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CÉLINE
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LA BIBLIOTHEQUE IDEALE

Volumes déjà publiés :

CLAUDEL par Stanislas Fumet.


SAINT-EXUPÉRY par Pierre Chevrier,
avec la collaboration
de Michel Quesnel.
LÉAUTAUD par Marie Dormoy.
MICHAUX par Robert Bréchon.
CAMUS par Jean-Claude Brisville.
MONTHERLANT par Henri Perruchot.
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LA B I B L I O T H E Q U E I D E A L E
Collection dirigée par Robert Mallet

CÉLINE
par
Marc Hanrez

GALLIM A R D
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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation


réservés pour tous les pays, y compris l' U.R.S.S.
© 1961, Éditions Gallimard.
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A Jerry David
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L'homme
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COUP D'ŒIL

Dans un coin de la grotte Denoël — il y a vingt ans


de ça, — j'aperçus donc un grand diable au visage
fermé, à la lippe méprisante, accoutré comme un
bistrot en vacances. C'était le docteur Louis Destou-
ches,...
Robert Poulet,
Entretiens familiers avec L.-F. Céline, p. 31.

BARDAMU EN EXIL

Mes premières impressions... Céline a l'air de souf-


frir d'arthrite ou d'une sorte de mal de Parkinson. Je
n'aurais pu m'en douter, naturellement, à ne voir
que ses photos. Il boite un peu et me dit qu'il est
terriblement malade, usé, accablé de soucis et qu'il
ne peut pas dormir.
Milton Hindus,
L.-F. Céline tel que je l'ai vu, p. 19.

Pourquoi personne ne m'a-t-il jamais dit qu'il par-


lait l'anglais avec un accent presque aussi pur que si
c'était sa langue maternelle? Cette quasi-perfection
dénote un don des langues peu commun et une oreille
infiniment délicate. Seules, quelques voyelles — telles
e o de grocer, par exemple — le trahissent.
Ibid., p. 20.

Il y a quelque chose de presque féminin dans cer-


tains de ses traits et, bien que je ne sois pas très obser-
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vateur, il me semble avoir les joues légèrement bouf-


fies — ce qui mettrait un terme à la querelle sur
l'authenticité du texte où Hamlet est appelé « gros »
par sa mère. Certains érudits soutiennent que cette
épithète est une faute d'impression. Hamlet gros! Les
termes semblent se contredire. Mais si Céline est gros,
n'importe qui peut l'être également, Hamlet autant
qu'un autre. Nul tempérament ne me semble moins
incliné à la paresse que le sien.
Ibid., p. 22.

Sa physionomie, morose d'ordinaire, s'éclaire toutes


les fois qu'il voit un enfant, et il en voit partout. Il
s'arrête pour les admirer et les montrer à sa femme.
Son sourire est alors plein de bonté; il nous désigne
une fillette aux cheveux blond filasse (comme tout
le monde ici : les gens sont si blonds que le châtain
clair y apparaît presque négroïde). Avec ses joues
rouges, elle a l'air d'un bourgmestre de Franz Hals en
miniature.
Ibid., p. 23

Sa main droite, lorsqu'il me la tend, semble en par-


tie paralysée (à la suite de blessures reçues pendant la
guerre de 14). Quelques-uns de ses doigts sont raides.
Il a aussi un œil moins ouvert que l'autre. La paupière
de l'œil droit tombe un peu plus bas que celle de l'œil
gauche.
A l'endroit où il a été trépané, il porte une plaque
d'acier, qui provoque toutes sortes de bruits dans sa
tête. Aussi lui arrive-t-il de ne pas dormir pendant
quatre nuits de suite. Il est, sans aucun doute, dans
un triste état et il a plus d'excuses que la plupart des
autres.
Ses yeux bretons sont d'un bleu étonnant. Le père
de Céline avait voulu être capitaine de vaisseau,
comme ses ancêtres, mais il avait fini petit employé de
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bureau, à Paris. Peut-être toute cette fureur ivre de se


dépenser jaillit-elle de là.
Ibid., pp. 26-27.

Céline a des narines délicates et de beaux cheveux


longs, deux signes évidents d'aristocratie. Son regard
a parfois de la bonté, mais il en est de lui comme de
son chat dont je faisais remarquer un jour la douceur :
« Il n'est pas toujours ainsi! » m'avait-il répondu.
Ibid., p. 40.

Bébert, son chat, qu'il appelle « la bête », dort sur la


table où il écrit et lorsque M... entre dans la pièce, ils
parlent tous deux à voix basse pour ne pas le réveil-
ler.
Ibid., p. 55.

L'ENFANT PRODIGUE

Un pavillon Louis-Philippe, de guingois sur la molle


pente du Bas-Meudon. Le coup de sonnette fait surgir
de terre une meute hurlante, qui dévale jusqu'à
l'insolite réseau de barbelés. Un vieux jardinier, qui
était en train de charrier du fumier, s'approche en
vomissant d'effroyables injures à l'adresse des molos-
ses. Combien de chiens y a-t-il? Six? Dix?... Le plus
petit a la taille d'un saint-bernard. Telle est l'atmo-
sphère de la maison : on s'égosille, on menace de tout
dévorer ; au fond, on est bon comme le pain, généreux
comme une fontaine publique.
Le jardinier supposé s'emmitoufle dans une houppe-
lande crasseuse, de laquelle émerge un visage creusé,
d'anachorète fatigué, où la bouche douloureuse
contraste avec les yeux à demi fermés que traverse
parfois une flamme dure. C'est le docteur Destouches,
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plus connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline,


auteur du plus saisissant coup de théâtre littéraire de
l'entre-deux-guerres, créateur de ce Bardamu auquel
il ressemble à s'y méprendre, avec peut-être encore
plus de débraillé, de grossièreté, de misanthropie
pittoresque — et d'invincible candeur.
Robert Poulet,
Entretiens familiers avec L.-F. Céline, p. 1.

Ce jour-là, et lors de nos rencontres suivantes, il


paraît très fatigué. Je le retrouve pareil à ce qu'il fut
en 1952-55, peu après son retour du Danemark, alors
qu'on se demandait avec angoisse s'il vivrait encore
six mois. Du moins ne lui voit-on pas à présent cette
excitation saisissante et inquiétante qui le prenait à
cette époque, quand on évoquait devant lui l'un des
griefs qu'il dévorait. Tranquille, les mains basses, le
souffle court, il doit prendre son courage à deux
mains pour répondre seulement par oui ou par non
aux questions les moins insidieuses. Même une gri-
mace de souffrance traverse son visage, parce que,
sur certains points, je reviens à la charge.
Il se peut que le manque de nouvelles récentes
concernant l'accueil fait à D'un château l'autre — durant
quelques semaines, le succès a hésité avant de s'affir-
mer avec éclat — soit pour quelque chose dans la
mauvaise humeur ou dans la mauvaise santé de
Céline. En tout cas le voici bien éteint, taciturne, la
bouche pleine de soupirs, les reins lourds. Sa femme
me dit qu'il ne mange vraiment plus rien, de peur
de faire monter sa tension. Ne dormant guère, et
vidé en outre par son travail quotidien, où il se donne
tout entier, suant et fébrile comme un bûcheron au
coucher du soleil, il n'a « pas plus de force qu 'un
enfant ».
Ibid., p. 64.
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Sa face, de plus en plus sculptée, travaillée par la


souffrance. L'œil gauche, la paupière basse, la pru-
nelle éteinte, une impression d'accablement et de
noblesse, un calme de martyr qui économise ses der-
nières forces. L'œil droit, ouvert, brûlant, perçant,
dur... Un côté de raillerie, d'enfantillage; le côté
peuple. Là veille l'observateur narquois, le gamin de
Paris; l'adversaire : dans l'œil droit... Tandis que dans
l'œil gauche loge l'honnête homme douloureusement
étonné. Il a voulu dire à ses semblables quelque chose
d'utile et d'urgent; ils l'ont meurtri; il n'a pas com-
pris pourquoi. Mais dans l'œil droit persiste une force
irrésistible... Un nez dissymétrique dans le haut;
s'attache plus haut à gauche qu'à droite, par une sorte
de pont. Peut-être une trace de la trépanation...
Aujourd'hui l'ensemble de tous ces signes, le phé-
nomène Céline, me paraît détendu, méthodique, docile
avenant. Un sourire rentré, 'comme une mondaine,
qui fait l'enfant. Un rien de coquetterie. Pour la
première fois, j'aperçois le fond sensuel, sous l'ironie,
sous l'ennui et la fatigue. Justement mon interlocuteur
me dit que l'artiste doit être un grand sensuel, mais
qui se contraint, qui dévie héroïquement le courant :
— ... C'est pour cela, ajoute-t-il, que les femmes
réussissent mal dans la littérature, sauf exceptions
rarissimes. Elles manquent de tempérament.
Ce disant, il brandit son stylo, comme un symbole
phallique.
Ibid., pp. 70-71.
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Les j o u r s
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Céline, le jour que je tâchai d'obtenir de lui des précisions


biographiques, me lança, bref : « Ça n'a pas d'importance...
Inventez-les! » Comme j'insistais, il ajouta : « Voyez le
Voyage et le reste... » Quelques minutes plus tard, il me
cédait pourtant et commençait à me livrer toutes sortes de
détails... sans toujours respecter l'ordre chronologique auquel
je souhaitais nous astreindre. Il ne fallait pas espérer davan-
tage d'un homme qui se moque volontiers de ces contraintes,
de ces contingences, et devant qui nous nous sentons plutôt
gênés de nos manies raisonneuses et inquisitoriales. Les notes
que je rapporte ici ne sont pas sujettes à caution : il se pour-
rait seulement que quelques événements n'eussent pas eu lieu
exactement aux dates indiquées. Je compte sur la critique
et les futurs biographes de Céline pour qu'ils établissent une
chronologie définitive de sa vie.

1. Sa réponse habituelle aux questions de ce genre (cf.


L. F. Céline tel que je l'ai vu, p. 37). Ai-je donc eu plus de
chance que le professeur Milton Hindus, ou simplement celle
d'aborder Céline queiques années plus tard ?
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1894 Naissance, à Courbevoie (Seine), de


27 mai Louis-Ferdinand Destouches, fils d'un
licencié ès lettres, correspondancier à la
« Phoenix-Incendie », 33, rue La Fayette,
Paris, et de Marguerite, Louise, Céline
Guillou, commerçante en dentelles. Le
ménage vit passage Choiseul (300 becs
de gaz) et, à cause de la dentelle, se nour-
rit principalement de nouilles, aliment
qui dégage peu d'odeurs stables.
Louis-Ferdinand suit les cours de
l'école communale de la rue d'Argenteuil,
à Paris. Souvenir très vif des leçons d'his-
toire naturelle : la force de la Nature est
symbolisée par celle du haricot qui fait
éclater le bocal plein d'eau et fermé mis
au soleil!

1903 Dans une Volkschule à Diepholz, en


Basse Saxe. Seul élève français parmi des
enfants allemands que les maîtres d'école
ne ménagent point.

1904 Accompagne sa mère (à laquelle il


empruntera son prénom pour signer son
premier livre) sur les plages de la Manche,
entre Trouville et Le Tréport, où elle suit
sa clientèle durant les vacances.
Sa famille, le destinant au commerce,
à quoi il se refuse, l'envoie à l'University
College de Rochester, pour apprendre
l'anglais.
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Prépare seul son baccalauréat. Divers


emplois, dont celui de livreur : « On s'est
servi de ma jeunesse pour remplacer le métro. »

1912 Passe son premier bachot.


Maréchal des logis au 12e régiment de
Cuirassiers, à la suite d'un engagement
de trois ans qui lui permet de choisir sa
garnison : Rambouillet.

1914 Blessé à Poelkapelle, en Flandre occi-


novembre dentale, au cours d'une mission pour
laquelle il s'était porté volontaire : le bras
ouvert; une balle dans l'oreille; trépa-
nation. Cité à l'ordre de l'Armée. Médaille
militaire. Muté en Angleterre où il
s'occupe de la construction d'ailes d'avion.

1916 Envoyé au Cameroun. « Séquestré » à


Mikobimbo. Retour à Londres. Réforme
temporaire. Reprend la préparation du
deuxième bachot. Travaille pour un
homme qui ressemble beaucoup au Cour-
tial des Pereires de Mort à crédit. Les bâti-
ments de son « école » existent toujours.

1917 Tournée de conférences, en Bretagne


notamment, pour la Fondation Rocke-
feller : propagande antituberculeuse.

1918 Etudes à Rennes.

1919 Passe le second bachot. Épouse la fille


du directeur de l'Ecole de Médecine de
Rennes; famille des Ferlet, héritiers des
Morvan. Commence les études de méde-
cine sous le patronage pécuniaire de son
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beau-père. Vit avec son épouse à Quin-


tin (Côtes-du-Nord).

1920 Naissance de sa fille.


15 juin

1924 Reçu docteur en médecine, à Rennes,


à la suite d'une thèse sur Semmelweis;
lauréat de la Faculté de Paris.
Quitte sa femme, sa fille, une exis-
tence assurée, pour travailler sur des
bateaux. Grâce aux recommandations
de son beau-père et de la Fondation
Rockefeller, entre au service de la Société
des Nations.

1925 Se spécialise en épidémiologie à Paris,


puis à Liverpool, pour la S. D. N.

1926 Dans des buts scientifiques, entre-


prend un nouveau périple africain dans
les colonies françaises et anglaises de
la côte occidentale.
Voyage aux États-Unis (médecin
chez Ford et dans les quartiers indus-
triels de Detroit, où il s'occupe de pro-
blèmes sociaux et de questions d'hygiène),
au Canada, à Cuba.
Fait la connaissance, en Europe, d'une
danseuse américaine, petite-fille d'un
Gouverneur : Elisabeth Graig, à laquelle
il dédiera le Voyage; elle sera sa com-
pagne pendant plusieurs années.

1928 Écrit L'Église, pièce de théâtre qui


restera inédite jusqu'en 1933.
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1930 Se forme une clientèle à Clichy et com-


mence à écrire le Voyage.

1932 Denoël publie le Voyage au bout de


la nuit que Léon Daudet concourt à
lancer.
Louis-Ferdinand (désormais) Céline
obtient le Prix Renaudot. Continue à
pratiquer en France.

1933 Discours à Médan en hommage à


Zola.

1936 Afin d'y dépenser ses droits d'auteur


bloqués sur place (Aragon et Elsa Triolet
avaient traduit le Voyage en russe),
séjourne en U. R. S. S. durant quelque
deux mois (embarque au Havre, débar-
que à Léningrad, et vice versa).
Publication de Mort à crédit.

1937 Bagatelles pour un massacre, violent


pamphlet pacifiste et antisémite. Céline,
jusqu'alors enfant chéri de la gauche
et ignoré des conformistes de droite,
va se retrouver seul, en dehors de la
politique et des hommes de son temps.

1939 Condamné pour diffamation sur plainte


21 juin de M. Rouquès, au sujet de L'École
des cadavres.
Veut s'engager de nouveau dans l'ar-
mée.
Médecin à bord du Chella de la
C Paquet.
Lors d'un trajet Casablanca-Marseille,
le bateau est touché par une torpille
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allemande au large de Gibraltar; il


éperonne ensuite accidentellement l'aviso
britannique qui chassait le sous-marin
ennemi. L'unité alliée, trop légère et
chargée de grenades sous-marines, explose
sous le choc et coule.

1940 Se déplace, avec les malades et le


août personnel de son dispensaire de Sar-
trouville, jusqu'à Saint-Jean-d'Angély,
puis regagne Sartrouville dans une ambu-
lance pleine d'enfants.
Épouse Lucette Almanzor, danseuse à
l'Opéra-Comique.
Entre juin et septembre, écrit Les
beaux draps. Dès la fin de la même année,
travaille au Dispensaire municipal de
Bezons (Seine-et-Oise) jusqu'au débar-
quement des Alliés en Normandie.
Pendant toute l'occupation, Céline se
refuse à donner aucun article à la presse.
Contre sa volonté, et suivie de sa pro-
testation, une lettre personnelle de sa
part est publiée dans un quotidien du
matin. Il ne veut pas voir les Allemands,
hormis le D Epting, qui est l'auteur,
avec René Lasne, de la célèbre Anthologie
de la poésie allemande. A plusieurs reprises,
il soigne des parachutistes alliés chez son
voisin, M. Champfleury, lequel fait
partie d'un réseau de résistance.
Ces explications, que Céline a tou-
jours omis, par hauteur d'esprit, de
donner de son vivant, ont leur place
ici, pour répondre aux erreurs plus ou
moins volontaires parues dans la presse.
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1944 Sa peau, comme sa personne, étant


devenue l'objet de menaces pressantes,
il songe à partir pour la Bretagne. Mais
son ami l'acteur Le Vigan lui conseille
de gagner le Danemark, où il resterait
trois mois, avant de regagner la France.
Sa femme et lui sont ainsi forcés de
passer par l'Allemagne.
On les envoie d'abord à Baden-
Baden, parmi des gens qui considèrent
l'écrivain comme un étranger, sinon
comme un suspect. Puis, à Sigmaringen,
où le D Destouches soigne des fonc-
tionnaires en déroute, des rescapés de
la collaboration, voire des ministres de
Vichy. Jamais il ne fut le médecin trai-
tant du Maréchal Pétain : « Il n'aurait
pas voulu... Il ne pouvait pas me voir. »
Refusant de participer à la propagande
pro-allemande, il est interné, avec des
objecteurs de conscience, à Krânklin,
près de Neu-Ruppin, dans le Brande-
bourg.

1945 Passe au Danemark, où, dès avant la


guerre, il avait mis — croyait-il — en
sûreté la fortune acquise par ses droits
d'auteur. Incarcéré durant six mois,
puis libéré. A la Noël, reclus à Copen-
hague. Lucette et Louis sont empri-
sonnés, elle pendant un mois, lui pen-
dant deux ans.
Il se trouve en instance continuelle
d'extradition, étant soumis au bon ou
mauvais vouloir de l'Ambassade de
France. Cet homme aux goûts ascétiques
connaît les pires privations matérielles ;
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mais c'est moralement qu'il est le plus


atteint. Lui qui a toujours souffert
d'insomnie dort de moins en moins.
Toutefois, il recommence à écrire.

1949 Admis à résider sous surveillance à


Klarskovgard, près de Korsör, dans la
propriété de son avocat. S'installe dans
une sorte de ferme, froide et dénuée
de tout confort, avec sa femme, une
chienne et trois chats.

1951 Quitte sa retraite scandinave, débar-


que à Nice. Il ira vivre deux mois en
Provence.
La justice française n'a plus rien à
reprocher à Louis-Ferdinand Céline.
Mais son appartement parisien a été
pillé, ses manuscrits inédits, jetés ou
volés.

1952 Le ménage Céline, avec sa ménagerie,


s'établit à Meudon, dans une maison
« Louis-Philippe » dont l'écrivain ne
sort presque pas. Lucette donne des
leçons de danse au grenier, tandis que
le D Destouches reçoit sa clientèle
pauvre et clairsemée au sous-sol.
Publication de Féerie pour une autre fois,
qui ne provoque pas d'écho sérieux
dans la presse ou ailleurs. Le nom de
l'auteur du Voyage au bout de la nuit
réapparaît çà et là, sur quelques lèvres,
sous quelques plumes, au cours des
années qui suivent. Albert Paraz,
Robert Poulet, en particulier, se mani-
festent en sa faveur. Dans les « Nouvelesl
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littéraires », Roger Nimier réclame pour


lui le Prix Nobel.

1957 D'un château l'autre. Interview publiée


printemps dans « L'Express ». Ce regain de gloire,
ou du moins de notoriété, consacre le
rajeunissement de l'artiste.

1960 La suite de sa chronique fabuleuse


paraît dans Nord, qui est à compter
parmi ses chefs-d'œuvre.
Céline, néanmoins, reste un auteur
maudit. La télévision, comme la radio,
lui est interdite. Or, en Amérique, en
Angleterre, et même en Israël, il est
considéré par la jeune génération litté-
raire comme l'un des plus grands écri-
vains vivants.

1961 Le samedi I juillet, pour la pre-


mière fois, Louis-Ferdinand Destouches
ne peut pas travailler. Depuis plusieurs
mois, il lutte contre l'épuisement pour
achever ce qui sera son dernier livre,
qu'il veut appeler « Rigodon ». Il va
mourir, comme Proust, attaché, sacrifié
à son œuvre. Mais la bêtise et l'injustice
des hommes auront doublé son dévoue-
ment.
Trois jours durant, on tiendra la
nouvelle secrète, afin d'éviter la ruée
des journalistes. Le curé de Meudon
refusera de dire une prière sur sa tombe;
un prêtre viendra bénir son corps sup-
plicié.
Au cimetière du Haut-Meudon, l'enter-
rement a lieu sous une fine pluie mauve.
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Parmi la petite assistance, on reconnaît


sa femme, sa fille, Marcel Aymé, l'ami
incomparable, Roger Nimier, Lucien Re-
batet, Robert Poulet, Claude Galli-
mard, et quelques personnes en larmes
qui, elles aussi, savent qu'un cœur
magnanime a cessé de battre, qu'une
œuvre immortelle est née.
Dès le lendemain, la presse s'empare
de la dépouille morale de l'écrivain
pestiféré. Dans « Paris-Presse », Klé-
ber Haedens le salue par ces mots :
« Pitié pour les puissances liguées.
Depuis ce matin, la voix de Céline les
écrase, cette voix formidable que l'on
a voulu étouffer sous les cendres et qui
va résonner jusqu'à la fin des temps. »
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L'œuvre
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AVANT-PROPOS

CÉLINE CET INCONNU

« Si j'étais pas là tout astreint, comme debout, le dos


contre quelque chose... je supprimerais tout. » Q u a n d
il écrivit ces lignes p o u r les rééditions d u Voyage au
bout de la nuit, Céline avait sans doute oublié q u ' u n e fois
bâtie sous des formes tangibles, et répandues aux qua-
tre points cardinaux, l'œuvre d ' a r t se dissocie de son
auteur et ne lui appartient plus. L ' œ u v r e d u doc-
teur Destouches aurait-elle même été anéantie —
ainsi q u ' u n j o u r il a feint de le souhaiter — que nous ne
serions pas moins forcés de considérer la place qu'elle
occupe dans la littérature et la culture contemporaines.
Or, cette place capitale, beaucoup de gens après la
Libération tâchèrent de la lui contester, voire de nier
qu'elle y fût. D'autres enfin, plus nombreux, pour des
motifs qui ne relèvent assurément pas de l'histoire
littéraire, fomentèrent contre Céline une conspiration
d u silence.
Sans craindre le ridicule, on rangea d'emblée
parmi les dieux des lettres certains nouveaux bons-
hommes insignifiants mais patentés, dont la voix devait
s'enrouer u n peu plus tard. O n ne retint pas longtemps
les griefs énoncés (pour leur conduite ou leurs propos
éventuellement blâmables d u r a n t l'occupation) contre
certains écrivains, non des moindres. Mais on prit
plaisir à rappeler les activités subversives p a r lesquelles
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ACHEVÉ D'IMPRIMER

LE 6 N O V E M B R E 1 9 6 1
P A R FIRMIN-DIDOT E T C
LE MESNIL - SUR - L ' E S T R É E

(EURE)

I m p r i m é en F r a n c e
N° d'édition : 8399.
Dépôt légal : 4 trimestre 1961. — 9074.
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