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Résumé
Seul élément de merveilleux dans le roman Daphnis et Chloé, l'intervention du dieu Pan en II, 25-29 peut se comprendre à la
fois comme une épiphanie divine et comme un phénomène hallucinatoire. On en retrouve certains éléments dans une
épigramme votive hellénistique (E. Bernand, Inscriptions métriques de l'Egypte gréco-romaine, n° 164, avec ponctuation
nouvelle et conjecture pour la lacune du vers 4), où Pan sauve des navigateurs de la tempête. Le romancier s'est donc
probablement inspiré d'un modèle de l'épiphanie du dieu qui avait cours dans les croyances et pas seulement dans la tradition
littéraire. Enfin, cette utilisation exceptionnelle du merveilleux dans son œuvre peut être interprétée comme la traduction de
l'étape angoissante où se trouve nécessairement Daphnis au cours de révolution de son amour pour Chloé.
Meillier Claude. L'épiphanie du dieu Pan. In: Revue des Études Grecques, tome 88, fascicule 419-423, Janvier-décembre
1975. pp. 121-132;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1975.4061
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1975_num_88_419_4061
AU LIVRE II
DE DAPHNIS ET CHLOÉ
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δισσοΐς, Σ[μυρνο]|φόρου θ' ιεράς Κολοβών τε άπό
4. σώισας [δέ(?)έν πε]|λάγει πλαζομένους Έρυφρ[φ],
οδρον νευσί με|θήκας έλισσ[ομ]έναις ένί πόντων,
συρίζων | λιγυροΐς πνεύμασιν έγ δονάκ[ων]
μέχρι και εί[ς | λιμ]ένα Πτολεμαΐδος ήγαγες αυτός
8. σαΐσι κ[υ|βε]ρνήσας χε[ρ]σί[ν έ]παγροτ[ά]<τα>ταις.
« (Je consacre) cette dédicace à Pan, favorable à la chasse et secourable,
qui m'a sauvé du pays des Troglodytes, alors que j'avais été maintes fois éprouvé
par des peines redoublées, en revenant de la terre sacrée qui produit la myrrhe
et de chez les Koloboi. Tu nous as sauvés, quand nous errions dans la Mer Rouge,
et tu as envoyé une brise aux navires désemparés sur les flots, grâce aux souffles
mélodieux dont tu as fait résonner ton chalumeau, jusqu'au moment où toi-
même tu nous as conduits au port de Ptolémaïs, en nous pilotant de tes mains,
habiles entre toutes à la chasse. » (Traduction d'E. Bernand) (11).
La comparaison avec Longus permet de résoudre quelques
difficultés de lecture et d'interprétation. Il faut bien lire à la fin
du vers 3 le mot ακροιο comme le suggérait Kraemer d'après les
traces qui apparaissent sur la pierre. Le cap des Koloboi nous
est connu par le géographe Ptolémée (IV, 7, 2). Ce n'est pas un
hasard si Pan s'est manifesté à proximité de cet endroit, comme il
le fait chez Longus à proximité d'un promontoire.
La solution de ce premier point nous conduit à examiner de
plus près le rôle joué par le dieu. Il a deux fois secouru les voyageurs,
dans la terre sacrée qui produit la myrrhe et au large du cap des
Koloboi : c'est ce qui est exprimé par le balancement de τε. L'adjectif
(18) La première histoire que Daphnis raconte à Chloé (I, 27) est «banale »
et ne contient encore aucune conscience du désir amoureux.
(19) Voir en particulier H. H. O. Chalk, Eros and the Lesbian pastorals
of Longos, J.H.S. 80 (1960), p. 32-51, critiqué par Marisa Berti, Sulla inter-
pretazione mislica del romanzo di Longo, Studi Clas. e Orient. 16 (1967), p. 343-358.
Note complémentaire. Georges Devereux me rappelle aimablement une
précision sur le processus psychologique qui conduit aux hallucinations. C'est
l'appauvrissement de l'ambiance en stimuli qui permet le développement des
hallucinations (sensory deprivation), comme l'ont montré des études en
laboratoire. Ainsi faut-il rectifier ce qui est dit au sujet de la terreur des Gaulois
à Delphes et de la peur panique dont parle la Souda. C'est pendant la nuit et
dans le silence qui succède à la bataille que les Gaulois sont en proie aux
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hallucinations, ce que le récit de Pausanias montre précisément. Quant à
l'indication de la Souda, elle rappelle, par l'obligation de rester sous la tente
dans des relations familières, la nécessité d'un effort conscient, contradictoire
avec le déchaînement de forces irrationnelles. Par ailleurs, Georges Devereux
se demande si le petit groupe de gens tapis dans leur tente ne se sent pas dans
un abri « utérin ». J'avais pensé à cette interprétation, qu'il faut cependant
tenir en réserve en attendant de faire la comparaison avec des situations
parallèles dans les textes littéraires et dans l'observation de cas cliniques.
On trouvera des analyses utiles et convaincantes sur les sons et sur leur charge
affective dans le premier chapitre du livre de Georges Devereux, Tragédie et
poésie grecques, études ethnopsychanalytiques, Paris, Flammarion, 1975.