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Pistes pour la correction de la dissertation sur La Bruyère

Le spectacle o ert par Les Caractères n’est-il qu’un divertissement?

Le sujet invite à s’interroger sur la nature du texte (un spectacle) mais aussi sur son but avec la
formule restrictive « n’est qu’un divertissement » qui invite à en dé nir d’autres (une oeuvre
d’édi cation, de moraliste…)
Le terme de spectacle ne doit pas être négligé, renvoyant directement au parcours « comédie
sociale » avec le vocabulaire du théâtre. Il implique l’idée de performance, de jeu, d’illusion, de
dissimulation de la réalité.

1) Les Caractères propose bien un spectacle

La Bruyère propose un regard extérieur de bourgeois anobli sur une cour qu’il scrute et décrit
dans ses comportements. Il se place en spectateur d’une société qui devient spectacle. C’est le
même procédé que dans VIII,74 où il « parle d’une région… ». Cette remarque souligne d’ailleurs
l’importance des jeux de regards lors de la description de la messe.
Les portraits (hérités de Théophraste) transforment les hommes en personnages. Ils sont
présentés en action, dans de courtes scènes qui s’apparentent souvent à des scènes de comédie
plaisantes (portrait d’Arrias, V,9)

La Bruyère présente une société hypocrite, où chacun joue un rôle, n’est pas naturel (et donc
donne un spectacle aux autres). En VIII,61, Théodote « entre sur scène » en étudiant « sa voix, sa
démarche, son geste, son attitude ». Il reprend la même idée avec le portrait du « ministre
plénipotentiaire » (X,12) comparé à un « caméléon » ou à un « Protée » et dont il souligne les
qualités de dissimulation, d’acteur. Dans les portraits de Cimon et Clitandre (VIII,19), il a rme:
« Leur profession est d’être vus et revus » ce qui semble bien caractériser une société du
spectacle: « Mille gens à peine connus font la foule au lever pour être vus du prince, qui n’en
saurait voir mille à la fois; et s’il ne voit aujourd’hui que ceux qu’il vit hier et qu’il verra demain,
combien de malheureux! » (VIII,71)

L’auteur s’appuie sur la tradition antique du theatrum mundi: « Dans cent ans le monde subsistera
dans son entier: ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes
acteurs. » (VIII,99). Il n’hésite pas à y représenter les « grands » comme des « gures de carton qui
servent de montre à une fête publique » (IX,32)

Le livre semble donc décrire un théâtre tout en en reprenant les codes.

2) Qui va certes permettre de proposer un divertissement indéniable

La Bruyère se plie à l’idéal de « l’honnête homme » et cherche à produire une oeuvre plaisante et
élégante, éloignée du pédantisme. Pour ce faire, il soigne la forme de son oeuvre en insistant sur
la diversité (de longueur, de registre, de type de remarque etc.). « on pense les choses d’une
manière di érente, et on les explique par un tour aussi tout di érent, par une sentence, par un
raisonnement, par une métaphore ou quelque autre gure, par un parallèle, par une simple
comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture : de là
procède la longueur ou la brièveté de mes ré exions. » (préface des Caractères)

La Bruyère va s’appuyer sur des e ets comiques pour rendre son propos divertissant. C’est
particulièrement sensible lors des portraits qui proposent de véritables saynètes comiques.
Comme il s’attache aux vices et aux ridicules de la société, il fait la peinture de personnages eux-
mêmes ridicules et donc drôles et divertissants (Arrias ou Giton par exemple). En ce sens, il est
très proche de l’écriture satirique divertissante d’un Molière. Il s’en prend à l’arrogance,
l’hypocrisie, la fatuité etc.

Cela explique en partie le succès immédiat de l’oeuvre. Le plaisir des portraits à clé (comme
l’abbé Choisy derrière le portrait de Théodote VIII,61) implique également le lecteur dans une
lecture divertissante et active.
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3) Mais l’oeuvre de La Bruyère est avant tout une oeuvre d’édi cation

Le projet moral de l’oeuvre est formulé explicitement dès la préface: « …s’en corriger. C’est
l’unique n que l’on doit se proposer en écrivant… » . Il s’agit de « faire recevoir les vérités qui
doivent instruire » ou encore d’opérer le « changement de moeurs et la réformation de ceux qui
les lisent ou les écoutent ». Bref, la priorité de ce moraliste est bien « l’instruction ». Il s’inscrit
dans la tradition de Pascal ou La Rochefoucauld, avec une vision pessimiste de l’homme.

Le divertissement n’est donc pas le but poursuivi mais plutôt un moyen de révéler et de corriger
les travers de la société, derrière le jeu d’illusions qu’elle a instauré. La Bruyère ne méprise pas ce
divertissement. Il est bien conscient de son utilité et de son e cacité. Dans la préface , il rappelle
que la variété est utile « pour délasser l’esprit, pour le rendre plus présent et plus attentif à ce qui
va suivre. » On retrouve ici l’idéal classique de « placere et docere », « plaire et instruire ». Comme
chez Molière, le spectacle, la comédie permettent de rendre le spectateur sensible et réceptif à la
satire, à la critique. Le rire permet ainsi de favoriser l’éducation morale en dénonçant les vices et
en les rendant ridicules.

Ce serait donc une erreur grossière de réduire Les Caractères à un simple divertissement; ce
serait manquer son but et ce serait aussi négliger les nombreuses remarques plus théoriques,
plus austères qui occupent une place importante de l’ouvrage.
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