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i.

Introduction
a. Auteur, œuvre et thème à traiter.

Aujourd’hui, on va parler de l’œuvre Les Liaisons dangereuses, écrite par Choderlos de Laclos.
Il est né à Amiens en 1741 et il est issu d’une famille bourgeoise. Il s’adhère aux idées des
philosophes des Lumières. Il fait carrière dans l’armée, ce qui l’oblige à se déplacer
fréquemment et à se communiquer à travers des lettres, d’où le goût pour le roman
épistolaire. Après la publication de cette œuvre, en 1782, il acquiert la célébrité d’écrivain à
scandale.

L’œuvre, à travers la correspondance entre les différents personnages, raconte les intrigues du
vicomte de Valmont et de la marquise de Merteuil, qui, poussés par ses propres intérêts, ils se
mêlent dans des affaires qui ne les concernent pas. Ainsi, ils vont devenir maîtres de deux
jeunes amants dans l’art de tromper. Le vicomte, mû par sa nature libertine, va séduire une
femme mariée et qui vit sous la morale chrétienne. Tous les deux, autrefois amoureux, vont
s’aventurer dans le jeu dangereux de la séduction.

C’est précisément ce pouvoir de séduction qui fait devenir les personnages de joueurs, dont le
seul objectif est de faire le plus grand nombre possible de victimes, de personnes qui tombent
amoureuses et qui finalement sont abandonnées. C’est la spécialité du Don Juan, un mythe
littéraire qui a donné beaucoup de représentations au fil du temps. On va se centrer donc sur
le stéréotype du Don Juan dans la figure du vicomte de Valmont.

b. Epoque : contexte historique de l’œuvre, contraste entre le XVIIᵉ siècle (la


figure
de l’honnête homme) et le XVIIIᵉ siècle (figure du libertin).
Comme on a déjà dit, cette œuvre a été publié en 1782, et donc au XVIIIᵉ siècle, celui des
Lumières. Cette époque se caractérise par une recherche de la connaissance et de la raison,
face à l’ignorance qui dominait la société. Du point de vue de la société, la bourgeoisie a un
pouvoir de plus en plus important et en ce qui concerne les domaines technique et
économique, on expérimentait un progrès croissant. Les idées morales, issues de la raison, qui
prônaient la tolérance religieuse et politique, étaient développées par les philosophes et elles
étaient diffusées principalement dans les cafés.
Le genre romanesque, à cette époque-là, il était encore un genre peu prestigieux, mais il
s’impose parce qu’il se prête à faire une peinture de la société, de son fonctionnement et de
ses mœurs. De cette façon, les romanciers de ce siècle vont écrire surtout du roman moraliste.
L’intrigue de Les Liaisons dangereuses permet d’apercevoir le monde des apparences, car les
personnages, qui sont tout à fait des libertins, sont acceptés dans la société, par le seul fait de
suivre les règles mondaines et les codes du milieu aristocratique. Malgré connaître son
véritable visage, ils ne sont pas écartés de la société.

Ainsi, on voit passer de la figure de l’honnête homme du siècle précédent à la figure du


libertin. L’honnête homme est défini dans l’encyclopédie Larousse comme un « homme du
monde accompli, d'un esprit cultivé mais exempt de pédantisme, agréable et distingué tant
dans son aspect physique que dans ses manières, idéal de l'époque classique ». « Doué
d'intelligence, mais aussi de courage et de générosité, l'honnête homme devait rester maître
de lui-même, ne pas faire étalage de son savoir et se conformer aux bienséances ».

Dans les Lumières, le libertinage devient mode de vie. On développe le goût pour les jeux de
séduction, pour la recherche du plaisir, une morale loin de la prédominante, et une croissante
malfaisance, à côté de l’art du mensonge. Tel que l’encyclopédie Larousse explique, « Dans
l'espace clos des salons et des boudoirs, ils expérimentent leur savoir et leur pouvoir de
séduction, ils établissent un savant dosage de bienséances et d'audace, et manient avec art le
langage. Ils collectionnent naïves et femmes du monde, libertines et vertueuses ».

ii. Origines du mythe et évolution de la figure du Don Juan à travers les époques.

La figure du Don Juan est née vers 1615 en Espagne, avec l’œuvre El burlador de Sevilla y
convidado de piedra, écrite par Fray Gabriel Téllez, connu sous le pseudonyme Tirso de Molina.
On ne peut pas ignorer le fait que le personnage soit né pendant l’époque baroque, car dans
ce moment-là, l’Espagne joint les piliers clés qui donnent naissance au mythe : l’amour, la
morte et la religion. Pendant ce siècle, malgré les enseignements moraux de la Bible, il
commençait à y avoir de gens qui s’écartaient de la morale traditionnelle et le paganisme
rentrait dans l’haute société du moment. Il faut dire aussi qu’il n’y avait qu’un siècle de la
Reconquista du territoire espagnol, qui avait tombé en mains mahométanes. Ceci est
important parce que dans cette religion, la polygamie c’est un fait. Ainsi, on peut dire que la
création du mythe appartient exclusivement à l’Espagne.

Le Don Juan espagnol du Baroque se caractérise par la cavalerie, la bravoure et la conquête.


Quand le siècle des Lumières et l’Illustration arrivent, on trouve un Don Juan calculateur et
raffiné, parfois cynique. Le caractère pessimiste du Romantisme met le Don Juan dans une
profonde méditation philosophique, à la recherche de l’irréel et du lointain. Finalement, ce qui
va caractériser le Don Juan postérieur, il sera l’intellectualisme. On est donc devant un mythe
fort enraciné, ayant plus de 400 années d’existence.

a. Eneas, Zeus, Don Juan Tenorio

Une fois précisé l’origine du mythe, il faut présenter les sources du personnage. L’auteure Rosa
Navarro défend une connexion avec le héros de Virgile, Enée. Elle dit qu’on peut établir un
parallélisme entre le naufrage d’Enée à Cartago et celui de Don Juan à Tarragone. Enée va
entreprendre une liaison amoureuse avec la reine Didon, mais il part la laissant mourir
d’amour. Virgile justifie cette fuite en invoquant qu’il doit accomplir la mission des dieux.
Ovide, de son côté, donne la parole à Didon, qui reproche à Enée d’être un menteur et de
l’avoir quittée. De même, Don Juan est sauvé par la caste Tisbea. Elle va tomber amoureuse de
lui, et il, après sa conquête, il l’abandonne. C’est pour cela que Rosa Navarro affirme qu’Enée a
été le maître de Don Juan. D’autres auteurs voient dans la figure du Don Juan, qui atteint ses
objectifs grâce aux mensonges, une réminiscence avec le dieu grecque Zeus. Dans la
mythologie grecque, Amphitryon était le mari d’Alcmène. Pendant la guerre de Thèbes, Zeus
s’est fait passer pour lui et a pris sa forme pour aimer Alcmène, une nuit qui a duré trois jours,
après quoi elle est tombée enceinte. Louis Viardot et Gregorio Marañon proposent l’idée que
la figure du Don Juan a pu exister réellement. Ils parlent de Cristobal Tenorio, un homme qui
avait eu nombreuses liaisons amoureuses, entre elles avec la fille de Lope de Vega.

b. Premières représentations du mythe :

El burlador de Sevilla y convidado de piedra : Un jeune seigneur espagnol nommé Don Juan, le
grand séducteur et prédateur sexuel, séduit à Naples la duchesse Isabela en prétendant être
son fiancé et elle le découvre. Après cela, il fait naufrage sur la côte de Tarragone où l’attend
Tisbea. Don Juan la séduit et la profite cette même nuit; et il s’enfuira plus tard. Don Juan
réussit à tromper aussi Mme Ana de Ulloa et s’enfuit à nouveau. Puis elle répète l’exploit avec
Armint. Don Juan rentre à Séville, où il rencontre le tombeau de Don Gonzalo (le père d'Ana) et
se moque du défunt, l'invitant à dîner. Cependant, la statue de celui-ci arrive au rendez-vous
(le convive de pierre). Ensuite, le même Don Gonzalo invite Don Juan et la statue se venge en
le traînant aux enfers sans lui donner le temps pour le pardon des péchés.

Dom Juan ou le Festin de Pierre : Il s’agit d’un ouvrage écrit par Molière et publié en 1665. Cet
auteur, inspiré par le personnage de Tirso de Molina, reproduit les jeux amoureux du
protagoniste d’une dimension plus philosophique et accentuant l’athéisme de Don Juan.

iii. Traits de la figure du Don Juan par rapport au personnage le Vicomte de Valmont.
a. Présentation du personnage de Laclos dans l’ensemble.

Le vicomte de Valmont, comme il s’est déjà balancé, est un expert séduisant. La marquise de
Merteuil, au début de l’œuvre, lui propose de conquérir une jeune fille innocente et déjà
concédée à un autre homme avec lequel elle avait entretenu une relation dite marquise.
Valmont refuse parce qu’il a déjà en tête la séduction d’une dame mariée. Tout au long de
l’œuvre, nous pouvons connaître la nature trompeuse du vicomte. Enfin, il cède aussi à la
demande de la marquise. Quand ses efforts pour séduire la femme mariée portent leurs fruits,
celle-ci meurt; et lui, réalisant qu’il avait vraiment de l’amour pour elle, est vaincu dans un duel
et meurt aussi.

b. Traits qu’on ne trouve pas chez Valmont :


 Existence du valet et de la figure paternelle : Dans la plupart des œuvres qui
contiennent la figure du Don Juan, ce personnage est accompagné toujours de son
valet, qui contribue à forger son égo, grâce aux réflexions positives ou négatives qu’il
lui fait. Le valet aide à son maître à obtenir ses objectifs. Il est fréquent aussi
l’existence d’une figure paternelle qui essaie de mettre le Don Juan sur le bon chemin.
Mais ces figures paternelles s’avèrent inutiles face à la nature irrévérente du Don Juan.
Dans l’œuvre de Laclos, on ne trouve aucune de ces instances masculines.
 L’importance de la religion : On a déjà mentionné le fait que le Don Juan n’est pas
ancré dans la morale chrétienne, c’est une caractéristique commune à tous les Don
Juan. Il s’agit d’un homme païen et athée, qui ne croit pas à la vie après la morte. Ainsi,
dans toutes les œuvres versant sur le mythe, le conjoint Dieu, foi et vie après la mort
est fort présente dans l’intrigue. Le Don Juan vit éloigné des lois chrétiennes parce que
pour lui, elles étaient contaminées de l’hypocrisie. Mais dans l’œuvre qui nous
concerne, les réflexions sur les croyances religieuses, sur la bienséance des règles
chrétiennes et sur la vie après la morte ne sont pas présentes. On ne sait pas quelle est
la pensée du protagoniste par rapport à tout cela, contrairement aux autres œuvres
donjuanesques. Malgré tout, on peut le déduire par la façon dont le vicomte parle de
la béatitude et de la foi de la dame qu’il est en train de séduire (dans un ton moqueur).
 L’identification avec le diable : Beaucoup d’auteurs sont d’accord dans l’idée que Tirso
de Molina a crée son personnage ayant dans la tête l’image du diable. Dans toute la
tradition chrétienne le diable est considéré comme le tentant des femmes (dès le
serpent d’Ève). De cette façon, les Don Juans littéraires ont été décrits à maintes
reprises comme des anges déchus. Ce type d’identification n’est pas présente dans Les
liaisons dangereuses ; mais il faut penser qu’il s’agit d’un roman épistolaire, et donc, il
ne compte sur un narrateur qui puisse le définir comme tel.

c. Traits communs ente Valmont et la figure du Don Juan.


 Jeu de la séduction : Valmont, comme les autres figures donjuanesques de
l’histoire, fait partie de tout ce jeu de la séduction que Laclos montre parfaitement
dans son roman. En plus, il incarne très évidement la figure du libertin du
XVIIIème siècle et participe de tout ce jeu de la coquetterie. De même, on voit chez
lui la maîtrise du jeu et du langage de l’amour comme chez les figures
donjuanesques. On remarque que non seulement il a un grand nombre de tactiques
calculées au détail, mais il maîtrise au complet l’art de séduire à travers les paroles.
Il ne conçoit les femmes que comme une conquête, et une fois conquises, il les
abandonne sans regrets. Ce dernier fait est aussi lié au fait qu’à l’époque, une fois
possédées, les femmes n’étaient plus désirables.
De cette façon, on voit chez Valmont aussi presque une obsession avec la
corruption des femmes vertueuses, de telle sorte que sa conquête / victoire soit
majeure. Cette fixation sur des femmes vertueuses est aussi liée avec le fait que le
Don Juan a besoin des obstacles pour élargir son orgueil et pour se mesurer avec les
autres ; de telle sorte que la conquête d’une chrétienne non seulement fait tomber la
femme vertueuse, mais montre aussi la fragilité des normes chrétiennes et la facilité
avec laquelle les chrétiens succombent.

Le seul moyen de me mettre au fait, est, comme vous voyez, d’intercepter le


commerce clandestin. J’en ai déjà envoyé l’ordre à mon Chasseur ; et j’en entends
déjà l’exécution de jour en jour. Jusque-là, je ne puis rien faire qu’au hasard : aussi,
depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des
Romans et de mes Mémoires secrets ; je n’en trouve aucun qui convienne, ni aux
circonstances de l’aventure, ni au caractère de l’Héroïne. La difficulté ne serait
pas de m’introduire chez elle, même la nuit ; même encore de l’endormir, et
d’en faire une nouvelle Clarisse1 ; mais après plus de deux mois de de soins et de
peines, recourir à des moyens qui me soient étrangers ! me traîner seulement sur
la trace des autres, et triompher sans gloire ! … Non, elle n’aura pas les plaisirs
du vice et les honneurs de le vertu. (Lettre 110 ; p.262) Exemple des stratagèmes et
les soins que Valmont prend pour la conquête / corruption de Mme de Tourvel. Il ne
la force à avoir des relations avec lui parce qu’il veut qu’elle renonce à la vertu pour
être avec lui, ce sera la véritable conquête.

 La fin justifie les moyens. Caractère machiavélique de Valmont : La figure du


Don Juan, de même que Valmont, est dépourvue de la sensibilité et la morale
traditionnelles. Peu importent les dommages collatérales ou les moyens pour lui, il
est prêt à faire n’importe quoi pour atteindre ses buts.
En plus, il incarne l’idéal d’apathie que Sade recommandait à l’époque. Selon ce
dernier, il fallait endurcir le cœur avec les plaisirs (charnels on entend). De cette
façon, Valmont, et aussi Merteuil, s’éloignent de tout attachement pour autrui,
puisque cela non seulement est une menace pour la liberté propre, mais il met en
péril aussi la froideur qui leur est nécessaire pour tromper et dominer les autres.

J’avais tout fait préparer (et cela par elle-même), pour pouvoir entrer sans bruit.
Elle était dans son premier sommeil, et dans celui de son âge ; de façon que je suis
arrivé jusqu’à son lit, sans qu’elle se soit réveillée. J’ai d’abord été tenté
d’aller plus avant, et d’essayer passer pour un songe ; mais craignant l’effet et le
bruit qu’elle entraîne, j’ai préféré d’éveiller avec précaution la jolie dormeuse, et

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Abuser d’elle, par référence au roman de Richardson. Clarisse, héroïne innocente et bafouée cherche
refuge auprès d’un libertin, Lovelace qui la laissera mourir après avoir abusé d’elle en lui ayant donné de
l’opium, puis mourra lui-même au cours d’un duel.
suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais. (Lettre 96 ; p. 219)
Machiavélisme et sadisme des plans et de l’expression de Valmont.

 Carpe Diem : la figure du Don Juan est toujours limitée par le temps, il est obligé
par sa condition à dépasser des objectifs dans un délai concret. Il suit la devise de la
Renaissance du carpe diem et considère que la vie est trop courte pour perdre son
temps. En outre, le carpe diem est aussi lié avec le fait que toute aventure du Don
Juan commence comme une compte à rebours vers sa fin, sa mort, son châtiment et
sa rédemption. On pourrait parler aussi de philosophie du présentisme : il a tout son
temps disponible, il a une liberté complète d’opinion et d’action, il veut jouir du
présent, vivre au jour la vie. L’homme a toute sa vie devant soi, c’est pourquoi il
commence à oublier les serments sur l’art de bien mourir et prône l’art de bien
vivre.

 L’amour comme conquête de guerre : De même qu’on trouve chez le Don Juan
de Molière des comparaisons avec Alexandre Magne, on trouve aussi chez Valmont
toute une comparaison entre la conquête amoureuse et la guerre. Ce trait est très
évident dans quelques lettres dirigées à la Marquise, où il emploie du langage du
domaine militaire pour décrire la conquête de ses victimes.

[…] Portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d’un baiser, qui
n’était qu’une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense ; le moyen de
n’en pas profiter ! J’ai donc changé ma marche, et sur le champ j’ai pris poste.
(Lettre 96 ; p. 220) Encore exemple de machiavélisme chez Valmont et aussi
exemple de l’analogie qu’il établit toujours entre la conquête amoureuse et la guerre
/ conquête militaire.

 Compétence entre séducteurs (par rapport au personnage de Prévan) :


Valmont, de même que les autres figures du Don Juan, ont besoin de preuves et de
la présence continue d’un adversaire qui détermine son attitude et qui lui permette
de mesurer ses « habilités ».

On voit aussi la volonté de Valmont de préserver sa réputation de libertin et la


double morale de cela. Tandis que les hommes partagent avec goût leurs conquêtes,
la Marquise doit bien cacher las siennes. Cependant, comme on vient de dire,
Prévan et Valmont jouissent de ses prouesses en déshonorant les femmes et sont
quand même bien reçus dans la société.

 Célébrité : la célébrité est aussi un trait caractéristique de la figure du Don Juan. Il


est connu de tout le monde, comme Valmont (et Prévan aussi), tout le monde parle
de ses prouesses et il n’y a personne qui reste indifférente par rapport à lui.
On voit que Valmont est craint de Mme de Volanges et de Mme de Tourvel aussi en
quelques occasions. Prévan et parfois Merteuil rivalité. Aussi admiration de la part
de la marquise.

 Comparaison religieuse : Non seulement Valmont se compare à un vainqueur


militaire, mais aussi à Dieu dans certaines occasions.

J’aurai cette femme ; je l’enlèverai au mari qui la profane : j’oserai la ravir au


Dieu même qu’elle adore. Quel délice d’être tour à tour l’objet et le vainqueur de
ses remords ! (Lettre 6 ; p. 24) Comparaison de Valmont avec Dieu.
 Regret et rédemption : pour obtenir la rédemption, la femme qui Don Juan
poursuit ne peut être autre que la représentation de l’idéal romantique, irréalisable,
une femme qui lui résiste soit par volonté propre, soit par d’autres raisons. Don
Juan sait, consciente ou inconsciemment que celle-ci est la seule qui peut le sauver,
qui peut lui permettre d’abandonner sa vie chaotique et profiter enfin d’un vie
tranquille et de l’amour. Cela est assez important, puisque s’il y a un trait commun
à tous les donjuans de l’histoire de la littérature, c’est le malheur inhérent au mythe
qui se cache derrière leur vantardise. Malgré les apparences se cache la difficile
vérité de n’être capable d’aimer.

Dans le cas de Valmont, nous n’avons pas exactement l’idéal du Don Juan
romantique qui tombe amoureux d’une femme. Nous avons l’idée d’une seule
femme dont il tombe amoureux, mais Valmont ne se rend compte qu’à la fin de ses
sentiments, et son orgueil ne lui permet pas de profiter du bonheur d’être avec la
Présidente. Il aurait pu devenir le stéréotype de héros romantique ; cependant il
reste à mi-chemin entre le Don Juan baroque, sans regrets, et le Don Juan
romantique, qui tombe toujours amoureux d’une femme qui le rachète. De cette
façon, il renonce au bonheur en faveur de la célébrité, mais cette décision le conduit
vers la perdition ; et c’est alors qu’il avoue son amour par la présidente, ses regrets,
et qu’il obtient, en quelque sorte, le pardon des lecteurs.

Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Mme de Tourvel, et même vous l’aimez
encore ; vous l’aimez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en
faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutôt
que de souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la vanité ! Le Sage a
bien raison, quand il dit qu’elle est l’ennemie du bonheur. (Lettre 145 ; p. 341)
Perfidie de la Marquise, qui trompe le Vicomte le sachant amoureux de la
Présidente. Le Vicomte tombe dans le piège à cause de sa vanité. Sacrifice de
l’amour en faveur des apparences.

Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l’amour, qui me paraît aussi
celui de la raison […] Ce que j’ajoute encore, c’est que je regrette Mme de
Tourvel ; c’est que je suis au désespoir séparé d’elle ; c’est que je paierais de la
moitié de ma vie le bonheur de lui consacrer l’autre. Ah ! Croyez-moi, on n’est
heureux que par l’amour. (Lettre 155 ; p. 362) Valmont avoue ses véritables
sentiments envers Mme de Tourvel et il regrette l’avoir sacrifiée. Possible moment
de rédemption du personnage aux yeux du lecteur.

 Châtiment (mort) : le figure du Don Juan montre une méprise absolue pour la
divinité et pour le châtiment qui peut lui infliger à cause de sa malfaisance.
Même si on pourrait dire que Valmont à son châtiment avec la perte de Mme de
Tourvel et avec sa mort, on voit aussi qu’il n’est pas le seul à être puni. Mme de
Merteuil a une punition assez exagérée par rapport à ses crimes ; et on voit aussi
que Mme de Tourvel, qui est presque obsédée avec suivre le chemin de la vertu, a
son châtiment aussi avec une fin vraiment tragique.

 L’évolution d’un Don Juan : l’apprentissage de Danceny grâce aux


enseignements de Valmont. À fur et à mesure que le roman avance, on voit chez le
personnage de Danceny une évolution qui pourrait se correspondre à peu près à
celle de l’homme du 17ème siècle à l’homme du 18ème. On nous présente d’abord
un jeune doux, humble et de bonnes mœurs qui se laisse emporter par le sentiment
amoureux. On voit chez lui les valeurs moraux de l'honnête homme jusqu’à ce qu’il
se laisse dépraver en ayant sexe à la marquise. Dans l’extrait que nous avons à
commenter, nous voyons comment, après lui avoir enseigné à devenir un Don Juan
comme lui-même, Valmont décrit ce qui seraient ses anciens principes et ses
nouveaux principes. On voit alors une évolution dès l’amour à la coquetterie, dès le
bonheur au plaisir, une évolution vers le libertinage que Valmont et la Marquise ont
poussée.

À présent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir ? Placé entre la


coquetterie et l’amour, entre le plaisir et le bonheur, quel va être votre choix ? Si
je parlais au Danceny d’il y a trois mois, seulement à celui d’il y a huit jours,
bien sûr de son cœur, je le serais de ses démarches : mais le Danceny
d’aujourd’hui, arraché par les femmes, courant les aventures, et devenu,
suivant l’usage, un peu scélérat, préféra-t-il une jeune fille bien timide, qui n’a
pour elle que sa beauté, son innocence et son amour, aux agréments d’une femme
parfaitement usagée !
Pour moi, mon cher ami, il me semble que, même dans vos nouveaux principes,
que j’avoue bien être aussi un peu les miens, les circonstances me décideraient
pour la jeune Amante. (Lettre 155 ; p.361) Évolution du personnage de Danceny, du
jeune honnête et amoureux au libertin séduit par les plaisirs.

 La Marquise de Merteuil ; un Don Juan féminin : le traitement des femmes


libertines vs. le traitement des hommes libertins.

En ce qui concerne le personnage de la Marquise, il est de même intéressant de


l’analyser par rapport à la figure du Don Juan, puisqu’on pourrait la considérer, en
suivant le schème qu’on a employé pour caractériser Valmont, elle aussi un Don
Juan, féminin dans ce cas. La vérité c’est qu’il y a peu de différences entre le
comportement de la Marquise et celui de Valmont ou même de Prévan: la seule
différence que nous y trouvons par rapport aux deux c’est qu’elle ne peut pas se
vanter de ses prouesses par sa condition de femme. En plus, on pourrait ajouter sa
ressemblance à la figure du Don Juan baroque, qui n’a ni de sentiments, ni de
regrets.
Il est intéressant d’analyser ce personnage de ce point de vue puisqu’il nous permet
aussi d’avoir des connaissances sur le statut des femmes dans la société française du
18ème siècle. La propre Marquise de Merteuil le dit dans la lettre dans laquelle elle
raconte son histoire, et on le constate aussi : elle est ici pour se venger du sexe
masculin, et les critères pour juger les femmes sont bien différents de ceux pour
juger les hommes. On voit bien dans sa lettre 81 qu’elle critique la condition
d’infériorité du sexe féminin dans la société en remarquant qu’une femme, en
perdant, perdra absolument tout, aussi sa place dans la société ; tandis que les
hommes ne risquent rien avec ses aventures.
On ne peut pas parler de féminisme dans cette époque puisque ce serait un
anachronisme ; cependant, il est intéressant de remarquer et réfléchir sur ce
déplacement du mythe du libertin de l’homme à la femme chez Laclos. Ce qui est
clair c’est qu’il s’agit d’une société assez misogyne où les femmes sont punies
implacablement, essentiellement par la jouissance du plaisir charnel et de la
libération sexuelle ; alors que les hommes, non seulement ne sont pas punis, mais
sont applaudis.
Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que de succès de moins. Dans cette
partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas
gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu'à nous, de combien encore
ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d'en faire
un continuel usage ! (Lettre 81 ; p. 175)

6. Validité du mythe : représentions contemporaines

Malgré plus de 400 ans d'existence, le mythe du Don Juan reste un motif littéraire fécond dans
de nombreux domaines artistiques. Sur le plan littéraire, de nombreuses œuvres peuvent être
mentionnées. Don Juan raz jeszcze, écrit par Andrzej Bart, est un roman historique inspiré de
l'histoire de la reine Jeanne de Castille qui, après la mort de son mari, erre dans les rues avec
son cadavre. Don Juan arrive pour la convaincre d'enterrer son mari. Sur le plan théâtral, Don
Juan in Soho de Patrick Marber actualise la pièce de Molière. Le personnage de Don Juan est
représenté par un DJ fiancé qui va de fleur en fleur sans la moindre considération pour sa
future épouse. Tenorio, tango y tequila est un recueil de poèmes écrit par Roberto Arróniz
Martínez qui verse aussi sur le mythe. Finalement, en s’introduisant dans le monde
audiovisuel, on peut parler de Don Juan y su bella dama, un feuilleton argentin qui raconte
l’histoire d’amour entre Juan Cané (un séducteur incorrigible qui refuse tout engagement) et
Josefina Molina (qui laisse son petit ami pour aimer Juan librement).

7. Conclusion : les caractéristiques de l’œuvre justifient l’accueil de la même

L’œuvre fut un succès imminent et immédiat, mais elle a déclenché un gros scandale. Les
lecteurs voyaient ses vices reflétés dans les vices des personnages et ils essayaient d’identifier
les personnages fictices avec des personnes réelles et connues. L’œuvre montrait des mœurs
dépravées et fut considérée comme une incitation à la faute. Elle fut condamnée en vue de la
« destruction de ce récit dangereux ».

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