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Le « défi » que me proposa monsieur Saito consistait à accepter l'invitation d'un certain Adam
Johnson à jouer au golf avec lui, le dimanche suivant. Il fallait que j'écrive une lettre en
anglais à ce monsieur pour le lui signifier.
– Qui est Adam Johnson ? eus-je la sottise de demander.
Mon supérieur soupira avec exaspération et ne répondit pas. Était-il aberrant d'ignorer qui
était monsieur Johnson, ou alors ma question était-elle indiscrète ? Je ne le sus jamais – et ne
sus jamais qui était Adam Johnson.
Je suis dans ma chambre, à ma petite table devant la fenêtre. Je trace des mots avec ma plume
trempée dans l’encre rouge… je vois bien qu’ils ne sont pas pareils aux vrais mots des
livres… ils sont comme déformés, comme un peu infirmes… En voici un tout vacillant, mal
assuré, je dois le placer… ici peut-être… non, là… mais je me demande… j’ai dû me
tromper… il n’a pas l’air de bien s’accorder avec les autres, ces mots qui vivent ailleurs… j’ai
été les chercher loin de chez moi et je les ai ramenés ici, mais je ne sais pas ce qui est bon
pour eux, je ne connais pas leurs habitudes…
Ésope (VIIe-VIe siècles avant J.-C.), Fables, adapté du grec par Michelle Busseron.
Pangloss était l’oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne
foi de son âge et de son caractère. [...]
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour
une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits
pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement
instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour
être taillées et pour en faire des châteaux ; aussi monseigneur a un très beau château.
La bosse de son front s'était allongée ; son regard était fixe, il ne semblait plus me voir. Ou
plutôt si, il me voyait très bien car il fonça vers moi, tête baissée. J'eus à peine le temps de
faire un saut de côté, autrement il m'aurait cloué au mur.
– Vous êtes rhinocéros ! criai-je.
– Je te piétinerai ! Je te piétinerai ! pus-je encore comprendre en me précipitant vers la porte.
Je descendis les étages quatre à quatre, tandis que les murs s'ébranlaient sous ses coups de
corne et que je l'entendais pousser d'effroyables barrissements rageurs.
– Appelez la police ! Appelez la police ! Vous avez un rhinocéros dans l'immeuble !
On dirait un terrain vague et sale, marécageux, à proximité d’une ville, et sur lequel celle-ci
aurait déversé pendant des années, régulièrement, sans laisser de place vide, ses décombres,
ses gravats, ses matériaux de démolition et ses vieux ustensiles : une couche uniforme
d’ordures et de débris parmi laquelle on plonge et on avance avec beaucoup de difficultés et
de lenteur. Le bombardement a tellement modifié les choses qu’il a détourné le cours du
ruisseau du moulin et que le ruisseau court au hasard et forme un étang sur le reste de la petite
place où il y avait la croix.
Beaucoup parmi les gens de la résistance passent la plupart de leur temps dans les trains. On
ne peut rien confier au téléphone, au télégraphe, aux lettres. Tout courrier doit être porté.
Toute confidence, tout contact exigent un déplacement. Et il y a les distributions d’armes, de
journaux, de postes émetteurs, de matériel de sabotage. Ce qui explique la nécessité d’une
armée d’agents de liaison qui tournent à travers la France comme des chevaux de manège. Ce
qui explique aussi les coups terribles qui les atteignent. L’ennemi sait aussi bien que nous
l’obligation où nous sommes de voyager sans cesse.
Joseph Kessel, L’Armée des ombres (1943) © Succession Kessel – Irish Red Cross
Society.
Étienne Virgil savait qu’il était en train de faire une chose tout à fait déraisonnable. Pendant
l’heure passée à réfléchir en fixant le plafond de sa chambre, une tempête de force 8 s’était
déchaînée dans son cerveau bouleversé. « Depuis quarante ans, s’était-il dit, j’écris des
romans, des fictions, et pour les écrire, je fais semblant d’y croire. J’ai gagné ma vie,
petitement, mais je l’ai gagnée, à inventer des histoires parfaitement invraisemblables : j’ai
réveillé des morts, j’ai inventé des créatures mi-hommes mi-bêtes, j’ai fait léviter des
personnes humaines, j’ai ouvert des portes sur d’autres mondes, des mondes qui n’existaient
pas.
Je ne sais vraiment pas pourquoi je me suis tellement énervé, ni ce que je fais dans ce Jet qui
vole vers New York avec Algernon dans une boîte à chaussures sous mon siège. Il ne faut pas
que je m’affole. L’erreur ne signifie pas forcément que ce soit grave. Simplement que le
résultat n’est pas aussi assuré que le croyait Nemur. Mais où vais-je maintenant ?
Il faut d’abord que je voie mes parents. Dès que je le pourrai.
Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, traduit de l’américain par Georges H. Gallet
© J’ai Lu.