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Liste épreuve orale anticipée de français – Voie générale

Nom et Prénom : Chtourou Halima N° d’inscription : 02047356392

PREMIÈRE PARTIE DE L'ORAL – L'EXPOSÉ

La littérature d'idées du XVIème siècle au XVIIIème siècle


Fables (livres VII à XI) Texte 1 : Les Deux Coqs
Jean de La Texte 2 : l’huitre et les plaideurs
Texte 3 :Le coche et la mouche
Fontaine
Imagination et pensée au Texte 4 : L’abbaye de Thélème, Rabelais, Gargantua
XVIIème siècle Texte 5 : Le nègre de Surinam, Voltaire, Candide

Candide, Voltaire

La poésie du XIXème siècle au XXIème siècle


Les Fleurs du Mal Texte1 :Parfum exotique
Baudelaire Texte 2 Une Charogne
Texte 3 : Recueillement
Alchimie poétique : La boue
et l’or
Paroles, Jacques Prévert

Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIème siècle


La Princesse de Clèves Texte 1 : extrait de la première partie, p43
Madame de Lafayette Texte 2 : extrait de la quatrième partie, p176
Texte 3 : extrait de la quatrième partie, p

Individu, morale et société

L’Etranger, Albert Camus

Le théâtre du XVIIème siècle au XXIème siècle


Le Malade imaginaire Texte 1 : Acte 1, scène 5, (extrait)
Molière Texte 2 : Acte 2, scène 8, (extrait)
Texte 3 : Acte 3, scène 14, (extrait)
Spectacle et comédie

Le mariage de Figaro, Beaumarchais


Je proposerai l'œuvre suivante :L’Étranger, Albert Camus
La littérature d'idées
du XVIème siècle au
XVIIIème siècle
• Œuvre intégrale : Les Fables

Les deux Coqs


Deux coqs vivaient en paix : une poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ; et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint.
Longtemps entre nos coqs le combat se maintint.
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage,
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d'une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur. Le vaincu disparut:
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu'un rival, tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage;
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,
Et, s'exerçant contre les vents,
S'armait d'une jalouse rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.
Un vautour entendit sa voix :
Adieu les amours et la gloire;
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du vautour
Enfin, par un fatal retour
Son rival autour de la poule
S'en revint faire le coquet :
Je laisse à penser quel caquet ;
Car il eut des femmes en foule.

La fortune se plaît à faire de ces coups;


Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du Sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une bataille.

Jean de La Fontaine, Les Fables


L'huître et les plaideurs
Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser la proie ;
L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
- Si par là on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
- Hé bien ! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie. »
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin1 arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge2,
Nos deux Messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;


Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles3.

Jean de la Fontaine - Les Fables


Le Coche et la Mouche

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,


Et de tous les côtés au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.
Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu.
L'attelage suait, soufflait, était rendu.
Une Mouche survient, et des chevaux s'approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,
S'assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ça, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,


S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

Jean de la Fontaine - Les Fables


• Textes du parcours :
L’abbaye de Thélème
Toute leur vie était dirigée non par les lois, des statuts ou des règles, mais se-
lon leur volonté et leur libre-arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait,
buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul
ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce
soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause :
FAIS CE QUE VOUDRAS
car des gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en honnête compagnie, ont par
nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et les éloigne
du vice ; c’est ce qu’ils nommaient l’honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et
asservis par une vile sujétion ou une contrainte, se détournent de la noble passion
par laquelle ils tendaient librement à la
vertu, afin de démettre et d’enfreindre ce joug de servitude ; car nous
entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est refusé.
Grâce à cette liberté, ils entrèrent en une louable émulation pour faire tous ce
qu’ils voyaient plaire à un seul. Si l’un ou l’une disait : « Buvons », tous bu-
vaient. S’il disait : « Jouons », tous jouaient. S’il disait : « Allons nous ébattre
dans les champs », tous y allaient. Si c’était pour chasser au vol ou à la courre,
les dames, montées sur de belles haquenées, avec leur palefroi richement harna-
ché, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, ou un lanier,
ou un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient tant noblement instruits qu’il n’y avait parmi eux personne qui ne sût
lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et
en celles-ci composer, tant en vers qu’en prose. Jamais ne furent vus chevaliers
si preux, si nobles, si habiles à pied et à cheval, plus vigoureux, mieux remuant,
maniant mieux toutes les armes. Jamais ne
furent vues dames si élégants, si mignonnes, moins fâcheuses, plus doctes à la
main, à l’aiguille, à tous les actes féminins honnêtes et libres, qu’étaient celles-
là. Pour cette raison, quand le temps était venu pour l’un des habitants de cette
abbaye d’en sortir, soit à la demande de ses parents, ou pour une autre cause, il
emmenait un des dames, celle qui l’aurait pris pour son dévot, et ils étaient ma-
riés ensemble ; et ils avaient si bien vécu à Thélème en dévotion et amitié, qu’ils
continuaient d’autant mieux dans le mariage ; aussi s’aimaient-ils à la fin de leurs
jours comme au premier de leurs noces.

François Rabelais, Gargantua


Le nègre de Surinam
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant
plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il
manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
« Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans
l'état horrible où je te vois ?
- J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le
nègre.
- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?
- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile
pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et
que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons
nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est
à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me
vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher
enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as
l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune
de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils
n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois
moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me
disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et
noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous
sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas
en user avec ses parents d'une manière plus horrible.
-O Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ;
c’en est fait, il faudra qu’a la fin je renonce a ton optimisme.
-Qu’est-ce qu’optimisme ! disait Cacambo
-Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on
est mal. »
Et il versait des larmes en regardant son nègre; et en pleurant, il entra
dans Surinam.

Voltaire, Candide
La poésie du
XIXème siècle au
XXIème siècle
• Œuvre intégrale : Les Fleurs du Mal

Parfum Exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,


Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal


Une Charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,


Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,


D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,


Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,


Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète


Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,


Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal


Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.


Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,


Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,


Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,


Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal


Le roman et le récit
du Moyen Âge au
XXIème siècle
• Œuvre intégrale : La Princesse de Clèves
• Textes analytiques :

Extrait de la première partie, p.43


Il parut alors une beauté à la cour qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit
croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu
où on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que
le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort
jeune, et l’avait laissée sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien,
la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé
plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins
à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa
beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart
des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes
personnes pour les en éloigner ; Mme de Chartres avait une opinion opposée : elle
faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable,
pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui
contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leurs infidélités ; les
malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d’un autre
côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait
d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle
lui faisait voir aussi qu’elle ne pouvait conserver cette vertu que par une extrême
défiance de soi-même, et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le
bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ; et, quoiqu’elle
fût dans une extrême jeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Mme de
Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la
voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour.
Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au-devant d’elle : il fut surpris de la grande beauté
de Mlle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses
cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits
étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâces et de charmes.

Madame de Lafayette, La Princesse De Clèves


Extrait de la quatrième partie, p.176

Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière pour empêcher
qu’on ne pût entrer ; en sorte qu’il était assez difficile de se faire passage. M. de
Nemours en vint à bout néanmoins.
Sitôt qu’il fut dans le jardin, il n’eut pas de peine à démêler où était Mme de
Clèves ; il vit beaucoup de lumières dans le cabinet : toutes les fenêtres en étaient
ouvertes, et, en se glissant le long des palissades, il s’en approcha avec un trouble
et une émotion qu’il est aisé de se représenter.
Il se rangea derrière une des fenêtres qui servait de porte, pour voir ce que faisait
Mme de Clèves. Il vit qu’elle était seule ; mais il la vit d’une si admirable beauté,
qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue.
Il faisait chaud et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge que ses cheveux
confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle,
où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans : elle en choisit quelques-uns,
et M. de Nemours remarqua que c’était des mêmes couleurs qu’il avait portées
au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort
extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps, et qu’il avait donnée à sa sœur,
à qui Mme de Clèves l’avait prise, sans faire semblant de la reconnaître pour avoir
été à M. de Nemours.
Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur qui
répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un
flambeau et s’en alla proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de
Metz, où était le portrait de M. de Nemours : elle s’assit, et se mit à regarder ce
portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
On ne peut exprimer ce que sentit M. de Nemours dans ce moment. Voir, au
milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait, la
voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient
du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais été goûté
ni imaginé par nul autre amant.

Madame de Lafayette, La Princesse De Clèves


Extrait de la quatrième partie, p.176

« Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher. Il y en a peu à qui
vous ne plaisiez, mon expérience me ferait croire qu'il n'y en a point à qui vous ne puissiez
plaire. Je vous croirais toujours amoureux et aimé et je ne me tromperais pas souvent. Dans
cet état néanmoins, je n'aurais d'autre parti à prendre que celui de la souffrance, je ne sais
même si j'oserais me plaindre. On fait des reproches à un amant, mais en fait-on à un mari,
quand on n'a qu'à lui reprocher de n'avoir plus d'amour ? Quand je pourrais m'accoutumer à
cette sorte de malheur, pourrais-je m'accoutumer à celui de croire voir toujours M. de Clèves
vous accuser de sa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire
sentir la différence de son attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer
par-dessus des raisons si fortes, il faut que je demeure dans l'état où je suis et dans les
résolutions que j'ai prises de n'en sortir jamais.
— Hé ! croyez-vous le pouvoir, madame ? s'écria M. de Nemours. Pensez-vous que
vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore et qui est assez heureux pour vous
plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plaît et à
ce qui nous aime. Vous l'avez fait par une vertu austère, qui n'a presque point d'exemple,
mais cette vertu ne s'oppose plus à vos sentiments et j'espère que vous les suivrez malgré
vous.
— Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua
Mme de Clèves, je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir
à la mémoire de M. de Clèves serait faible, s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos, et
les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir. Mais, quoique
je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules, et je n'espère pas
aussi de surmonter l'inclination que j'ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me
priverai de votre vue, quelque violence qu'il m'en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir
que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait
des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance
interdit tout commerce entre nous.
M. de Nemours se jeta à ses pieds et s'abandonna à tous les divers mouvements dont il était
agité. Il lui fit voir, et par ses paroles, et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion
dont un cœur ait jamais été touché. Celui de Mme de Clèves n'était plus insensible et,
regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les larmes :
— Pourquoi faut-il, s'écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M. de
Clèves ? Que n'ai-je commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne
vous ai-je pas connu devant que d'être engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par
un obstacle si invincible ? »

Madame de Lafayette , La Princesse de Clèves ,1678 ( 4ème partie )


.
Le théâtre du
XVIIème siècle au
XXIème siècle
Œuvre intégrale : Le Malade imaginaire
Extrait de l’acte 1, scène 5
TOINETTE
Mon Dieu, je vous connais, vous êtes bon naturellement.
ARGAN, avec emportement.
Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux!
TOINETTE
Doucement, monsieur. Vous ne songez pas que vous êtes malade.
ARGAN
Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je
dis.
TOINETTE
Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien.
ARGAN
Où est-ce donc que nous sommes? et quelle audace est-ce là, à une
coquine de servante, de parler de la sorte devant son maitre?
TOINETTE
Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée
est en droit de le redresser.
ARGAN court après Toinette.
Ah! insolente! il faut que je t'assomme!
TOINETTE se sauve de lui.
Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent
déshonorer.
ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la
main.
Viens, viens, que je t'apprenne à parler!
TOINETTE, courant et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas
Argan.
Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
ARGAN
Chienne!
TOINETTE
Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
ARGAN
Pendarde!
TOINETTE
Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.
ARGAN
Carogne!
TOINETTE
Et elle m'obéira plutôt qu'à vous.
ARGAN
Angélique, tu ne veux pas m'arrêter cette coquine-là?
ANGELIQUE
Eh! mon père, ne vous faites point malade.
ARGAN
Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction.
TOINETTE
Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.
ARGAN se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle. Ah! ah!
je n'en puis plus! Voilà pour me faire mourir!

Molière, Le Malade imaginaire


Extrait de l’acte I1 scène 8 ,
ARGAN
Et n'avez-vous rien vu aujourd'hui?
LOUISON
Non, mon papa.
ARGAN
Non?
LOUISON
Non, mon papa.
ARGAN
Assurément?
LOUISON
Assurément.
ARGAN
Oh çà, je m'en vais vous faire voir quelque chose, moi.
(Il va prendre une poignée de verges.)
LOUISON
Ah! mon papa!
ARGAN
Ah! ah! petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un
homme dans la chambre de votre
soeur!
LOUISON
Mon papa!
ARGAN
Voici qui vous apprendra à mentir.
LOUISON se jette à genoux.
Ah! mon papa, je vous demande pardon. C'est que ma soeur m'avait dit
de ne pas vous le dire; mais
je m'en vais vous dire tout.
ARGAN
Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis,
après, nous verrons au reste.
LOUISON
Pardon, mon papa.
ARGAN
Non, non.
LOUISON
Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet.
ARGAN
Vous l'aurez.
LOUISON
Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l'aie pas!
ARGAN, la prenant pour la fouetter.
Allons, allons.
LOUISON
Ah! mon papa, vous m'avez blessée. Attendez: je suis morte.
(Elle contrefait la morte.)
ARGAN
Holà! Qu'est-ce là? Louison, Louison! Ah! mon Dieu! Louison! Ah!
ma fille! Ah! malheureux! ma
pauvre fille est morte! Qu'ai-je fait, misérable! Ah! chiennes de
verges! La peste soit des verges! Ah!
ma pauvre fille, ma pauvre petite Louison!
LOUISON
Là, là, mon papa, ne pleurez point tant: je ne suis pas morte tout à fait.
ARGAN
Voyez-vous la petite rusée? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette
fois-ci, pourvu que vous me
disiez bien tout.
LOUISON
Oh! oui, mon papa.
ARGAN
Prenez-y bien garde, au moins; car voilà un petit doigt qui sait tout, et
qui me dira si vous mentez.
LOUISON
Mais, mon papa, ne dites pas à ma soeur que je vous l'ai dit.
ARGAN
Non, non.
LOUISON
C'est, mon papa, qu'il est venu un homme dans la chambre de ma soeur
comme j'y étais.
ARGAN
Eh bien?
LOUISON
Je lui ai demandé ce qu'il demandait, et il m'a dit qu'il était son maître
à chanter.
ARGAN
Hom! hom! voilà l'affaire. Eh bien?
LOUISON
Ma soeur est venue après.
ARGAN
Eh bien?
LOUISON
Elle lui a dit: "Sortez, sortez, sortez! Mon Dieu, sortez; vous me
mettez au désespoir!"
ARGAN
Eh bien?
LOUISON
Et lui, il ne voulait pas sortir.
ARGAN
Qu'est-ce qu'il lui disait?
LOUISON
Il lui disait je ne sais combien de choses.
ARGAN
Et quoi encore?
LOUISON
Il lui disait tout ci, tout çà, qu'il l'aimait bien, et qu'elle était la plus
belle du monde.
ARGAN
Et puis après?
LOUISON
Et puis après, il se mettait à genoux devant elle.
ARGAN
Et puis après?
LOUISON
Et puis après, il lui baisait les mains.
ARGAN
Et puis après?
LOUISON
Et puis après, ma belle-maman est venue à la porte, et il s'est enfui.
ARGAN
Il n'y a point autre chose?
LOUISON
Non, mon papa.
ARGAN
Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. (Il met son
doigt à son oreille.) Attendez. Eh!
Ah! ah! Oui? Oh! oh! Voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose
que vous avez vu, et que vous ne
m'avez pas dit.
LOUISON
Ah! mon papa, votre petit doigt est un menteur.
ARGAN
Prenez garde.
LOUISON
Non, mon papa, ne le croyez pas: il ment, je vous assure.
ARGAN
Oh bien, bien, nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à
tout: allez. Ah! il n'y a plus
d'enfants! Ah! que d'affaires! Je n'ai pas seulement le loisir de songer à
ma maladie. En vérité, je n'en
puis plus. Il se remet dans sa chaise

Molière, Le Malade imaginaire


Extrait de l’acte 3 scène 8
TOINETTE
Monsieur, serez-vous insensible à tant d'amour?
ARGAN
Qu'il se fasse médecin, je consens au mariage. (A Cléante.) Oui,
faitesvous médecin, je vous donne ma fille.
CLEANTE
Très volontiers, monsieur. S'il ne tient qu'à cela pour être votre gendre,
je
me ferai médecin, apothicaire même si vous voulez. Ce n'est pas une
affaire que cela, et je ferais bien d'autres choses pour obtenir la belle
Angélique.
BERALDE
Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin
vousmême. La commodité sera encore plus grande, d'avoir en vous
tout ce
qu'il vous faut.
TOINETTE
Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt; et il n'y a
point
de maladie si osée que de se jouer à la personne d'un médecin.
ARGAN
Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis
en
âge d'étudier?
BERALDE
Bon, étudier! Vous êtes assez savant; et il y en a beaucoup parmi eux
qui
ne sont pas plus habiles que vous.
ARGAN
Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies et les
remèdes
qu'il y faut faire.
BERALDE
En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela;
et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.
ARGAN
Quoi! l'on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là?
BERALDE
Oui. L'on n'a qu'à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias
devient savant, et toute sottise devient raison.
TOINETTE
Tenez, monsieur, quand il n'y aurait que votre barbe, c'est déjà
beaucoup; et la barbe fait plus de la moitié d'un médecin.
CLEANTE
En tout cas, je suis prêt à tout.
BERALDE
Voulez-vous que l'affaire se fasse tout à l'heure?
ARGAN
Comment, tout à l'heure?
BERALDE
Oui, et dans votre maison.
ARGAN
Dans ma maison?
BERALDE
Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l'heure en
faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.
ARGAN
Mais moi, que dire? que répondre?
BERALDE
On vous instruira en deux mots, et l'on vous donnera par écrit ce que
vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent. Je vais les
envoyer quérir.
ARGAN
Allons, voyons cela.
CLEANTE
Que voulez-vous dire? et qu'entendez-vous avec cette Faculté de vos
amies?
TOINETTE
Quel est votre dessein?
BERALDE
De vous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit
intermède
de la réception d'un médecin, avec des danses et de la musique; je veux
que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y
fasse le premier personnage.
ANGELIQUE
Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup
de
mon père.
BERALDE
Mais, ma nièce, ce n'est pas tant le jouer que s'accommoder à ses
fantaisies. Tout ceci n'est qu'entre nous. Nous y pouvons aussi prendre
chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux
autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.
CLEANTE, à Angélique.
Y consentez-vous?
ANGELIQUE
Oui, puisque mon oncle nous conduit.

Molière, Le Malade imaginaire

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