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œuvres de jean genet

MIRACLE DE LA ROSE , L’Arbalète ; Folio n° 887.


NOTRE-DAME-DES-FLEURS , L’Arbalète ; Folio n° 860.
POÈMES , L’Arbalète ; Poésie Gallimard n° 332.
HAUTE SURVEILLANCE , Coll. Blanche ; Folio n° 1967 ; Folio théâtre n° 98.
JOURNAL DU VOLEUR , Coll. Blanche ; Folio n° 493.
ŒUVRES COMPLÈTES , 1951-1979, Coll. Blanche.
POMPES FUNÈBRES , L’Imaginaire n° 34.
QUERELLE DE BREST , L’Imaginaire n° 86.
LE BALCON , L’Arbalète ; Folio n° 1149 ; Folio théâtre n° 74.
LES BONNES , L’Arbalète ; Folio n° 1060 ; Folio théâtre n° 55.
LES NÈGRES , L’Arbalète ; Folio n° 1180 ; Folio théâtre n° 94.
L’ATELIER D’ALBERTO GIACOMETTI , L’Arbalète.
LES PARAVENTS , L’Arbalète ; Folio n° 1309 ; Folio théâtre n° 69.
LETTRES À ROGER BLIN , Coll. Blanche.
UN CAPTIF AMOUREUX , Coll. Blanche ; Folio n° 2720.
LETTRES À OLGA ET MARC BARBEZAT , L’Arbalète.
« ELLE » , L’Arbalète ; Folio théâtre n° 127.
FRAGMENTS… ET AUTRES TEXTES , Coll. Blanche.
L’ENNEMI DÉCLARÉ , Coll. Blanche ; Folio n° 5135.
SPLENDID’S , L’Arbalète ; Folio théâtre n° 127.
LE BAGNE , L’Arbalète.
REMBRANDT , Coll. L’Art et L’Écrivain.
LETTRES AU PETIT FRANZ (1943-1944), Le Cabinet des Lettrés.
THÉÂTRE COMPLET , Bibliothèque de la Pléiade, n° 491.
LETTRES À IBIS , L’Arbalète.
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l’ e n f a n t c r i m i n e l
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JEAN GENET

L’enfant criminel
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l’arbalète
collection dirigée par
Thomas Simonnet

En couverture : Photographie figurant sur la couverture de l'édition originale.

© Éditions Gallimard, 2014.


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À Évelyne
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La Radiodiffusion française m’avait offert une


de ses émissions qu’elle nomme « Carte blanche ».
Je l’acceptai afin de parler de l’Enfance criminelle.
Mon texte, accepté d’abord par M. Fernand Pouey,
vient d’être refusé. Au lieu de fierté, j’en éprouve
quelque honte. J’eusse voulu faire entendre la voix
du criminel. Et non sa plainte, mais son chant de
gloire. Un vain souci d’être sincère m’en empêche,
mais d’être sincère moins par l’exactitude des faits
que par obéissance aux accents un peu rauques
qui seuls pouvaient dire mon émotion, ma vérité,
l’émotion et la vérité de mes amis.
Les journaux déjà s’étonnèrent qu’un théâtre

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fût à la disposition d’un cambrioleur — et


d’un pédéraste. Je ne puis donc parler devant le
micro national. Je répète que j’ai honte. Je fusse
cependant resté dans la nuit mais au bord du
jour, et je recule dans les ténèbres où je fais * tant
d’efforts pour m’arracher.
Le discours que vous lirez était écrit pour être
entendu. Je le publie néanmoins, mais sans espoir
d’être lu par ceux que j’aime.
À la Radio, je l’eusse fait précéder d’un
interrogatoire — administré par moi — à un
magistrat, à un directeur de pénitencier, à un
psychiatre officiel. Tous refusèrent de répondre.

J. G.

* Les éditions ultérieures donnent « desquelles je faisais ». Les


variantes et corrections à l’édition de 1949 sont indiquées dans le
texte par un astérisque.
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Que l’on veuille bien comprendre, et l’excuser,


mon émotion, quand je dois exposer une
aventure qui fut aussi la mienne. Au mystère
que vous êtes il me faut opposer, et le dévoiler,
le mystère des bagnes d’enfants. Épars dans
la campagne française, souvent dans la plus
élégante, il est quelques lieux qui n’ont pas
fini de me fasciner. Ce sont les maisons de
correction dont le titre officiel et trop poli est

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maintenant : « Patronage de relèvement moral,


centre de rééducation, maison de redressement
de l’enfance délinquante, etc. ». Le changement
de titre est déjà un signe. L’expression « Maison
de correction » et quelquefois « Pénitencier »,
devenue une sorte de nom propre, ou, plus
exactement encore désignant un endroit
idéal et cruel situé très profondément dans
le cœur de l’enfant avait une violence que les
éducateurs ont essayé d’affaiblir. Toutefois, je
l’espère, secrètement les enfants, malgré les
termes révélateurs d’une hygiène assez niaise,
reconnaissent l’appel du Pénitencier ou du
Bagne. Sauf qu’ils les situent maintenant
plus dans une région morale qu’en un point
précis de l’espace. Il était sot de s’attaquer
au nom en croyant que changerait l’idée de
la chose nommée puisque cette chose est, si
j’ose dire, vivante, puisqu’elle se fait par le seul
mouvement, par le seul va-et-vient de l’élément
le plus créateur : les enfants délinquants. Ou
criminels. Je veux dire encore que cet endroit

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du monde portant l’un des titres cités plus


haut a son reflet, son image plutôt, son foyer,
dans l’âme des enfants. J’en reprendrai l’idée
tout à l’heure.
Saint-Maurice, Saint-Hilaire, Belle-Isle,
Eysse, Aniane, Montesson, Mettray, voilà
quelques-uns des noms qui ne sont peut-être
rien pour vous. Dans la tête de chaque enfant
qui vient de commettre un délit ou un crime,
ils sont la projection, pour un temps définitif,
de leur destin.
« Je suis condamné à la vingt et une », disent-
ils.
Ils commettent une erreur (volontairement)
puisque la conclusion du tribunal qui les juge
est celle-ci : « Acquitté comme ayant agi sans
discernement, et confié jusqu’à majorité au
patronage de redressement… » Mais le jeune
criminel refuse déjà l’indulgente compréhension,
et sa sollicitude, d’une société contre qui il
vient de s’insurger en commettant son premier
délit. Ayant à 15 ou 16 ans, ou plus tôt, acquis

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une majorité que les braves gens n’auront pas


encore à 60, il méprise leur bonté. Il exige que
sa punition soit sans douceur. Il exige d’abord
que les termes qui la définissent soient le signe
d’une cruauté majeure. C’est avec une sorte
de honte que l’enfant avoue qu’on vient de
l’acquitter ou qu’on le condamne à une peine
légère. Il souhaite la rigueur. Il l’exige. En lui-
même il entretient le rêve que la forme qu’elle
prendra sera un enfer terrible, et la maison
de correction l’endroit du monde d’où l’on
ne revient pas. En effet, on n’en revenait pas.
En en sortant on était autre. C’est un brasier
qu’on avait traversé. Et les noms que j’ai cités
tout à l’heure ne sont pas quelconques : ils sont
chargés d’un sens, d’un poids de terreur que les
enfants exagèrent encore. Or, ces noms seront
la preuve de leur violence, de leur force, de
leur virilité. Car c’est bien elle que les enfants
vont conquérir. Ils exigent que l’épreuve soit
terrible. Afin d’épuiser peut-être un impatient
besoin d’héroïsme.

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Mettray, dans ma jeunesse, était parmi les


noms les plus prestigieux : sous les coups d’un
généreux imbécile, Mettray a disparu. C’est
aujourd’hui une colonie agricole, je crois.
C’était autrefois un endroit sévère. Depuis
son arrivée dans cette forteresse de lauriers et
de fleurs — car Mettray n’était pas close de
murailles — le jeune hors-la-loi qui portait
dès cet instant le nom de colon était l’objet
de mille soins destinés à lui prouver sa réussite
criminelle. On l’enfermait dans une cellule
peinte entièrement (le plafond compris) en
noir. Ensuite, on l’habillait d’un costume
célèbre dans la région pour ce qu’il évoquait
l’épouvante et l’ignominie. Ensuite, et au cours
de son séjour, le colon connaissait d’autres
épreuves : les bagarres, quelquefois mortelles,
que les gâfes * ne dérangeaient pas, le hamac
des dortoirs, les silences durant le travail et
les repas, les prières ridiculement prononcées,

* « gaffes ».

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les punitions du quartier, les sabots, les pieds


écorchés, la ronde au soleil au pas cadencé, la
gamelle d’eau froide, etc. Nous connaissions
cela à Mettray à quoi, comme des échos se
répondent, répondaient le supplice du puits
à Belle-Isle, la fosse, le tombeau, la gamelle
vide, le quartier, le jeu des tinettes, la salle de
discipline dans d’autres colonies.
Les collèges, les écoles, les lycées, ont leur
discipline qui peut paraître aussi sévère, aussi
impitoyable à des natures sensibles. Nous
répondrons que le collège n’est pas fait par
les enfants : il est fait pour eux. Quant aux
pénitenciers, ils sont bel et bien la projection
sur le plan physique du désir de sévérité enfoui
dans le cœur des jeunes criminels. Ces cruautés
que j’énumérais, je ne les imputerai pas aux
directeurs ni aux gardiens d’autrefois : ceux-ci
n’en étaient que les témoins attentifs, féroces
aussi, mais conscients de leur rôle d’adversaires.
Ces cruautés devaient naître et se développer

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nécessairement de l’ardeur des enfants pour le


mal.
(Le mal : nous entendons bien cette volonté,
cette audace de poursuivre un destin contraire
à toutes les règles.) L’enfant criminel, c’est celui
qui a forcé une porte donnant sur un endroit
défendu. Il veut que cette porte ouvre sur le
plus beau paysage du monde : il exige que le
bagne qu’il a mérité soit féroce. Digne enfin du
mal qu’il s’est donné pour le conquérir.
Depuis quelques années, des hommes de
bonne volonté essayent d’apporter quelques
douceurs à tout cela. Ils espèrent — et
parviennent quelquefois * — gagner des âmes à
la société. À nous faire, disent-ils, rentrer dans le
droit chemin. Les réformes sont heureusement
en surface. Elles n’altèrent que la forme.
Mais qu’ont-ils fait ? Au gardien ils ont
donné un autre nom : le surveillant. Ils l’ont
aussi vêtu d’un uniforme qui doit rappeler un
* « et parviennent quelquefois à ».

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peu moins celui des gafes * des prisons. Ils l’ont


obligé à user moins de la violence physique
et de l’insulte et ils ont interdit les coups. À
l’intérieur de ce Patronage ils ont adouci la
discipline. Ils ont donné à ceux qu’ils appellent
les rééduqués la possibilité de choisir un métier.
Ils ont, dans le travail et dans le jeu, accordé
plus de liberté. Les enfants peuvent parler entre
eux, aborder les surveillants ou le directeur ! Le
sport est favorisé. Les équipes de football de
Saint-Hilaire s’opposent à celles des villages
voisins et les joueurs se déplacent quelquefois
seuls d’une ville à l’autre. Au Patronage, la
presse est tolérée. Une presse choisie toutefois,
épurée. La nourriture est améliorée. On a le
chocolat le dimanche matin. Enfin, mesure
qui devrait achever l’efficacité des réformes :
l’argot y est banni. Bref, on accorde aux jeunes
criminels une vie voisine de la vie la plus banale.
On l’appelle régénérescence.

� « gaffes ».

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La société cherche à éliminer, ou à rendre


inoffensifs, les éléments qui tendent à la
corrompre. Il semble qu’elle veuille diminuer la
distance morale entre la faute et le châtiment,
ou mieux, le passage de la faute à l’idée de
châtiment. Une telle entreprise de castration
va de soi. Elle ne m’émeut guère. En effet, si les
colons à Saint-Hilaire ou à Belle-Isle, mènent
une vie en apparence semblable à celle d’une
école d’apprentis, ils ne peuvent pas ne pas
savoir ce qui les rassemble ici, dans cet endroit
particulier, et que c’est le mal. Et d’être gardée
secrète, non exhalée, cette raison gonfle chaque
intention de chaque enfant.
À l’argot habituel qu’on leur interdit, les
colons en ont substitué un autre, plus subtil
encore et qui, par le fait d’un mécanisme que
je ne puis expliquer devant ce micro, rejoint
l’argot de Mettray. À Saint-Hilaire, l’un d’eux
que j’avais apprivoisé me dit un jour :
« Quand je vous ai dit que le copain s’était

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sauvé, ne répétez pas au directeur que j’ai dit
qu’il s’était biché. »
Il avait lâché le mot. C’est celui même que
nous employions à Mettray pour parler du
gosse qui s’évade, se sauve, courre dans les bois
comme une biche *. J’étais au fait d’un langage
secret, plus savant que celui qu’on voulait abolir,
et je me demande s’il ne servait pas à exprimer
des sentiments trop précautionnement ** cachés.
Les éducateurs ont la naïveté d’une salutiste,
et sa bonté d’âme. Le directeur d’un des
Patronages me montra dans son bureau, un
jour, une panoplie dont il paraissait fier : une
vingtaine de couteaux enlevés à des gosses.
« Monsieur Genet, me dit-il, l’Administration
m’oblige à leur enlever ces couteaux. J’obéis
donc. Mais regardez-les. Voulez-vous me dire
s’ils sont dangereux ? Ils sont en fer-blanc. En fer-
blanc ! Avec ça, on ne peut pas tuer quelqu’un. »

* « que les paysans vont courre dans les bois comme une biche ».
** « précautionneusement ».

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