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Les figures mythiques dans Le Rapport de Brodeck accompagner son chant, il dit : “O divinités de ce monde souterrain où nous

retombons, tous, nous créatures soumises à la mort, si je le peux, si vous me permettez


Méduse (d’après Ovide, Métamorphoses, 1er siècle avant notre ère) de dire sans ambages et franchement la vérité, ce n’est pas le désir de voir le sombre
« Et maintenant, ô courageux héros, dis-nous, je t’en prie, Persée, par quel prodige de Tartare qui est cause de ma descente ici, ni celui d’enchaîner la triple gorge, au poil
valeur et par quels moyens tu as pu t’emparer de cette tête à la chevelure de serpents. » fait de serpents, du monstre de la race de Méduse. La raison de mon voyage, c’est mon
[Persée] raconte alors qu’ […] il avait atteint la demeure des Gorgones ; çà et là, à épouse ; une vipère, sur laquelle elle mit le pied, a répandu dans ses veines un venin
travers les champs et sur les routes, il avait vu des figures d’hommes et de bêtes qui interrompit le cours de ses années. J’ai voulu trouver la force de supporter cette
féroces qui avaient été, perdant leur forme première, pétrifiés pour avoir vu Méduse. perte, et je ne nierai pas de l’avoir tenté ; l’Amour l’a emporté. C’est un dieu bien
Lui-même, cependant, dans le miroir de bronze du bouclier qu’il portait à sa main connu au-dessus d’ici, sur la terre. L’est-il aussi chez vous ? Je l’ignore, mais je
gauche, il avait aperçu le hideux personnage de Méduse. Profitant d’un lourd sommeil suppose cependant qu’il l’y est aussi ; et, si la rumeur qui rapporte le rapt de jadis n’est
qui s’était emparé d’elle et de ses serpents, il lui avait détaché la tête du cou. […] L’un pas mensongère, vous-mêmes, c’est l’Amour qui vous unit. Par ces lieux que remplit
des nobles lui demande pourquoi, seule parmi ses sœurs, Méduse portait des serpents la crainte, par cet immense Chaos, par ce vaste royaume du silence, je vous en prie,
emmêlés au milieu de ses cheveux. Persée répondit : « […] D’une éclatante beauté, renouez le fil trop tôt coupé du destin d’Eurydice. Tout est soumis à vos lois, et nous
Méduse avait fait naître les espoirs jaloux de nombreux prétendants, et, dans toute sa ne nous attardons guère avant de prendre, un peu plus tôt ou un peu plus tard, la route
personne, il n’y avait rien qui attirât plus les regards que ses cheveux. [Poséidon] la de ce commun séjour. Nous aboutissons tous ici. Cette demeure est pour nous la
viola dans le temple de Minerve. [Athéna] détourna sa vue et couvrit de son égide son dernière, et c’est vous dont le règne sur le genre humain a la plus longue durée. Elle
chaste visage. Et, pour que cet attentat ne demeurât pas impuni, elle changea les aussi, lorsqu’elle aura vécu son juste compte d’années, le moment venu, elle sera
cheveux de la Gorgone en hideux serpents. » justiciable de vous ; pour toute faveur, je demande la jouissance de mon bien. Et, si le
Persée combat contre Atlas, et pour l’emporter, sort un atout décisif. destin refuse cette grâce pour mon épouse, j’y suis bien résolu, je renonce à revenir en
Et, du côté gauche, se détournant lui-même, il lui tendit la face repoussante de arrière ; réjouissez-vous alors de notre double trépas.”
Méduse. Du haut en bas, Atlas est transformé en montagne. Tandis qu’il parlait ainsi, faisant résonner les cordes de sa lyre au rythme de ses
Puis après avoir délivré la belle Andromède enchaînée et à la merci d’un terrible paroles, les âmes exsangues pleuraient : Tantale renonça à atteindre l’eau qui le fuit,
monstre, Persée se débarrasse de la tête de Méduse. la roue d’Ixion s’arrêta, les oiseaux cessèrent de ronger le foie de leur victime, les
Le héros puise de l’eau, y lave ses mains victorieuses ; et, pour que le sable dur petites-filles de Bélus d’emplir leurs urnes, et tu t’assis, Sisyphe, sur ton rocher. Pour
n’endommage pas la tête hérissée de serpents, il adoucit la rudesse du sol grâce à un lit la première fois alors, dit-on, les larmes mouillèrent les joues des Euménides,
de feuilles, y étend des algues poussées sous les eaux et y dépose, sur la face, la tête de vaincues par ce chant. Ni la royale épouse ni le dieu qui règne aux Enfers n’ont le
Méduse. La tige fraîchement coupée, et qui, grâce à sa moelle spongieuse, garde cœur d’opposer un refus à sa prière ; ils appellent Eurydice. Elle se trouvait parmi les
encore quelque vie, sensible à la vertu du monstre, durcit à son contact ; ses branches, ombres nouvelles et s’avança d’un pas que retardait sa blessure. Orphée […] la reçoit
ses feuilles furent pénétrées d’une rigidité d’un genre inconnu. Alors les nymphes de la sous cette condition, qu’il ne tournera pas ses regards en arrière jusqu’à ce qu’il soit
mer font l’épreuve du prodige sur plusieurs autres tiges et, à leur grande joie, il se sorti des vallées de l’Averne ; sinon, cette faveur sera rendue vaine. Ils s’acheminent,
renouvelle ; et le répétant, elles ensemencent l’eau de fragments détachés de ces tiges. à travers un silence que ne trouble nulle voix, par les pentes d’un sentier abrupt,
Aujourd’hui encore, les coraux ont conservé cette même propriété qu’ils durcissent au obscur, noyé dans un épais brouillard. Ils n’étaient plus éloignés, la limite franchie,
contact de l’air et que la tige, flexible dans l’eau, se pétrifie au-dessus de l’eau. de fouler la surface de la terre ; Orphée, tremblant qu’Eurydice ne disparût et avide
de la contempler, tourna, entraîné par l’amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula,
et la malheureuse, tendant les bras, s’efforçant d’être retenue par lui, de le retenir, ne
Orphée (d’après Ovide, Métamorphoses, 1er siècle avant notre ère)
saisit que l’air inconsistant. Mais, mourant pour la seconde fois, elle ne proféra
Car, tandis que la nouvelle épousée [Eurydice], en compagnie de la troupe des naïades,
aucune plainte contre son époux : de quoi se plaindrait-elle, en effet, sinon de ce qu’il
erre à l’aventure dans l’herbe, elle tombe, le talon percé par la dent d’un serpent.
l’aimât ? Elle lui dit un suprême adieu, que devaient avec peine recueillir ses oreilles,
Quand [Orphée] l’eut assez pleurée sur la terre, ne renonçant pas à la chercher même
et, revenant sur ses pas, retourna d’où elle venait.
chez les ombres, il osa descendre jusqu’au Styx […] ; et, fendant la foule légère des
Frappé une seconde fois par la mort de son épouse, Orphée resta figé de stupeur
fantômes des morts pieusement mis au tombeau, il aborda Perséphone et le maître qui
[…]. Malgré ses prières, ses vains efforts pour obtenir de passer une seconde fois, le
règne sur le peuple maussade des ombres. Et, frappant les cordes de sa lyre pour
nocher l’avait écarté. Il resta cependant sept jours entiers assis sur la rive, sans errent tous les deux, réglant leur pas l’un sur l’autre, tantôt elle le précède et il la
prendre aucun soin de sa personne, sans toucher aux dons de Cérès ; sa peine, sa suit, tantôt, marchant le premier, il la devance ; et Orphée, en toute sécurité, se
douleur, ses larmes furent ses aliments. Quand il eut épuisé ses plaintes contre la retourne pour regarder son Eurydice.
cruauté des dieux de l’Érèbe , il se retira sur le sommet du Rhodope et sur l’Hémus
battu pas les Aquilons . […] Orphée s’était dérobé à toutes les séductions des
femmes, soit parce que leur amour lui avait été funeste, soit parce qu’il avait engagé Circé (d’après Homère, Odyssée, VIIIème siècle avant notre ère)
sa foi. Beaucoup pourtant brûlaient de s’unir au poète, beaucoup souffrirent d’être Ulysse arrive sur l’ile de la magicienne Circé.
repoussées. […] Nous arrivons sur l’île d’Aiaiè, c’est là qu’habite Circé aux beaux cheveux,
Arrivent les Bacchantes, un groupe de femmes furieuses. L’une d’elles, terrible déesse à la voix humaine. Et tous deux sont nés d’Hélios qui éclaire les
agitant sa chevelure dans l’air léger : “Le voilà, dit-elle, le voilà : c’est l’homme hommes, et leur mère est Persée, la nymphe océanide. […]
qui nous méprise ;” et elle lança sa lance contre la bouche aux doux sons du Mes compagnons trouvent, dans une vallée, en un lieu découvert, les demeures de
Circé, construites en pierres polies. [...] Ils entendent Circé chantant d’une belle voix
chantre aimé d’Apollon ; mais la pointe garnie de feuilles n’y laissa que sa
dans sa demeure et tissant une grande toile divine, telle que sont les ouvrages légers,
marque, sans faire de blessure. Une autre, pour projectile, prend une pierre qui,
gracieux et brillants des déesses. Alors Polytès, chef des hommes, le plus cher de mes
une fois lancée, fut, dans l’air même, arrêtée par l’harmonieux concert de la voix
compagnons, et que j’honore le plus, parle le premier :
et de la lyre et vint, comme suppliant qu’il lui pardonnât sa folle tentative, « Ô amis, quelqu’un, tissant une grande toile, chante d’une belle voix dans cette
tomber aux pieds d’Orphée. Cependant, les attaques se multiplient avec une demeure, et tout le mur en résonne. Est-ce une déesse ou une mortelle ? Allons !
audace qui ne connut bientôt plus de bornes[…]. Tous les projectiles auraient Crions sans plus tarder. »
pourtant été rendus inoffensifs par le chant d’Orphée ; mais l’immense clameur, Il les persuade ainsi et ils appellent en criant. Circé sort aussitôt, puis, ouvrant les
[…] les tambourins, les battements de mains, les hurlements des Bacchantes , belles portes, les invite. Tous la suivent imprudemment. Euryloque reste seul dehors,
couvrirent le son de la cithare. Alors enfin les rochers se rougirent du sang du ayant soupçonné une embûche. Circé, ayant fait entrer mes compagnons, les fait
chantre qu’ils n’entendaient plus. […] les mains ensanglantées, elles se tournent asseoir sur des sièges et sur des trônes. Elle mêle, avec du vin de Pramnios, du
contre Orphée lui-même et se rassemblent […]. Elles fondent sur le chantre fromage, de la farine et du miel doux ; mais elle ajoute au mélange une drogue funeste
inspiré, lui jettent leurs javelots ; les unes brandissent contre lui des mottes de afin de leur faire oublier tout souvenir de la patrie. Elle leur apporte la coupe et ils
terre, d’autres des branches arrachées à un arbre, quelques-unes des pierres. […] boivent d’un seul trait. Aussitôt, elle les frappe d’une baguette et les enferme dans les
ces femmes sacrilèges l’achèvent. Et par cette bouche, hélas ! ô Jupiter, étables à porcs. Ils avaient la tête, la voix, le corps et les soies du porc, mais leur esprit
qu’avaient écoutée les rochers et comprise les bêtes sauvages, son âme s’exhala était le même qu’auparavant. Ils pleurent, ainsi enfermés ; Circé leur donne du gland
et fut emportée par les vents. de chêne et du fruit de cornouiller à manger, pâture ordinaire des porcs qui couchent
Tu fus, Orphée, pleuré par les oiseaux affligés, par la troupe des bêtes sur le sol.
sauvages, par les durs rochers, par les forêts qu’entraînèrent souvent tes chants.
Laissant choir ses feuilles, l’arbre, la tête rase , prit ton deuil ; les fleuves aussi, Ulysse (d’après Homère, Odyssée, VIIIème siècle avant notre ère)
dit-on, furent grossis de leurs propres larmes ; les Naïades et les Dryades prirent Ulysse, de retour de la guerre de Troie, doit affronter de terribles dangers. Il arrive
des voiles assombris de noir et laissèrent épars leurs cheveux. Les membres sur une île peuplée de Cyclopes, dont le cruel Polyphème.
d’Orphée gisent dispersés. Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre ; et - prodige ! - Le Cyclope au cœur cruel se lève brusquement, saisit deux de mes compagnons, et les
tandis qu’elle est emportée au milieu de ton fleuve, cette lyre plaintivement fait écrase contre la pierre de la grotte. Il déchire leurs membres palpitants, prépare son
entendre je ne sais quels reproches, plaintivement la langue privée de sentiment repas et, semblable au lion des montagnes, il dévore les chairs et les entrailles. À cette
murmure, plaintivement répondent les rives. Et maintenant emportés à la mer, vue, le désespoir s’empare de nos âmes. Le lendemain, quand parut l’Aurore au doigts
ces restes abandonnent le fleuve de leur patrie et prennent possession du rivage. de roses, le Cyclope allume de nouveau son bois desséché, saisit deux autres
L’ombre d’Orphée descend sous la terre ; les lieux qu’il avait vus auparavant, il compagnons et les dévore. Puis le monstre pousse hors de l’antre ses grasses brebis ; il
les reconnaît tous ; il parcourt, en quête d’Eurydice, les champs réservés aux enlève sans effort la roche immense de la porte, et il la remet ensuite aussi facilement
âmes pieuses, il la trouve, il la serre passionnément dans ses bras. Là, tantôt ils qu’il aurait placé le couvercle d’un carquois. Et moi, je reste dans la grotte, méditant
ma vengeance. Je me taille en pointe un énorme tronc, d’un olivier verdoyant placé par courre les chèvres sauvages, les daims et les lièvres. Mais depuis le départ de son
le cyclope dans l’étable ; je l’endurcis encore en l’exposant à la flamme étincelante. maître, il gisait, abandonné de tous, sur un tas de fumier de mulet et de bœuf, qui
Nous tirons au sort ceux qui plongeront ce pieu dans l’œil du Cyclope pendant son s’accumulait devant le portail, en attendant que les serviteurs d’Ulysse vinssent
sommeil. l’enlever pour en fumer son domaine étendu. C’était donc là que gisait Argos, tout
Le soir, le géant revient en conduisant ses brebis à la belle toison ; il pousse dans la couvert de vermine. Toutefois, dès qu’il sentit qu’Ulysse était auprès de lui, il remua la
grotte ses troupeaux. Il soulève l’énorme roche, la replace à l’entrée de sa caverne, queue, baissa les deux oreilles, mais il n’eut pas la force d’aller jusqu’à son maître.
s’assied, trait ses brebis et ses chèvres bêlantes, et rends les agneaux à leurs mères ; Ulysse, en le voyant, détourna la tête pour essuyer une larme qu’il put facilement
puis il saisit de nouveaux compagnons et les mange. Alors je m’approche du monstre, cacher aux yeux d’Eumée. Puis, prenant aussitôt la parole, il lui demanda :
en tenant une coupe de vin aux sombres couleurs, et je lui dis : « Tiens, Cyclope, bois - Eumée, je m’étonne que ce chien soit ainsi couché sur du fumier ; son corps est beau,
de ce vin, puisque tu viens de manger de la chair humaine. » Le monstre prend la mais je ne sais pas clairement si sa vitesse à courre égalait sa beauté, ou s'il n’était
coupe, et boit, ; ce doux breuvage lui plaît, qu’il m’en demande une seconde fois. (...) simplement qu’un de ces chiens de table, que leurs maîtres ne soignent que par
Aussitôt que le vin s’est emparé de son esprit, je lui adresse ses douces paroles : « ostentation.
Cyclope, tu me demande mon nom ; je vais te le dire, mais fais-moi le présent de Mais toi, porcher Eumée, tu répondis et dis :
l’hospitalité comme tu me l’as promis. Mon nom est Personne : c’est ainsi que - C’est le chien d’un homme qui mourut loin d’ici. S’il était tel, pour les prouesses et
m’appelle mon père et ma mère, et tous mes fidèles compagnons. Le monstre cruel me l’allure, qu’Ulysse le laissa lorsqu’il partit pour Troie, tu admirerais, aussitôt aperçues,
répond : « Personne, lorsque j’aurai dévoré tout tes compagnons, je te mangerai le sa vitesse et sa fougue. Dans les profondeurs de l’épaisse forêt, aucune bête sauvage
dernier : tel sera pour toi le présent de l’hospitalité. » ne lui échappait, dès qu'il l’avait lancée, car il excellait à la suivre à la trace. Mais
Le Cyclope tombe à la renverse, dompté par le sommeil. Ivre, il vomit le vin et les aujourd’hui, il est devenu la proie de la misère. Son maître a péri loin du pays natal ;
morceaux de chair humaine. Je chauffe alors le pieu dans la cendre et rassure mes les femmes négligentes n’en prennent aucun soin, et les serviteurs, aussitôt que les
compagnons. Quand le tronc est assez chauffé, je le retire tout brûlant du feu. Mes maîtres ne les commandent plus, ne veulent plus décemment s’acquitter de leurs
amis saisissent le pieu pointu, l’enfoncent dans l’œil du Cyclope, et je le fais tourner charges. Zeus au vaste regard ravit à l’homme la moitié de son autorité, dès que vient
en appuyant dessus avec force. le saisir le jour de la servitude.
Le sang chaud en jaillit, la vapeur de la pupille ardente brûle ses paupières et son Ayant ainsi parlé, le porcher entra dans la demeure noblement habitée, marcha droit
sourcil. Le monstre pousse des hurlements affreux qui font retentir la caverne. Nous vers la salle et pénétra parmi les brillants prétendants. Quant à Argos, le destin
nous enfuyons, épouvantés. Le monstre appelle à grands cris les Cyclopes voisins. ténébreux de la mort s’empara de lui, aussitôt qu’il eut revu son maître, après vingt ans
Ceux-ci accourent, entourent sa caverne et lui demandent ce qui le d’absence.
tourmente : « Pourquoi, Polyphème, pousses-tu de telles clameurs dans la nuit divine
et nous réveilles-tu ? » T’a-t-on volé tes brebis ? Quelqu’un veut-il te tuer par force ou
par ruse ? » Et le robuste Polyphème leur répond du fond de son antre : « ô amis, c’est Érynies, Euménides, Furies
Personne qui me tue par ruse et non par force. » Ils lui répondent ainsi : « Si personne Déesses de la vengeance et de la justice, elles sont craintes par les humains et évitées
ne te fait violence, puisque tu es seul, tu souffres donc de folie : c’est ton père par les dieux. Elles personnifient la malédiction, et sont chargées de punir les crimes :
Poséidon qu’il faut supplier. » elles tourmentent et poursuivent les criminels, même après leur mort. Elles tiennent le
fil du destin de chacun et peuvent le couper à tout moment.
Et moi, je ris au fond de moi car mon nom et ma ruse les avaient parfaitement trompés. « un fils, pour avoir vengé son père sur sa mère, sera, pour la même action, pieux et
criminel, et, terrifié par son crime, ayant perdu sa raison et sa patrie, il errera poursuivi
Ulysse arrive au terme de son voyage comme un simple mendiant dans son île
par les spectres des Euménides. » Ovide, Métamorphoses
d’Ithaque, après vingt ans d’absence. Il retrouve son porcher, Eumée, qui ignore son
« Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
identité. Argos, son vieux chien de chasse, est le seul à le reconnaître immédiatement.
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
Or, un chien couché leva la tête et les oreilles ; c’était Argos, le chien qu’Ulysse au À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ?
cœur plein d’endurance avait nourri lui-même, mais dont il n’avait tiré aucun profit, Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ? » Le personnage d’Oreste à la fin de
car il partit trop tôt pour la sainte Ilion. Autrefois, des jeunes gens l’emmenaient la pièce Andromaque de Racine (1667), après qu’il a commis un assassinat
Narcisse (d’après Ovide, Métamorphoses, 1er siècle avant notre ère) brancard funèbres : le corps ne se trouvait nulle part ; au lieu d'un corps, elles trouvent
Tirésias, très réputé à travers les villes d'Aonie, faisait à ceux qui le consultaient des une fleur au cœur couleur de safran, entourée de pétales blancs.
réponses infaillibles. La première à éprouver la fiabilité de sa parole fut Liriope, qu'un
jour Céphise avait enlacée dans un méandre, emprisonnée dans ses eaux, puis violée.
Très jolie, la nymphe, devenue grosse, avait mis au monde un enfant, qui déjà à ce Énée (d’après Virgile, Énéide, 1er siècle avant notre ère)
moment pouvait inspirer l'amour, et elle l'appela Narcisse. Consulté pour savoir si cet Énée, héros troyen, doit fuir sa ville mise à sac par l’armée grecque et en proie aux
enfant connaîtrait les temps lointains d'une vieillesse épanouie, le devin prophète flammes. Il veut sauver les siens (son fils, sa femme et son père Anchise).
déclara : « Oui, s'il ne se connaît pas ». " Allons, père chéri, place-toi sur mon cou, je te prendrai sur mes épaules et cette
Longtemps la parole de l'augure parut infondée ; l'issue de l'histoire, le genre de charge ne me sera point lourde ; quoiqu'il puisse advenir, il y aura pour nous deux un
mort et l'étrange folie de Narcisse prouvent sa véracité. En effet, à ses quinze ans, le seul et même péril, un seul salut. Que le petit Iule soit à mes côtés et que mon épouse
fils du Céphise avait ajouté une année et pouvait passer pour un enfant ou pour un s'attache à mes pas à quelque distance. […] " Sur ces mots, je couvre de mon vêtement
jeune homme. Nombre de jeunes garçons, nombre de filles le désiraient, mais il avait, et d'une peau de lion fauve mes larges épaules et mon cou que je baisse, et je me place
alliée à sa tendre beauté, tant de dureté orgueilleuse, que ni les garçons, ni les jeunes sous mon fardeau ; l'enfant Iule a entrelacé sa main à ma droite et suit son père à pas
filles ne purent l'émouvoir. plus petits ; ma femme vient derrière. Nous passons par des chemins obscurs. Moi qui,
[Narcisse éconduit la nymphe Écho qui se métamorphose en son. Narcisse part à jusqu'alors, ne m'émouvais guère des javelots qu'on me lançait, ni de me trouver face à
la chasse dans la forêt et tombe sur une source limpide.] des Grecs en troupe serrée, je tremble maintenant au moindre souffle, je sursaute et
Ici l'enfant, épuisé par une chasse animée sous la chaleur, se laisse tomber, séduit suspends mes pas à chaque bruit, car je crains, tant pour celui qui m'accompagne que
par l'aspect du site et par la source, et tandis qu'il désire apaiser sa soif, une autre soif pour celui que je porte.
grandit en lui : en buvant, il est saisi par l'image de la beauté qu'il aperçoit. Il aime un Au cours de sa fuite, Énée doit descendre aux enfers. Régnant sur les fleuves des
espoir sans corps, prend pour corps une ombre. Il est ébloui par sa propre personne et, Enfers, le passeur Charon choisit parmi la foule pressée ceux qu'il admettra dans sa
visage immobile, reste cloué sur place, telle une statue en marbre de Paros. […] barque, écartant les autres de la rive. La prêtresse explique à Énée intrigué que
Que de fois il a donné de vains baisers à la source fallacieuse, que de fois il a les « refoulés » sont les morts restés sans sépulture, condamnés à errer pendant cent
plongé ses bras au milieu des ondes pour saisir la nuque entrevue, sans se capturer années avant d'être admis à la traversée. Énée, ému par un sort si injuste, distingue
dans l'eau ! Il ne sait ce qu'il voit, mais ce qu'il voit le consume, et l'erreur qui abuse alors, dans la foule, d'anciens compagnons disparus. Au cours de son voyage
ses yeux en même temps les excite. […] souterrain, il retrouve son père Anchise. Anchise renseigne brièvement Énée sur les
Ni le souci de Cérès, ni le besoin de repos ne peuvent le tirer de cet endroit ; mais, âmes innombrables qui cherchent l'oubli en buvant l'eau du Léthé, fleuve de l’oubli,
couché dans l'herbe sombre, il contemple d'un œil insatiable cette beauté trompeuse et dans l'attente d'une réincarnation.
ses propres yeux le perdent […]. Déjà son teint n'a plus une blancheur mêlée de rose ;
la vigueur et les forces et tout ce qui naguère charmait la vue, et le corps, qu'autrefois
avait aimé Écho, tout cela n'existe plus.
Écho pourtant, malgré sa colère et ses souvenirs, compatit en le voyant, et chaque
fois que le pauvre enfant disait « hélas », elle répercutait ses paroles, en répétant «
hélas » ; et lorsque de ses mains il s'était frappé les bras, elle aussi renvoyait le même
bruit de coup.
L'ultime parole de Narcisse, regardant toujours vers l'onde, fut : « Hélas, enfant que
j'ai aimé en vain ! », et les alentours renvoyèrent autant de mots, et quand il dit «
adieu», Écho aussi le répéta. Il laissa tomber sa tête fatiguée dans l'herbe verte, la mort
ferma les yeux qui admiraient encore la beauté de leur maître. Même après son accueil
en la demeure infernale, il se contemplait dans l'eau du Styx. Ses sœurs les Naïades se
lamentèrent et déposèrent sur leur frère leurs cheveux coupés. Les Dryades pleurèrent ;
Écho répercuta leurs gémissements. Déjà elles préparaient le bûcher, les torches et le
Les figures mythiques dans Le Rapport de Brodeck « L’or des Orschwir, c’étaient les porcs. Une fortune rose et bruyante qui passait son
temps à se vautrer dans la boue. Une fortune couinante qui faisait durant le jour un
Le portrait de Diodème dans le roman fait référence aux mythes et légendes, ceux de vacarme de tous les diables. […] dans le dernier enclos somnolaient les porcs adultes.
l’Antiquité en particulier : « Son profil était celui d’une médaille romaine ou grecque. Certains nous regardaient avec une grande lassitude. On aurait cru des géants changés
Et ses cheveux très noirs et bouclés, qui venaient légèrement sur ses épaules, me en bêtes, des créatures condamnées à une effroyable métamorphose. » (chap.5, p.50)
faisaient songer à ces héros des temps perdus, de ceux qui sommeillent dans les
tragédies, les épopées, et qu’un sortilège suffit parfois à réveiller ou à faire « un pauvre gars qui nous ressemblait comme un frère et dont le maigre poitrail s’ornait
définitivement périr. Ou bien encore à un de ces bergers de l’Antiquité qui sont le plus d’une pancarte sur laquelle était écrit […] « Ich bin nichts » - « Je ne suis rien » »
souvent, comme on le sait, des dieux déguisés venus visiter les hommes pour les (chap.9, p.79)
séduire, les guider ou les perdre. » (chap.4, p.41).
« elle était d’une inhumaine beauté […] nous avions ordre sous peine de mort de ne pas
croiser son regard. » (chap.9, p.80)
1. Essayez d’associer les mythes du corpus, ou d’autres mythes que vous
connaissez, à différents éléments et personnages du roman, en justifiant « Je venais de quitter le centre de la terre. […] j’étais parvenu à tromper la vigilance de
les rapprochements opérés. Vous pouvez vous aider des indices ci- ceux qui gardent les Enfers. […] Je lui disais que je revenais. Émélia. Mon Émélia. »
dessous. (chap.10, p.88)

2. Quels effets produisent ces rapprochements ? « Quand j’eus fini de m’habiller, je vis un homme qui me regardait dans le miroir, un
homme qu’il m’avait semblé connaître dans une autre vie. » (chap.11, p.95)
Quelques indices :
« Le lendemain, je découvris ce qui restait de son corps. […] Toute sa beauté s’était
retirée d’elle. […] Son visage n’existait plus. […] C’est d’ailleurs à ses cheveux que je
« Ses yeux étaient très ronds, et sortaient un peu de sa face ce qui rendait son regard
la reconnus. Ses cheveux qui me paraissaient jadis, tandis que je rampais sur le sol en
encore plus pénétrant. Il parlait très peu. Il écoutait surtout. » (chap. 2, p.24)
contrefaisant le chien, comme des filaments de soleil, aveuglants et obscènes. […] Sans
doute ne savait-elle pas que lorsqu’on a quitté les Enfers, jamais il ne faut s’en retourner
« Ce fut une année de pleine obscurité. Je veux dire que dans ma vie, j’ai le sentiment
vers eux. » (chap.16, p.143)
d’un vide très noir et très profond, c’est pour cela que je le nomme le Kazerskwir – le
cratère -, au bord duquel souvent encore je m’aventure la nuit. » (chap. 3, p.26-27)
« Je sentis soudain contre moi une présence. C’était l’Ohnmeist qui essayait de fourrer
son museau froid contre mon pantalon. Cela m’a étonné cette familiarité. Je me suis
« C’était il y a longtemps : j’étais devant une maison en ruine qui fumait un peu. […]
même demandé s’il ne me prenait pas pour un autre, s’il ne me prenait pas pour
C’était au début d’une autre guerre. […] Fédorine m’a dit de regarder en contrebas ce
l’Anderer, le seul à qui il avait accordé jadis ses privautés. » (chap.18, p.159)
qui restait de mon village. […] J’ai regardé alors de toutes mes forces les animaux
morts à la panse gonflée, les granges ouvertes aux quatre vents et les murs éboulés. Il y
« Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais
avait aussi dans les rues quantité de pantins couchés les bras en croix ou le corps en
ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu’ils ont fait. Il faut qu’ils s’en
boule. » (chap. 3, p.29)
débarrassent. » (le curé Peiper, chap.19, p.163)
« le vieil Ohnmeist allait et venait de porte en porte. C’est un chien particulier. On
Le curé Peiper à propos de l’Anderer : « Cet homme, c’était comme un miroir, vois-tu,
l’appelle ainsi car il n’a pas de maître et n’en a jamais voulu. […] Et c’était très étrange
il n’avait pas besoin de dire un seul mot. Il renvoyait à chacun son image. » (chap.19,
de les voir ainsi tous les deux, le chien placide et heureux, qui acceptait la caresse
p.166)
sagement alors que d’ordinaire aucun de nous ne pouvait l’approcher vraiment et encore
moins le toucher, et l’Anderer qui flattait le chien de sa main nue. » (chap.4, p.35)
« Je ferais mieux de prendre Poupchette et Émélia dans mes bras, la vieille Fédorine sur
mon dos, […] et m’en aller loin d’ici. Recommencer. » (chap.20, p.175)
« Fais attention à toi, tu es déjà revenu une fois d’où on ne revient pas. » (Fédorine à « Et comme je disais son nom, […] j’ai vu que ses yeux ne me voyaient pas, j’ai
Brodeck, chap.21, p.188) compris qu’elle ne m’entendait pas, j’ai compris qu’il y avait devant moi le corps et le
visage merveilleux d’Émélia, mais que son âme errait quelque part, je ne savais où,
« j’ai cherché au loin les silhouettes de Poupchette et d’Émélia. […] Elles étaient de dans un lieu inconnu mais où je me suis juré d’aller l’y reprendre » (chap.32, p.298)
l’autre côté, invisibles, disparues. […] J’ai pris son visage dans mes mains, je l’ai
tourné vers moi et j’ai vu alors sur ses yeux comme le sourire d’une grande absente» « ce que je sais faire : regarder, écouter, saisir l’âme des choses et celle des êtres. […] Je
(chap.23, p.201) crois sans présomption avoir compris une grande part de vous-mêmes » (chap.34,
p.320)
La ville de S. : « grand corps tentaculaire », « apercevoir tous ces hommes disparaître
dans les rues, comme la queue d’un gros serpent dont mon imagination grossissait plus « en le [le portrait de Brodeck par l’Anderer] considérant, c’est un peu comme s’il
encore la gueule invisible », « la ville, qui commençait à avoir de la fièvre, répondit en m’avait aspiré, comme s’il s’était animé. […] Il était ma vie. Il me confrontait à moi-
rassemblant dans son ventre des grondements et des menaces » (chap.25) même, à mes douleurs, à mes vertiges, à mes peurs, à mes désirs.[…] Il était un miroir
opaque qui me jetait au visage tout ce que j’avais été, tout ce que j’étais. » (chap.34,
« Elle était arrivée dans la ville un an plus tôt, avec pour seul trésor ses deux mains qui p.324)
savaient faire des broderies délicates, des points complexes, des dentelles fragiles
comme des fils de givre. « Derrière moi, il n’y a que du noir et rien que du noir », et ces « Les portraits qu’en [les villageois] avait faits l’Anderer agissaient comme des
mots qu’elle me dit un soir alors que je l’interrogeais sur sa famille et le lieu d’où elle révélateurs merveilleux qui amenaient à la lumière les vérités profondes des êtres. »
venait m’ont ramené vers mon propre passé, ma lointaine enfance de mort, de maisons (chap.34, p.325)
détruites, de murs éboulés, de ruines fumantes » (chap.25, p.218)
« Ils se tournèrent vers les dessins, et les considérèrent de nouveau. Ou autrement. Et ils
« Je redevenais le petit garçon errant parmi les ruines, abandonné au milieu des gravats virent. Ils se virent. À vif. Ils virent ce qu’ils étaient et ce qu’ils avaient fait. […] Et
et des décombres, des feux allumés un peu partout » (chap.26, p.226) bien sûr, ils ne le supportèrent pas. » chap.34, p.327)

« La ville était au bord des flammes. […] Une heure plus tard, nous quittions la ville. » « Quelle importance maintenant… Un nom, ce n’est rien, je pourrais être personne, ou
(chap.27) tout le monde, répondit l’Anderer. (chap.35, p.336)

« le village m’est apparu alors sous un jour nouveau : je le vis soudain comme le lieu « Au début, j’eus très soif. Ma bouche me brûlait […] La soif revint. […] cette soif
ultime, rejoint par ceux qui laissent derrière eux la nuit et le vide, le lieu non pas où l’on devient comme une démente et fit de nous des déments. […] C’était la bonbonne d’eau
peut recommencer, mais simplement la place où peut-être tout finit, où tout se doit de qui les avait maintenus en vie, et dans cette bonbonne qui nous semblait à Kelmar et à
finir… » (chap.29, p.257) moi, inépuisable, il restait encore de l’eau. » (chap.37)

« ce voyage vertigineux, en descendant un à un les barreaux de la sordide échelle qui « Il y a eu jadis, je crois, un voyageur qui est parti ainsi, de sa ville incendiée, en portant
me faisait aller toujours plus profond dans le Kazerswir » (chap.31, p.271) sur ses épaules son vieux père et son jeune fils. » (chap.40, p.372)

« Elle [Émélia] n’aurait pas alors fait son premier pas dans le gouffre. » (chap.32,
p.295)

« Elles y disparurent.
Elles y furent englouties.
Et puis, plus rien. » (chap.32, p.297)

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