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Le théâtre du XVIIème au XXIème siècle

Spectacle et comédie : « Molière, malade imaginaire,


critique réelle »

Molière
Le malade imaginaire 1673

Lecture analytique n°6 : Acte II, scène 5 (extrait : tirade de M. Diafoirus)

EXPLICATION (COURS PROFESSEUR)

Molière Le malade imaginaire, Acte II, scène 5 (extrait : tirade de M.


Diafoirus)

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INTRODUCTION

Molière (1622-1673) de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin est un grand dramaturge français du
XVIIème siècle. Auteur de nombreuses comédies mais également de pièces plus sombres et
profondes, il parvient à donner à ce genre une dimension nouvelle en travaillant particulièrement à
la représentation acerbe des travers de la société. Ses personnages, excessifs, emportés incarnent les
principaux défauts de l’âme humaine (avarice, folie des grandeurs, hypocrisie…)
La dernière pièce de sa carrière, Le malade imaginaire (1673) met en scène un personnage
hypocondriaque qui par sa recherche excessive et démesurée de médecine malmène sa famille et ses
gens.
Dans cette scène, le père de Thomas Diafoirus, vante les mérites de son ls auprès d’Argan et
d’Angélique a n de les convaincre qu’il est bon parti pour cette dernière.
Comment peut on considérer que ce portrait constitue une critique et un
dévoilement des défauts du personnage ?
Dans ce texte on peut distinguer 3 mouvements, le premier correspond à l’introduction et à la
présentation rapide de Thomas (du début à la ligne 6), le second qui fait l’historique de la jeunesse
de Thomas (de « Lorsqu’il était petit » L6 à 16) et le dernier qui rend compte de l’état actuel de sa
formation de la n de ses études à sa situation en tant que praticien aujourd’hui de « En n, à force
de battre le fer » jusqu’à la n de l’extrait.
Nous insisterons sur le fait que ce portrait est un éloge paradoxal (un texte qui est sensé être élogieux
mais qui en fait aurait plutôt tendance à faire l’énumération des défauts de Thomas Diafoirus), le
présentant comme quelqu’un de très limité intellectuellement, très conformiste et borné et
nalement peu intéressant.

1er mouvement
Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père ; mais je puis dire que j'ai
sujet d'être content de lui
Le discours s’ouvre sur une formule rhétorique qui vise à justi er la justesse et la véracité du portrait
mais qui justement éveille l’esprit critique et le doute du spectateur. C’est justement parce qu’il s’agit
de son ls que le père est « content » de lui. On note également que ce n’est pas sur ses qualités
personnelles que se fonde le jugement du père mais plutôt sur le fait qu’il lui donne satisfaction.
En n, sa qualité est de donner satisfaction à son père ce qui induit un rapport de soumission. On ne
sait pas si les raisons du père sont les mêmes que celles des autres personnes qui côtoient le ls.

que tous ceux qui le voient, en parlent comme d'un garçon, qui n'a point de
méchanceté
Cet argument montre que le père est d’abord attaché à l’impression que son ls fait sur les autres
(super cialité des personnages). Cependant la principale qualité relevée chez le ls est qu’il n’a
« point méchanceté". Il n’est donc pas « méchant »… S’il s’agit de la première qualité du ls, on
peut donc comprendre qu’il n’en a pas beaucoup d’autres. Dans le langage courant, quand on dit de
quelqu’un qu’il n’est pas méchant, on sous entend et on comprend qu’il n’a pas grand chose à
défendre, qu’il est donc bête ou un peu simple.
Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque
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dans quelques-uns;
Ici le père con rme que son ls manque d’imagination (et donc sous entendu d’intelligence). Il n’a
pas autant d’entendement (d’intelligence, de compréhension) que la plupart des gens (le pronom
quelques-uns). Périphrase : « imagination […] vive » pour désigner l’intelligence.

mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité

requise pour l'exercice de notre art.


Ici le terme de judiciaire renvoie à sa capacité de jugement (donc de son intelligence). Le père met
en relation son manque d’intelligence et ses qualités dans la médecine. Cette remarque con rme à la
fois la bêtise du ls en même temps qu’elle sous entend qu’il faut manquer d’imagination pour bien
faire le travail de médecin. C’est donc à la fois la bêtise du personnage ainsi que celle attendue dans
la discipline qui sont ici vantés. C’est à la fois une façon de se moquer du personnage mais aussi de
la médecine en général.

2eme mouvement
Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé.
Le père con rme ici cette bêtise de son ls et l’inscrit dans une origine acquise (liée à la naissance);
L’adverbe « jamais » et la phrase négative renforcent cet état de fait.
Mièvre : au sens du VXII n’avait pas de connotation négative mais renvoie à ce qu’on appelle
l’absence de malice (à la fois liée au « mal » mais également à l’intelligence. « Éveillé » a le même
sens qu’aujourd’hui et renvoie à la capacité intellectuelle, donc à l’intelligence. Le père dit donc que
son ls a toujours été bête et peu malin (à saisir dans son double sens).

On le voyait toujours doux, paisible et taciturne, ne disant jamais mot, et ne


jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins.
Formule impersonnelle et renvoyant au point de vue de ceux qui l’ont observé : « on le voyait »,
quoi l’adverbe « toujours » renforce la description des qualités dans la durée.
L’énumération des adjectifs « doux, paisible et taciturne » liste les qualités de Thomas… Les
adjectifs « doux » et paisible » peuvent paraître surprenants pour un enfant , « taciturne » (muet,
silencieux) surprend également.
Les expressions négatives « ne disant jamais mot » et « ne jouant jamais » renforce l’idée qu’il
s’agissait d’un enfant à part, peu sociable et déjà sans doute trop sérieux.
Il ne jouait pas = un enfant dé nitivement à part.

On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire ; et il avait neuf ans,
qu'il ne connaissait pas encore ses lettres.
Ici, on insiste sur sa lenteur intellectuelle et sur la dif culté de ses apprentissages.
L’expression « toutes les peines du monde » montre bien que cette éducation a été laborieuse,
poussive et lente.
Le portrait paradoxal paraît clairement puisque les formules sont celles d’un éloge mais présentent
en fait les dif cultés de l’apprentissage.

Bon, disais-je en moi-même: les arbres tardifs sont ceux qui portent les

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meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le

sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps ;


L’interjection « Bon » renforce cette idée de l’éloge paradoxal et les concessions d’un père qui
renonce nalement à éduquer normalement son enfant.
Les formules à valeur morale énoncées au présent de vérité générale montrent cette volonté du père
à justi er l’apprentissage tardif de son ls. L’idée étant que s’il apprend plus lentement, il apprend
mieux. (Cette idée paraît très discutable aux yeux du spectateur dans la mesure ou Thomas apparaît
surtout comme un élève peu brillant, lent et limité comme en témoigne cette conclusion au présent :
« et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à
venir. »)
Le terme pesanteur (qui pèse) montre la lourdeur de l’apprentissage, de l’acquisition des
compétences intellectuelles.

Lorsque je l'envoyai au collège, il trouva de la peine; mais il se raidissait


contre les difficultés ; et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité
et de son travail.
La période du collège a donc été également très dure. On retrouve le terme « peine » qui montre
l’apprentissage laborieux. En n, face à cette peine, il se « raidit », ce qui renforce l’image d’un élève
qui manque de souplesse, de nesse, de réactivité. Cette image du manque de souplesse intellectuelle
est également ce qui va caractériser sa pratique professionnelle.
Ses professeurs (régents) se louaient : vantaient les mérites… Il est assidu : il n’abandonne jamais…
cependant on a déjà l’image de quelqu’un qui est déterminé mais qui manque de souplesse.

3eme mouvement :

Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses

licences ;
C’est donc parce qu’il s’est battu (l’expression battre le fer montre une fois encore le côté laborieux
de son apprentissage : périphrase)
La formule « glorieusement » tranche avec les dif cultés qu’il a rencontré lors de ses études. On
comprend que cela n’a pas été glorieux et qu’il n’avait que peu de talent.
Les licences : résultat des études mais à un grade modeste.
Il s’est donc battu pour obtenir les bases.
et je puis dire, sans vanité que, depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a
point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de
notre école.
La formule de modestie « sans vanité » (sans prétention) insiste sur la médiocrité de la situation.
Les bancs : (sous entendus de l’école de médecine).
On insiste en n sur le fait qu’il aime débattre mais la périphrase tend à minimiser ses qualités, il
« fait du bruit ».
Il s’y est rendu redoutable; et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille
argumenter à outrance pour la proposition contraire.
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Ici, on comprend qu’il est redoutable (littéralement que l’on doit redouter) car en n, il semble
vouloir contredire tout le monde. On a ainsi l’image d’un sophiste (rhéteur antique qui peut dire
tout et son contraire et n’a donc pas vraiment de point de vue à défendre). L’expression « à
outrance » insiste sur l’aspect excessif de son attitude.
Il est ferme dans la dispute,
Une fois encore; on voit un personnage qui ne change jamais d’avis. La dispute signi e le débat.
fort comme un Turc sur ses principes,
La France de Louis XIV était en guerre contre l’empire Turc. « Fort comme un Turc » est une
expression péjorative à l’époque. Fort sur ses principes : il ne change jamais d’avis. Une fois encore
on perçoit le personnage comme borné.
ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans
les derniers recoins de la logique.
Idem, mais l’expression « ne démordre » : qui renvoie au sens du débat a ici une connotation
animale : il est présenté comme un chien. Poursuivre montre également ce côté animal, renvoyant à
l’image du chien. Il court après les idées comme le chien derrière une balle.
Mais, sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple,
c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens,
Le père présente l’argument ultime, renforcé par les formules « sur toute chose » (par dessus tout),
renforcé par l’appréciation du père « ce qui me plaît en lui », qui de plus montre qu’il « suit son
exemple », c’est que sa conception de la médecine se fonde sur celle des « anciens » (terme général
qui pourrait paraître atteur mais dans le cadre de la médecine qui évolue de siècle en siècle
apparaît clairement comme péjoratif puisqu’il montre qu’il ne tient pas compte des nouvelles
découvertes scienti ques.
En n, l’adverbe « aveuglément » nit de convaincre le spectateur que ce personnage est résolument
borné et pratique une forme ancienne et dépassée de la médecine.
En se mettant également de ce coté, Diafoirus père illustre une conception bornée et dépassée de la
médecine.
et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les
expériences
L’adverbe « jamais » montre sa détermination à ne pas tenir compte des nouvelles avancées dans la
science médicale, le verbe « vouloir » insiste sur cet acharnement à la fermeture d’esprit.
des prétendues découvertes de notre siècle
Ici, le père affirme avec détermination cette fermeture d’esprit (qui est donc la même chez son fils) à
refuser les apports de la médecine actuelle (« de notre siècle »). L’adjectif « prétendues » qui se trouve
apposé au nom « découvertes » montre bien qu’il ne croit pas aux innovations de son temps (ce qui
dans le monde de la médecine peut paraître inquiétant ou du moins interroge).
touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine.
En n il cite le domaine dans lequel il critique les avancées de la médecine : « la circulation du sang »
: on sait qu’on croyait à l’époque aux « humeurs » et que cette notion était déjà très contestée. Il ne
croit donc pas que le sang circule dans le corps. En n, l’usage du terme « farine » renvoie à un
univers culinaire et montre qu’il pratique la médecine comme certains pratiquent la cuisine : en
appliquant des recettes.

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CONCLUSION
On comprend à travers cet éloge paradoxal, qu’en essayant de faire l’éloge de son ls, M. Diafoirus
nous présente un personnage borné, lent à l’apprentissage et à la compréhension qui reste attaché à
de vieux principes sans chercher à renouveler sa pratique. En prenant ainsi position pour une forme
de conservatisme et d’esprit réactionnaire face à la médecine actuelle, il s’inscrit avec son ls dans
une forme de représentation sclérosée de sa pratique et dessert très largement celui dont il tente
pourtant de vanter les qualités.
Ce manque de souplesse, cet apprentissage par cœur et ce manque d’intelligence et d’observation se
con rment dans les dialogues avec Angélique ou Béline à travers lesquels il s’illustre de bêtise et de
confusion. Il apprend par cœur mais semble ne pas raisonner convenablement. Il paraît donc au
spectateur comme un personnage nigaud, appliquant des principes de manière mécanique et
incarnant une forme dépassée et dogmatique de la médecine.

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