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Etude linéaire n°1 

: le portrait d’Irène, fragment 35 du chapitre XI, Les Caractères

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait :

B. Lecture expressive du texte

C. Annonce du projet de lecture et des grands mouvements du texte :

« Epidaure », « Esculape », éléments renvoyant à la Ces éléments installent un cadre antique, celui de la consultation
« temple », « le dieu », Grèce Antique des oracles religieux dans la Grèce antique ; le sanctuaire
« l’oracle », « Fils d’Epidaure était situé en Argolide et était l’un des plus fréquentés
d’Apollon » alors.
« consulte », « ordonne », champ lexical de la médecine Si l’on excepte les quelques termes renvoyant à l’Antiquité, tout
« insomnie », « prescrit », le reste de l’échange renvoie à une consultation médicale
« remède », « guérir », « diète »,
parfaitement semblable à celles qui se pratiquent à l’époque de
« conseils »,  « science »
l’auteur, dans la France du XVIIe siècle comme le montre le
« lasse et recrue de fatigue », champ lexical de la médecine. Les maux dont se plaint Irène sont
« insomnies », « sans appétit », lexique de la maladie eux aussi fort universels, et ne se rapportent pas spécialement à
« pesante », « indigestions » l’antiquité.

→Ce mélange permet à La Bruyère de créer un effet de pittoresque et d’exotisme en installant sa saynète dans un décor situé
dans une époque et un espace différent, mais c’est pour mieux souligner la dimension universelle de la réflexion qu’il propose
sur la peur de vieillir des hommes.
« Irène » utilisation ironique de Irène est un prénom qui, en grec, signifie « paix » ; il est ici
l’étymologie d’un nom utilisé de manière parfaitement ironique par La Bruyère d’abord
propre parce qu’Irène, hypocondriaque, inquiète de sa santé, soumettant
le dieux médecin à des questions toujours réitérées, semble bien
loin d’être en paix elle-même. La parataxe déployée dans la
première partie du texte, l’accumulation des propositions, et la
longueur excessive de la deuxième phrase renforce cette
impression.
De « D’abord elle se dialogue indirect entre les La Bruyère écrit cette consultation médicale à la manière d’un
plaint… » à « ... qu’elle fasse deux personnages dialogue de comédie, même s’il conserve de discours indirect. A
diète. » chaque question de la patiente, qui est aussi une jérémiade
(fatigue, manque d’appétit, insomnies, poids, indigestions), le
« se plaint », « prononce », utilisation du présent dieu répond nettement, sans passer par des détours de la parole et
« dit », « ordonne » , pour chaque maux, apporte une solution pleine de bon sens. Le
« ajoute », « prescrit », verbes de communication moraliste joue du burlesque parce qu’il s’agit ici d’une
consultation d’un dieu du panthéon grec à travers le rituel
« demande », « répond »,
mystique de l’oracle, dans un temple sacré, moment
« déclare », « dit », «  ajoute » nécessairement emprunt de solennité et de noblesse or le sujet est
trivial (bas corporel), Irène est une patiente geignarde et pénible,
quant au dieu, il apparaît plutôt comme une incarnation du sens
commun, à l’intelligence plus pratique et terre à terre qu’abstraite
et métaphysique, ce qui crée ce décalage fort drôle.
« Ma vue s’affaiblit, dit Irène ; discours direct Progressivement, La Bruyère fait basculer son texte du discours
prenez des lunettes, dit indirect (« elle lui déclare que ») au discours direct (« ma vue
Esculape »  s’affaiblit »), et le récit prend des allures de dialogue de théâtre.
« quel moyen de guérir de cette question directe Le dieu répond à chaque demande de la patiente, exprimées sous
langueur ? » la forme de questions directes (« quel moyen de guérir de cette
langueur ? »), de manière brève, directe et efficace, ce qui donne
« dit Irène », « dit Esculape »,
« continue-t-elle », « dit le incises à l’échange des allures de stichomythies ; le moraliste donne au
dieu », « s’écrie Irène » lecteur des précisions quant à l’état émotionnelle de ses
protagonistes,dans des incises qui s’apparentent à des didascalies.
« Ma vue s’affaiblit, dit Irène ; stichomythie théâtrale Avec beaucoup d’humour, et en jouant du décalage entre les
prenez des lunettes, dit + époques, L B renforce le contraste entre les deux caractères en
Esculape » anachronisme (les lunettes présence : le bon sens pratique du dieu face à jérémiades
n’existaient pas dans incessantes d’une patiente pénible. Par ce jeu, La Bruyère
l’Antiquité) souligne que les plaintes incessantes de cette patiente portent sur
des maux d’une très faible gravité, il s’agit plutôt d’incommodités
que de véritables maladies, d’où cette formule synthétique, aussi
brève que sèche, d’ailleurs pas tout à fait correct du point de vue
de la syntaxe « prenez des lunettes ». C’est le propre de
hypocondriaque que de confondre des peccadilles avec de très
sérieuses maladies : le lecteur prend plaisir à voir Esculape
remettre ainsi à sa place sa patiente trop pleurnicharde.
«  c’est que vous vieillissez », Phrases courtes La litanie des maux d’Irène (fatigue, troubles du sommeil,
« le plus court, c’est de surpoids, problème gastriques, indigestions, perte de l’acuité
mourir » introduction du motif de la visuelle, faiblesse générale) glisse peu à peu de maux bénins aux
vieillesse et de la mort symptômes propres au vieillissement. Tout à coup, les réponses
du dieu se font plus brutales. L’introduction du motif de la mort
comme solution, dans le cadre de cette consultation médicale où
le dieu n’apportait jusque là que des remèdes attendus, crée une
rupture aussi saisissante qu’abrupte et inattendue. Le burlesque et
la fantaisie qui donnait beaucoup de légèreté à ce texte laissent la
place à des considérations plus sombres sur la finitude la de la vie
humaine et son caractère nécessairement éphémère.
« quel conseil me donnez-vous Série de questions Les 3 questions formulées par Irène à la forme directe n’ont en
? », « Est-ce là toute cette rhétoriques réalité pas de valeur interrogative ; contrairement aux
science que les hommes précédentes, celles-ci n’ambitionnent pas d’obtenir des réponses
publient, et qui vous fait ou des solutions, ce sont des questions rhétoriques, car elles
révérer de toute la terre ? », n’appellent pas de réponse de la part du dieu, elles ne sont là que
« que m’apprenez-vous de rare pour exprimer la stupeur d’Irène qui n’en croit pas ses oreilles.
(...) et ne savais-je pas t(...) ? » Par trois fois, Esculape est mis en accusation : ses réponses sont
décevantes, et loin d’être à la hauteur de sa réputation.
« Que n’en usiez-vous donc, Question rhétorique De manière très astucieuse, le dieu répond par une question à son
répond le dieu, sans venir me tour, s’appuyant sur la dernière affirmation, pleine de prétention
chercher de si loin, et abréger d’Irène. Celle-ci vient en effet d’affirmer qu’elle connaissait déjà
vos jours par un long d’avance toutes les solutions proposées par le dieu. Pour répondre
voyage ? » à l’arrogance de la patiente, le dieu la piège, en soulevant le
paradoxe de sa conduite. Ce contre-argument est redoutable
d’efficacité puisqu’il met la patiente face à l’incohérence de ses
actes, la rendant du même coup, responsable de ses propres
maux ! De manière très significative, le moraliste choisit de clore
l’échange sur cette dernière sortie, comme pour couper court et
souligner le camouflet infligé à Irène, qui en reste sans voix.
Irène n’est pas seulement le type caricatural de l’hypocondriaque ici. Certes ses plaintes et ses jérémiades sont sans fin et les
maux dont elles se plaint sont en réalité bien bénins et bien simple à soigner, mais le personnage incarne d’autres défauts :
l’absence de bon sens, et la croyance aveugle, presque superstitieuse en une science miraculeuse capable de tout soigner,
l’amour-propre et le sentiment de supériorité, l’incapacité à garder son calme… Il semble possible d’affirmer que la leçon de La
Bruyère serait du côté du bon sens, de la modération et de la raison.
Conclusion :
Etude linéaire n°2 : le portrait de Cliton, fragment 122 du chapitre XI, Les Caractères

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait :

B. Lecture expressive du texte

C. Annonce du projet de lecture et des grands mouvements du texte :

1er mouvement : du début à s’étendre : le portrait d’un monomaniaque


« diner », « souper », « digestion », champ lexical de la Le passage est dominé par ce champ lexical qui sature
« entrées », « repas », « potages » (terme nourriture l’extrait : La Bruyère construit avec Cliton le l’archétype
répété), « rôt », « entremets », « plats »,
du glouton, obsédé de nourriture. La richesse du lexique
« service », « hors-d’oeuvre », « fruit »,
« assiettes », « vins », « liqueurs », utilisé témoigne aussi du degré de compétence de Cliton
« cuisines ». en la matière.
« Cliton » Étymologie Le prénom Cliton semble construit sur l’étymon grec
« cli- » qui a servi à construire les mots « enclin »,
« n’a jamais eu en toute sa vie que deux + double négation « incliner », « inclination », etc. et qui convoque la notion
affaires » restrictive « ne… que... » de goût, de penchant : il incarne en effet la passion, le vice
de la nourriture, obsession confirmée par le début de
« il ne semble né que pour la digestion » l’extrait, formulé sous forme de deux propositions
restrictives.
« dîner »/ « souper » et antithèses La double antithèse renforce encore cette idée que tout
« matin »/ « soir » l’horizon de ce personnage se borne à cette manie de la
dévoration. L’expression « né que pour la digestion » crée
à ce titre un concentré redoutablement efficace de la
personnalité de Cliton, ainsi défini par les deux termes de
sa vie, sa naissance d’une part et la digestion d’autre part.
« il ne semble », « il n’a », « il dit », Série de verbes au présent La Bruyère élabore ici son portrait en énumérant une série
« il place », « il nomme », « il de l’indicatif, et ayant de faits observés à son sujet, avec pour ambition de
n’oublie pas »… Cliton pour sujet définir, au plus près, la personnalité de Cliton par ses faits
et gestes, comme pointés du doigt par le moraliste sous le
regard du lecteur
« il a bu », « n’a jamais eu », « ont Série de verbes au passé La présence de ce 2e temps confirme que l’unique
été servies », « on a relevé » composé obsession de Cliton, hors les moments dédiés aux repas,
consiste à se remémorer ces repas !
2e mouvement : de « il me fait envie » à « désapprouve »: la voix ironique du moraliste
« il me fait envie de manger à une Pronom personnel de la Parfois, comme ici, LB s’amuse à apparaître lui-même
bonne table où il ne soit point » 1ère personne dans la construction de ses portraits, et se prend à interagir
avec le personnage dont il fait la satire . Le portrait prend
l’épaisseur d’une chose vue : Cliton n’est pas une
caricature exagérée et irréaliste, c’est un type humain que
l’on peut croiser dans certains cercles privilégiés du
temps, et LB s’en fait ici le témoin.
« à une bonne table où il ne soit périphrase La réaction de dégoût qu’il affecte renforce encore la
point » charge satirique de ce fragment, puisque même LB, auteur
de ce savoureux portrait, s’offusque du comportement du
glouton, c’est dire s’il est répugnant !
« un palais sûr », « un personnage Antiphrases (expressions Ces expressions très laudatives sont bien sûr à comprendre
illustre », « le talent », « qui mange si très laudatives utilisées de dans un sens opposé, le moraliste étant loin d’avoir de
bien » manière ironique) l’admiration pour un personnage qui le répugne. On peut
aussi comprendre ces formules comme des échos des
prises de paroles de Cliton lui-même : en effet, outre sa
goinfrerie, Cliton est plein d’amour-propre, d’une
prétention excessive.
« il n’est guère permis d’avoir du Deux expressions de la La Bruyère ici n’exprime pas son opinion mais suggère
goût pour ce qu’il désapprouve » négation : négation l’attitude autoritariste de Cliton en matière d’alimentation.
syntaxique (ne+guère) C’est un véritable tyran.
et négation lexicale par
dérivation
(«désapprouve »)
La Bruyère, dans ce portrait à charge, fait en réalité plusieurs reproches indirects à Cliton :
- sa soi-disant expertise en matière de cuisine en fait un fâcheux, un convive insupportable («  il me fait envie de manger à une bonne
table où il ne soit point »)
- il appartient à une classe sociale très privilégiée («  il ne s’est jamais vu exposé à l’horrible inconvénient de manger un mauvais
ragoût, ou de boire d’un vin médiocre ») et son expertise, finalement, n’en est qu’assez peu légitime, puisqu’il ne consomme que des
mets très recherchés
- il est excessif dans son obsession de la nourriture, c’est davantage un glouton qu’un gourmet («   qui a porté le talent de se bien
nourrir jusques où il pouvait aller, on ne reverra plus un homme qui mange tant »)
- il est devenu despotique en la matière, et tyrannise les autres convives, qui n’ont plus le droit de s’exprimer sur ce qui est devenu son
sujet d’expertise réservé (« arbitre », « n’est guère permis », « désapprouve »).
De « Mais il n’est plus » à fin  : Une chute pleine d’humour noir
« il n’est plus », « dernier soupir » deux euphémismes LB utilise d’abord des euphémismes pour évoquer la mort
de Cliton comme pour atténuer la violence de cette
annonce, conformément aux règles de la bienséance en
cours dans les milieux privilégiés qu’il décrit.
« il est mort » expression très crue, très Il affirme plus clairement ensuite « il est mort », un peu
explicite, réduite à sa lassé, peut-être, de ces précautions oratoires pour un
forme la plus efficace personnage à qui sans doute l’on a toujours adressé un
respect intimidé.
« quelque part où il soit » périphrase euphémistique Il évoque ensuite le séjour des morts par une étrange
pour évoquer l’au-delà formule « quelque part où il soit » : il s’agit d’une discrète
pique faite à Cliton, dont le moraliste refuse de décider si
son comportement sur terre l’aura mené au paradis des
vertueux ou à l’enfer !
« manger », « mange », « manger »  polyptote Plus qu’un gourmet, Cliton est un mangeur compulsif et
obsessionnel ; le verbe « manger » clôt d’ailleurs, très
« s’il revient au monde, c’est pour proposition subordonnée significativement le portrait : ça aura été son unique
manger ». circonstancielle préoccupation, malgré la maladie et la décrépitude « il
d’hypothèse s’est fait porter à table jusqu’au dernier soupir », et peut-
être même malgré la mort : son obsession pourrait même,
d’après le moraliste moqueur, lui faire accomplir le
miracle d’une résurrection : « s’il revient au monde, c’est
pour manger ».
« n’est plus », « dernier soupir », multiples évocations de la Si le portrait d’un glouton était jusqu’ici plutôt amusant, il
« mort », « quelque part où il soit » mort prend un tour plus sombre avec la mention de la mort. Il
serait faux de penser que LB mentionne la mort comme
une juste punition des excès de table de Cliton (rien ne
nous dit qu’il est mort par excès de gourmandise) ; en
outre, LB suggère que cet appétit est une obsession si
ancrée en Cliton que même la mort, et l’autre monde, ne
sauraient en venir à bout, et que Cliton est en réalité un
personnage irrécupérable.
D. Conclusion :
Etude linéaire n°3 : lettre de la Marquise de Sévigné à M.de Pomponne (1664)

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre : Mme de Sévigné est restée célèbre pour le nombre et surtout la richesse des lettres qu’elle
a, tout au long de sa vie, envoyées à sa fille et à ses amis. Elle y narre, pour leur divertissement, des épisodes de sa propre vie,
mais aussi des choses vues, ou encore se fait l’écho des anecdotes qu’on a pu lui rapporter. A travers cette dense
correspondance, c’est donc un véritable panorama de la vie de la bonne société au XVII ème qui se dessine.

→ présentation de l’extrait : Elle documente par exemple, à la manière d’un mémorialiste, la vie de Cour de son temps,
des histoires les plus sombres, comme celle du suicide du cuisinier Vatel, honteux d’avoir servi au Roi, selon lui, un banquet
indigne de celui-ci aux anecdotes les plus riantes, comme celle de notre texte. Mme de Sévigné y fait le récit du piège tendu par
Louis XIV à l’un de ses courtisans, le prenant en flagrant délit d’hypocrisie.

B. Lecture expressive du texte

C. Projet de lecture : la mise en scène plaisante et théâtrale d’une anecdote au service de la satire de l’hypocrisie
courtisane.

Grands mouvements du texte :

Explication linéaire du texte

« De Madame de Sévigné à M. noms de l’expéditeur et On observe d’emblée une série d’indices formels qui indiquent qu’i
de Pomponne » du destinataire / s’agit d’une lettre. En outre, le genre épistolaire se signale aussi
typographie clairement par la situation d’énonciation : une épistolière qui emploie
la première personne du singulier et d’adresse à la deuxième personne
« Lundi 1er décembre 1664 » mentions de la date et du du pluriel (« vous » de politesse, et non destinataire multiple).
lieu de la rédaction L’utilisation du présent qui renvoie à l’ici et maintenant de la rédaction
de la lettre : « Il faut que je vous conte ».
« vous » « vous » de politesse
« conter » Connotation plaisante Mme de Sévigné s’adresse à son destinataire avec un ton de légèreté et
de badinage, comme le souligne la connotation plaisante du verbe
« historiette » suffixe hypocoristique « conter » et l’utilisation du suffixe hypocoristique -ette dans
« -ette » « historiette » qui redouble sémantiquement l’effet de l’adjectif
« petite ». Elle se propose de divertir M.de Pomponne, conformément à
« petite historiette » pléonasme l’idéal classique « plaire et instruire » : il s’agira bien de délivrer un
enseignement moral, mais par le prisme plaisant du récit d’une anecdote
de cour, d’une chose vue savoureuse et plaisante à rapporter.
« depuis peu », « l’autre jour », indications temporelles On peut faire référence au genre des mémoires car ce récit repose sur
« un matin » (CC temps) une anecdote historique, vraiment survenue à la cour (comme l’attestent
les indications temporelles, les références à Louis XIV et à des
« MM. de Saint-Aignan et noms propres de courtisans nommément désignés, et le sujet : les divertissements
Dangeau », « maréchal de personnages existants mondains couramment pratiqués à Versailles : « des vers », « petit
Gramont » madrigal »), mais qui ne comporte, de la part de la rédactrice, aucun
élément autobiographique.
(à relever au fur et à mesure dialogue direct : Au lieu de rapporter, de manière indirecte et en l’intégrant à son
dans le passage qui va de -guillemets récit, l’entretien qui a eu lieu entre le roi et son courtisan, l’épistolière le
« Monsieur le maréchal, je -utilisation du présent donne à lire à son destinateur tel quel, ou prétendu tel, à travers un bref
vous prie (...) » à « (...)les plus -interpellation directe dialogue direct. Ce choix du dialogue direct rend le récit beaucoup plus
naturels. ») -injonction (« lisez ») plaisant, et donne à cette histoire le caractère très vivant et très
-exclamations savoureux d’une « chose vue ».
-interrogative directe
Mme de Sévigné emprunte au théâtre :
- le comique de situation : le roi, en ne révélant pas le nom de l’auteur du madrigal, a joué un mauvais tour à son courtisan, qui
s’est laisser duper, à la grande joie de tous ses complices, dont le lecteur.
- le comique de caractère : il s’agit ici de montrer le ridicule d’un type fréquemment rencontré à la cour : le flatteur hypocrite dont
le maréchal est la parfaite incarnation
- le comique de mots : les mots employés par le maréchal railleur, hyperboliques, font rire lorsque l’on sait, comme c’est la cas du
lecteur, qui ils visent en réalité, à l’insu de celui qui les profère : « il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que
j’aie jamais lu » ; on peut rire aussi de la réaction du piégé, lorsqu’il réalise l’étendue de sa maladresse et qu’il essaye, en vain, de
se rattraper : « Sire, quelle trahison ! Que votre majesté me le rende ; je l’ai lu brusquement » 
« Monsieur le maréchal, je quiproquo et double L’épistolière joue encore ici du dispositif théâtral puisqu’elle reprend le
vous prie, lisez ce petit énonciation fonctionnement du quiproquo et de la double énonciation : le lecteur,
madrigal, et voyez si vous en qu’il s’agisse de M.Pompone ou de nous-même, est mis au courant
avez jamais vu un si utilisation du pronom d’emblée de la vérité : « Il fit l’autre jour un petit madrigal », seul le
impertinent. Parce qu’on sait indéfini« on » personnage cible de la mauvaise farce ignore ce qui se joue en réalité.
que depuis peu j’aime les vers, Le piège est parfaitement retors : outre le fait que le roi ne révèle pas à
on m’en apporte de toutes son courtisan l’auteur véritable de ce texte, qu’il désigne du pronom
façons. » indéfini « on », ce qui s’apparente bel et bien à un mensonge de la part
du souverain, le roi laisse entendre que le poème est de fort mauvaise
« un si impertinent » hyperbole qualité à un courtisan forcément désireux de lui plaire, et qui, de fait,
partage l’avis du roi (« que lui-même ne trouva pas trop joli ») : le
« N’est-il pas vrai que celui qui question rhétorique maréchal n’a en réalité pas menti. Le roi ne laisse que très peu de marge
l’a fait est bien fat ? » de manœuvre à celui qui dépend entièrement de lui !
« Le Roi a fort ri de cette situation finale du La situation finale montre le roi riant, en complicité avec les témoins de
folie » schéma narratif cet échange, et l’humiliation du maréchal de Gramont. La narratrice ne
précise pas si le roi, en toute honnêteté, ajouta que le madrigal en effet
« voilà la plus cruelle petite était bien mauvais et que lui même n’en était pas fier ; sans doute n’en
chose que l’on puisse faire à un hyperbole a-t-il rien fait. Aucune information n’est donnée non plus sur la suite :
vieux courtisan » quel comportement le maréchal a-t-il adopté ensuite ? A-t-il fait les frais
de ces moqueries longtemps à la cour ? Est-il tombé en disgrâce ?
Derrière la plaisante anecdote, c’est toute la cruauté d’un système (en
témoigne l’hyperbole « la plus cruelle petite chose » associée à la
précision concernant la vieillesse du maréchal, cible facile), savamment
orchestré par le roi Louis XIV qui transparait : il est bel et bien
souverain absolu, indépendamment de toute notion de morale.
« Pour moi, qui aime toujours à utilisation de P1 : Le portrait fait par l’épistolière du roi n’est flatteur qu’un apparence.
faire des réflexions, je voudrais Certes, il apparaît comme un homme plein d’esprit, capable de jouer un
que le Roi en fît là-dessus » mauvais tour à l’un de ses courtisans, fortifiant au passage sa
supériorité à son égard. Mais c’est aussi un homme qui manque
« combien il est loin de hyperbole singulièrement de bienveillance : les courtisans témoins de cette scène
connaître jamais la vérité » ont ressenti, semble-t-il, plus de frayeur que d’admiration (« tout le
monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l’on puisse faire
à un vieux courtisan »). En outre, comme le souligne Mme de Sévigné,
ce bel esprit n’est pas si profond, car il ne semble pas avoir été capable
de tirer une leçon plus générale de cette petite anecdote particulière sur
l’hypocrisie généralisée de son entourage (manière subtile d’affirmer
que le roi n’a guère réfléchi), et les incessants mensonges qu’on lui
sert , probablement dans tous les domaines, et pas seulement pour des
choses de peu d’importance comme ces quelques vers….
La leçon de l’épistolière pourrait s’adresser d’abord au roi à qui elle conseille de ne pas se montrer trop naïf face aux louanges de
ses courtisans, le plus souvent très exagérés voire mensongers.
Mais par delà le cas particulier du système de la courtisanerie installé à Versailles, Mme de Sévigné invite son lecteur,
implicitement, à s’interroger sur la nature humaine et sur la noirceur des rapport de domination qu’on y décèle entre les puissants et
les ceux qui en dépendent, et comme ceux-ci sont empreints pour les uns, de cruauté, pour les autres, d’hypocrisie. L’image de
l’homme renvoyée par cette anecdote est en réalité franchement pessimiste.

Conclusion :
Etude linéaire n°4 : Manon Lescaut, « la 1ère rencontre avec Manon » (1ère partie du roman)

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait :

B. Lecture expressive du texte

C. Projet de lecture : comment le romancier choisit-il de traiter cette scène de première rencontre amoureuse ?

Grands mouvements du texte :


- l. à  : les circonstances de la rencontre
- l. à  : la fascination de Des Grieux
- l. à  : les premières paroles échangées

Explication linéaire du texte

« J’avais marqué le temps de références spatio- Par ces termes renvoyant à une date et à un lieu précis, le narrateur (Des
mon départ d’Amiens. » temporelles Grieux) se lance dans un récit circonstancié, dont il sera le personnage
principal. Le récit s’installe dans un cadre réaliste, avec un ancrage
puis «La veille», «cette ville», temporel et géographique précis, aussi bien que banal, ordinaire.
«Arras» . Il est important de noter qu’il y a ici 2 Des Grieux : le narrateur, qui
arrive au terme d’une histoire d’amour douloureuse, et le personnage de
son récit, innocent et naïf.
« Hélas ! »  Interjection plaintive ; Le narrateur intervient en commentant ses actions passées.
exclamation L’interjection témoigne de son jugement rétrospectif marqué par le
regret. Le lecteur comprend que ce moment est décisif et sera à
l’origine du malheur du personnage : se met donc en place la tonalité
tragique de ce récit.
« que ne le marquais-je un jour phrase exclamative et Ensuite est explicitée la raison du remords : le choix du jour du départ
plus tôt ! » négative d’Amiens. Avant le récit même de l’événement, le narrateur procède
ainsi à une dramatisation qui vise à susciter l’intérêt de ses auditeurs et
à souligner l’importance de cet épisode : on comprend que ce qui s’est
passé ce jour là a eu des conséquences terribles pour lui.
« j’aurais porté chez mon père utilisation du L’emploi du conditionnel passé souligne le caractère irréversible de
toute mon innocence » conditionnel passé (= cette décision, qu’il juge, rétrospectivement, comme funeste et le point
irréel du passé) de départ de tous ses malheurs : la perte de son innocence. Un tel
jugement rétrospectif du narrateur met en évidence les changements
profonds qui ont affecté le personnage depuis cette date : il n’est plus,
aujourd’hui, ce jeune garçon innocent et pur, vertueux.
« La veille même de celui que je emploi du passé simple Le passage des formes verbales à valeur durative au passé simple, qui
devais quitter cette ville, étant à et du participe présent marque au contraire l’idée de soudaineté, indique qu’un événement
me promener avec mon ami, qui (étant) = valeur durative soudain se produit : on passe de la situation initiale du récit (la
s’appelait Tiberge » promenade de deux amis) à l’événement perturbateur (l’arrivée de la
série de verbes au passé voiture publique en provenance d’Arras). C’est donc la curiosité des
«nous vîmes», «nous le simple deux jeunes gens qui constitue le point de départ de cette histoire.
suivîmes»
« Il en sortit», « se retirèrent» Verbes au passé simple, Le récit de Des Grieux traduit l’agitation qui règne devant l’hôtellerie
« aussitôt » quasi antithèse où s’est arrêtée la voiture. Les verbes au passé simple signalent
adverbe temporel l’apparition des femmes et leur disparition presque immédiate ce qui est
« pendant qu’un homme d’un renforcé par l’adverbe « aussitôt ».
âge avancé(...) s’empressait proposition conjonctive La proposition circonstancielle signale aussi que plusieurs actions se
pour faire tirer son équipage des circonstancielle de temps déroulent en même temps. Le tout donne une impression d’agitation,
paniers » presque de tumulte, et par contraste, le fait qu’une jeune femme soit
isolée (« seule dans la cour ») et immobile (« resta »,« s’arrêta ») la
« s’empressait » » / « s’arrêta » antithèse rend singulière, elle détonne au milieu de toute cette effervescence.
« fort jeune », « moins âgée rares éléments descriptifs Le portrait de Manon, au moment de cette scène de première vue, est
que moi » très lacunaire : d’elle, le lecteur ne sait rien, à part qu’elle est jeune.
Est-elle grande ou petite ? Brune ou blonde  ? On ne sait rien ni de sa
« quelques femmes » / « une » antithèses silhouette, ni des traits de son visage. On comprend seulement qu’aux
« se retirèrent » / « s’arrêta » yeux de DG, elle se distingue immédiatement des autres femmes.
adverbe intensifs L’impression qu’elle suscite semble effacer les détails factuels si bien
« si charmante », « fort jeune » que le narrateur préfère des adjectifs peu précis qu’il renforce par des
périphrase laudative adverbes d’intensité. La périphrase qui désigne Manon, achève de la
« maîtresse de mon cœur » placer sur un piédestal.
« moi, qui n’avais jamais Parallélisme de Des Grieux prend soin de mettre en évidence avec insistance son
pensé (...) moi, dis-je, dont construction innocence et son caractère raisonnable, pour mieux souligner, par
tout le monde admirait (...) » contraste, la violence du coup de foudre qu’il subit : on peut parler de
ravissement. Des Grieux n’est pas un habitué des conquêtes féminines,
« tout le monde » + formulations il ne connaît rien à l’amour : il est ici comme assommé par le sentiment
«excessivement timide» » hyperboliques qui le saisit tout à coup : violence du coup de foudre.
« enflammé tout d’un coup métaphore de l’amour Le lexique est emprunté à la tragédie et suggèrent la violence de la
jusqu’au transport » comme un feu qui brûle passion ; DG n’est pas sujet de ces verbes, mais bien objet de cette
« la maîtresse de mon cœur » + vocabulaire tragique passion. NB : Le mot « passion » a un sens très fort au XVIIIe siècle : il
« un coup mortel pour mes s’agit d’un sentiment dévorant, contre lequel on ne peut pas lutter
désirs » (passion vient de « passif »).
« Quoiqu’elle fût encore proposition subordonnée La réaction de Manon peut paraître ici étonnante : cette toute jeune fille
moins âgée que moi, elle reçut circonstancielle de ne semble pas intimidée par cet homme, plusieurs hypothèses :
mes politesses sans paraître concession - est-elle très naïve et très innocente, peut-être idiote ?
embarrassée » - n’a-t-elle pas reçu d’éducation ? n’est-elle donc pas de bonne famille ?
- est-elle une débauchée, précoce dans les choses de l’amour1 ?
Sa conduite aurait en tous cas du susciter la méfiance de Des Grieux !
« Je lui demandai (...). Elle me dialogue rapporté : Après avoir été fasciné à la vue de Manon et après avoir opéré un
répondit (...). » - au discours indirect rapprochement physique, DG entame un dialogue avec Manon, d’abord
« Je lui parlai d’une manière recours au discours indirect puis au discours narrativisé, qui permet de
qui lui fit comprendre mes - au discours narrativisé ne garder que la teneur du propos : frustration du lecteur, qui ne peut
sentiments » entendre le détail de la conversation des deux jeunes gens.
« elle y était envoyée par ses tournure passive Manon est sous la domination d’une autorité familiale : la voie passive
parents » renforce sa soumission et son impuissance. La volonté de Manon est
pronom indéfini + contraire à cette décision: «c’était malgré elle» : cette situation de
« on l’envoyait »  Manon en position contrainte laisse présager une transgression pour faire opposition à ce
d’objet projet d’enfermement au couvent.
« dans la suite tous ses prolepse Par cette dernière remarque, le narrateur confirme la dimension tragique
malheurs et les miens»  de cette rencontre , suscitant ainsi l’empathie et la curiosité de ses
emploi du pluriel auditeurs (et des lecteurs) qui attendent des péripéties nombreuses,
comme le suggèrent les pluriels employés.
Conclusion :

1Cette dernière hypothèse est confirmée par la suite du texte : « elle était bien plus expérimentée que moi », « pour arrêter sans doute
son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré ».
Etude linéaire n°5 : Manon Lescaut, « la mort de Manon »

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait : Situé dans les dernières pages du roman de l’abbé Prévost, ce passage est un des moments
clés de l’œuvre. Arrivant à la fin de son récit, Des Grieux y aborde un épisode particulièrement douloureux, la mort de
Manon, conséquence tragique de la fuite dans le désert des deux amants, à la suite du duel entre Des Grieux et Synnelet,
le neveu du Gouverneur, tombé amoureux de Manon et qui voulait l’épouser de force.

B. Lecture expressive du texte

C. Projet de lecture : Dans cet extrait, nous nous demanderons comment le romancier, s’appuyant sur la retenue et
la pudeur de Des Grieux, parvient à rendre ce texte particulièrement émouvant.

Grands mouvements du texte :


- l. à  : Les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode
- l. à  : Le récit de la mort de Manon
- l. à  : Le silence et le renoncement de Des Grieux

Explication linéaire du texte

- l. à  : Les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode


situation d’énonciation L’énonciation contribue à mettre en valeur le récit qui va suivre :
(qui parle à qui, de quoi Des Grieux s’adresse à Renoncour, revenant au moment de
« Pardonnez », « je vous et dans quel contexte) : l’énonciation, marqué par un retour au présent. Ce recentrage sur le
raconte » - adresse directe au présent de l’énonciation introduit une rupture narrative qui mobilise
destinataire l’attention du lecteur, et relance l’intérêt pour la suite du récit (dans la
« j’achève », « je vous - utilisation du présent de suite du texte, on retrouve les temps du récit : imparfait, passé simple,
raconte », « je le porte » l’énonciation plus que parfait…).
« tue », « malheur », « pleurer tonalité pathétique : Des Grieux crée un effet d’attente avant de se lancer dans le récit de la
», « horreur » -champ lexical de la mort de Manon : ses réticences à raconter ce moment, ses hésitations et
douleur sa difficultés mettent particulièrement en valeur ce qui va suivre.
«un récit qui me tue»,« un -hyperboles Renoncour, comme le lecteur, comprennent qu’ils va s’agir d’un
malheur qui n’eut jamais moment clef de cette histoire, et que les circonstances des derniers
d’exemple »,« reculer d’horreur»
instants de Manon seront particulièrement tristes.
« Pardonnez, si j'achève en série de phrases brèves A cette tonalité pathétique se mêle cependant une forme de retenue dans
peu de mots un récit qui me l’expression des sentiments. Les trois premières phrases sont brèves,
tue. Je vous raconte un gradation dans seule la dernière est plus développée. Elles sont assertives et
malheur qui n'eut jamais l’expression de la dépourvues d’exclamations pourtant typiques de la tonalité pathétique.
d'exemple. Toute ma vie est difficulté à parler Cela nous donne un peu l’impression que Des Grieux parle de façon
destinée à le pleurer. » mécanique, comme s’il était anesthésié par une trop grande douleur.
Grammaire :
« si j'achève en peu de mots un récit qui me tue » = proposition subordonnée conjonctive circonstancielle d’hypothèse
« quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire »= proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de concession
« chaque fois que j'entreprends de l'exprimer » = proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps

- l. à  : Le récit de la mort de Manon


« Nous avions passé », « Je temps du récit : Le passage du présent aux temps du récit au passé signalent que Des
croyais », « je n'osais », « Je - plus que parfait Grieux a enfin trouvé le courage de raconter cet épisode douloureux.
m'aperçus ». - imparfait
- passé simple
« tranquillement », « le isotopie du calme et du La mention de la tranquillité de cette nuit, et l’utilisation du pronom
moindre souffle », « troubler silence personnel « nous » installe un cadre assez serein pour le couple même
son sommeil » si le lecteur devine que cette atmosphère calme et silencieuse est
trompeuse.
« Je croyais », « Je ne pris modalisateurs Les modalisateurs montrent que Des Grieux ne comprend pas tout de
d’abord ce discours que pour suite que Manon est en train de mourir. Ici l’abbé Prévost joue, comme
», « je n’y répondis que par » souvent dans ce roman, du décalage entre le je narré (le personnage Des
Grieux, amoureux de Manon, et loin d’imaginer qu’elle est mourante)
et le je narrant (le narrateur Des Grieux, qui raconte à Renoncour,
quelques mois après les événements, la mort de Manon).
« Souffle », « ses mains », « mon champs lexical du corps Les mots sont inaptes à rendre l’intensité des sentiments éprouvés par
sein », « ses mains » Des Grieux et Manon. Le langage du corps prend le relais du langage
verbal entre les amoureux. Les gestes tendres se substituent aux mots.
« touchant », « froides et
tremblantes », « échauffer », « Elle sens du toucher
sentit », « saisir », « tenir »,
« serrement »
« me dit, d'une voix faible », gradation descendante Manon, mourante, parvient de moins à moins à s’exprimer : ses
« ses soupirs fréquents », quelques rares mots se transforment en soupirs, puis en silence. Cette
« son silence » évolution traduit bien la fin de vie du personnage, que l’on voit sous
nos yeux se vider de son énergie vitale.
« Mais ses soupirs fréquents, énumération d’indices Des Grieux aura toujours eu des difficultés à comprendre Manon, à
son silence à mes corporels élucider le « mystère » Manon : dans ces derniers instants, il finit par
interrogations, le serrement de comprendre, grâce à l’accumulation des indices corporels (soupirs,
ses mains, dans lesquelles elle silence, manière dont elle lui tient la main), ce que Manon est en train
continuait de tenir les d’éprouver.
miennes »
« la fin de ses malheurs euphémisme Il s’agit bien ici de parler de l’agonie et de la mort de Manon, mais il le
approchait ». fait par une formulation euphémistique, qui lui permet de dire
l’indicible.
- l. à  : Le silence et le renoncement de Des Grieux
« N'exigez point de moi que je modalité injonctive Cette adresse à Renoncour peut-elle paraître surprenante dans la mesure
vous décrive mes sentiments, (verbe à l’impératif) où celui-ci n’intervient jamais (ou très peu) dans le récit de Des Grieux.
ni que je vous rapporte ses Elle souligne l’ellipse faite ici par Des Grieux, son silence sur ses «
dernières expressions » prétérition sentiments » et les « dernières expressions » de Manon, et s’apparente à
une prétérition, dans la mesure où elle est, en partie, contredite par la
phrase suivante (« je reçus d’elle... de vous apprendre »)
« Je la perdis ; je reçus d'elle des série de trois proposition Le rythme haché et tranchant des de ces propositions contraste avec le
marques d'amour au moment juxtaposées style habituel de Des Grieux marqué par le lyrisme et une certaine
même qu'elle expirait ; c'est tout aisance à discourir longuement sur le moindre événement. La mort de
ce que j'ai la force de vous euphémisme (« je la Manon est à nouveau exprimée par un euphémisme, ce qui traduit toute
apprendre, de ce fatal et perdis ») la pudeur de Des Grieux, ni ne se complait ici dans un long récit
déplorable événement. » pathétique.
« Mon âme ne suivit pas la périphrase Ici, par cette formulation détournée, Des Grieux s’étonne de ne pas être
sienne » mort, foudroyé par la douleur d’avoir perdu Manon. Sa survie est peut-
« Le Ciel ne me trouva point lexique religieux : être plus douloureuse encore, car il reste seul avec son chagrin. Des
sans doute assez « âme »,« ciel », « puni » Grieux fait intervenir ici l’idée d’une transcendance : avec le recul du
rigoureusement puni. Il a voulu temps, Des Grieux (je narrant) examine ce qu’a été sa vie depuis la
que j'aie traîné, depuis, une vie perte de Manon, et il interprète sa misérable situation comme une
languissante et misérable ». punition divine.
Conclusion :
Le récit que fait Des Grieux à Renoncour de la mort de Manon est fait d’ellipses et de silences. L’excès de douleur se traduit, au-delà
des mots, dans l’incapacité de Des Grieux, d’habitude si éloquent, à exprimer son émotion, et ne trouve d’issue possible que dans la
mort symbolique qu’il s’inflige à lui-même.
Par cette fin tragique, qui « tue » Des Grieux après Manon, Prévost inscrit son couple d’amoureux dans la lignée des amants maudits
qui, de Tristan et Yseut à Roméo et Juliette, traversent l’histoire de la littérature.
Etude linéaire n°6 : Victor Hugo, Notre Dame de Paris, « le sauvetage d’Esmeralda »

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait :

B. Lecture expressive du texte

C. Projet de lecture :

Grands mouvements du texte :

Explication linéaire du texte

Citer Identifier Analyser


« s’était arrêté », passage descriptif À la faveur de l’immobilité soudaine de Quasimodo, le narrateur procède
« semblait » à une description du physique personnage. Le portail de l’église sert ici
de cadre à la description, et met la laideur du personnage en valeur car
« sous le grand portail » compléments elle ressort, par contraste, devant la beauté sacrée de la cathédrale de
«  sur le pavé de circonstanciels de lieu Notre-dame.
l’église »
« pieds », « tête », champ lexical du corps Le narrateur dresse un portrait physique marqué par l’extrême laideur du
« cou », « chevelu », humain associé à des personnage, il s’agit de souligner son physique imposant et disgracieux.
« épaules », « mains », adjectifs épithètes La mention du « gnome » renvoie à l’idée d’un être surnaturel et
« poitrine » +« larges », dévalorisants difforme. La laideur de ce très célèbre personnage inventé par Victor
« grosses », Hugo est restée si célèbre qu’aujourd’hui son nom a valeur
« calleuses », d’antonomase : un « Quasimodo » désigne depuis un être d’une très
« anguleuse » grande laideur.

« œil de gnome » complément du nom

« un être si difforme » périphrase


« semblaient aussi comparaisons Les comparaisons des «pieds» à des «piliers romans» et de la «tête che-
solides (...) que les valorisantes velue» à une «crinière» soulignent la force sculpturale et bestiale de
lourds piliers romans » Quasimodo. Elles permettent de contrebalancer les éléments repoussants
car elles rattachent la puissance physique à des éléments qui ne sont pas
« comme celle des sans noblesse : architecture majestueuse et animal noble.
lions »
« une chose délicate, périphrase et Quasimodo et Esméralda s’opposent aussi bien par leurs actions que par
exquise et précieuse, faite énumération leurs apparences. Il agit de manière héroïque, comme le montrent les
pour d’autres... » verbes d’action alors qu’elle est réduite à la passivité. Il est rustre, elle est
fragile. Le portrait implicite de la jeune fille est celui d’une créature
« comme une draperie comparaison délicate délicate, et précieuse ; cela traduit le caractère exceptionnel que revêt
blanche » Esméralda aux yeux de Quasimodo.
métaphore florale
« faner »
« Il tenait la jeune forte présence du sens La posture respective de ces deux personnages, que tout oppose, est celle
fille », « suspendue à du toucher d’une étreinte : l’omniprésence de termes renvoyant au toucher, au
ses mains calleuses », contact entre ces deux êtres, contient une forme de sensualité.
« il la portait avec tant
de précaution »,
« briser », « faner », « 
faite pour d’autres mains
que les siennes »,
« n’oser la toucher, « il
la serrait avec étreinte
dans ses bras »
« comme son bien, rythme ternaire, triple L’enchainement des trois formules traduit la fascination qu’éprouve
comme son trésor, comparaison et Quasimodo pour la belle Esmeralda : il développe à son contact un
comme eût fait la mère gradation instinct protecteur, qui n’est pas dénué de délicatesse et de tendresse.
de cette enfant »  Tout se passe comme si cet être difforme et brutal était transfiguré par
l’amour.
« l’inondait de énumération
tendresse, de douleur et
de pitié »
« les femmes riaient et antithèse ; utilisation Victro Hugo, pour souligner le caractère insolite du spectacle qui se
pleuraient » d’un terme générique au déroule devant Notre-Dame, un être difforme qui, tenant dans ses bras
pluriel une créature sublime, prend une dimension nouvelle, héroïque,
admirable, nous montre la réaction des spectateurs présents, qui sont pris
entre deux émotions contradictoires (la moquerie cruelle et l’admiration
émue).
« Quasimodo avait polyptote Sous les yeux du public fasciné, Quasimodo s’est métamorphosé, comme
vraiment sa beauté. Il si l’amour l’avait transfiguré et lui permettait d’accéder à une certaine
était beau » beauté.
« cet orphelin, cet enfant gradation Là encore, Victor Hugo souligne le pouvoir de transfiguration de
trouvé, ce rebut » vs l’amour, capable de transformer l’être le plus misérable en une sublime
« il se sentait auguste et + antithèse créature, digne d’être admirée de tous.
fort », « Il était beau »
« cette justice humaine à métaphore animale Dans ce texte, Victor Hugo brosse aussi de la société du XIXe siècle : en
laquelle il avait arraché utilisant la métaphore du prédateur, le romancier fait la satire de cette
sa proie », « tous ces époque où les plus pauvres sont broyés, rejetés. Esmeralda la condamnée
tigres forcés de mâcher à et Quasimodo l’être pauvre et laid ont tous deux été rejetés en marge de
vide » énumération de termes la société («  cette société dont il était banni »), qui semble faite ici de
renvoyant aux fonctions personnages autoritaires, et répressifs.
«  ces sbires, ces juges, autoritaires et
ces bourreaux, toute répressives de la société
cette force du roi »
« un être si difforme », parallélisme de Victor Hugo accentue le processus d’abstraction en faisant de Quasimodo
« un être si construction et d’Esméralda deux symboles : ils sont parfaitement antithètiques et
malheureux » pourtant se retrouvent tous deux dans la marge, dans une relation de
solidarité. Eux d’eux, qui ne sont rien, con,te le monde entier. Cette
« se touchaient », verbes pronominaux allégorie finale constitue l’apothéose de ce récit qui célèbre la grandeur
« s’entr’aidaient » morale des plus faibles dans leur résistance à une oppression injuste.

«les deux misères allégorisation des deux


extrêmes de la nature et personnages
de la société

Conclusion
La poésie du XIXème siècle au XXIème siècle
Etude d'une œuvre intégrale : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1850

Etude linéaire de « L’Ennemi », « Spleen et Idéal », Les Fleurs du Mal

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait :

B. Lecture expressive du texte

C. Annonce du projet de lecture et des grands mouvements du texte :


En quoi le temps qui passe est-il l’ennemi du poète ?
Le sonnet suit une progression chronologique. Une analogie est établie entre les saisons et les étapes d’une vie.

Explication linéaire du texte

1er quatrain : la jeunesse mélancolique et intense du poète


« Ma jeunesse ne fut qu’un métaphore filée climatique Le poète met en place une analogie entre les tourments de ses
ténébreux orage,/ + antithèse (« ténébreux jeunes années et un été orageux : sa jeunesse a été sombre et
Traversé çà et là par de orage »vs « brillants mélancolique, même s’il a y eu quelques moments heureux. Ce
brillants soleils ; » soleils ») rapport en miroir entre le poète et la nature, ainsi que la tonalité
lyrique rappelle que Baudelaire est l’héritier du Romantisme.
« orage », « soleil », champs lexical des
« tonnerre », « pluie » intempéries climatiques NB : la génération romantique voyait dans la violence des
paysages tourmentés (comme la frénésie d’une tempête ou la
« ma jeunesse », « mon forte présence P1 : tonalité tristesse d’un désert) le reflet de leur propre âme, incomprise de
jardin », « j’ai touché », « je lyrique leurs semblables.
rêve »
« ne fut », « ont fait » vs « il passage des temps du passé Sa jeunesse est désormais derrière lui : Baudelaire endosse dans
ne reste » (passé simple puis passé ce poème l’ethos du vieillard, ce qui est très exagéré puisqu’il est
composé) au présent trentenaire quand les FDM sont publiées pour la 1e fois : cela lui
permet une parole de sagesse.
« ne...que » négation restrictive La jeunesse du poète est décevante (« ne...que ») et marquée par
l’ambivalence (ombre et lumière) : on retrouve ici l’opposition
« ténébreux »/ « brillant », antithèses et doublons constitutive du recueil entre le Spleen et l’Idéal. Tout jeune déjà,
« orage »/ « soleil » ; « ça et là » il subissait ce tiraillement entre l’aspiration à l’Idéal et la tristesse
de son quotidien.
« orage »/ « soleil »/ « ravage  rimes croisées
»/ « vermeil »
« un tel ravage, métaphore du jardin Une deuxième métaphore filée est tissée avec celle des saisons :
Qu’il reste en mon jardin bien la vie du poète est un jardin, dont il serait le jardinier. Les
peu de fruits vermeils ». malheurs et les errances de sa jeunesse sont comparés à une pluie
qui aurait appauvri le sol : loin d’être une richesse, ces
expériences ont en partie détruit toute sa capacité créative.
2e quatrain : l’âge mur : le temps du bilan
« l’automne des idées », reprise de la double Le poète est maintenant au seuil de la mort (l’automne précède
«  la pelle et les râteaux » métaphore : l’hiver, la fin de vie), il est temps maintenant qu’il s’attelle la
- les âges de la vie sont des tâche de faire le bilan de sa vie, d’en tirer quelque chose, d’où la
saisons références aux outils de jardinage. Ces derniers renvoient aussi à
- le poète est un jardinier la dimension très concrète du travail poétique : c’est un labeur,
qui nécessite des efforts – ont est loin ici du cliché du poète
inspiré presque magiquement par la muse.
« Voilà que j’ai touché » présentatif « voilà » Le passé composé souligne que le temps a passé, il n’y a pas de
+utilisation du passé retour possible, le temps est révolu définitivement.
composé
« des trous grands comme des comparaison macabre L’eau est à nouveau évoquée non comme une source de vie mais
tombeaux » bien comme une puissance destructrice : les trous sont aussi ceux
de la mémoire : le temps a eu des conséquences désastreuses sur
+ le cerveau du poète. Le passage du temps et son action
« pelle », « terres », gradation évocatrice de destructrice constituent un topos de la poésie (voir par exemple
« creuse », « trous », l’inhumation « Mignonne allons voir si la rose » de Ronsard ou « Une
« tombeaux » Charogne » de Baudelaire) : on retrouve dans ces 3 poèmes
l’image de la nature pour évoquer le temps qui passe (une rose/un
cadavre d’animal/un jardin).
1er tercet : espoir d’un renouveau poétique ?
« Et qui sait si (...) ? » proposition interrogative Le poète manifeste ici son inquiétude : l’inspiration viendra-t-
directe elle ? Parviendra-t-il à écrire Les Fleurs du Mal ?
« les fleurs nouvelles que je métaphore filée du poète Les fleurs sont ici une référence aux poèmes qui constitueront le
rêve » jardinier recueil des Fleurs du Mal. Le poète se projette dans l’avenir, il y
a là une promesse d’espoir pour un poète qui se tourne vers
« trouveront » connotations positives des l’avenir et envisage un avenir prometteur de création poétique.
mots « fleurs » et « rêve »
+ emploi du futur
« sol lavé comme une grève » comparaison Le poète reprend ici l’ image de l’eau mais dans une perspective
plus positive (le terme « lavé » est valorisant) : l’eau va permettre
« lavé », « vigueur » connotations positives une purification, un renouveau, une sorte de renaissance, comme
pour un baptême à l’aube d’une nouvelle vie.
« vermeil », « vigueur », champs lexical de la vitalité Le poème tout entier évoque l’idée de germination, de venue au
« vie », « coeur, « croit », et de la germination monde des plantes auxquelles le poète consacre tous ses soins : la
« fortifie » sonorité en [v] qui parcourt le texte semble donner à entendre le
bruit de frottement que pourrait faire en poussant ces fleurs tant
« ravage », « vermeille », allitération en [v] attendues.
« rêve », « vie », « vigueur »,
« nouvelles », « lavé »,
« grève »
2e tercet : le constat implacable : le Temps détruit la vie des hommes
« Ô douleur ! ô douleur ! » Ô vocatif Mettant fin à l’optimisme de la strophe précédente, le poète
+ répétition exprime une lamentation soulignant sa désolation son désespoir.

« Le Temps mange la vie » allégorie Le poète semble ici prononcer une sentence, une vérité générale
+ présent de vérité générale sur la condition humaine qui est vouée à subir la destruction du
« nous ronge », « nous temps qui passe. Le poète ne parle plus seulement de lui-même :
perdons » passage de P1 à P4 en employant le « nous », il évoque le genre humain tout entier.
« l’obscur Ennemi » Personnification + périphrase Tel une créature vampirique vorace, le Temps ne tire son énergie
métaphore vampirique vitale que de celle qu’il retire à autrui. On a coutume d’associer
« fruit », « aliment », Baudelaire au Romantisme noir, génération fascinée par les
« ronge », « mange », « sang » champ lexical de la romans gothiques et les récits d’épouvante (NB : Baudelaire
nourriture traducteur d’Edgar Poe) ; d’ailleurs l’une des pièces condamnées
s’intitule « Les métamorphoses du vampire ».

Conclusion :

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