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Histoire de mal

Cette planche est née du fruit de mes lectures confrontées à l’actualité. Et


pourtant rien ne semblait les relier à priori.

J’ai commencé l’année en recevant une tablette de lecture Archos. Voulant


l’étrenner, j’ai lu un premier roman : Madame Bovary de Flaubert. Pour vous
situer, ce roman, du milieu du XIXe siècle, est centré sur Emma, la seconde
épouse de Monsieur Bovary, médecin de campagne en Normandie. Elevée dans
son enfance dans un couvent, elle rêve d’une existence passionnément lyrique
alors qu’elle s’ennuie dans une vie insipide et monotone. Après avoir entrevu
les charmes tentateurs de la vie de quelques privilégiés lors d’une soirée, elle
se laisse séduire par Rodolphe, un riche propriétaire terrien, coureur de jupon,
qui l’abandonnera lâchement lorsqu’elle deviendra trop embarrassante. Ayant
gouté à l’adultère et aux frasques de l’amour, elle s’enhardi et s’emmourache
de Léon, un clair de notaire vivant à Rouen. Petit à petit, elle mène une double
vie, femme du médecin de campagne à Yonville, et femme libre et dépensière à
Rouen où elle contracte des dettes auprès d’un usurier qui finira par demander
son du. Prise au piège, elle se suicide, laissant une fille dans la misère et un
mari qui finit par découvrir la vérité et qui se laisse mourir de chagrin.

En général, je n’aime pas les romans, trouvant qu’ils m’apportent bien peu et
me prennent trop de temps. Celui la m’a passionné. Il faut dire que Flaubert est
un maître dans l’art de décrire les sentiments humains.

Dans ce roman s’inspirant d’un fait divers normand, Flaubert aborde la


psychologie de ses personnages avec réalisme. Le texte est publié dans la revue
de Paris sous forme d’un feuilleton entre octobre et décembre 1856. L’auteur
et l’imprimeur sont attaqués en justice pour « outrage à la morale publique et
religieuse et aux bonnes mœurs ». Il fut acquitté suite aux soutiens des milieux
artistiques et politiques et grâce à une plaidoirie de 4h30 de son avocat Maître
Sénard.

Six mois plus tard, en juin 1857, Baudelaire publie « Les fleurs du mal ».
Autant je n’aime pas les romans, autant j’éprouve du plaisir à lire des poèmes.
Je télécharge donc « les fleurs du mal » sur ma tablette et me laisse emporter
par leur charme :

La très chère était nue, et, connaissant mon cœur,


Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,


Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime avec fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée, et se laissait aimer,


Et du haut du divan elle souriait d’aise
A mon amour profond et doux comme la mer
Qui, vers elle, montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,


D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur uni à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses.

Bon, j’arrête là mais la suite ne manque pas de saveur. Ce poème, « Les


bijoux », faisait parti de ce recueil, un bouquet poétique composé de fleurs
rares et vénéneuses d’un parfum encore ignoré à cette époque. Le parquet
impérial n’a pas apprécié. Le livre à peine paru fut déféré devant les tribunaux.
Sur le réquisitoire de Maître Pinard, alors procureur, plus tard ministre de
l’Intérieur, la Cour prononça la suppression de six poèmes, dont celui-ci, en
raison de la prévention d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs,
et condamna l’auteur et l’éditeur à une amande. Il échappa de peu à la
condamnation d’offense à la morale religieuse, requise contre lui.

Il faudra attendre le 31 mai 1949 pour que la cour de cassation réhabilite


Charles Baudelaire et pour qu’il nous soit permis de découvrir ces poèmes
interdits.
Ces procès marquent pourtant la naissance d’une conscience laïque de notre
société française.

Il faut comprendre qu’à cette époque, comparée à la puritaine Angleterre


victorienne, Paris, sous le Second Empire, est un havre de tolérance. La
grivoiserie des pièces d’Offenbach qui fait l’apologie de l’adultère et du ménage
à trois ne semble choquer personne.

Préparant ensuite un voyage à Florence, en Italie, je décide de télécharger la


traduction d’une œuvre de Dante qui a vécu dans cette ville de 1265 à 1302,
date où, comme tous les guelfes blancs, il est condamné à l’exil par les envoyés
du pape Boniface VIII. Dante est considéré comme le père de la langue
italienne car il a rédigé son œuvre en dialecte toscan, origine de l’italien
moderne. Je tombe, bien par hasard, sur « L’enfer », un poème en 34 chants
qui constitue le premier volume d’une trilogie connue sous le nom de « La
divine comédie ». En fait, cette œuvre a été rédigée durant son exil, mais, en la
lisant, je découvre des détails intéressants sur la vie et les mœurs politiques en
Italie durant cette période du moyen âge. Durant ma visite, cette lecture m’a
éclairé sur l’histoire de quelques édifices, églises, palais ou anciennes maisons
conservées de l’époque, sur des œuvres, statues ou peintures, et sur des noms.

Mais revenons au mal, vu dans l’enfer par Dante.

A la chute du jour, le poète s’égare dans une forêt sombre. Il y passe la nuit et
se trouve, au lever du jour, devant une colline qu’il essaie de gravir mais trois
bêtes féroces, une panthère, un lion et une louve, lui en défendent l’approche.
C’est alors que Virgile lui apparait et lui propose un autre chemin qui passe par
l’enfer. Les poèmes décrivent alors ce voyage en enfer sous la forme d’un
dialogue entre Dante et Virgile, en faisant intervenir parfois des concitoyens
historiques ou mythiques, parfois des anges. En fait, la colline est le symbole de
la vie heureuse et facile que Dante aurait eu s’il n’avait pas été banni de
Florence. A 35 ans, il était un homme public important, avait été nommé prieur
de Florence et se considérait au milieu de sa vie. Les trois animaux symbolisent
trois passions qui se déchainent dans son cœur comme dans le monde
politique : la panthère est le symbole de la luxure, le lion est le symbole de
l’orgueil et de l’ambition, la louve est celui de l’avarice.
Pour faire simple, l’enfer de Dante est constitué de dix grandes parties, un
vestibule et neuf cercles concentriques qui vont en diminuant jusqu’au centre
de le terre, comme un cône renversé.

Après avoir franchi les portes de l’enfer, on trouve le vestibule coupé en deux
moitiés par un fleuve, l’Achéron, le fleuve du chagrin. Dans la première moitié,
avant d’arriver au fleuve, se trouvent les âmes sans vertus et sans vices, les
lâches, trop attachés à leur petit confort pour oser de grandes choses, ni dans
le bien, ni dans le mal, dont la peine consiste à se faire piquer éternellement
par des mouches et des guêpes. La seconde moitié, au-delà du fleuve, forme les
limbes composés des neuf cercles.

Le premier cercle contient les enfants morts sans baptême et les âmes
vertueuses ayant vécu avant l’avènement du Christ. Virgile est de ceux là. Leur
peine est de vivre éternellement sans pouvoir contempler dieu.

Les autres cercles sont peuplés par les âmes selon une gradation des péchés
commis durant leur vie, les peines étant de plus en plus lourdes lorsqu’on
descend vers le centre. On trouve dans l’ordre les luxurieux, les gourmands, les
prodigues et les avares, les vindicatifs, les hérésiarques, les violents, les
perfides et les traitres. Bien évidemment, des subdivisions, notamment dans
les trois derniers cercles, permettent encore de varier les peines qui
deviennent de plus en plus effroyables.

En particulier, dans le 7e cercle se trouvent les violents. On distingue les


violents contre les autres, coupables d’homicide, les violents contre soi même,
qui se suicident, et les violents contre dieu. Et là encore trois degrés : les
blasphémateurs, les intellectuels et les violents contre la nature (par exemple
ceux qui s’adonnent à la sodomie).

Ici, les choses sont claires : le mal est ordonné selon une gradation établie.

Mais, au palmarès des crimes et des abominations, le XXe siècle a vu naitre et


prospérer des monstres bien plus pervers que Brutus, Cassius ou Judas qui
occupent le centre de l’enfer de Dante. Et nous sommes nombreux à penser,
comme Malraux, qu’en ce siècle « c’est la première fois que l’homme donne
une leçon à l’enfer ».
Mes lectures m’ont alors porté à m’interroger sur le mal dans une société
laïque et sur la notion de mal absolu.

Je ne vous cacherais pas que les bouquins de Bernard Henri Lévy m’intéressent.
J’ai apprécié Américan Vertigo, où il décrit son voyage aux Etats Unis, à sa
manière, mais dans l’esprit de Toqueville qui a écrit « Du système pénitentiaire
aux Etats-Unis et de son application » (1832) puis « De la démocratie en
Amérique » (1840). Cet ouvrage qu’il publie en France en 2006 lui a été
commandé par une revue américaine pour le bicentenaire de la naissance
d’Alexis de Toqueville (1805). Par la suite, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt « Ce
grands cadavre à la renverse » où BHL commence par expliquer qu’il n’a pas
voté Sarkozy en 2007, alors que ce dernier, qu’il connait et côtoie à Neuilly, l’en
avait prié, tout simplement parce qu’il est de gauche. Il s’emploie alors à définir
la gauche tout en indiquant ce qui, à ses yeux, lui parait être une évolution
dangereuse. Je n’irai pas plus loin ici car ce n’est pas le lieu. Toutefois, à la
lecture de ces deux livres, je découvre que j’ai un vrai problème avec BHL dès
qu’il aborde la question juive et qu’il parle d’Israël. Il se dit juif laïque, ce qui,
déjà, me semble assez problématique, mais j’ai l’impression que sa laïcité, telle
que je l’entends, s’arrête dès qu’il évoque l’état hébreux. Cet été, j’ai donc
entrepris de lire « Pièces d’identité », un gros pavé de 1300 pages constitué de
textes qu’il a publiés dans diverses revues ou de discours qu’il a tenus dans des
colloques et des séminaires entre 2000 et 2009.

La, je tombe sur un texte de 2008 intitulé « Contre le mal, s’il est absolu, que
faire ? ».

Pour moi, la question du mal dans une morale laïque est une question assez
centrale car, comme l’a dit Nietche, « Dieu est mort ». De toute façon, « si dieu
existe, j’espère qu’il a une bonne excuse » (Woody Allen). Pour revenir à
Nietche, Ainsi parlait Zarathoustra qu’ « en vérité, il ya un avenir, même pour
le Mal ». L’histoire lui a donné raison !

Nietche explique dans le Crépuscule des idoles que « Quand on renonce à la foi
chrétienne, on se dépouille du droit à la morale chrétienne. Celle-ci ne va
absolument pas de soi (…) Le christianisme est un système, une vision globale
des choses où tout se tient. Si on en soustrait un concept fondamental, la foi en
dieu, on brise le tout du même coup : Il ne vous reste plus rien qui ait de la
nécessité ».

Les lectures que je vous ai exposées précédemment semblent confirmer cela.

Comme je suis très à cheval sur mes principes, je prétends que rien m’est
imposé. Je suis un homme libre, comme tout le monde. Si je choisis d’agir de
telle ou telle façon, c’est mon choix car je suis un être de raison. C’est peut être
un devoir selon les règles que j’ai librement acceptées mais en aucun cas une
obligation.

Alors cette histoire biblique où Adam et Eve sont placés dans un jardin à l’est
d’Eden, où ils peuvent gouter à tous les fruits sauf à ceux de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal, ça ne peut pas marcher pour moi : si le bien et
le mal existe, pourquoi ne pourrait-on pas en avoir connaissance ? Pourquoi
s’imposeraient-ils à nous par delà notre raison ? Et pourquoi paierait-on pour
des fautes qu’on n’a pas commises ? Pourquoi hériterait-on des fautes de ses
ascendants et de ses concitoyens ? Quelle est donc cette morale où l’on
accepte un Mal sans cause et sans faute, avec de la souffrance ou de la
malfaisance héritée ?

Peut-on accepter la souffrance utile ? On sait d’où elle vient : du Christ lui-
même. On sait qu’elle conduit à justifier l’intolérable comme la torture pour
éviter un attentat, la guerre pour éviter un génocide. Certains même justifient
Auschwitz avec ce principe. Mais où est le respect de l’individu ? Et peut-on
bâtir la concorde universelle sur ces bases ?

Peut-on accepter de sacrifier des vies pour un monde hypothétique meilleur ?


C’était la théodicée du communisme mais c’est aujourd’hui l’explication des
extrémistes de tous bords, en commençant par les intégristes islamistes : cette
idée qu’en tuant le père et en effaçant la mémoire on peut reconstruire une
société nouvelle. Le mal qu’ont fait les Kmers rouges du Cambodge de Pol Pot
diffère-t-il vraiment de celui perpétré par les Talibans d’Afghanistan ou du
Pakistan ?

On le voit, la conception du mal évolue au cours des siècles et l’actualité


démontre bien, malheureusement, qu’au moment où nous vivons, le mal n’est
pas perçu de la même façon d’une société à une autre, et, dans notre société
occidentale, d’un pays à un autre. Alors faut-il chercher un principe universel et
laïque qui permettrait de le cerner ?

Je ne crois pas qu’on soit en mesure d’y parvenir. Je pense que, pour
combattre le mal, il faut soutenir trois principes :

 La connaissance doit permettre de surmonter l’obscurantisme. Je suis,


par exemple, effaré de voir la réaction absurde de certains députés de
droite et d’associations catholiques devant le nouveau programme de
sciences de la vie et de la terre de première et la parution de deux
manuels qui ont choisi d’aborder la théorie des genres. L’information des
adolescents dans la construction de leur identité sexuelle serait elle
perverse à l’école alors que cette question est couramment abordée
dans toutes les émissions télévisées qui leur sont destinées.
 La vigilance doit éviter de se laisser endormir. Elle passe par la liberté
d’expression et par la protection absolue de la presse. L’histoire récente
de la guerre en Irak doit nous rendre prudent lorsqu’on nous propose
des aventures en Afghanistan, en Cote d’Ivoire ou en Libye. Mais est-il
acceptable de s’accommoder à marge avec ce principe en violant
impunément le secret des sources ?
 L’altruisme doit permettre de prendre les bonnes orientations. Ce
principe doit nous amener à nous interroger notamment sur la question
de l’euthanasie, encore à la une cet été.

Mais j’espère que vous allez m’aider dans cette recherche.

J’ai dit VM.


Ré sumé
Basé sur ses lectures, notre F aborde la question du mal en se plaçant à trois
périodes différentes de notre histoire :

 Au milieu du 19e siècle, à la naissance de la conscience laïque de notre


société française, avec les procès contre Flaubert et Baudelaire pour
outrage à la morale publique et religieuse et pour atteinte aux bonnes
mœurs.
 Au début du 14e siècle, à Florence en Italie, au cœur du moyen-âge avec
l’Enfer de Dante et la morale chrétienne.
 A nos jours au début du 21e siècle, après le horreurs et abominations du
20e où l’homme s’est surpassé dans ce domaine.

Il s’interroge alors sur la question du mal dans une société laïque et sur le mal
absolu. L’actualité et l’histoire récente l’amène à s’interroger sur le principe de
souffrance utile, qui peut conduire à la torture ou à la guerre, et sur le sacrifice
de vies pour un monde hypothétiquement meilleur, ce qu’il réfute.

Devant une conception du mal variant au cours des temps et appréciée


différemment selon la société ou le pays dans lequel on se place, il recherche
des principes universels qui permettrait de le combattre. Il propose de soutenir
trois principes : la connaissance pour surmonter l’obscurantisme, la vigilance
pour éviter de se laisser endormir et l’altruisme pour aider l’autre dans sa
souffrance, évoquant pour terminer la question de l’euthanasie.

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