe), mise en scène des
stéréotypes légendaires (sorcières, ogres, princesses à
travers les ouvrages d’Olga Lecaye, de Grégoire Soltareff),
relation à la vie et à la mort (Claude Ponti), relations sociales
(La Brouille de Claude Boujon), textes patrimoniaux et
ses détournements (Alice racontée aux petits, Les contes
à l’envers de Boris Moissard). Il s’agit, pour l’École des
loisirs, de proposer une sorte de démocratisation du livre et
de la lecture, mais aussi de publier les grands auteurs qui
« parlent [aux enfants] de leur peur et de leurs émotions,
qui les respectent au plus haut point, qui les prennent pour
des grands, des très grands, parce que les enfants ont les
angoisses qu’on a nous. Ce n’est pas la littérature qui crée
la peur. Ils aiment avoir peur parce qu’ils ont peur pour
de vrai et que ça les aide beaucoup d’avoir peur au travers
d’un livre. D’un seul coup leur peur est mise en mots […]
et c’est sans doute pour cela que l’École des loisirs et les
enseignants [ont] été si souvent mêlés 28. »
De même, les éditions Rue du monde ont vu le jour
précisément dans une relation directe avec l’école. Il s’agit
pour Alain Serre de mettre au cœur des publications des

29
28. Entretien avec Nathalie Brisac, http://www.ecoledesmax.com/portail/N.brisac.php.
Chapitre 2

œuvres qui croisent art et engagement. Et c’est bien parce


que cet éditeur guide l’enfant à la rencontre de l’autre,
de l’ailleurs, parce qu’Alain Serre a choisi le militantisme
comme ligne éditoriale que les publications sont riches.
Isabelle Ollivier et Gersende Plissonneau29, s’appuyant
sur la présentation du catalogue des éditions Rue du
monde 2009, affirment : « L’engagement d’un éditeur doit
alors se lire en étroite relation avec la manière dont dif-
férentes formes de créations littéraires interrogent notre
manière d’habiter le monde. » Il s’agit, pour elles, de se
demander « comment et pourquoi « des livres pour inter-
roger et imaginer le monde » dessinent la géographie d’un
territoire littéraire revisité ». Elles se proposent d’organi-
ser une typologie des ouvrages publiées par les éditions
Rue du monde pour mieux cerner l’engagement éditorial.
Nous ne reprenons ici que quelques aspects majeurs et qui
nous permettent de mieux comprendre les choix réalisés
par Alain Serre. Sa politique éditoriale vise à interroger
le monde dans sa complexité pour éveiller l’esprit criti-
que. On trouve dans cette catégorie des œuvres (albums,
romans documentaires) dont l’objectif est de :
– poser le rapport à l’autre (albums de fiction) ;
– faire rire et réfléchir à la fois ;
– mettre en scène la société de consommation
et mieux la dénoncer ;
– observer l’importance de la liberté d’expression ;
– découvrir des engagements ;
– connaître des événements historiques majeurs.
À ces six collections, les deux universitaires associent
les ouvrages documentaires qui vont permettre de croiser
le réel et la fiction.
Dans le même temps, car l’un ne va pas sans l’autre,
il s’agit aussi d’imaginer le monde. Elles établissent
donc une seconde catégorie dans laquelle elles incluent
des collections :
– qui permettent de découvrir d’autres mondes
ou d’en observer les aspects cachés ;

30 29. I. Ollivier, G. Plissonneau, communication au colloque Littérature et engagement,


IUFM de Strasbourg, novembre 2009 – actes à venir.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

–q ui revisitent en images les grands textes du patri-


moine (Alice au pays des merveilles, Pinocchio) ;
– qui ouvrent les portes de la poésie.
Ainsi, éduquer l’élève à la citoyenneté c’est à la fois lui
permettre d’interroger tout en l’imaginant le monde passé,
présent et à venir.
Les éditions Actes Sud Junior ont aussi fait le choix de
publier une littérature engagée, qui provoque la réflexion
citoyenne. La collection « Ceux qui ont dit non », plutôt
réservée aux adolescents est à cet égard assez exemplaire.
Il ne s’agit plus de narrer l’histoire mais de présenter un
combat sociopolitique symbolisé par une grande figure.
Chaque titre publie donc le récit d’un refus retentissant
incarné par un héros emblématique de cette révolte : Hugo
et son « non » à la peine de mort, Rosa Parks : non à la
discrimination raciale, Lucie Aubrac refusant le nazisme
ou Schœlcher l’esclavage30. Puis, un court dossier docu-
mentaire sur le sujet prolonge la réflexion portée par la
fiction biographique. Ce qui nous intéresse ici, c’est de voir
comment ces œuvres courtes emportent émotion et adhé-
sion des jeunes lecteurs, à un âge où souvent la relation
à la lecture semble difficile. Plus fort qu’un simple docu-
mentaire qui ne fait pas appel à la sensibilité du lecteur,
cette collection permet aussi d’entrer dans la notion de
biographie (même si le choix éditorial n’est pas la biogra-
phie au sens strict du terme, mais plutôt celui du roman
à caractère biographique). Ces œuvres montrent que la
littérature permet aussi de faire découvrir, en les incar-
nant dans leur propre histoire, des aspects d’autres
hommes ou femmes qui ont traversé l’histoire en appor-
tant une pierre à l’édifice socioculturel.
Citons aussi les éditions À dos d’âne qui proposent une
collection à destination des 7-12 ans et plus, « Des graines
et des guides » qui, d’après le communiqué du catalogue,
« dessine une série de portraits de femmes et d’hommes
qui ont changé notre époque. Écrivains, artistes, cinéastes,
musiciens, architectes, scientifiques, médecins... »

30. Voir l’ensemble des titres et des commentaires d’élèves sur le site 31
www.ceuxquiontditnon.fr.
Chapitre 2

Les choix sont éclectiques : aventurières comme Karen


Blixen, écrivains comme Lewis Caroll, scientifiques (et
inclassables) comme Théodore Monod et même l’inven-
teur du Doudou : Donald W. Winnicott31. Ces ouvrages,
à mi-chemin du documentaire et du roman biographique,
permettent d’appréhender la réalité à travers une fiction
narrative.
D’autres lectures, totalement fictionnelles cette fois,
sont aussi fondamentales car ce sont celles qui vont inter-
roger l’enfant en lui permettant une véritable projection,
tant sur le plan psychoaffectif qu’intellectuel. Nous avons
montré à plusieurs reprises (analyse de Max et les maxi-
monstres ou de L’Arbre sans fin au chapitre 1) comment
la littérature favorise le développement psychologique
de l’enfant, or celle-ci favorise aussi un positionnement
éthique qui permet de légitimer la « réalité de certains
produits de l’esprit et de dénier ce statut à d’autres 32 ».
Pour cela, elles doivent être accompagnées, au moins
avec des élèves dont la compréhension est encore fragile.
Une expérience menée dans une classe de CM1 lors de la
lecture de la nouvelle : Le Chat de Tigali 33, mérite d’être
relatée car elle s’inscrit totalement dans cette veine. Ce
journal intime fictif évoque un crime raciste perpétré à
l’encontre d’un chat. Il ne s’agit en aucun cas d’un véritable
témoignage, même si tout dans l’écriture le laisse à penser.
Comme le dit lui-même l’auteur, il transcende le réel pour
mieux le comprendre. Le ressort narratif mis en œuvre par
D. Daeninckx – effet de réel par une description minutieuse
des lieux, par le choix de la modalité d’écriture (le journal
intime d’un coopérant qui rentre de Kabylie en France),
par l’insertion d’éléments issus de la vie elle-même (comme
le traitement du temps dans un calendrier plausible et des
localisations géographiques) – provoque chez le lecteur ce
sentiment d’une réalité universelle. Le choix du chat comme
victime permet à l’auteur d’aller le plus loin possible dans
le récit du racisme, jusqu’à l’inacceptable dans une œuvre

31. Voir l’ensemble des titres parus sur le site : www.adosdane.com.


32 32. Jerome Bruner, Culture et modes de pensées, Retz, 2000.
33. Didier Daeninckx, Le Chat de Tigali, Syros.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

pour enfant : l’assassinat. L’absence de témoin oculaire,


d’enquête véritable, de sanction (enquête-t-on sur l’empoi-
sonnement d’un chat ?), laisse l’événement dans toute sa
brutalité et permet justement à l’enfant d’introduire une
réflexion sur les raisons qui ont pu conduire quelques nota-
bles de la commune à vouloir faire disparaître le chat. Les
changements d’attitude (au milieu et à la fin du roman)
des élèves de l’instituteur-narrateur sont tout aussi riches
d’enseignement. Ces derniers se taisent lors du premier
attentat contre l’animal, puis une fois le chat décédé, ils
offrent des chatons (appartenant à l’importante descendan-
ce de l’animal sacrifié) à la famille en deuil. Cette attitude
rédemptrice (qui intervient au matin de Noël) permet aussi
de réfléchir au choix de certains de ces enfants qui, mani-
festement, s’orientent vers d’autres voies idéologiques que
celles de leurs parents et acceptent de braver un tabou.
L’écriture est donc bien conforme, dans sa complexité
stylistique, aux intentions de l’auteur dans ses publica-
tions destinées à la jeunesse qui dit écrire « des livres pour
les adultes lisibles par les plus jeunes 34 ». Lisant Le Chat
de Tigali, beaucoup d’élèves ne perçoivent ni la critique
sociale, ni le racisme car les problématiques restent sous une
forme implicite et très symbolique, comme dans les œuvres
pour adultes. Il faut les amener à relire certains passages,
à établir des comparaisons, puis à échanger. Martin,
un élève de CM1 s’interroge après la première lecture :
« Mais il est vraiment mort le chat ? Je ne comprends
pas pourquoi on l’a assassiné. C’est un peu bizarre. »
Pour aider l’enfant, l’enseignante guide la classe vers
la relecture des extraits qui mettent au jour l’acte raciste.
Il faut préciser qu’un travail minutieux et indispensable
à la compréhension fine de l’œuvre a été réalisé durant la
séquence pour comprendre l’importance des changements
de lieux et la description du chat dans les deux espaces
géographiques de la nouvelle (le chat Amchiche est né en
Algérie, quand il arrive en France, il semble très différent
de ses congénères).

34. Les dossiers du café « Daeninckx et Serre : engagements croisés » site du café
pédagogique : http://www.cafepedagogique.net/Documents/107_lalonde_daeninckx.pdf 33
(consulté le 30/04/2010).
Chapitre 2

Noémie renchérit : « tu vois, c’est écrit, c’est parce qu’il


est arabe. »
Martin : « Il est pas arabe, c’est un chat, les chats sont
pas arabes ou français. »
Noémie : « Oui, mais dans l’histoire c’est comme
s’il était arabe, c’est un chat immigré parce qu’il vient
d’Algérie et il n’est pas comme les autres chats. C’est pour
ça qu’ils l’ont tué, le chat ».
Un autre enfant ajoute, faisant référence à Tout allait
bien (Franck Prévost) : « Tu sais c’est comme l’histoire des
boutons rouges qui ne veulent pas du bleu. C’est un album
qu’on avait lu en CP. »
Une discussion sur la question de la différence, donc
du racisme, débute qui permet à certains de prendre
conscience de la gravité du phénomène.
Le cas de Martin est significatif. Il clôt l’échange en
disant : « En fait maintenant j’ai compris autre chose.
Je pense que l’auteur, il se sert du personnage du chat pour
nous montrer que le racisme ça peut aller jusqu’à tuer. »
Après une hésitation, il conclut : « Je ne pensais pas que
des toutes petites histoires pouvaient nous dire des choses
aussi graves. Maintenant, je trouve qu’elle est intéressante
car elle nous fait beaucoup réfléchir. »
La remarque de Martin remet bien en perspective
la conception du réalisme exposé par Didier Daeninckx
lui-même. Alors qu’on lui demande : « Le réalisme du récit
n’est-il pas transcendé par une sorte de mythologie du réel ? »
le romancier répond : « Sans doute. Le rôle du romancier est
de restituer les traces des exclus, des laissés-pour-compte. Des
traces qui disparaissent très vite, et qu’on n’a de cesse de vouloir
effacer. Des traces qu’il faut donc recréer littérairement 35. »

w Lire pour comprendre et agir


Les réponses de Didier Daeninckx accréditent la position
de Benoît Denis36 qui affirme que la visée esthétique est

34 35. Interview déjà citée p. 25.


36. Littérature et engagement, Seuil, 2000.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

indissociable d’une dimension éthique. Durant la Seconde


Guerre mondiale, on a vu un essor important de l’écriture
engagée. Citons bien sûr les poètes qui ont tenu une part
importante dans la lutte
intellectuelle 37. On peut Les premières et trois dernières
d’ailleurs s’interroger sur la strophes de « Liberté », Paul Éluard
place faite aujourd’hui par
« Sur mes cahiers d’écolier
l’école à la réception d’un Sur mon pupitre et les arbres
poème comme « Liberté » de Sur le sable de neige
Paul Éluard. Souvent repro- J’écris ton nom
duit par extraits, cet hymne […]
Sur l’absence sans désir
à la liberté écrit durant Sur la solitude nue
la période de l’Occupation Sur les marches de la mort
perd une grande partie de sa J’écris ton nom
dimension éthique pour les
Sur la santé revenue
élèves du xxie siècle. Certes Sur le risque disparu
le début du poème évoque Sur l’espoir sans souvenir
le monde enfantin (cahier J’écris ton nom
d’écolier / pupitre) mais
Et par le pouvoir d’un mot
très vite il bascule d’une Je recommence ma vie
vision réaliste à une repré- Je suis né pour te connaître
sentation métaphorique du Pour te nommer
monde. La fin du poème ne Liberté »
peut être supprimée car c’est Poésie et Vérité, Éditions Gallimard, 1942.
elle qui redonne du sens à
la vie (comme souvent chez
Éluard pour qui « la poésie doit avoir pour but la vérité
pratique ») par le biais de l’écriture et du langage. Il y a
bien risque d’instrumentalisation du texte littéraire si on
extrait l’œuvre de ce contexte particulier.
Le poème a d’abord été diffusé, par des avions, comme
un tract de propagande durant la période de l’Occupation.
On ne peut faire abstraction de ce contexte sans risquer de
dénaturer le sens de l’œuvre. L’engagement littéraire dans
des temps difficiles est donc un moyen de résistance, mais
aussi le moyen de conserver une dignité.

37. Sur ce sujet, nous conseillons de lire la remarquable anthologie de Pierre Seghers 35
La Résistance et ses poètes 1940-1945, Seghers, 2004.
Chapitre 2

On peut, pour s’en convaincre, rappeler l’impor-


tance de la littérature dans toutes les luttes humaines.
On peut aussi constater que malgré sa grande pauvreté, un
pays comme Haïti connaît un essor créatif incomparable,
la littérature étant un des points forts de ce développement
artistique. Michel Le Bris, au lendemain du tremblement
de terre qui a si violemment touché l’île le 12 janvier 2010,
dit en parlant du peuple haïtien : « ça a toujours été la
création qui a fait tenir les êtres » et d’ajouter : « la vérité
profonde de la littérature, c’est ce qui fait tenir les êtres
debout 38 ». Il s’agit bien de montrer la puissance évoca-
trice du texte, comme moyen d’expression pour dénoncer
un quotidien difficile parfois désespérant et communiquer
avec équité et dignité. On retrouve dans cet engagement
l’essence même du littéraire évoqué au début de ce chapi-
tre. Raconter pour exprimer l’émotion et la faire partager.
Cette remarque fait écho à l’observation de Michèle Petit
ou aux propos de Nathalie Brisac quand elle affirme que
les textes peuvent répondre aux angoisses des enfants. La
littérature construit donc un rapport au monde en y inscri-
vant l’être, soit pour mieux l’imaginer, le comprendre, soit
pour espérer le modifier et favoriser une relation éthique.
Cette question était déjà évoquée dans La Poétique
d’Aristote à propos du théâtre : « la représentation est mise
en œuvre par les personnages du drame et n’a pas recours
à la narration ; et en représentant la pitié (eleos) et la
frayeur (phobos), elle réalise une épuration (katharsis) de
ce genre d’émotions ». Cette définition peut être appliquée
à tous les récits mythologiques qui sont un des piliers fon-
dateurs de notre culture européenne. Restituer les traces
des exclus, dire les désirs ou les émotions de l’homme per-
met donc une forme d’éducation, de formation.
La littérature favorise aussi l’insertion du lecteur dans
le monde parce qu’elle l’incite à agir. L’écriture implique
un double engagement. Celui de l’auteur, bien sûr, qui va
nécessairement engager le lecteur. Lors d’un débat orga-

36 38. Interview accordée à Dominique Souchier dans l’émission « C’est arrivé demain »
le 17 janvier 2010.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

nisé par François Busnel dans son émission « La Grande


Librairie » 39, l’animateur interrogeant les différences entre
essai et roman philosophiques demande à l’académicien
Jean-Christophe Rufin d’expliquer pourquoi, à son sens,
le roman est si puissant pour raconter des choses d’une
très grande complexité. L’écrivain répond en montrant que
l’essai s’adresse à un public déjà convaincu et qui se met
en situation d’infériorité, soit parce qu’il veut apprendre
quelque chose, soit parce qu’il souhaite vérifier sa position.
Il ajoute, à propos du roman : « […] les choses sont plus
égales car le lecteur est plus actif dans un roman. Parce
qu’on lui donne des pistes, on lui offre des possibilités,
mais c’est le lecteur qui fait les connexions, c’est lui qui fait
l’interprétation, c’est lui qui comprend vraiment les choses
peut-être mieux que [l’écrivain]. »
C’est donc par les choix des auteurs et par les problé-
matiques développées que l’œuvre littéraire guide l’enfant
vers la citoyenneté. Mais c’est aussi par les débats que
son enseignement va susciter. La littérature est un moyen
d’échange qui favorise l’expression d’une opinion du lec-
teur, l’oblige à se positionner (donc lui donne à voir et à
juger), par le prisme d’une représentation du monde, les
vérités qu’on veut lui proposer. La littérature forme un
lecteur actif et cette action contribue à construire son ins-
cription dans l’univers qui l’entoure.

37
39. Émission « La Grande Librairie » du 29 avril 2010, France 5.
De l’intérêt de la
lecture littéraire

l a réponse de Jean-Christophe Rufin, citée page 37,


évoque l’idée que le lecteur est actif, qu’il contribue à la
réalisation de l’œuvre par l’interprétation. Cette concep-
tion de la relation à la littérature n’est pas nouvelle. Elle
renvoie à de célèbres citations comme celles de Voltaire :
« Les meilleurs livres sont ceux dont le lecteur fait la moi-
tié » ou de Balzac : « Lire c’est peut-être créer à deux ».

w Réception des textes et contexte de lecture


Depuis la fin des années 1960, la critique littéraire tente
de définir ce qu’est l’activité du lecteur pour mieux appro-
cher l’analyse de la littérature elle-même. Ces perspec-
tives nouvelles sont théorisées autour de la notion d’es-
thétique de la réception. Il s’agit d’interroger la manière
dont le lecteur participe à la création du sens. Plusieurs
chercheurs, à des époques différentes, ont travaillé sur ces
notions et ont tenté de les définir pour dégager des formes
de modélisation de l’acte lexique. La première approche
est celle de Hans Robert Jauss40 qui montre que la récep-
tion d’une œuvre littéraire varie en fonction du contexte
social, culturel, historique, politique, dans lequel s’effectue
la lecture. Jacques Leenhardt et Pierre Jozsa41 proposent
d’observer, par exemple, la lecture du roman de Pérec Les
Choses, dans deux pays différents : la France et la Hongrie.
Rappelons que cette œuvre, parue chez Julliard en 1965,

40. Jauss H.R., Pour une esthétique de la réception, Gallimard, Bibliothèque des idées,
Paris, 1978.
38 41. Jacques Leenhardt, Pierre Józsa, Lire la lecture. Essai de sociologie de la lecture.
Le Sycomore, 1982.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

décrit les désirs de consommation, de voyage, de richesse


d’un jeune couple parisien. L’essentiel du récit est centré
sur les descriptions idéalisées et minutieuses des objets
qui prennent une place considérable jusqu’à devenir pres-
que les véritables personnages du roman. Les universitai-
res auteurs de cette étude parviennent à montrer que la
lecture française est assez différente de celle des Hongrois,
parce que chacune est filtrée par les conditions de vie et
la relation à la société de consommation propres à cha-
cun des deux pays. Ainsi, ce qui peut apparaître comme
une critique de celle-ci dans l’hexagone (critique déjà
amorcée par d’autres auteurs, notamment dans la chanson
La Complainte du progrès de Boris Vian ou le film
Mon oncle de Jacques Tati), prend une connotation mélio-
rative en Hongrie, parce que l’accès aux biens de consom-
mation y est encore très limité et reste mythique. Cette
question que nous illustrons avec un exemple pris dans
la littérature adulte se retrouve aussi dans le domaine
réservé à la jeunesse. Une œuvre comme Le Môme en
conserve 42, débute sur le même type de critique. En effet,
Mme Bartolotti, malgré une apparence très anticonformis-
te, nourrit une intense passion pour les achats par corres-
pondance. Elle s’adonne sans réserve à ce plaisir, jusqu’au
jour où on lui livre un enfant en conserve. Cette fiction fait
naturellement réfléchir le lecteur aux questions de bioéthi-
que, et notamment à celle du clonage. Cependant, au début
des années 2000, quand sont apparus les tamagotchis ou
encore des jeux vidéo comme Nintendogs ou les Sims, le
roman de Christine Nöstlinger, publié en 1975, a trouvé
une nouvelle résonnance que l’auteur n’avait vraisembla-
blement pas anticipée. En effet, ce type de jeux vidéo permet
d’installer l’enfant dans une vie virtuelle, la sienne ou celle
des autres qu’il crée, anime, fait évoluer parfois jusqu’à
la mort, déniant ainsi certaines réalités de l’existence.
Ce passage du réel au virtuel qui n’est pas toujours aisé à
analyser, voire à conceptualiser pour le très jeune enfant,
renvoie donc clairement à la problématique centrale
du Môme en conserve, roman pourtant écrit avant
39
42. Christine Nöstlinger, Le Livre de poche, 2007.
Chapitre 3

l’invention de ces jeux. Le lecteur qui possède un


de ces objets électroniques aura une perception certaine-
ment différente du sens de l’œuvre. La dimension critique
lui apparaîtra peut-être moins spontanément, notamment
quand il est jeune et peu
Quand l’enfant devient le Pygmalion rompu à la prise de dis-
d’une Galatée virtuelle et robotisée tance avec la réalité ou les
Le mythe de Pygmalion est un mythe grec choix personnels. Il faudra
relaté par Ovide dans les Métamorphoses : donc l’aider à construire ce
Pygmalion est un sculpteur célibataire et qui rapport à l’œuvre, qui, on
tient à le rester. Un jour, il s’éprend d’une
le voit, est extrêmement
de ses œuvres : une petite statue d’ivoire
représentant une jeune femme. Il la nomme utile pour lui permettre la
Galatée, lui donne vêtements et parures et distanciation nécessaire au
prie Aphrodite de mettre sur sa route une développement de son esprit
femme comme Galatée. Aphrodite donne vie
critique sur la société, mais
à la statue.
Ce mythe représente la puissance créative aussi sur ses choix person-
dont dispose l’homme. Il a donné naissance nels.
à de nombreux ouvrages directement inspi- Cet exemple illustre
rés du mythe (la statue qui prend vie sous
aussi la position de J-C.
l’acte créateur de l’artiste comme Pinocchio
de Collodi), mais aussi par des interventions Ruffin évoquée à la fin du
magiques comme dans Mitch de Grégoire chapitre 2 et de l’esthéti-
Solotareff. Aujourd’hui, les jeux vidéo permet- que de la réception telle que
tent aux joueurs de se mettre dans la position l’envisage H. R. Jauss 43.
d’un Pygmalion dénué de sens artistique mais
doué d’une puissance virtuelle. Cette nouvelle La portée de l’œuvre actua-
surréalité est close sur elle-même et en totale lisée par le lecteur et/ou
cohérence avec l’univers réel de l’enfant, ce l’évolution de notre société
qui crée une confusion entre réel et virtuel.
transcende la réalité expri-
Pas d’intervention divine, pas de magie : c’est
le joueur qui agit directement sur le person- mée lors de l’écriture du
nage programmé. Elle ne lui permet donc pas roman et lui donne une por-
de saisir la complexité du monde et n’a pas tée symbolique et réflexive
d’entrée symbolique contrairement au mythe
plus intéressante encore.
qui pose toute la complexité du rapport au
monde44. La dynamique culturelle que
l’on va créer autour de la lec-
ture d’une telle œuvre aura
aussi un retentissement sur
sa compréhension.

43. Op. cit.


44. Trois exemples de jeux relèvent aussi de cette mythologie : le Tamagotchi, inventé
40 au Japon en 1997, les jeux vidéo Nintendogs, les Sims.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

w Entrer dans l’univers du récit


Ce décalage temporel entre le moment de l’écriture et
celui de la lecture peut aussi rendre la compréhension
beaucoup plus complexe. Les œuvres écrites à la fin du
xixe siècle comme les romans de la comtesse de Ségur, sont
plus difficilement accessibles aux enfants d’aujourd’hui.
Certes, l’aspect linguistique joue un rôle important dans
les problèmes de compréhension rencontrés par les élè-
ves. Le vocabulaire et son emploi, par exemple, ont évolué
et certains termes sont mal compris par les enfants du
xxie siècle. Cependant ce n’est pas nécessairement l’obs-
tacle majeur pour eux. Le système relationnel qui relie
parents et enfants, mais aussi maîtres et valets, gêne
la compréhension de façon plus aiguë par le brouillage
des références et du contexte. Le vouvoiement adressé par
Mme de Réan à sa propre fille, la fonction de la bonne
souvent substituée à la mère dans l’éducation matérielle
de la fillette, sont autant d’éléments n’appartenant pas
à l’univers de référence des enfants d’aujourd’hui. Ce
récit se voulait exemplaire à l’époque de sa publication.
Il avait une vocation pédagogique parce qu’il voulait
mettre en évidence l’éducation et installer une image
modélisant la vertu (voir par exemple Les Petites Filles
modèles). Certes, comme le montre Isabelle Nières-
Chevrel 45, même au xixe siècle, la représentation d’un
enfant modèle, incarné par les deux petites filles de
Mme de Fleurville, Camille et Madeleine, n’est pas un sujet
intéressant car il n’a pas d’épaisseur romanesque et l’œuvre
ne « peut fonctionner réellement » qu’à l’arrivée de Sophie
qui perturbe l’ordonnancement du quotidien. Elle devient
alors le personnage central de l’intrigue, entraînant
Marguerite dans ses bêtises et mettant Camille et Madeleine
au second plan. Malgré ces restrictions, qui témoignent
d’une certaine atemporalité, notamment dans la structure
narrative et la création des personnages, l’exemplification

45. « La transmission des valeurs et les ruses de la fiction : petite mise en perspec-
tive historique » in Littérature de jeunesse, incertaines frontières, Colloque de Cerisy 41
(2004), Gallimard Jeunesse, 2005.
Chapitre 3

Retour sur Les Petites Filles modèles, extrait de l’article d’Isabelle Nières-Chevrel

« Le célèbre titre de la comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles, est un titre
trompeur. Il nous donne à croire que l’on pourrait écrire sur la vertu. Or, passé
le premier chapitre, Ségur n’a déjà plus rien à dire. Elle fait entrer Marguerite au
chapitre 2, avec un accident de voiture et une mère blessée. Les choses s’amé-
liorent un peu, mais elles languissent à nouveau jusqu’à ce que Sophie entre
en scène au chapitre 7. Cette fois, la romancière dispose de ce qu’il lui faut, le
récit peut fonctionner. Sophie entraîne Marguerite dans ses multiples inventions,
Camille et Madeleine passent à l’arrière-plan – nous pouvons les oublier. […]
Il n’y a [donc] rien à raconter sur Camille et Madeleine parce que ce sont des
figures sans désir. Les héros vertueux n’ont pas d’histoire. Cette contradiction
entre les exigences de la narration et celles de l’exemplarité a été perçue par
les écrivains pour enfants dès la naissance de la littérature de jeunesse. »
Extrait de « La transmission des valeurs et les ruses de la fiction : petite mise
en perspective historique », in Littérature de jeunesse, incertaines frontières,
Colloque de Cerisy (2004).

ne peut fonctionner sur nos élèves de la même manière


qu’à l’époque d’écriture parce que la tolérance dans l’édu-
cation, le châtiment infligé ou non à l’enfant en guise de
punition seront perçus de façon très différente aujourd’hui.
Les bêtises de Sophie pourront paraître dérisoires aux
enfants d’aujourd’hui, voire irréalisables.
Il en va de même pour des œuvres plus récentes sur
d’autres aspects plus contextuels. Un recueil comme Contes
à l’envers, écrit par Boris Moissard et illustré par Philippe
Dumas détourne les contes traditionnels en situant notam-
ment les événements du récit dans une temporalité précise
liée à la réalité de la période d’écriture (fin des années
1970). De nombreuses références conçues au moment de
l’écriture sont déjà obsolètes pour les élèves d’aujourd’hui
(la présence du tourne-disque et du saphir dans « La belle
au doigt bruyant », par exemple).
Il ne faudrait pas en déduire trop rapidement que les
textes du passé ne sont plus lisibles aujourd’hui et qu’il
faudrait renoncer à aborder les grands classiques avec
les élèves. La difficulté à référencer les situations peut
conférer à l’œuvre une forme « d’exotisme » qui permet
à l’enfant une évasion différente de celle offerte par les
42
Quelle place pour la littérature à l’école ?

images ou les voyages. Il va falloir, pour entrer dans ces


textes-là, être plus attentif au contexte des récits et gui-
der les élèves dans la construction des univers de réfé-
rence afin d’éviter les contresens. Il faut aussi envisa-
ger la continuité des apprentissages et apprendre peu à
peu à l’enfant à lire des œuvres qui recèlent certaines
difficultés. C’est un des éléments à prendre en compte
dans la progressivité des apprentissages. En effet, dans
le cadre de l’enseignement de l’histoire des arts, puis
dans la perspective de la découverte des grands clas-
siques de la littérature dès la classe de sixième, il faut
préparer les élèves à la lecture de textes complexes dans
leur approche linguistique et dans le référencement des
situations. Par exemple, la lecture d’une pièce comme
Le Cid, inscrite au programme des classes de quatrième,
impose que les collégiens aient déjà été familiarisés avec
la problématique de l’héroïsme pour comprendre comment
les protagonistes sont déchirés entre amour et devoir.
Certes, la question est universelle, mais la manière dont
elle est mise en œuvre (la notion de duel par exemple)
peut paraître dérisoire aux adolescents d’aujourd’hui.
Il faut qu’ils parviennent à comprendre que derrière l’évé-
nement anecdotique qui enclenche le tragique, il y a une
réelle problématique humaine. C’est la notion d’héroïs-
me cornélien qu’ils doivent donc s’approprier. Pour cela,
il est indispensable de leur avoir fait rencontrer différentes
figures héroïques dès leur petite enfance. Ils doivent avoir
perçu la dimension symbolique des récits pour mieux
prendre en compte les spécificités de personnages comme
Rodrigue ou Chimène déchirés entre leur passion et leur
honneur. La littérature pour les plus jeunes, si les choix
pédagogiques sont bien faits, agit donc dans ce contexte
comme un pont entre deux rives permettant à l’enfant de
se projeter dans des univers différents, éloignés de leur
quotidien. Des lectures comme celles que nous propo-
sons dans l’encadré de la page suivante vont les y aider.
Il s’agit donc d’installer des parcours de lecture qui per-
mettront à l’enfant d’acquérir des références nécessaires.
43
Chapitre 3

La notion de héros littéraire

Chez les Grecs anciens, le héros est un mortel, fils de dieu ou de déesse.
Il symbolise donc l’union des forces célestes et terrestres et à ce titre garde
jusqu’à la mort une sorte de pouvoir supranaturel. Certains, comme Pollux ou
Héraclès (Hercule) ont acquis l’immortalité. Ils deviennent donc des protecteurs
pour les humains. On leur prête un courage et des exploits remarquables,
souvent à caractère guerrier (comme dans L’Iliade et l’Odyssée).
Prenant sa source dans ces mythes, le héros littéraire est avant tout un
personnage se distinguant soit par un courage extraordinaire soit par les
exploits réalisés lorsqu’il se trouve dans l’obligation de se surpasser. L’héroïsme
dans la littérature pour enfant prend donc différentes formes. Nina, personnage
principal de La Tétine de Nina46, préfigure déjà l’héroïsme lorsqu’elle tient tête
au loup (elle se fâche en lui glissant une tétine dans la bouche) et parvient ainsi
à grandir. La première marque de l’héroïsme en littérature est donc le combat
contre soi-même qui permet au personnage d’évoluer et d’accepter de grandir.
D’autres ouvrages qui mettent en scène les pulsions de l’enfant, comme Grosse
Colère47, le triomphe contre les peurs enfantines, guident les enfants vers l’idée
de dépassement de soi, idée qui traverse toute la tragédie classique avec des
enjeux différents naturellement.
Pour les enfants plus âgés apparaît ensuite une autre forme d’héroïsme plus
proche de la source mythologique et des œuvres classiques. Il s’agit de person-
nages qui osent affronter et triompher des forces maléfiques dans un geste qui
profitera à d’autres qu’à eux-mêmes. Léon, le personnage éponyme de Léon et
son croco48, devient un « grand charmeur de crocodile » parce qu’il est parvenu
à vaincre le crocodile qui gênait l’accès à l’eau de la rivière. Nulle intention
de départ chez cet enfant, comme Ulysse, il semble poussé par une force
(la fatalité, le hasard, la circonstance) qui le conduit à ce combat.
Souvent, le mot héros s’est substitué à celui de personnage principal. Il est
important de faire une distinction dans l’apprentissage pour permettre aux
élèves de mieux cerner ce concept clé en littérature. Le roman historique mettant
en scène des êtres devenus héroïques par leurs engagements permet de faire
le lien avec le réel (voir chapitre 2).

w Entrer dans une coopération avec l’auteur


L’esthétique de la réception ne s’intéresse pas seulement à
cette actualisation des problématiques par le lecteur, elle
envisage aussi, à l’instar d’Umberto Eco, la manière
dont l’auteur va délibérément programmer l’activité

46. Christine Naumann-Villemin, Claire Barcillon, Kaléidoscope, 2002.


44 47. Mireille d’Allancé, École des loisirs, 2000.
48. Magdalena, Zaü, Père Castor Flammarion, 1999.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

du lecteur. Il affirme, dans Lector in fabula 49, que la pro-


blématique de la réception reste au centre de l’activité de
compréhension. Il montre, en outre, que le texte lui-même
postule cette coopération auteur-lecteur. En effet, le texte
littéraire est spécifique et laisse une place importante aux
non-dits, installant des « blancs » dans les informations don-
nées au sein de la narration. Il faut observer le rôle du lecteur
dans cette perspective. Pour comprendre une œuvre, il doit
apprendre à repérer ces vides qui s’apparentent parfois aussi
au silence. Ensuite, il lui faut établir des connexions avec les
autres informations qui lui sont données pour construire tout
ce qui fait sens. L’activité de compréhension du texte littéraire
ne vise donc pas à « attribuer du sens » à l’énoncé lu, comme
l’affirme la psychologie cognitive à propos de l’acte lexique
et comme cela peut être réalisé dans la lecture d’énoncé non
littéraire. Il s’agit plus exactement d’apprendre « à chercher
le sens » en transformant des détails explicites et implicites
en indices. Il y a véritablement construction sémantique par
celui qui lit le texte. Le lecteur de la littérature est donc avant
tout un chercheur de sens.
Cette conception de la réception montre qu’on ne doit
pas s’interroger sur la lecture, mais sur les formes de lec-
ture et, par là même, définir une approche littéraire qui
fait appel à la manière dont le lecteur se positionne comme
co-constructeur du sens. C’est véritablement une moda-
lité de lecture spécifique, dont Catherine Tauveron s’est
fait un des premiers porte-parole pour l’école primaire. Il
s’agit bien d’apprendre à interpréter le message pour s’en
approprier toute la dimension sémantique. Comprendre le
texte littéraire, c’est en déjouer les ruses et les pièges déli-
bérément programmés par l’auteur ou installés à son insu
par le temps, la polysémie ou sa propre culture. Si on ne
prend pas en compte cette caractéristique précise dans les
premiers apprentissages, le lecteur en formation construit
des représentations erronées sur la notion de compréhen-
sion du texte mais aussi sur l’acte lexique lui-même comme
nous l’avons évoqué dans notre premier chapitre.

49. Umberto Eco, Lector in fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative 45


dans les textes narratifs, Grasset, 1985.
Chapitre 3

Annie Rouxel50, pour définir la notion de lecture litté-


raire induite, notamment, par la position de Umberto Eco,
met en perspective l’apport de l’ensemble des théoriciens
de la réception et redéfinit le fait littéraire dans ses trois
dimensions : l’auteur, le texte, le lecteur.
Selon elle, cette approche de la lecture littéraire impli-
que une nouvelle définition du texte qui n’est plus envisagé
comme un ensemble fini. Il reste ouvert et peut évoluer
en fonction de la réception et de ses conditions. En effet,
tout texte porte en lui-même – implicitement ou explici-
tement – l’image d’un lecteur dès la phase d’écriture (un
auteur n’écrit pas pour lui-même mais parce qu’il sait ou
présuppose qu’il va être lu). Elle montre donc que le lecteur
réel s’engage dans une dimension interprétative en étant
attentif au fonctionnement du texte lui-même, et aussi à sa
dimension esthétique (se référer à l’encadré p. 47).

w La lecture littéraire et son fonctionnement


Tout d’abord, nous l’avons vu, il s’agit d’engager le lec-
teur en direction de l’interprétation. Cette démarche met
en jeu des mécanismes cognitifs (comprendre, rechercher
des justifications) mais aussi culturels (avoir des repè-
res qui permettent de situer le message). Dans la lecture
d’une œuvre comme « Loup-Garou » (se référer à l’encadré
ci-contre, p. 47), Bernard Friot installe une ambiguïté
autour de l’identité du loup et de l’attitude du maître :
cette œuvre qui manie l’humour avec finesse a donc une
forte valeur esthétique. On peut relever :
– les indices sémantiques qui décrivent à la fois le
loup et les actions du maître (griffes, pattes poilues du
loup, mains gantées de noir du maître ; oreilles pointues du
loup et bonnet sur les oreilles, col relevé du manteau
du maître ; yeux rouges, lunettes noires, etc.) ;
– un jeu lexical évoquant le maître : la voix rauque,
animale ; l’utilisation du verbe « louper » ; le fait que le

50. Annie Rouxel, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? » in La lecture et la culture


46 littéraires au cycle des approfondissements, SCEREN, CRDP de l’académie
de Versailles, 2002.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

maître laisse les élèves s’es-


claffer bruyamment sans Loup-Garou
intervenir.
Par ailleurs, le récit com- Antoine entre en courant dans la classe.
porte dans son titre un indice Il est en retard, comme d’habitude.
– Monsieur, monsieur ! crie-t-il encore
culturel assez déterminant tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-
pour pouvoir justifier l’idée garou.
que loup et maître peuvent – À la télé ? demande Céline.
n’être qu’une seule et même – Mais non, en vrai !
– Oh, arrête tes conneries, dit Fabien.
personne. Le loup-garou, en – Il veut faire l’intéressant, dit Valérie.
bon héritier de Lycaon, est – Hou... hou... hou... loup-garou! hurle
un homme qui se transforme Damien, pour rire.
en loup la nuit. L’observation Le maître, lui, enfonce son bonnet sur ses
oreilles.
des débats en classes montre – Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était
clairement que l’enfant est habillé comme un homme, mais j’ai vu
obligé de produire un effort ses pattes toutes poilues avec des
cognitif important pour réa- griffes longues comme ça !
– Et il avait du vernis sur ses ongles ?
liser les inférences et les jus- demande Aline en se tordant de rire.
tifications visant à mettre Toute la classe s’esclaffe bruyamment.
en lien les différentes com- Le maître, lui, de ses mains gantées de
paraisons disséminées dans noir, redresse le col de son manteau.
Antoine s’énerve :
le texte. Enfin, sa connais- – Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même
sance culturelle l’aidera qu’il avait des oreilles pointues et deux
à affiner sa justification grandes dents, là, comme un loup. Et
en rappelant le mythe du ses yeux ! Tout rouges, comme du feu !
J’ai eu une de ces trouilles quand il m’a
loup-garou. couru après ! Je me demande comment
D’autre part, la lecture j’ai pu lui échapper...
littéraire est aussi attentive Mais plus personne ne l’écoute. Il attend
au fonctionnement du texte un instant, puis s’assied, déçu, à sa place.
– Taisez-vous ! crie le maître d’une voix
lui-même. Les enfants, dans rauque, animale. Les yeux cachés derriè-
l’exemple développé, sont re d’épaisses lunettes noires, il regarde
extrêmement sensibles à Antoine fixement et marmonne entre ses
l’enchaînement vif du dia- dents :
– Toi, la prochaine fois, je ne te louperai
logue, y compris à l’utilisa- pas !
tion d’un langage familier Bernard Friot, Encore des histoires
(« arrête tes conneries ») pressées, Éditions Milan, 1997.
qui produit un effet de réel
et sollicite une participation
47
Chapitre 3

Lycaon transformé en loup

Personnage présenté dans les Métamorphoses d’Ovide.


Selon les différentes légendes, Lycaon méprise les dieux. Zeus le met à l’épreuve
en s’invitant à sa table. Lycaon lui sert de la chair humaine (dans certaines
versions, son propre fils Arcas, dans d’autre un esclave). Il déclenche ainsi
la colère des dieux, qui renversent sur lui sa maison et le transforment en loup
de la façon suivante :
« Épouvanté, il se sauve ; arrivé dans une campagne silencieuse, il s’efforce
en vain de parler. Toute sa rage se concentre dans sa bouche : il se met à hurler.
Sa soif de carnage s’exerce alors contre les troupeaux. Il se complaît encore dans
le sang. Ses vêtements se transforment en poils, ses bras en jambes. Il devient
un loup tout en conservant encore des traces de son ancienne apparence :
même couleur claire des poils, même air farouche, mêmes yeux ardents ; c’est
toujours la même image de la férocité. » (D’après Les Métamorphoses, Ovide.)

du jeune lecteur. Ce choix esthétique, qui a pu être contesté


par des détracteurs de la littérature de jeunesse parce qu’il
ne répond pas aux canons du « beau » classique, renforce
le rôle du lecteur et sa réflexion sur la situation. En effet,
pour justifier l’idée que le maître peut être – ou est à coup
sûr – le loup, les élèves s’appuient souvent sur le fait que
cet enseignant n’est pas normal parce qu’il laisse ses élèves
s’insulter dans la classe. Cette observation esthétique, mise
en relation avec le réalisme et leur connaissance du monde,
permet donc aussi un recul critique. Une prise de distan-
ce que les membres de l’association SOS éducation n’ont
pas été à même de décrypter dans leur critique acerbe
de la littérature pour enfants – et de Bernard Friot en parti-
culier –, lorsqu’ils ont expliqué que ces œuvres présentaient
des modèles nuisibles (voire pervers) pour les élèves.
Dans un troisième temps, Annie Rouxel rappelle aussi
que c’est une lecture dont le régime est plus lent, qui néces-
site des relectures et des retours en arrière. Une classe de
CE1 ou de CE2 qui lit « Loup-Garou » ne voit pas néces-
sairement au premier abord la proximité entre les deux
protagonistes. Une phrase comme « le maître, lui, enfonce
son bonnet sur ses oreilles » impose une lecture très atten-
tive, voire une relecture pour bien identifier la place et la
48
Quelle place pour la littérature à l’école ?

fonction des virgules qui entourent le pronom personnel


« lui ». En dehors de ce fait syntaxique, les inférences de
ce texte sont complexes pour deux raisons majeures. Il faut
être capable de croiser des informations :
1. qui caractérisent deux personnages différents ;
2. éloignées dans la géographie du texte et qui ne sui-
vent pas une chronologie précise : tantôt le maître
adopte une attitude et la description du loup inter-
vient ensuite, tantôt la description du loup précède
celle du maître.
Enfin, un tel travail va nécessiter un rapport distan-
cié au texte car l’enfant qui se projette aisément dans le
personnage d’Antoine positionné dès le début du récit en
victime d’un loup alors qu’il est « en retard comme d’habi-
tude », devra observer que cette attitude peut aussi irriter
le maître. La remarque de l’enseignant (« toi la prochaine
fois, je ne te louperai pas ») peut être destinée à lui inter-
dire tout autre retard. Non seulement cette distance néces-
saire à une entière compréhension du texte ne nuit pas
au plaisir de lire, mais au contraire, elle incite l’enfant à
entrer dans la polysémie et à observer comment l’auteur
« nous a tendu un piège » ou « nous laisse choisir et inven-
ter un peu l’histoire » comme le disent les élèves une fois
qu’ils ont compris cette volonté d’égarer le lecteur.
Enfin, la lecture littéraire est aussi une activité qui
doit générer un certain plaisir esthétique. Annie Rouxel
le définit comme « un plaisir complexe, métissé du plai-
sir propre à l’activité de lecteur et du plaisir du texte.
Ce dernier est à la fois plaisir de la découverte et plaisir
de la reconnaissance : il naît de la tension entre le dépay-
sement lié à l’inconnu du texte et le sentiment de familia-
rité que confère la reconnaissance des codes, le partage des
références. Il revêt des formes différentes selon le lieu où
s’exerce la lecture littéraire et intervient à tous les niveaux,
du simple plaisir des mots au plaisir subtil lié à l’élaboration
d’une signification dans ses formes savantes, lettrées. »
Le lecteur, pour comprendre le texte littéraire, a donc
besoin de mettre en place des mécanismes techniques décrits
49
Chapitre 3

dans l’encadré mais aussi


Les variables sur lesquelles s’installent
la compréhension de l’œuvre littéraire d’installer d’autres savoirs
inhérents à la littérature
Umberto Eco définit les différentes compé-
tences que met en jeu la lecture littéraire. elle-même. Il ne s’agit pas,
Ces positions font, d’après Annie Rouxel , 52 pour les défenseurs de la lec-
« l’objet d’un relatif consensus ». Il distingue ture littéraire, de négliger la
six compétences : part de décryptage qu’induit
– linguistique, qui concerne la maîtrise du
lexique et de la syntaxe. Elle est indispensa- nécessairement l’acte lexi-
ble, se construit aussi par la prise en compte que, mais d’affirmer qu’il faut
du contexte. Elle s’appuie, en outre, sur la aussi s’interroger sur la posi-
capacité technique de l’enfant à décoder tion du récepteur. Le lecteur
(aussi bien les mots que les signes graphi-
ques comme la ponctuation) ; doit donc être formé à saisir
– encyclopédique, qui prend en compte les la lecture comme un jeu, pour
savoirs sur le monde et références culturelles reprendre le titre de l’ouvra-
du lecteur. Comme on l’a montré dans les ge de Michel Picard51. Quand
exemples précédents, il faut élargir l’univers
culturel de l’enfant pour lui permettre d’accé- on évoque cette question, on
der à des textes de plus en plus éloignés de l’associe souvent à l’idée qu’il
son monde ; s’agit d’une lecture experte,
– logique, qui permet au lecteur d’établir réservée à une élite lettrée
des relations entre divers aspects du texte.
C’est cette compétence qui permet de faire qui aurait appris progressive-
des inférences pour relier les détails et les ment à dégager le sens caché
indices de sens ; des textes. Naturellement, la
– rhétorique, qui repose sur l’expérience lecture littéraire admet plu-
de la littérature et renvoie à la compétence
interprétative. Elle-même nécessite des tôt des formes très élaborées,
savoirs littéraires favorisant l’accès aux codes parce qu’elle a été modélisée
littéraires ; avec des lecteurs chevronnés.
– idéologique, qui permet l’actualisation Mais c’est la finalité de la
du système axiologique du texte. Cette
compétence facilite la prise en compte des formation du lecteur qui est
valeurs que véhicule l’œuvre, donc favorise décrite ici. Il faut donc défi-
la construction d’un regard sur le monde et la nir une continuité dans les
prise de distance évoquée dans le chapitre 2. apprentissages qui permette
d’atteindre ces objectifs. Dès
l’école maternelle, des acti-
vités autour des textes vont favoriser progressivement ces
acquisitions. Dès lors, la lecture, y compris dans ces appren-
tissages premiers, devient ainsi un levier pour générer une
créativité et rendre l’élève acteur.

50 51. Michel Picard, La Lecture comme jeu, Éditions de minuit, 1986.


52. Op. cit. p. 28.
La littérature oui,
mais quelle littérature ?

n ous venons de montrer que l’accès à la littérature


est indispensable pour former :
– l’individu en l’aidant à décrypter le monde qui
l’entoure, à donner du sens à l’existence et à se mettre en
capacité d’apprendre ;
– le citoyen en développant une relation sensible
et critique aux événements passés ou en cours ;
– le lecteur en lui permettant d’accéder aux textes
qui requièrent une activité réflexive et créative.

w « Littérature de jeunesse » et littérature


Si l’on veut que l’enseignement littéraire atteigne ces diffé-
rents objectifs, il est indispensable de réfléchir aux corpus
d’œuvres à proposer aux enfants. Nous abordons ici une
question délicate qui traverse encore souvent les débats
sur l’enseignement de la littérature à l’école : les textes pro-
posés pour l’enfance ou la jeunesse appartiennent-ils réel-
lement à ce que l’on appelle traditionnellement le domai-
ne du littéraire ? Il ne s’agit pas d’apporter une énième
contribution à diverses polémiques autour des définitions
de la notion de littérature pour les enfants ou les jeunes,
mais plutôt de réfléchir à la manière dont on peut guider
les enseignants ou les parents dans le choix des textes à
offrir aux enfants. En effet, se demander quels textes uti-
liser en fonction des usages auxquels on les destine, est
indispensable à la formation du jeune lecteur. La compa-
raison des deux corpus (littérature générale / littérature
51
Chapitre 4

pour enfants) suscite souvent des débats qui n’ont pas vrai-
ment lieu d’être. Ce qui compte vraiment, c’est l’interro-
gation sur une forme de catégorisation des œuvres pour
enfants afin d’en dégager les différents usages, comme cela
s’est fait à propos de la littérature générale. Cependant,
il est indispensable de rappeler au préalable quelques
éléments clés pour la reconnaissance du statut de ces
œuvres pour la jeunesse afin de légitimer cette position.
Tout d’abord, rappelons que les livres pour enfants
ne sont pas une invention de la deuxième moitié
du xxe siècle comme on a trop souvent tendance à l’affirmer.
Certes la dénomination « littérature de jeunesse » est récen-
te, mais le fait de s’adresser à un public enfantin est fort
ancien comme le montrent C. Chelebourg et F. Marcoin53.
Le registre des comptines, la tradition orale mettaient déjà
l’enfant au contact des jeux langagiers qui sont l’essence de
l’esthétique littéraire54, ou des récits comme les contes ou
les légendes. Dès le xve siècle, des pages de certains livres
d’heures55 pour les mères de famille sont écrites en plus
gros caractères, ce qui atteste qu’elles sont certainement
réservées aux enfants. Mais c’est à la fin du xviiie siècle,
avec la naissance d’une édition destinée au jeune public,
qu’apparaît une littérature réellement spécialisée. Isabelle
Nières-Chevrel montre qu’il s’agit surtout de publications
pour adultes, rééditées pour les enfants, avec notamment
l’insertion d’illustrations. Le xixe siècle verra un essor
considérable de véritables éditions pour les jeunes dont
certains textes sont aujourd’hui considérés comme patri-
moniaux et sont lus autant par les adultes que le public
auquel ils étaient alors destinés.
Si l’on a du mal à définir le domaine étiqueté sous le
vocable « jeunesse » , c’est aussi parce que l’adjectif qualifie
une tranche d’âge très vaste (de la toute petite enfance au
début de l’adolescence). Dans cette catégorie, on retrou-
ve des œuvres qui s’adressent à tous (comme les contes

53. Christian Chelebroug, Francis Marcoin, La littérature de jeunesse, Armand Colin,


2007.
54. Rappelons simplement que la littérature est un art du langage.
52 55. Livres de prières et de psaumes visant l’édification morale : seuls livres auxquels
les femmes avaient accès.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

L’évolution de la dénomination concernant les livres pour enfants


Isabelle Nières-Chevrel évoque l’histoire de la dénomination des livres réser-
vés à la jeunesse. D’après elle, c’est à partir de l’Empire que l’on observe
une première expression « livres d’éducation ». Très rapidement, on bascule
vers d’autres appellations : « livres d’enfants », puis « littérature enfantine »
proposée par Pierre-Jules Hetzel dans la préface de l’édition de 1865 des
Mésaventures de Jean-Paul Chopard. Elle montre que « ce changement est
significatif. Il indique un tournant dans la représentation que la société se
donne des livres destinés aux enfants. Passer de “ livres ” à “ littérature ”,
c’est à la fois rétrécir le champ et le valoriser ; passer de “ l’éducatif ”
à “ l’enfantin ”, c’est privilégier le destinataire et non plus la visée éducative
mise en avant jusqu’alors. Cette valorisation reste bien sûr relative. Hetzel écrit
par exemple en 1872 à Georges Sand qu’il fait “ presque uniquement de la
librairie et même de l’édition pour les mioches ”. Quant à la mission éducative
de cette littérature, elle ne disparaît évidemment pas, comme en atteste le titre
que le même Hetzel donne au périodique qu’il fonde en 1864 avec son ami Jean
Macé, Magasin d’éducation et de récréation 56 ».
L’expression « Littérature enfantine » sera maintenue au cours du xxe siècle,
jusqu’à la publication du Guide de la littérature enfantine par Marc Soriano en
1959, puis oscillera entre littérature pour la jeunesse ou littérature de jeunesse.
Pour Isabelle Nières-Chevrel le choix de la préposition (pour ou de) est important.
« Le pour fut récusé par beaucoup, au motif qu’il marquait une intentionna-
lité de la part des adultes, que ceux-ci soient écrivains, éditeurs, libraires ou
parents. Le de était un euphémisme accommodant qui permettait de ne pas
trop s’interroger sur la nature du lien entre cette littérature – que l’on définis-
sait tout de même par son destinataire – et son destinataire 57. »

merveilleux) mais aussi des textes très différents, écrits


spécifiquement pour les plus jeunes et qui prennent en
compte les capacités de compréhension et la maturité dif-
férente de chaque lecteur. Pour la définir, Isabelle Nières-
Chevrel propose de s’appuyer sur trois critères qui, d’après
elle, dans la majorité des cas se superposent :
– des livres écrits pour les enfants (pratique de création) ;
– des livres édités pour les enfants (pratique éditoriale) ;
– des livres lus par les enfants mais pas nécessaire-
ment écrits pour eux au départ (pratique culturelle).
C’est certainement le premier point qui est le plus sujet
à polémique. Écrire pour les enfants est parfois considéré
comme péjoratif, car cette pratique semble rendre inévitable

56. Extrait d’Introduction à la littérature de jeunesse, Didier Jeunesse, 2009, pp. 13-14. 53
57. Ibid. p. 14.
Chapitre 4

l’apparition de scénarios plus simples que dans l’écriture


pour adultes. Lorsqu’en 1996 la littérature de jeunesse
a fait son entrée dans les programmes du collège, nom-
breuses ont été les critiques émanant autant des cadres de
l’institution (inspection de l’Éducation nationale) que des
professeurs de lettres eux-mêmes. Tous y ont vu un risque
d’appauvrissement de la formation littéraire du collégien.
De fait, la réforme de ces programmes engagée en 2008,
ne classe pas la littérature de jeunesse parmi les œuvres
à lire mais évoque l’idée qu’elle permettra un passage
vers la littérature générale et notamment vers les œuvres
classiques.

w Quelle hiérarchisation définir ?


Il est intéressant d’observer que de nombreux auteurs
publiant dans des collections destinées aux plus jeunes
se défendent parfois d’établir une partition entre les deux
corpus. Jean-Côme Noguès, par exemple, envisage l’ap-
pellation « Littérature de jeunesse » comme une partition
hiérarchisée au regard de la littérature et semble donner
raison aux détracteurs des œuvres dites « de jeunesse ».
À la question : « Que pensez-vous de l’étiquetage “littéra-
ture jeunesse” ? » il répond sans hésiter et malgré le choix
de publier la majeure partie de ses ouvrages (notamment
ceux qui ont fait son succès) dans des collections desti-
nées à la jeunesse58 : « Sur ce point, je rejoins l’opinion
des anglo-saxons. Pourquoi ériger des cloisonnements, ou
pire, définir une hiérarchie ? Un livre, quel qu’il soit, se lit
à différents niveaux et chaque lecteur recrée l’œuvre à son
niveau. Par exemple, prenez l’œuvre de Louis Pergaud !
Peut-on dire qu’elle s’adresse uniquement aux enfants 59 ? »
Cette position et l’exemple choisi traduisent donc bien
la crainte que l’appellation « de jeunesse » étiquette un
répertoire trop vague dans lequel se diluerait la qualité

58. Rappelons que Le Faucon déniché est inscrit dans différentes listes d’œuvres
recommandées par le ministère de l’Éducation nationale pour le cycle 3 comme
54 le collège.
59. Les Cahiers Pocket, n° 34, mai 2010.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

littéraire et qui ne comprendrait pas les grands classiques


de la littérature.
Une autre inquiétude traverse aussi les débats autour
de cette notion. C’est le risque d’instrumentalisation des
textes par l’utilisation scolaire, parce que, parfois, c’est
elle qui génère le succès éditorial d’un ouvrage (notam-
ment par l’inscription dans les listes d’œuvres conseillées
par le ministère de l’Éducation nationale). Les éditeurs
ou certains auteurs adoptent parfois une position ambi-
guë voire paradoxale. C’est le cas des éditions L’École des
loisirs. L’interview de Nathalie Brisac citée au chapitre 2
est, à cet égard, intéressante. Elle prône un refus de
l’instrumentalisation du texte, mais les éditions publient,
comble du paradoxe, des outils en direction des enseignants,
y compris pour favoriser l’apprentissage du décodage à
partir de leur fond d’ouvrages reconnus comme des classi-
ques. Plus sérieusement, Jean-Claude Mourlevat rappelle
« qu’il faut faire attention à ne pas réduire ses récits à des
“ livres d’école ” ! » Le cas de L’Enfant Océan est, pour lui,
très significatif. Le public adulte a souvent plébiscité le
roman à cause de ses formes narratives complexes, au ris-
que de faire passer au second plan “ le secret de l’histoire ” et
“ la vérité du roman ” ». Il affirme que « La Rivière à l’envers,
ouvrage réputé difficile, au contraire, a massivement recueilli
l’adhésion des enfants 60 ».
Cependant, si on analyse les deux points de vue des
auteurs cités précédemment, on constate que ce n’est pas
l’idée d’écrire pour la jeunesse qu’ils réfutent, mais la hié-
rarchisation établie entre la littérature de jeunesse et la
littérature générale. Ils montrent que l’important réside
dans la richesse du texte lui-même et dans la qualité de
la réception par les lecteurs.
Il s’agit donc d’observer les valeurs dont l’œuvre est
porteuse, et non de s’interroger sur le public auquel elle
est destinée par l’éditeur. Michel Quint, interrogé sur le
fait que « ses livres – qui d’emblée s’adressent à un lectorat

60. Les Cahiers pocket, n° 32.


55
Chapitre 4

très large – sont repris dans des collections « jeunesse »


ou « jeunes adultes », affirme en penser beaucoup de bien.
« C’est une grande satisfaction. Les jeunes adultes sont à
ce moment critique de leur vie dont parle si bien Nizan. Un
moment clef. Un vertige. Une trouille face à un avenir de
plus en plus angoissant. Alors, m’adresser à ce public à la
fois exigeant et très spontané est particulièrement stimu-
lant pour un écrivain, dans la mesure où il agit comme un
révélateur. La distinction entre littérature et littérature
dite “ de jeunesse ” n’a guère de sens, dès lors que l’exi-
gence de qualité est satisfaite. »
Enfin, il faut noter que certains écrivains vont encore
au-delà de la simple satisfaction en proposant eux-mêmes
deux versions d’une même œuvre ou d’une même thémati-
que, l’une à destination des adultes, l’autre à destination
des plus jeunes. Didier Daeninckx, par exemple, publie
Cannibale aux éditions Verdier et L’Enfant du Zoo chez
Rue du monde. Dans les deux cas, il évoque le scandale
historique de l’exposition coloniale de 1931 qui abaissa
les canaques au rang d’animaux de foire. De même, après
la publication de Missak, aux éditions Perrin, il édite un
album, Missak, l’enfant de l’Affiche rouge que nous avons
déjà évoqué au chapitre 2. Rappelons sa réponse à la ques-
tion posée par Le Café pédagogique « Comment écrivez-
vous pour les enfants ? » :
« J’écris des livres pour adultes, lisibles par les plus
jeunes. Je ne pacifie pas mon vocabulaire, certains mots
demandent à être interrogés. Mais la lecture de mots
inconnus ouvre les portes de l’imaginaire surtout dans les
albums. Quand j’écris, je sais aussi que Pef (ou un autre
illustrateur) va venir sur la page d’à côté. Ce qui fait la
différence, c’est la gravité des thèmes abordés. »
Michel Tournier conduit la même expérience avec ses
deux versions de sa robinsonnade Vendredi 61. Souvent
interrogé sur ce choix, il affirme que le jeune public est
plus exigeant et juge sa seconde version meilleure que
la première.

56 61. Vendredi ou les limbes du Pacifique pour les adultes, Vendredi ou la vie sauvage
pour les collégiens.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Extrait de la préface aux Vertes lectures (Flammarion, 2008)


à propos de l’enseignement philosophique destiné aux collégiens
« C’était le but de mon livre, Le Miroir des idées, qui est une sorte de traité de
philosophie. Malheureusement, il est raté, en ce sens qu’il n’est guère lisible
avant quinze-seize ans, et encore ! Peut-être le récrirai-je un jour, comme je l’ai
fait pour Vendredi (qui comporte une seconde version raccourcie et améliorée
sous le titre Vendredi ou la vie sauvage). En attendant, je fais des petits contes
dont la signification est strictement philosophique. Tel ce Pierrot, par exemple.
Je n’hésiterai pas à dire qu’il constitue une introduction à la philosophie de
Spinoza. En effet, l’opposition entre la couleur d’Arlequin – superficielle et qui
s’écaille – et celle de Pierrot – substantielle et nourrissante –, c’est l’opposition
entre l’accident et la substance de Spinoza. Et cette opposition est comprise
par les enfants dès la maternelle.

Ces assertions montrent qu’il en va de la littérature


de jeunesse comme celle destinée aux adultes. Il s’agit de
rechercher une littérature ouverte, qui, comme le disait
Isabelle Jan, n’enferme pas le lecteur. Le répertoire enfan-
tin offre un nombre important de textes dignes d’être appré-
ciés et surtout suffisamment résistants et consistants pour
favoriser la dimension éducative évoquée dans nos trois
premiers chapitres. Si la lecture des textes patrimoniaux
ou classiques, est indispensable, l’école doit aussi proposer
une lecture vivante et en évolution.

Quelle distinction entre littérature classique et patrimoniale ?

Dans les listes proposées par les documents d’accompagnement du ministère,


on observe une mention texte du « patrimoine » sous l’abréviation « P ». Elle
est associée à une autre mention « C » chargée d’identifier les « classiques »
de l’enfance. Cette distinction est proposée depuis la publication, en 2004,
de la deuxième liste pour le cycle 3. Les enseignants ont souvent des difficultés
à distinguer les deux notions.
Le document d’accompagnement des programmes pour le cycle 3 intitulé
« Littérature [2] » et publié par le SCEREN en 2004 explique les choix effectués
à l’époque :
« Par rapport à la liste proposée en 2002, la nouvelle sélection donne une place
importante aux œuvres patrimoniales ou classiques, des livres qui continuent à

57
Chapitre 4

être lus et appréciés aujourd’hui comme hier. Le principal intérêt de ces œuvres,
c’est qu’elles constituent le socle d’une culture partagée et que leur connais-
sance permet d’affiner l’interprétation d’œuvres contemporaines qui s’y réfèrent
explicitement ou implicitement. Certains effets comiques de la littérature de
jeunesse d’aujourd’hui – mais également des films ou de dessins animés – sont,
par exemple, déjà présents dans les scénarios des spectacles de Guignol, dans
les fabliaux, ou dans La Farce de maître Pathelin. Toutefois, parmi ces ouvrages,
seuls ont été retenus ceux qui peuvent encore passionner les jeunes lecteurs
d’aujourd’hui ; il s’agit, en effet, de leur faire lire ces textes, non de les leur
signaler a priori comme dignes d’intérêt parce que la postérité les a retenus
et légitimés. »
L’ONL complète cette information sur son site62 en répondant à des questions
posées a priori par les enseignants. S’appuyant sur les définitions données
par le Dictionnaire historique de la langue française (Robert), les rédacteurs
de la réponse opèrent une analyse des deux expressions pour montrer les
champs que chacune d’entre elles recouvrent. Les textes du patrimoine sont
ceux « qui retranscrivent au cours des siècles, les récits, les contes, les fables,
les mythes qui fondent une culture ». Il s’agit donc de textes fondateurs écrits
pour répondre aux grandes questions que se pose l’humanité et qui ont acquis
une dimension universelle dans le domaine des sciences humaines. Ils sont
reconnus unanimement.
La notion de classiques est, quant à elle, historiquement plus liée à l’aventure
scolaire, puisqu’elle se définit par l’établissement d’un corpus d’œuvres qui sont
jugées dignes d’être enseignées et étudiées dans le cadre scolaire :
« Socle culturel commun, lieu partagé de communication et d’échanges sur le
monde, au travers de références communes, elles rendent compte des aspira-
tions, des valeurs, de la société dans laquelle l’élève est appelé à s’insérer. Elles
ont donc valeur d’exemple et – aux yeux de la société de l’époque – une valeur
morale. Cependant, elles transcendent le temps, ce qui explique leurs rééditions
régulières et le consensus qui les entoure. »
La suite de l’analyse proposée par l’ONL pour exposer le sens du mot classique
s’inscrit délibérément dans la veine des travaux universitaires qui ont permis
de définir la notion de littérature de jeunesse. L’article reprend en effet l’idée
qu’un texte littéraire doit résister à la compréhension première orchestrant
une confusion qui amène une nécessaire coopération du lecteur. À l’instar de
Catherine Tauveron63, les rédacteurs distinguent les notions de « résistance »
et « réticence » des textes.

62. Pour une information complète voir l’article sur le site : http://onl.inrp.fr/ONL/
travauxthematiques/livresdejeunesse/endebat/patrimoine/index_html.
63. Catherine Tauveron, « La lecture comme jeu, à l’école aussi », in La lecture
58 et la culture littéraire au cycle des approfondissements, SCEREN, CRDP de Versailles
2004, p. 32.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

w Des livres pour une première lecture autonome


Il nous faut donc définir le corpus, non pas au regard de la
tranche d’âge à laquelle il est destiné, mais plutôt à celui
de la dimension littéraire qui le traverse. On ne se deman-
dera pas vraiment si certaines œuvres sont « meilleures »
que d’autres, mais on s’interrogera sur leurs usages dans
la formation du lecteur. La littérature est l’art du langage
écrit. En ce sens, les œuvres sont catégorisées en fonction
des valeurs qu’elles véhiculent et de leur qualité esthéti-
que. Pour analyser la qualité littéraire d’un texte, il faut
d’abord observer sa lisibilité, la mise en œuvre du langage
et la part de créativité qu’il initie chez le lecteur. En effet,
si l’on postule que ce dernier est un chercheur de sens
et que la lecture fonctionne comme une situation problé-
matique, alors le niveau de résistance du texte doit être
pris en compte pour évaluer sa qualité et sa fonction dans
son apprentissage. D’autre part, on doit aussi observer sa
consistance dans l’expression de son rapport au monde
pour se demander s’il a la capacité de lancer une réflexion
et de permettre l’accès à la dimension symbolique.
Un texte qui ne pose pas de problèmes de compré-
hension ou de référencement parce que les personnages
sont aisément identifiables, tant sur le plan du statut
que des réseaux relationnels qu’ils tissent et parce que
l’intrigue est lisible, copie le réel sans en montrer la com-
plexité. Il ne sera sans doute pas considéré comme étant
d’une grande qualité littéraire parce qu’il manque pré-
cisément de consistance. Il permettra certes une lecture
participative immédiate mais ne favorisera pas une réelle
réflexion du lecteur. Pour autant, les œuvres de ce type ne
doivent pas nécessairement être rejetées car elles ont une
fonction précise pour la formation. Elles facilitent, pour
certains enfants, l’accès à une fluidité dans la lecture
d’un texte long. Celui qui n’est pas encore un décodeur
très habile et peine pour comprendre ce qu’il déchiffre
lentement, identifie plus aisément les enjeux de l’intrigue,
59
Chapitre 4

le rôle de chaque protagoniste, la manière dont le problè-


me se noue dans un texte lisse. Il ne cumule pas plusieurs
difficultés et parvient à se projeter plus commodément
dans le récit.
On pourra classer dans cette catégorie les ouvrages dits de
« séries » qui se construisent autour d’un ou de personnage(s)
que l’on retrouve d’un livre à l’autre. On peut citer les « héros
miroir » du tout-petit comme Petit Ours Brun ou Tchoupi qui
vivent des situations très réalistes, copiant le quotidien de
l’enfant auquel il s’adresse (il va faire les courses, va à l’école,
rentre à la maison, joue, etc.). Ces écrits permettent au tout
jeune enfant, une première projection dans un univers fic-
tionnel simple et proche de sa réalité. Pour des enfants plus
âgés, on trouvera d’autres personnages comme ceux imaginés
par Gérald et Frédéric Stehr, Calinours ou Foufours, qui, lui,
construit un réseau relationnel avec les autres personnages
beaucoup plus élaboré.
Les élèves du cours préparatoire redécouvrent parfois,
avec plaisir, ces courts récits en lecture autonome parce
que cette lecture peut constituer une première conquête
sur le décodage d’une œuvre véritable. Les parents ou
les enseignants retrouveront peut-être dans ces lignes
des réminiscences de leurs premières expériences. Par
exemple, les célèbres séries d’Enid Blyton publiées par les
Bibliothèques rose et verte aux éditions Hachette : le Club
des cinq, le Clan des sept, Michel, Alice, etc. Plus près des
enfants d’aujourd’hui, on peut citer des collections comme
« Chair de poule », des séries comme Loup Rouge (éditions
Pocket) ou la collection « Nathan poche » qui remplissent
ce rôle. C’est encore le projet de magazines comme Mes pre-
miers J’aime lire ou J’aime lire (Bayard), qui proposent des
textes dont la lisibilité est travaillée avec le concours d’une
orthophoniste. Elle guide la rédaction de la revue, mais
aussi les auteurs eux-mêmes vers une écriture diminuant
les inférences complexes (structure syntaxique, lexique,
conception des liens logiques) – les obligeant parfois à réé-
crire – tout en réfléchissant à la mise en page du texte pour
une meilleure lisibilité possible compte tenu de l’âge des
60
Quelle place pour la littérature à l’école ?

lecteurs. Tous les ouvrages cités précédemment ne sont


pas équivalents. Certains romans proposés par J’aime lire,
ou dans la collection Nathan poche par exemple, vont avoir
une consistance plus ou moins grande malgré le lissage
linguistique. Mais ils sont surtout conçus pour cet usage :
la conquête d’une autonomie dans la lecture.
Notre objectif, ici, n’est pas de faire l’apologie de ces
ouvrages, mais de montrer que ces livres, pour certains
enfants, peuvent être de formidables passeurs favorisant
l’accès à des textes plus complexes qui, eux, nécessiteront
un véritable travail du lecteur, objet d’un apprentissage
scolaire.

w Dpour
es livres résistants et consistants
former à la lecture littéraire

À côté de ces œuvres, l’école doit proposer un travail met-


tant en évidence la résistance et la consistance des textes.
En effet, le plaisir lié aux premières conquêtes évoquées
dans le paragraphe précédent s’émousse lorsque l’enfant
(ou l’adolescent) ne trouve plus une matière suffisante à le
surprendre d’une œuvre à l’autre, et à le nourrir culturel-
lement. Ce qui fait l’attractivité de l’œuvre (notamment la
connaissance des personnages et la lisibilité de l’intrigue)
devient assez vite un frein à la lecture. Pour que l’enfant
puisse aller plus loin dans sa découverte de l’univers litté-
raire, il faut lui apprendre à repérer et à combler la résis-
tance des textes. Ainsi, il construira une double posture au
regard de l’œuvre : une projection dans les personnages et
le scénario qui lui permet d’être emporté par le récit et de
développer la participation, puis une prise de distance par
une lecture active, donc une posture de chercheur visant
le développement d’une attitude créative donc critique.
Si certains lecteurs construisent presque seuls cette
pratique par une extension de leur capacité de compré-
hension vers l’interprétation, beaucoup d’autres ont besoin
d’un guidage afin d’acquérir une vraie appétence pour
61
Chapitre 4

la lecture. Catherine Tauveron64, montre que, pour leur


permettre d’évoluer, il faut leur présenter des textes résis-
tants qui les amèneront à établir des comparaisons entre
les œuvres lisses et les œuvres qui résistent à la compré-
hension. Ils seront alors à même de choisir celles qui les
invitent à développer une lecture créative. S’appuyant sur
les définitions de Dominique Maingueneau, elle propose
une double catégorisation de la résistance et évoque les
textes dits :
– réticents, quand le texte est lacunaire et oblige le
lecteur à combler ces manques. Le Chat de Tigali évoqué
dans le deuxième chapitre par exemple, répond clairement
à cette définition. Le lecteur doit comprendre les impli-
cites et combler les ellipses délibérément installées par
l’auteur pour accéder au sens du texte. La réflexion du
jeune Martin, évoquée au chapitre 2 à propos de l’analyse
de l’œuvre de Daeninckx, montre qu’il a compris le rôle du
lecteur face à ce type de récit et le texte lui paraît alors
plus consistant ;
– proliférants, quand le texte nécessite un filtrage
des informations qui permettra au lecteur de construire
une interprétation personnelle. Le texte de Bernard Friot
que nous avons analysé au chapitre 3 se classe dans cette
deuxième catégorie puisque le lecteur doit sélectionner les
indices et les comparer pour construire son interprétation.
À l’issue des débats, les enfants peuvent se positionner
et la part de subjectivité qu’induit la lecture d’un texte
littéraire proliférant peut alors être prise en compte.
Ces formes de résistance peuvent être travaillées dès
le plus jeune âge. Un personnage comme Lou le loup,
qui, comme Petit Ours Brun, symbolise l’enfant, est plus
riche car il n’est pas un miroir lisse de la réalité humai-
ne. Même si on retrouve des aspects anthropomorphes et
des schémas proches de la réalité du tout-petit, on reste
dans l’univers dans lequel évolue le loup et on joue sur le
stéréotype pour construire le fil de la narration. En effet,
le récit dont la structure est récurrente amène souvent une

62 64. « Comprendre et interpréter le littéraire à l’école : du texte réticent au texte proli-


férant », Repères n°19, 1999.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

chute jouant sur une dimension littéraire résistante pour


le jeune public et qui nécessitera une véritable réflexion
du lecteur (chute inattendue par la réponse de la mère
de Lou, jeu sur la polysémie lexicale, jeu culturel en lien
avec une comptine connue, etc.). Les albums qui condui-
sent la narration par une relation étroite entre le texte et
l’image permettent ensuite d’installer une première résis-
tance, accessible au lecteur débutant car l’illustration peut
endosser des procédés littéraires proches de ceux que le
texte assumera seul dans des œuvres destinées à des lec-
teurs déjà formés.
Ainsi se construit une première forme d’interprétation
qui est essentielle pour percevoir les enjeux de la lecture
littéraire. Pour autant, cette distinction ne nous semble pas
toujours suffisante pour structurer une véritable didacti-
que de l’enseignement de la littérature. En effet, l’usage
du littéraire ne se résume pas seulement à l’acquisition
d’une modalité de lecture comme nous l’avons montré dans
les deux premiers chapitres de cet ouvrage. Il doit surtout
favoriser la construction d’une culture humaniste qui per-
met à la fois à l’individu de mieux comprendre le monde
et lui-même, mais aussi de développer un positionnement
critique et éthique. Pour cela, il a besoin d’acquérir des
connaissances sur l’écriture et l’univers de la fiction. La
catégorisation des résistances textuelles exposée ci-dessus
ne permet pas toujours de prendre en compte les éléments
qui constituent sa consistance, c’est-à-dire, les motifs nar-
ratifs, les figures mythiques, les types de personnages, les
enjeux sociopolitiques sur lesquels s’installe sa puissance
esthétique et axiologique65.
Bien sûr, C. Tauveron opère des classements qui pren-
nent en compte une grande partie des éléments évoqués
précédemment et sur lesquels se fondent parfois la résis-
tance. Cependant, les pratiques scolaires montrent que
si les aspects techniques de la lecture littéraire (refor-
mulation / débats d’interprétation / choix de textes résis-
tants) ont été compris et tentent d’être appliqués par les

63
65. L’observation des valeurs véhiculées par le texte notamment.
Chapitre 4

enseignants, ils ne suffisent pas à installer une réelle


appropriation des savoirs littéraires nécessaires au pas-
sage vers les œuvres de la littérature générale.
La mise en réseaux des textes organisée dans les clas-
ses est souvent centrée sur des aspects anecdotiques, voire
thématiques et ne permet pas d’installer une progressivité
dans les apprentissages de la lecture littéraire. En outre,
on n’acquiert pas ainsi les savoirs suffisants pour structu-
rer durablement le rapport
de l’enfant à la littérature.
Définition de la notion de figure littéraire
par J. Crinon, B. Marin et J.-C. Lallias
Les contes merveilleux, par
exemple, ou les textes patri-
« Les figures littéraires renvoient […] aux moniaux comme les grands
personnages et aux situations, à ces confi
gurations, récurrentes d’une œuvre à l’autre,
mythes gréco-romains sont
qui structurent les relations entre les pro- importants en eux-mêmes
tagonistes de l’action et qui s’incarnent parce qu’ils véhiculent les
en général dans un type de personnage, voire « figures littéraires »66 dont
un archétype. La figure, en même temps, ne
se réduit pas au personnage emblématique
la connaissance est tout
qui le représente dans notre imaginaire, elle aussi indispensable à la
englobe des valeurs, des aspirations, des pro- formation du lecteur. Leur
blèmes qui sont ceux auxquels se confronte décryptage participe à la
l’humanité depuis toujours. » Extrait de
Enseigner la littérature au cycle 3, Nathan.
compréhension du texte et
génère les profits symboli-
ques évoqués dans nos deux
premiers chapitres. Les grands classiques de la littérature
pour enfants sont reconnus de la même manière par la
postérité parce qu’ils permettent eux aussi de structurer
les connaissances du jeune lecteur.
Pour construire une véritable didactique de l’enseigne-
ment littéraire, il faut que l’enseignant puisse conduire
une lecture experte de l’œuvre, en dégager les points de
résistance comme les éléments de savoirs mis en œuvre
afin de parvenir à dégager :
– la manière dont la compréhension va se construire,
– les connaissances que l’élève va pouvoir structurer.
Par ailleurs, l’enseignant devra aussi s’interroger sur
l’organisation des lectures dans le courant de l’année,

64 66. Expression empruntée à J. Crinon et al., Enseigner la littérature au cycle 3,


Nathan, 2006.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

voire du cycle ou d’un cycle à l’autre, pour favoriser une


progressivité dans l’apprentissage et déterminer de véri-
tables parcours de lecture.
Cependant, les professeurs sont souvent démunis pour
organiser une véritable programmation, ou n’ont pas néces-
sairement admis que cet apprentissage pouvait être struc-
turé (tout comme les mathématiques ou la grammaire),
car tous ces aspects ne sont pas posés clairement dans les
programmes et dans la majorité des formations.

65
Vers la construction
d’une didactique de la
lecture littéraire
a vant de clore cet ouvrage, il nous paraît indispensa-
ble de proposer quelques pistes pour guider les ensei-
gnants dans la construction d’une didactique de la lecture
littéraire. Pour cela, à titre d’exemple, nous montrerons,
à partir d’une œuvre comment on peut :
– articuler les apprentissages les uns aux autres ;
– construire une lecture experte d’un ouvrage ;
– développer une séquence à partir de cette lecture.
Dans cette partie, nous ne développerons pas de conseils
pédagogiques pour la mise en œuvre des séances elles-mêmes
et notamment pour la construction des échanges qui condui-
sent l’enfant vers l’interprétation, car les ouvrages sur ce
sujet sont nombreux67. Il nous paraît plus important :
– de proposer des pistes pour structurer les connaissances
et organiser des parcours de lecture nécessaires à la construc-
tion des savoirs et à la formation du lecteur de la littérature ;
– de donner quelques principes méthodologiques
permettant d’analyser les histoires et d’en dégager les
éléments structurant pour l’apprentissage ;
– puis de montrer à l’enseignant comment construire
des choix didactiques en fonction des objectifs qu’il s’est
assignés à travers un exemple.

w quels
Organiser les lectures en parcours :
fondements théoriques ? 68

Comme nous l’avons évoqué à la fin de notre chapitre


précédent, il est important de structurer l’acquisition des
67. Voir bibliographie en fin d’ouvrage.
66 68. Pour compléter la réflexion sur ces questions, nous vous proposons en annexe
p. 83 quelques pistes concrètes pour organiser des parcours.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

savoirs pour permettre à l’enfant de construire une rela-


tion nourrie à la littérature afin de devenir plus rapide-
ment un lecteur autonome.
Le parcours de lecture, terme d’abord employé dans
la didactique du lycée, recouvre plusieurs acceptions.
Il peut indiquer une manière de lire un livre (en ce sens,
en proposant deux entrées différentes dans une même
œuvre, nous proposons deux parcours) soit parce que l’on
va « braconner » des extraits, soit parce que l’enseignant
propose une approche particulière. Il peut aussi définir un
chemin tracé entre plusieurs œuvres ou objets à lire. En ce
sens, le travail souhaité par les Instructions officielles sur
l’histoire des arts détermine des parcours croisés.
Nous nous appuyons sur cette deuxième définition pour
déterminer la manière dont il est souhaitable d’organiser
les lectures littéraires. Il s’agit d’établir une programmation
pour permettre à l’enfant d’entrer progressivement dans
l’univers de la fiction et de construire les connaissances qui
lui permettront de prendre, peu à peu, de la distance avec la
lecture littérale du texte. Cependant, il ne faut pas non plus
rejeter cette forme plus naïve de lecture au profit d’une lec-
ture dite « savante », mais il convient de donner les moyens
d’allier les deux pour dégager une relation plus complète au
texte. C’était en partie le rôle assigné au départ à la notion
de réseaux, ceux-ci favorisant le croisement des lectures
pour tisser des liens d’une œuvre à l’autre. Cependant, nous
pensons que cette modalité est insuffisante pour organi-
ser les apprentissages et permettre à l’enfant d’accéder à
des textes de plus en plus complexes. Il est donc impor-
tant, d’une part, de répertorier les éléments qui permettent
d’entrer dans la fiction, d’autre part, d’installer quelques
savoirs de base et d’observer comment ils s’organisent par
le choix des œuvres travaillées. Pour cela, il est nécessaire
de dégager des problématiques, qui seront autant d’objets
d’enseignement, puis de constituer des répertoires d’œuvres
qui peuvent les traiter.

67
Chapitre 5

w Structurer les connaissances sur les personnages


et leurs actions
L’essentiel de la fiction s’installe sur la reconnaissance
des personnages. Il s’agit de :
– les identifier dans le récit,
Personnages stéréotypés et archétypaux comprendre leur perma-
nence,
Les stéréotypes : il s’agit de personnages-
types récurrents issus des mythes, – comprendre leur statut
des légendes ou de la tradition littéraire. et le système qui les unit,
La littérature pour enfants est jalonnée – comprendre leur fonction
de stéréotypes. Nous ne citerons ici que
dans l’action, leurs inten-
les plus fréquents :
– le loup, incarnant la cruauté depuis tions, leur manière d’agir,
l’aventure de Lycaon ; ­– dégager des stéréotypes69
– l’ogre, le géant, ce dernier étant lié à l’ori- permettant d’entrer dans
gine du monde vue par les Grecs : mythe des
les figures littéraires et de
géants, des titans et notamment de Cronos ;
– la sorcière, issue à la fois d’une magicienne construire les grands arché-
comme Circé et de la chasse aux hérétiques. types,
Elle incarne la magie maléfique, la métamor- – construire la notion d’ac-
phose et parfois, s’apparente à l’ogresse
tants qui dépasse celle de
(Babayaga, Hansel et Gretel) ;
– le roi, issu de la tragédie grecque tout autant personnages pour aboutir
que du conte merveilleux ou de l’histoire. à celle de forces agissantes
Il incarne souvent la puissance, l’autorité, dans le récit. Cette distinc-
la violence liée au pouvoir. Il est aussi une
tion personnage / actant
figure paternelle qui exerce son autorité,
notamment dans la relation avec les filles ; permet d’insérer dans la
– la princesse et le prince, issus essentielle- recherche de l’action un
ment des contes merveilleux. Ils sont groupe de personnages qui
des enfants soumis à l’ordre du père ou
agissent ensemble, une idée
à la volonté de la mère (ou de la marâtre)
qui évoluent au fil de l’intrigue. Ils posent qui réunit et fait agir, un
aussi l’idée de richesse et de la facilité, objet magique, un désir,
dans ce cas, ils peuvent représenter une une obligation, etc. Nous
image péjorative, etc.
verrons, à travers l’exem-
Les archétypes : ce sont des types psychologi- ple développé autour de
ques ou sociaux. C’est la raison pour laquelle l’œuvre Pipioli la terreur,
on les confond souvent avec les stéréotypes, deux schémas possibles
car chaque stéréotype incarne, au départ,
correspondant aux deux
un de ces modèles.
interprétations proposées.

68 69. Ces termes techniques ne sont pas à enseigner aux élèves, ils permettent
surtout à l’enseignant de structurer sa connaissance et son analyse des œuvres.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

– Le méchant, le cruel, le violent : ils sont représentés par des personnages


effrayants, laids et démesurés (par leur gigantisme, par exemple). Les couleurs
sombres et les atmosphères effrayantes leur sont associées (le loup, l’ogre,
la sorcière…). Ils symbolisent les forces du mal.
– Le rusé : il est souvent représenté par le renard (issu de la légende immorta-
lisée par le Roman de Renart). Il peut aussi être incarné par différentes figures
(le chat dans le Chat botté / le petit (le Petit Poucet est rusé). Notons que la
ruse, comme la métamorphose, sont des figures littéraires sur lesquelles se
construisent de nombreux récits.
– Le rejeté : à cause de sa laideur ou de sa différence (le vilain petit canard),
de son origine (Cendrillon / Blanche-Neige), de sa ressemblance (au père,
pour la fille cadette des Fées – du point de vue de la marâtre, cela suffit à justifier
la maltraitance), de sa pauvreté (le mendiant). Il incarne souvent le triomphe
des forces du bien sur celles du mal.

Actants

Couramment utilisée dans l’analyse littéraire, cette expression est empruntée


à Greimas70 qui a tenté de modéliser le système relationnel unissant les
personnages. Le schéma actantiel synthétise les analyses des théoriciens
du conte et du théâtre (Propp / Souriau).
On distingue cinq actants principaux : destinateur = force(s) qui pousse(nt)
le héros (personnage principal) à agir / destinataire = bénéficiaire(s) de l’ac-
tion du héros / sujet = héros de la fiction / objet = but(s) de l’action / adju-
vant = celui (ceux/ce) qui aide(nt) le sujet / opposant = celui (ceux/ce) qui
s’oppose(nt) à l’action du sujet.

w S’approprier les structures textuelles


Par ailleurs, la compréhension et l’anticipation se construi-
sent aussi en regard du genre ou de la structure textuelle.
Le lecteur n’a pas les mêmes attentes lorsqu’il lit un conte
en randonnée dans lequel il sait que la montée en ten-
sion est longue mais que le dénouement sera rapide, ou
un roman policier pour lequel, très souvent, l’entrée en
matière est immédiate. L’essentiel de l’intrigue guide alors
le lecteur vers le dénouement, mais aussi vers la manière
dont celui-ci se construit.
La classification des genres littéraires permet d’ins-
taller un univers de référence qui guidera, comme la

70. Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale : recherche et méthode, Larousse, 69


1966.
Chapitre 5

connaissance des stéréotypes et des archétypes, les atten-


tes du lecteur. Dès lors, les activités visant l’émission d’hy-
pothèses sur le texte peuvent prendre du sens, car elles
permettent véritablement au lecteur de réguler son atten-
tion et de réajuster en permanence ce qu’il a prévu. Un
lecteur averti sait, par exemple, que le conte merveilleux
implique l’apparition d’éléments fictifs distincts du réel
(que nous appellerons surnaturels plutôt que surréalistes
pour éviter la confusion avec le mouvement artistique du
début du xxe siècle).
Enfin, l’entrée progressive dans une analyse des inten-
tions de l’auteur et de sa relation au lecteur permet de
construire des attentes plus fines encore. L’enfant qui peut
dire, après la lecture de « Loup-Garou », que les auteurs
nous « tendent des pièges pour nous faire réfléchir »71 a
appris à définir la notion de distanciation. Dans ce travail-
là, on abordera aussi bien :
– la relation à l’implicite et à la part de créativité lais-
sée au lecteur en organisant progressivement les savoirs
autour de deux pôles possibles : 1. dans les textes réti-
cents, celui de l’égarement du lecteur pendant une partie
du texte pour le ramener ensuite à la vérité de son histoire
(par exemple L’Afrique de Zigomar72, l’auteur nous montre
que Zigomar s’est trompé, il croit être allé en Afrique, mais
en réalité il est allé au pôle Nord) ; 2. dans les textes pro-
liférants, celui de la coopération permanente du lecteur,
à qui on offre plusieurs possibilités interprétatives (ainsi,
dans le cas de « Loup-Garou », on ne peut pas prouver que
le maître et le loup sont une seule et même personne, dans
C’est pas moi73, on ne sait pas si le sale type existe ou non
et chaque enfant est invité à donner son point de vue) ;
– la relation à l’esthétique du texte et à la tonalité qui
s’en dégage : l’auteur veut-il nous faire rire ? nous faire
réfléchir à des choses graves ? nous aider à comprendre des
événements pour nous apprendre à penser ? etc. ;

71. Expression empruntée à Nina, une élève de CE1 lors d’une séance de lecture
littéraire du texte de Bernard Friot.
70 72. P. Corentin, École des loisirs.
73. Emmanuelle Robert, Ronan Badel, Seuil jeunesse.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

– la relation entretenue avec le réel : fiction réaliste


ou non ? histoire de personnes qui ont vraiment existé ?
histoire de personnes qui ressemblent à des personnes qui
ont existé ? histoire personnelle ? etc.

w Cquelques
onduire une lecture experte :
propositions

Pour pouvoir organiser les parcours et conduire des séquen-


ces d’apprentissage, l’enseignant doit aussi être capable
d’analyser une œuvre pour conduire une lecture experte.
En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment,
une œuvre littéraire est un édifice à plusieurs étages
qui peut donc être lu à différents niveaux. Quand il évo-
que cette question, Rascal74 – écrivain et illustrateur
pour enfants – parle de « livres millefeuilles » montrant,
à travers cette métaphore, que chaque lecteur pourra
interpréter différemment l’ouvrage. L’enseignement de
la lecture littéraire vise donc à développer, chez l’élève,
cette capacité à dégager les différents sens des textes pour
en mesurer la consistance et nourrir, dans la lecture, une
forme de plaisir. L’enseignant doit donc avoir décrypté lui-
même les différentes significations du texte et avoir com-
pris la manière dont il a construit ce rapport au sens pour
mieux guider l’enfant. C’est à cette condition qu’il pourra
imaginer une séquence d’apprentissage. La difficulté
essentielle d’une lecture experte réside souvent dans le fait
que chaque œuvre est unique et que l’on ne peut pas réelle-
ment dégager de séquence modèle qui serait reproductible
d’un texte à l’autre. En ce sens, aucune grille d’analyse
ne pourrait constituer un outil pertinent et transférable
à toute lecture experte. Les propositions qui suivent ne
visent en aucun cas l’exhaustivité, mais doivent être com-
prises comme des pistes pratiques pour aider l’enseignant
dans sa réflexion.

74. Expression relevée lors d’une conférence donnée à l’IUFM de Valence auprès 71
des stagiaires PE2 et étudiants PE1.
Chapitre 5

w Analyser la narration
Une première lecture de l’œuvre nous renseigne sur les
thèmes développés dans le récit, les rapports qu’ils entre-
tiennent avec les grandes figures littéraires et nous incite à
observer les personnages, leurs intentions et les actes qu’ils
conduisent pour favoriser la réalisation de l’intrigue.
Il nous faut ensuite nous interroger sur :
– la modalité narrative : qui raconte le récit ? Quels
sont les choix réalisés par l’auteur pour permettre au lec-
teur d’entrer dans le récit (par exemple produire un effet
de réel en utilisant un cadre spatiotemporel précis) ? ;
– la progression de l’intrigue : à quel moment intervien-
nent les perturbations et les résolutions ? Qui fait évoluer
l’aventure ? ;
– les relations entretenues avec le réel : les points com-
muns, les écarts ;
– les non-dits et la manière dont ils sont mis en
œuvre ;
– les émotions que nous procurent le texte : comment
se construisent-elles pour installer un regard réflexif sur
notre propre lecture et dégager les effets d’échos produits
par le texte. Par exemple, dans le cas d’un conte comme
Le Petit Poucet, la répétition de l’abandon des enfants dans
la forêt contribue à renforcer la montée du tragique.

w S’appuyer sur ces relevés pour construire le sens


Une fois ces problèmes résolus, afin de construire la ou les
interprétations possibles, il nous faut nous interroger sur :
– Le sens profond que l’on peut dégager de cette obser-
vation technique : le texte délivre-t-il un message ? si oui,
de quel ordre (social, psychologique, philosophique) ?
– Les choix esthétiques : quelle impression l’œu-
vre nous laisse-t-elle ? La réponse à cette question
permet de déterminer la tonalité : humour (le cas de
« Loup-Garou »), pathétique (le cas d’Otto qui dévoi-
le progressivement toute la souffrance du petit ours
pour créer chez le lecteur une empathie qui guidera
sa réflexion), tragique (le cas de Grand-père qui dans
72
Quelle place pour la littérature à l’école ?

les choix narratifs évite le pathétique pour susciter


la terreur), etc.
– Dans le cas de la bande dessinée ou de l’album,
il faut aussi analyser la relation entretenue entre le texte
et l’image pour guider la construction de l’interprétation.

w Un exemple précis : Pipioli la terreur


Prenons l’exemple de Pipioli la terreur, de Philippe Corentin
pour illustrer précisément notre propos. Cet album narre
le récit d’une famille souris qui vit dans une bibliothèque
et se nourrit en récoltant le papier des livres. Les deux
souriceaux chargés de cette tâche doivent tout faire pour
éviter les pièges tendus par le propriétaire, un illustrateur
qui dessine des souris.
Voilà typiquement une « histoire millefeuilles », qui
peut se lire à plusieurs niveaux et permet une véritable
coopération du lecteur, et qui monte en puissance au fil
de sa formation.
En effet, l’intrigue voulue par l’auteur est relativement
simple, il s’agit de l’antique combat entre les hommes et
les souris. Les moyens utilisés pour se débarrasser des
rongeurs sont d’un réalisme parfait : blé empoisonné par
de la mort-aux-rats et tapettes. La fin est assez inattendue
puisqu’elle amène un équilibre : la coopération entre les
deux protagonistes principaux, l’illustrateur et la souris.
Un accord tacite est conclu comme une sorte d’armistice
dans une guerre qui prend, du côté des souris, des allures
de guérilla.
Cependant, cette œuvre qui s’ancre dans une réalité,
choisit, semble-t-il, le parti des souris et non de l’homme,
puisque les personnages principaux sont les deux souri-
ceaux qui se retrouvent aux prises avec les pièges d’un
illustrateur. Ils sortent apparemment vainqueurs de l’af-
frontement : ils conservent le droit de grignoter les livres
sans danger à condition que Pipioli accepte de poser pour
l’illustrateur.
73
Chapitre 5

w Observer les personnages pour construire un premier


effet de sens
Une première lecture totalement participative permet
de se projeter dans un couplage très stéréotypé des
personnages :
– un souriceau mâle un peu frondeur, peu soucieux
du danger voire qui cherche à le braver ;
– un souriceau femelle, au contraire, plus réfléchi ;
moins téméraire et obéissant.
Malgré cette apparente simplicité, on observera que le
personnage féminin est en fait assez complexe. En effet,
c’est elle qui lance le saccage témoignant ainsi d’un certain
courage quand il s’agit de venger son cousin. La fin mon-
tre pourtant qu’elle garde ses distances avec l’illustrateur,
anticipant un éventuel danger, ce qui permet de ne pas
clore totalement le récit.
Par ailleurs, le dénouement invite le lecteur à interro-
ger le sens du titre comme notation descriptive du caractè-
re du souriceau mâle. Pipioli, dit « la terreur », apparaît en
réalité plutôt comme un grand naïf ignorant des dangers
du monde extérieur. Puis, il devient tour à tour agressif
(quand il suit sa cousine en se baptisant Pipioli la terreur),
habile négociateur, enfin collaborateur efficace.
Les enfants apprécieront le nom du personnage, notam-
ment la diérèse possible sur la lettre i de Pipioli [pipjoli]
ou [pipioli] qui contraste aussi avec le titre, laissant ima-
giner que le souriceau est encore très proche de la tendre
enfance.
Cette première lecture, relativement naïve, permet
aussi de mettre en évidence des aspects narratifs intéres-
sants : la transgression des interdits, la manière dont les
souris se vengent de l’illustrateur, l’heureux dénouement.

w Observer le rapport texte-image pour une lecture


plus distanciée
Pourtant, l’album invite à une lecture plus distanciée, plus
créative, qui guidera un lecteur averti vers une véritable
interprétation des intentions de l’auteur. Il s’agit de se cen-
74
Quelle place pour la littérature à l’école ?

trer sur le travail de l’illustrateur-personnage secondaire


a priori, puisqu’il n’intervient jamais directement dans un
récit où le discours direct est utilisé majoritairement. Le
narrateur ne livre d’ailleurs pas explicitement ses inten-
tions, focalisant le récit sur les souriceaux et le laissant au
second plan. À l’inverse, l’illustration lui donne une place
importante : quand il est présent il occupe un espace cen-
tral dans la page, y compris quand il dort. Il n’est jamais
hors champ ou presque. À la fin, c’est lui qui guette les
souris à travers les livres, dévoilant ainsi qu’il a déniché
leur repère qui jusque-là semblait caché.
Le lecteur doit donc décrypter l’implicite à travers
l’enchaînement des agressions perpétrées à l’encontre de
Pipioli et des indices dévoilées par l’image. On peut relever
deux éléments :
– le portrait physique du personnage semble être celui,
un peu caricatural, de Philippe Corentin,
– la présence de trois Post-it épinglés successivement
sur la table à dessin. Elle permet d’affirmer que le récit
n’est en fait qu’une sorte d’autofiction mettant en abyme
l’écriture du récit et la création d’un personnage qui revien-
dra dans trois autres récits (voir les Post-it pp. 77 à 79 et
leur analyse p. 77).
Jusque-là, il n’y a pas nécessairement de différence
avec l’œuvre « Loup-Garou » (B. Friot). L’album joue avec
le lecteur lui permettant de prendre une distance avec le
texte en ramenant un personnage secondaire au centre du
récit puisque ses intentions sont dévoilées par les Post-it.
Mais avec le troisième Post-it, la coopération interpré-
tative dépasse le simple jeu pour guider le lecteur dans
une observation de la manière dont l’écriture se construit.
En effet, il expose symboliquement, par la mention sur
l’augmentation possible du contrat, une conception du réa-
lisme et de la qualité littéraire d’un texte. La présence
des souris comme modèles guide le trait de l’illustrateur
et son scénario. En effet, à la fin, il invite le lecteur à réa-
liser que les souris sont de bons modèles, mais aussi que
cette rencontre permet l’écriture d’un récit. Cette présence
75
Chapitre 5

est donc envisagée, par l’illustrateur, comme le moyen


de produire une œuvre à succès (ou une œuvre de qua-
lité). Par ailleurs, le fait qu’il accepte le grignotage de ses
livres (et notamment des textes patrimoniaux) peut aussi
dévoiler une vision ouverte de la littérature. Il n’aura plus
besoin des vieux livres, il a un modèle vivant.
Enfin, un lecteur cultivé, qui connaît les contes mer-
veilleux, pourra interroger le lien entre l’intrigue et l’ex-
pression « rat de bibliothèque » désignant les personnages
qui « dévorent » les livres. Il s’agit peut-être d’offrir aussi,
dans cet hommage à la création littéraire, une place sym-
bolique aux lecteurs.
Enfin on pourra s’amuser à interpréter les choix
des œuvres au regard de leur destination : gâteau de
papier / salade / remède (voir interprétations possibles dans
l’encadré ci-contre).
Cet ouvrage lu par un adulte à un enfant de 4 ans,
comme le préconise l’éditeur, pourra au mieux permet-
tre une compréhension de l’intrigue et une participation
dans le périple des deux souriceaux. Le schéma actanciel
développé (voir encadré p. 81) sera donc plus simple. Plus
tard, un élève de CE1 ou de début de CE2 effectuera la
même lecture en autonomie et cela ne posera pas de pro-
blème de compréhension majeure si le décodage est auto-
matisé. L’enfant sera capable d’anticiper le danger vécu
par les souriceaux et d’apprécier le dénouement heureux.
Néanmoins, il nous paraît nettement plus intéressant
d’interroger la manière dont l’articulation texte/image
renforce la résistance du texte tout en le rendant plus
consistant. L’enfant effectuera alors une lecture distanciée
qui favorisera l’acquisition de savoirs de base indispensa-
bles à la construction d’un véritable rapport au livre et à
la lecture (voir le schéma actanciel n° 2, encadré p. 81).
Ce travail n’est pas envisageable avant le CE1, dans une
classe déjà familiarisée avec la lecture littéraire. Les indi-
ces évoqués précédemment sont donc intéressants à faire
relever pour amener l’enfant à s’interroger véritablement
sur le sens de l’œuvre et les intentions de l’auteur.
76
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Analyse des Post-it


Dans les premières pages, le texte griffonné sur le Post-it est illisible. Puis
au moment où les souris découvrent leur ennemi endormi, un lecteur attentif
pourra lire : « Acheter Sienne 10 flacons, demander du blé à Arthur p… ».
Le lecteur comprend alors que c’est un moyen de focaliser l’attention sur les
actions et les pensées de l’illustrateur, moyen qui échappe aux souris car elles
ne savent pas lire. Dès lors, comme au théâtre, le lecteur en sait plus que les
personnages qui conduisent l’intrigue et peut donc installer une véritable anti-
cipation, par la distance qu’il prend avec les personnages. En effet, à la page
suivante, les deux protagonistes se retrouvent face à l’assiette de blé empoi-
sonné et le lecteur sait que les souriceaux se trompent dans leur analyse.
Le deuxième Post-it (dentiste / impôts / titre ? Pipioli chez M. Corentin), qui appa-
raît au moment du saccage du dessin par les souriceaux, permet de comprendre
que l’illustrateur n’est autre que Philippe Corentin et qu’on est donc face à une
autofiction dans lequel l’auteur se projette. L’intérêt réside dans le jeu narratif
avec le prénom du personnage. D’où vient le nom du souriceau ? Y a-t-il un
rapport avec le fait qu’il urine dans les flacons d’encre ? On comprend alors que
le récit met en abyme l’aventure des souris et on est invité à une relecture des
pages précédentes et notamment de la première apparition de l’illustrateur.
Le troisième Post-it proposé sur la dernière page (revoir contrat, exiger 10%,
12%) permet d’aller plus loin encore et d’analyser le rapport de l’auteur à
l’œuvre en train de s’écrire. Le fait d’avoir des modèles réels facilite l’écriture
d’une fiction plus pertinente. La qualité littéraire (ou l’attrait du public) s’en
ressent ainsi puisque l’illustrateur est à même de modifier à la hausse son
contrat éditorial. Bien sûr, on ne doit pas oublier l’humour d’une telle mise
en abyme : l’auteur s’amuse à écrire cet ouvrage et entraîne le lecteur avec lui
dans une observation distanciée de sa propre création. Ce procédé n’échappe
pas aux grands textes classiques, Stendhal ne fait rien d’autre quand
il regarde Fabrice Del Dongo qu’il a lui-même conduit à Waterloo en quête
de gloire et affirme : « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros
en ce moment. »

Cette première réflexion permettra à l’enseignant de poser


quelques points de repère sur la manière dont l’auteur guide
le lecteur. Il y a donc un véritable apprentissage de la lecture
littéraire à installer, dès le plus jeune âge, avec cette œuvre :
– par l’observation et le guidage de l’enseignant vers le
relevé des bons indices ;
– par leur analyse dans un échange entre enfants qui
justifient leur propos, étayé par l’adulte ;
– par la construction de synthèses à l’issue de ces échan-
ges en vue d’organiser les savoirs acquis afin de les réutiliser
dans la lecture d’autres œuvres.
77
Chapitre 5

1.

2.

78
Quelle place pour la littérature à l’école ?

3.

w Organisation de la séquence
Séance 1
Pour cela, nous proposons tout d’abord de faire lire l’inté-
gralité du texte aux élèves sans nécessairement en montrer
les images. Il faudra aménager cette lecture en fonction
des compétences de chacun, c’est-à-dire, éventuellement,
en assumer magistralement une partie pour éviter la
surcharge. À l’issue de ce travail, une reformulation est
nécessaire pour permettre de valider la compréhension de
l’intrigue. On pourra alors établir un tableau des différents
personnages et de leurs relations, puis des grandes étapes de
l’intrigue (notamment des quatre temps forts : découverte de
la table à dessin / dégustation du blé puis épisode de la
tapette / saccage de la table à dessin / négociation finale).

Séance 2
Une deuxième séance permettra de mieux comprendre le
caractère des deux souriceaux pour analyser et interpréter
79
Chapitre 5

le titre. On relèvera les passages qui visent à montrer ce


qu’ils font et ce qu’ils pensent. On analysera ces informa-
tions pour établir un portrait moral des deux personnages.

Séance 3
Dans une troisième séance, on apportera les illustrations
(donc l’album) et on proposera aux élèves de les obser-
ver librement. Il n’est pas du tout certain qu’ils voient les
Post-it et comprennent le lien avec le récit. Si tel était le
cas, ce serait évidemment très significatif de la capacité
à décrypter le message. On centrera alors leur attention
pour essayer de comprendre qui les a écrits et dégager
leurs fonctions. Cela nous permettra de constater qu’il
s’agit d’une mise en abyme de l’écriture du texte (pour les
élèves : c’est l’auteur qui se dessine en train d’inventer une
histoire de souris, elle devient cette histoire).
L’analyse du troisième Post-it permettra d’entrer dans
une découverte des aspects sociologiques du livre pour
mieux l’interpréter. Apporter une connaissance extrinsè-
que pour savoir ce que signifie le contrat, les pourcentages,
permet de risquer une interprétation. Pourquoi envisage-
t-il d’être mieux payé ? Qu’a-t-il fait pour cela ? Là, il n’y
a pas de réponse dans l’œuvre, on ne peut qu’interpréter
cette donnée de l’image au regard de notre culture et de
notre connaissance du fonctionnement éditorial.

Séance 4
Une dernière séance permettra de faire le bilan des savoirs
acquis et de comprendre les choix esthétiques réalisés par
l’auteur. En effet, la dissociation du texte et de l’image
permet de dégager deux interprétations assez différentes.
On pourra le structurer ainsi : les auteurs peuvent se pla-
cer dans l’histoire qu’ils écrivent sans le dire nettement et
en ne parlant pas à la troisième personne. Corentin veut
nous montrer que pour lui, une histoire pour laquelle un
auteur a un modèle (la souris qu’il utilise) peut être plus
réussie. Dans un récit comme celui-ci, l’auteur fait réfléchir
le lecteur et le laisse imaginer certaines idées.
80
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Bien sûr, tous les aspects ne seront pas traités en une


séquence. L’enseignant doit aussi faire des choix. La rela-
tion aux contes et au choix du papier, par exemple, pour-
rait faire l’objet d’un échange libre permettant aux enfants
d’installer une relation subjective à leur propre lecture.
Quel livre choisirais-tu comme gâteau de papier ? comme
médicament ? pourquoi ? etc.

Exemple de deux schémas actantiels possibles qui détermineront


l’interprétation de l’œuvre de Corentin
Schéma n° 1 :
Poussé par : son désir de découvrir l’inconnu, le sujet : Pipioli, poursuit une
quête : prouver que l’illustrateur n’est pas méchant. Il est aidé en cela par : sa
force de caractère et sa cousine et sera opposé : aux pièges tendus par l’illus-
trateur. Au bout du compte, cette quête profitera à : l’ensemble des personna-
ges pour des raisons différentes.

Schéma n° 2 :
Poussé par : son métier d’auteur illustrateur, le sujet : l’illustrateur, poursuit
une quête : écrire un livre dont les personnages sont des souriceaux. Il est aidé
en cela par : son observation des souris quand elles lui servent de modèles
et sera opposé : aux manques de modèles. Au bout du compte, cette quête
profitera à : l’illustrateur qui va renégocier le contrat, aux lecteurs.

81
Pour conclure

L a lecture littéraire est donc bien envisageable avant


même que le lecteur ne soit autonome. Elle se construit
dès l’école maternelle par le biais de la lecture magistrale
des œuvres et du travail proposé autour de ces textes. Puis,
elle se poursuit parallèlement à l’apprentissage technique
du décodage et de la compréhension. En ce sens, la litté-
rature peut être conçue comme un véritable objet d’ensei-
gnement sans pour autant prendre le risque de dénaturer
l’œuvre comme veulent le laisser croire les détracteurs de
son enseignement.
Il ne s’agit pas pour les professeurs des écoles de se
transformer en spécialistes de la narratologie ou de l’analy-
se littéraire. Simplement, il est nécessaire, pour construire
un enseignement de qualité, d’en comprendre les enjeux
et de trouver quelques clés permettant de structurer des
dispositifs qui favoriseront des rencontres entre les élèves
et les textes.
Du côté de l’élève, cet apprentissage est nécessaire,
notamment pour les plus démunis sur le plan culturel.
Il permet d’éviter les ruptures trop fortes au moment du
passage au collège et au lycée. Il permet surtout de donner
quelques clés pour relever le formidable défi lancé par les
programmes : enseigner le plaisir de lire.

82
AnnexeS

w Qdes
uelques pistes pour organiser
parcours

Avant de proposer quelques pistes concrètes pour structurer


les parcours de lecture des textes narratifs au sein des cycles,
nous aimerions poser trois remarques liminaires afin de
préciser l’objectif poursuivi.
D’une part, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité car
dans ce domaine elle n’existe pas. La littérature, comme la
didactique, sont en perpétuelle évolution.
D’autre part, les propositions que nous faisons ci-après
concernent les savoirs à construire. Il s’agit d’œuvres qui
peuvent être travaillées dans l’année. Cela n’exclut en rien
les lectures d’autres œuvres, mises en réseaux ou bracon-
nées75 tout simplement. La tâche première est de lire et
d’ouvrir le plus largement possible les espaces dédiés aux
livres, dans la classe ou les bibliothèques.
Enfin, tant que l’enfant ne maîtrise pas suffisamment la
lecture, le travail se fait en lecture magistrale, plutôt sur des
œuvres intégrales. Ensuite, à partir du CE1, afin de conju-
guer apprentissage de la compréhension et construction
des savoirs littéraires, le travail doit se faire aussi sur des
extraits et pas uniquement sur des œuvres intégrales. Cela
permet à l’enfant de se familiariser avec des types d’écriture
différents et d’entrer dans des univers plus variés.

75. Pour reprendre l’expression de Michel de Certeau : « les lecteurs sont des voya-
geurs ; ils circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnant à travers les champs
qu’ils n’ont pas écrits, ravissant les biens d’Égypte pour en jouir » in L’Invention du 83
quotidien, éditions 10/18, 1980.
Annexes

w Construire le personnage
1. Une première étape de ce parcours sera consacrée à la
découverte de la notion de personnage : petite section et
moyenne section pour les points a, b, c et d. Les points e et
f sont à retravailler à des niveaux différents tout au long
des autres cycles.

a. Découvrir un personnage de récit par l’utilisation de


marottes extraites des albums travaillés. On cherche-
ra, dans un premier temps, un héros miroir, que les
élèves peuvent avoir rencontré dans des séries télévi-
sées, des magazines ou des albums comme Petit Ours
Brun, Popi, Babar, Tchoupi. On pourrait, par exemple,
découvrir les albums cartonnés de Popi qui sont à mi-
chemin entre la fiction et le documentaire parce qu’ils
proposent des photos du petit singe au marché, à la
ferme, etc.
b. Découvrir des personnages de même type : par exem-
ple l’ours avec Calinours, Mon ami l’ours, Trois ours
en vacances, Boucle d’or et les trois ours (voir aussi
le réseau sur le chat proposé par le document d’ac-
compagnement Le langage à l’école maternelle, p. 84)
pour identifier dans quels livres on les retrouve.
c. Découvrir des personnages de série : Petit Ours Brun
(A. Aubinais), Foufours (F. et G. Stehr), Lou le loup
(M. Szac), Tromboline et Foulbazar ou Blaise (C.
Ponti) pour comprendre qu’un personnage peut vivre
différentes aventures dans des œuvres différentes.
d. Découvrir des personnages qui nous ressemblent :
Pas-du-tout-un-carton (Antoinette Portis) ; Elmouth,
il n’aime pas, il préfère (Severin Millet).
e. Découvrir les liens qui unissent les personnages :
filiation, amitié, psychologie (bons / méchants),
etc. : Devine combien je t’aime (Sam Mac Bratney)
(maternelle), Pierrot ou les secrets de la nuit (CE1)
ou « Gaspard », in Les Rois mages (Michel Tournier).
84
Quelle place pour la littérature à l’école ?

f. C
 ommencer la découverte des stéréotypes installés
dans leur archétype d’origine comme Le Loup (Sara),
Sorcière y es-tu ? (Magdalena).

2. Une deuxième étape permettra de structurer la


connaissance des personnages en observant le lien qu’ils
entretiennent avec le réel (proximité, rupture, psychologie,
fin de MS/GS/CP/CE1) et son implication dans le récit :

a. D écouvrir des personnages anthropomorphisés


dès la petite section et jusqu’au CE1 : Calinours
(Stehr), Boucle d’or et les trois ours¸ La Brouille
(C. Boujon).
b. À partir de la GS et jusqu’au CE1 découvrir des
personnages anthropomorphisés qui conservent
aussi leurs caractéristiques animalières (Rodrigue
Porképic, F. Joly).
c. Découvrir des personnages humains qui se posent
des problèmes humains : Si le lit s’appelait loup
(J. Ruillier) Monsieur le Lièvre, voulez-vous m’aider ?
(Charlotte Zolotow, ill. Maurice Sendak).
d. Découvrir qui se cache derrière une narration
à la première personne : C’est pas moi (E. Robert,
R. Badel).
e. Poursuivre la construction des stéréotypes instal-
lés dans leur archétype d’origine : L’Ogresse en
pleurs (Valérie Dayre) ; Le Vieil Ogre (Marie-Sabine
Roger).
f. Découvrir des stéréotypes détournés pour en com-
prendre les effets stylistiques (humour notamment) :
Tout à coup, Samson ! (Colin Mac Naughton),
La Soupe au caillou (Tony Ross).
g. Observer les origines des personnages en recher-
chant la source des mythes (à partir du CE1 seule-
ment, par exemple : l’origine de l’ogre avec les récits
gréco-romains (Les géants et les titans / Cronos).

85
Annexes

3. Construire, au cycle 3, une reconnaissance systéma-


tique des personnages, de leurs buts, de leurs intentions et
éventuellement de leur impact dans la littérature :

a. S tructurer la connaissance des stéréotypes et des


archétypes psychologiques à travers les contes.
b. Découvrir des héros mythologiques et observer leur
résonnance dans la littérature, par exemple : Ulysse
et Max et les maximonstres (M. Sendac), Pygmalion
à travers Pinocchio (Colodi).
c. Découvrir ce qui pousse les personnages à agir dans
les récits.
d. Découvrir des personnages historiques ou emblé-
matiques de l’évolution de notre société ou de notre
système de pensée : Robin des bois (M. Morpurgo) ;
Les Orangers de Versailles (A. Pietri).
e. Analyser une narration à la première personne pour
en observer la dimension « autobiographique » ou
non : L’Album d’Adèle (Ponti) ; Comment j’ai changé
ma vie (A. Desarthe).

w Set’approprier la structure des œuvres


la manière dont les auteurs invitent
le lecteur à la création

1. Comprendre la structuration des albums

a. S e repérer dans les objets à lire : comprendre com-


ment fonctionne un livre, découvrir différentes for-
mes de livres (voir sur ce sujet le document d’accom-
pagnement Le langage à l’école maternelle) L’album
d’Adèle (Ponti), Un livre (Hervé Tullet).
b. Construire progressivement la permanence du person-
nage pour comprendre qu’on en voit plusieurs mais que
c’est toujours le même (commencer avec des albums
très structurés comme le A ou le Non (Ponti).
86
Quelle place pour la littérature à l’école ?

c. C
 onstruire le rapport entre le texte et l’image par
des albums à structure répétitive comme La petite
chenille qui fait des trous (E. Carles).
d. Construire la structure du conte en randonnée afin
de dégager de véritables attentes de lecture (coopé-
ration du lecteur) : la lecture (ou sa narration) de
La Moufle (R. Giraud) permettra d’avoir des attentes
plus précises sur un album comme Le Bonnet rouge
(B. Weninger ; J.A. Rowe, illus.) notamment en ce
qui concerne la compréhension de la fin du récit.
e. Découvrir des contes racontés (et non lus).

2. Construire une attitude de lecteur chercheur de sens

a. C lasser les œuvres en fonction de leur réalisme, de


l’insertion du rêve dans la réalité ou de leur lien
avec une dimension surnaturelle ou merveilleuse
(ça pourrait être vrai / ça ne pourrait pas être vrai).
b. Entrer dans les intentions de l’auteur avec des
albums qui proposent des décalages entre le texte
et l’image.
c. C omprendre la notion d’auteur en observant
la manière dont il se met en scène dans son texte.
d. Observer le rapport à la lecture exprimé dans
les textes : Tibert et Romuald (A. Jonas F.Crozat) ;
e. C ommencer à dégager la portée axiologique
des œuvres (morale / émotion / philosophie, etc., voir
les conseils donnés dans notre chapitre 2).

3. Construire une observation des intentions de l’auteur


pour dégager le sens profond des œuvres

a. C omprendre la tonalité : faire rire, faire réfléchir au


sens de la vie, découvrir un événement historique,
découvrir un problème de société, etc.
b. Dégager les événements réels, historiques, auto-
biographiques, le rêve, l’anticipation, le surnaturel.

87
Annexes

Au cycle 2, on se centrera surtout sur l’intrusion du


rêve, l’anticipation, les événements surnaturels ou
merveilleux.
c. Comprendre l’organisation en fonction des genres :
le policier et la mise en œuvre du suspens, les contes
étiologiques et leurs liens à la mythologie, les contes
merveilleux, la science fiction, la fantaisie pour com-
parer l’univers de référence des œuvres et les types
de personnages représentés et agissant (cette étape
concerne surtout le cycle 3).
d. Comprendre la manière dont le narrateur s’implique
ou non dans le récit.
e. Comprendre la mise en abyme des récits et l’effet
produit.

88
bibliographie

w Pquelques
our aller plus loin :
œuvres fondatrices

Sur la lecture littéraire


Vincent Jouve, La Lecture, Hachette supérieur, 2008
Annie Rouxel, La Lecture littéraire, Presses universitaires
de Rennes, 1996
Michèle Petit, Éloge de la lecture, Belin, 2002
Sur la littérature de jeunesse
Christian Chelebroug, Francis Marcoin, La Littérature
de jeunesse, Armand Colin, 2007
Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature
de jeunesse, Didier, 2009
Christian Poslaniec, Se former à la littérature de jeunesse,
Hachette, 2008
Marc Soriano, Guide pour la littérature de jeunesse,
Delagrave, 2002
Sur la didactique de la littérature
Jacques Crinon, Brigitte Marin et Jean-Claude Lallias,
Enseigner la littérature au cycle 3, Nathan, 2006
Renée Léon, La littérature de jeunesse à l’école :
Pourquoi ? Comment ?, Hachette, 2004
Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Hatier, 2002
Sur la dimension psychologique
Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fée,
Pocket, 1999
Bruno Bettelheim, Karen Zelan, La Lecture et l’enfant,
Laffont, 2005
Serge Boimare, L’Enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 2004
Serge Boimare, Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008
89
Jerome Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?,
Retz, 2002
Jerome Bruner, Culture et modes de pensée, Retz, 2000

w Bpour
ibliographie des ouvrages
la jeunesse cités 76

Lionni Léo, Petit Bleu et Petit Jaune, École des loisirs, 1970
Prévot Franck, Tout allait bien, Le buveur d’encre, 2009
Parr Todd, Tous différents, Bayard jeunesse, 2006
Palayer Caroline, Trop ceci cela, Frimousse, 2002
Sendak Maurice, Max et les maximonstres,
École des loisirs, 1988
Ponti Claude, L’Arbre sans fin, École des loisirs, 1992
Roger Marie-Sabine, À la vie, à la…, Nathan, 2005
Déon Michel, Thomas ou l’infini, Gallimard jeunesse, 1975
Séonnet Michel, Geiger Cécile, Madassa, Sarbacane, 2002
Rapaport Gilles, Grand-père, Circonflexe, 1999
Ungerer Tomi, Otto : autobiographie d’un ours en peluche,
École des loisirs, 1999
Daeninckx Didier, Missak, l’enfant de l’Affiche rouge,
Rue du monde, 2010
Causse Rolande, Rouge Braise, Gallimard jeunesse, 2007
Furlaud Sophie, Les P’tits Philosophes, Bayard jeunesse, 2009
Desarthe Agnès, Comment j’ai changé ma vie, École des loisirs,
2004
Boujon Claude, La Brouille, École des loisirs, 1989
Caroll Lewis, Tenniel John, Alice racontée aux petits,
École des loisirs, 1980
Daeninckx Didier, Le Chat de Tigali, Syros jeunesse, 2007
Nöstlinger Christine, Le Môme en conserve, Le livre de poche,
2007

90
76. Œuvres classées dans l’ordre de citation dans l’ouvrage.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Collodi Carlo, Pinocchio, Nathan jeunesse, 2010


Solotareff Grégoire, Nadja, Mitch, École des loisirs, 1990
Comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles, Hachette
Moissard Boris, Dumas Philippe, Contes à l’envers,
École des loisirs, 1977
Naumann-Villemin Christine, Barcillon Claire, La Tétine de Nina,
Kaleidoscope, 2002
d’Allancé Mireille, Grosse Colère, École des loisirs, 2000
Magdalena, Zaü, Léon et son croco, Flammarion, 2001
Friot Bernard, Encore des histoires pressées, Milan, 1997
Mourlevat Jean-Claude, L’Enfant Océan, Pocket Jeunesse, 2002
Mourlevat Jean-Claude, La Rivière à l’envers, Pocket jeunesse,
2000
Daeninckx Didier, L’Enfant du zoo, Rue du monde, 2004
Tournier Michel, Vertes Lectures, Flammarion, 2006
Aubinais Marie, Bour Danièle, Petit Ours Brun,
Bayard jeunesse*
Courtin Thierry, Tchoupi, Nathan jeunesse*
Broutin Alain, Stehr Frédéric, Calinours, École des loisirs*
Stehr Frédéric, Stehr Gérald, Foufours, École des loisirs*
de Pressensé Domitille, Loup Rouge, Pocket jeunesse*
Proteaux-Zuber Catherine, Szac Murielle, 7 histoires de Lou
le loup, Bayard jeunesse, 2007
Corentin, L’Afrique de Zigomar, École des loisirs, 1990
Corentin, Pipioli la terreur, École des loisirs, 1990
Robert Emmanuelle, Badel Ronan, C’est pas moi,
Seuil jeunesse, 2002
Alborough Jez, Mon ami ours, Kaléidoscope, 1998
Ponti Claude, Tromboline et Foulbazar, École des loisirs*
Ponti Claude, Blaise, École des loisirs*
Portis Antoine, Pas-du-tout-un-carton !, Kaléidoscope, 2008
Millet Séverine, Elmouth, il n’aime pas, il préfère,
Actes sud junior, 2009
91
* Signifie qu’il s’agit d’une série, le titre n’est donc pas complet.
Bibliographie

Mac Bratney Samuel, Devine combien je t’aime,


École des loisirs, 1994
Tournier Michel, Pierrot ou les secrets de la nuit,
Gallimard jeunesse, 2002
Tournier Michel, Les Rois mages, Gallimard jeunesse, 1983
Sara, Le Loup, Thierry Magnier, 2000
Magdalena, Muller Françoise, Sorcière y es-tu ?, Retz, 2003
Joly Fanny, Saillard Rémi, Rodrigue Porképik, Pocket junior,
2005
Ruillier Jérôme, Si le lit s’appelait loup, Casterman, 2000
Zolotow Charlotte, Sendak Maurice, Monsieur le lièvre
voulez-vous m’aider ?, École des loisirs, 2008
Dayre Valérie, Erlbuch Wolf, L’Ogresse en pleurs, Milan, 1996
Roger Marie-Sabine, Bertrand Frédéric, Le Vieil Ogre,
Casterman, 2008
Mac Naughton Colin, Tout à coup, Samson !,
Gallimard jeunesse, 2000
Ross Tony, La Soupe au caillou, Mijade, 2005
Morpurgo Michaël, Robin des bois, Gallimard Jeunesse, 2010
Pietri Annie, Les Orangers de Versailles, Bayard jeunesse, 2002
Ponti Claude, L’Album d’Adèle, École des loisirs, 1994
Tullet Hervé, Un livre, Bayard jeunesse, 2010
Carle Éric, La Petite Chenille qui fait des trous, Mijade, 1998
Giraud Robert, Franquin Gérard, La Moufle, Flammarion, 2000
Weninger Brigitte, Rowe John-Alfred, Le Bonnet rouge,
Nord-Sud, Paris, 2000
Jonas Anne, Crozat François, Tibert et Romuald, Milan, 1998

92
Quelle place pour la littérature à l’école ?

w Bcités,
ibliographie des ouvrages pour la jeunesse
par ordre alphabétique du nom des
auteurs

Alborough Jez, Mon ami ours, Kaléidoscope, 1998


Aubinais Marie, Bour Danièle, Petit Ours Brun,
Bayard jeunesse*
Boujon Claude, La Brouille, École des loisirs, 1989
Broutin Alain, Stehr Frédéric, Calinours, École des loisirs*
Carle Éric, La Petite Chenille qui fait des trous, Mijade, 1998
Caroll Lewis, Tenniel John, Alice racontée aux petits,
École des loisirs, 1980
Causse Rolande, Rouge Braise, Gallimard jeunesse, 2007
Collodi Carlo, Pinocchio, Nathan jeunesse, 2010
Comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles, Hachette
Corentin, L’Afrique de Zigomar, École des loisirs, 1990
Corentin, Pipioli la terreur, École des loisirs, 1990
Courtin Thierry, Tchoupi, Nathan jeunesse*
d’Allancé Mireille, Grosse Colère, École des loisirs, 2000
Daeninckx Didier, L’Enfant du zoo, Rue du monde, 2004
Daeninckx Didier, Le Chat de Tigali, Syros jeunesse, 2007
Daeninckx Didier, Missak, l’enfant de l’Affiche rouge,
Rue du monde, 2010
Dayre Valérie, Erlbuch Wolf, L’Ogresse en pleurs, Milan, 1996
de Pressensé Domitille, Loup Rouge, Pocket jeunesse*
Déon Michel, Thomas ou l’infini, Gallimard jeunesse, 1975
Desarthe Agnès, Comment j’ai changé ma vie,
École des loisirs, 2004
Friot Bernard, Encore des histoires pressées, Milan, 1997
Furlaud Sophie, Les P’tits Philosophes, Bayard jeunesse, 2009

93
* Signifie qu’il s’agit d’une série, le titre n’est donc pas complet.
Bibliographie

Giraud Robert, Franquin Gérard, La Moufle, Flammarion, 2000


Joly Fanny, Saillard Rémi, Rodrigue Porképik, Pocket junior,
2005
Jonas Anne, Crozat François, Tibert et Romuald, Milan, 1998
Lionni Léo, Petit Bleu et Petit Jaune, École des loisirs, 1970
Mac Bratney Samuel, Devine combien je t’aime,
École des loisirs, 1994
Mac Naughton Colin, Tout à coup, Samson !,
Gallimard jeunesse, 2000
Magdalena, Muller Françoise, Sorcière y es-tu ?, Retz, 2003
Magdalena, Zaü, Léon et son croco, Flammarion, 2001
Millet Séverine, Elmouth, il n’aime pas, il préfère,
Actes sud junior, 2009
Moissard Boris, Dumas Philippe, Contes à l’envers,
École des loisirs, 1977
Morpurgo Michaël, Robin des bois, Gallimard jeunesse, 2010
Mourlevat Jean-Claude, L’Enfant Océan, Pocket jeunesse, 2002
Mourlevat Jean-Claude, La Rivière à l’envers, Pocket jeunesse,
2000
Naumann-Villemin Christine, Barcillon Claire, La Tétine de Nina,
Kaleidoscope, 2002
Nöstlinger Christine, Le Môme en conserve, Le livre de poche,
2007
Palayer Caroline, Trop ceci cela, Frimousse, 2002
Parr Todd, Tous différents, Bayard jeunesse, 2006
Pietri Annie, Les Orangers de Versailles, Bayard jeunesse, 2002
Ponti Claude, Blaise, École des loisirs*
Ponti Claude, L’Arbre sans fin, École des loisirs, 1992
Ponti Claude, Tromboline et Foulbazar, École des loisirs*
Ponti Claude, L’Album d’Adèle, École des loisirs, 1994
Portis Antoine, Pas-du-tout-un-carton !, Kaléidoscope, 2008
Prévot Franck, Tout allait bien, Le buveur d’encre, 2009

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* Signifie qu’il s’agit d’une série, le titre n’est donc pas complet.
Quelle place pour la littérature à l’école ?

Proteaux-Zuber Catherine, Szac Murielle, 7 histoires de Lou


le loup, Bayard jeunesse, 2007
Rapaport Gilles, Grand-père, Circonflexe, 1999
Robert Emmanuelle, Badel Ronan, C’est pas moi,
Seuil jeunesse, 2002
Roger, Marie-Sabine, À la vie, à la…, Nathan, 2005
Roger Marie-Sabine, Bertrand Frédéric, Le Vieil Ogre,
Casterman, 2008
Ross Tony, La Soupe au caillou, Mijade, 2005
Ruillier Jérôme, Si le lit s’appelait loup, Casterman, 2000
Sara, Le Loup, Thierry Magnier, 2000
Sendak Maurice, Max et les maximonstres, École des loisirs,
1988
Séonnet Michel, Geiger Cécile, Madassa, Sarbacane, 2002
Solotareff Grégoire, Nadja, Mitch, École des loisirs, 1990
Stehr Frédéric, Stehr Gérald, Foufours, École des loisirs*
Tournier Michel, Les Rois mages, Gallimard jeunesse, 1983
Tournier Michel, Pierrot ou les secrets de la nuit,
Gallimard jeunesse, 2002
Tournier Michel, Vertes Lectures, Flammarion, 2006
Tullet Hervé, Un livre, Bayard jeunesse, 2010
Ungerer Tomi, Otto : autobiographie d’un ours en peluche,
École des loisirs, 1999
Weninger Brigitte, Rowe John-Alfred, Le Bonnet rouge,
Nord-Sud, Paris, 2000
Zolotow Charlotte, Sendak Maurice, Monsieur le lièvre
voulez-vous m’aider ?, École des loisirs, 2008

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* Signifie qu’il s’agit d’une série, le titre n’est donc pas complet.
Direction éditoriale : Sylvie Cuchin
Édition : Anne Marty
Mise en page : Christophe Vallée / Domino
Corrections : Bérengère de Rivoire
N° de projet : 10164804
Dépôt légal : août 2010
Achevé d’imprimer en France en août 2010
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery

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