Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Nous sommes à Londres, le 24 Juin 1717. C’est la Saint Jean Baptiste, le solstice
d’été, un jour de fête important à cette époque. La cathédrale Saint Paul vient d’être
achevée (1710). Il faut reconnaître qu’il s’agit d’une des plus belles réalisations du
grand chantier de l’après 1666, l’année du grand incendie de Londres, un incendie
gigantesque qui dura 4 jours et qui avala plus de 13 000 maisons et 87 églises ! Un
désastre inimaginable qui transforma pendant 40 ans Londres en un immense chan-
tier. Il y a 10 ans que l’Acte d’Union unifie l’Angleterre et l’Écosse dans un seul
royaume, la Grande-Bretagne, mais toutes les passions qui se sont déchaînées du-
rant le XVIIe siècle ne sont pas éteintes: 2 révolutions, Charles 1 er décapité en 1649,
une guerre sans merci entre catholiques et protestants, entre frères, entre père et
filles… Il y a à peine 3 ans que Georges 1er est monté sur le trône, la dynastie des
Stuart étant remplacée par celle des Hanovre dans un climat politique et religieux
conflictuel.
Salomon fait construire le temple Étienne Boileau, Règlements sur À gauche, le manuscrit Regius
de Jérusalem – Flavius Josèphe, les arts et métiers de Paris, fin (entre 1390 et 1425) et à droite
Les antiquités judaïques, Paris, du XIIIe siècle le manuscrit Cooke (entre 1425
Mettant fin à une tradition purement orale, Étienne Boileau, nommé prévôt de Paris
en 1261, demanda à chaque communauté de métier de rédiger ses statuts. Ces
textes sont publiés dans le Réglements sur les arts et métiers de Paris connu sous le
nom de Livre des métiers d’Etienne Boileau (vers 1268).
«Maître des travaux de la cou- d’une réunion de loge, la loge Dieu représenté comme l’archi-
maçons », promulgue le 28 dé- Écosse, à la fin du XVIe siècle. « Bible hystoriaulx, ou Les hys-
Rien de bien exceptionnel en somme : nous avons bien aujourd’hui une sorte d’équi-
valent avec les confréries de vignerons comme la Confrérie du Bontemps de Sainte
Croix du Mont où l’on intronise chaque année des commandeurs d’honneur. Elle re-
présente, célèbre et défend non seulement le vin, mais aussi l’ensemble des valeurs
de cette culture : l’amitié et la gaieté, la spiritualité et l’art, la fidélité à la terre et le
respect de la tradition. Mais l’histoire a toujours eu le secret de réserver des sur-
prises et le parallèle avec les confréries actuelles s’arrête là. Si les francs-maçons du
XVIIIe siècle – et d’aujourd’hui – sont les héritiers de ces maçons « spéculatifs », tout
en conservant les rites et les symboles issus du métier de maçon, les francs-maçons
ne se consacrent plus à la réalisation matérielle des bâtiments mais au travail sur
eux-mêmes et à la construction d’une société meilleure et plus éclairée.
Les documents les plus anciens, témoignant de l’activité des loges à la fin du
XVIe siècle et au XVIIe siècle en Écosse, comme le journal de l’érudit alchimiste Elias
Ashmole qui rapporte son initiation en 1645, dévoilent les origines – encore en partie
mystérieuses – de la franc-maçonnerie.
Le symbolisme
Au XVIIe siècle, le symbolisme apparaît dans Atalanta fugians, hoc est Emblemtata
nova de secretis naturae chymic de Michel Meier (1618) et dans Iconologie, ou expli-
cations nouvelles de plusieurs images, emblèmes et autres figures de Cesare Ripa
(traduction en français de 1636).
Tous les détails du temple avec son organisation orientée de l’espace, structurée au-
tour du tableau de loge et ses éléments mobiliers qui le caractérisent (les colonnes
Jakin et Boaz à l’entrée, les pierres et outils symboliques, les plateaux des sur-
veillants, l’autel de serments, l’orient et ses décors …) sont connus du public. Depuis
300 ans, les gravures, les publications et maintenant les vidéos ont dévoilé tout cela ;
le secret n’est pas là.
Les travaux en loge reposent sur le rituel, ensemble codifié de paroles, de gestes et
de symboles, dont le but est de permettre l’enseignement spécifique de chaque
grade. Le rituel est réputé être de nature traditionnelle et immuable, même si les
loges ne se privent pas de le retoucher de temps en temps pour lui donner du sens
car ce n’est en aucun cas un texte sacré venu d’ailleurs.
Durant les travaux, le franc-maçon porte un tablier et des gants. La surface vierge du
tablier de l’apprenti ne tarde pas à s’orner de toute une iconographie symbolique
dont la franc-maçonnerie spéculative se montre friande et dont la variété illustre l’uto-
pie d’une franc-maçonnerie universelle.
Les francs-maçons ont hésité sur la façon d’exprimer leurs intentions sociales : bien -
faisance ou charité ? Avec l’idée de mutualité, c’est la philanthropie qui s’impose en
France au milieu du XIXe siècle.
Dans un premier temps, les francs-maçons, comme toute la société française, ac-
cueillent avec enthousiasme les événements de 1789. Ils y voient l’application à la
société des principes des Lumières. À partir de 1792, l’opinion maçonnique, majori-
tairement girondine, se divise. La plupart des loges sont brisées par la Terreur. En
1793 seules 4 loges continuaient leurs travaux à Paris. On trouve dans le tracé des
travaux du 10 octobre 1793 de la RL Le Centre des Amis, une proposition du véné-
rable afin que le « vous » de l’ancien régime soit banni entre les frères et soit rempla-
cé par le « toi » de l’amitié républicaine. Les francs-maçons reviennent sur le devant
de la scène sous le Directoire (1795 – 1799), dans lequel beaucoup de frères voient
une tentative de république modérée gouvernée par la Raison.
Sous l’Empire, malgré une étroite surveillance de l’opinion par le régime napoléo-
nien, on assiste à la diffusion dans le monde profane d’idées en adéquation avec
celles de la franc-maçonnerie. Le Grand Orient de France est présidé par Joseph
Bonaparte, frère de l’empereur, puis par Murat puis Cambacerès. Protégée par un
régime qu’elle sert, la franc-maçonnerie continue à porter dans toute l’Europe les va-
leurs philosophiques issues du siècle des Lumières. La chute de Napoléon et de
l’empire entraîne celle de la franc-maçonnerie. Accusée depuis les écrits d’Augustin
Barruel d’avoir provoqué la Révolution, combattue par le nouveau clergé ultramon-
tain, elle est contrainte de se mettre en sommeil dans la plupart des pays de la
Sainte-Alliance. Mais en France, le Grand Orient survit en faisant preuve d’opportu-
nisme politique, protégé par des personnalités proches du monarque Louis XVIII
comme le duc de Tarente ou le duc Decazes. Le Grand Orient reste néanmoins sus-
pect et il lui est interdit de débattre de sujets politiques ou religieux. Mais en tout cas,
les principes d’égalité civile et de liberté religieuse mis en œuvre par la Révolution
française ne seront pas remis en cause par la Restauration monarchique.
Sous la pression des événements, au cours du XIX e siècle, les loges passent pro-
gressivement d’un libéralisme philosophique à un militantisme républicain et laïque.
La IIe République une fois proclamée en 1848 par Alphonse de Lamartine, un gou -
vernement provisoire, composé d’un nombre important de francs-maçons, décide de
mesures symboliques fortes comme l’abolition de la peine de mort pour des motifs
politiques (qui sera rétablie par le gouvernement de Vichy), signe le décret por-
tant l’abolition de l’esclavage en France le 27 avril 1848 (adopté sous l’impulsion du
frère Victor Schoelcher), consacre la liberté de la presse (remise en cause par Napo-
léon III) et institue le suffrage universel (masculin, bien entendu). Durant le siècle des
Révolutions (1830, 1848, 1870) la franc-maçonnerie accompagne, voire devance ou
inspire la paix et les progrès sociaux. À la suite de son action humanitaire durant les
massacres de Damas (juillet 1860) où périrent plus de 5000 chrétiens, Abd el-Kader
fut initié par la loge Les Pyramides du Grand Orient de France à l’orient du Caire
(1864). Sans abandonner son caractère spéculatif et philanthropique, la franc-ma-
çonnerie française, et avec elle, celle des pays latins et de culture catholique d’Eu -
rope et d’Amérique du Sud, s’implique dès lors dans le débat politique et religieux.
Gambetta, Jules Simon, Jules Ferry, Adolphe Crémieux et la plupart des grandes fi-
gures qui fondent la III e République appartiennent à la franc-maçonnerie. Pour eux,
l’école, le suffrage universel et la science sont les clefs du progrès. Le frère Léon
Bourgeois, chef du premier gouvernement radical en 1895, théorise cette philosophie
sous le nom de solidarisme. Un travail législatif assidu, où le rôle des francs-maçons
est central, conduit ainsi à transformer le visage de la société française, que ce soit
par l’œuvre scolaire de Jules Ferry (l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire),
par l’institution du Code du travail, dû au franc-maçon Arthur Groussier, ou par la loi
de Séparation des Églises et de l’État, dont Émile Combes avait préparé les condi-
tions de l’adoption.
Portrait de Léon Gambetta par Adolphe Crémieux par Lecomte Jules Simon
sécurité sociale.
« Portrait en buste de Ben ed- Mozart par Barbara Krafft – Hugo Pratt (en 1989) photogra-
Din Abd el-Kader, émir algé- Deutsch, Otto Erich (1965) phié par Erling Mandelmann
Les franc-maçons ne limitent pas leur influence au domaine politique ; ils ont aussi
influencé les domaines de l’art et de la culture. De Mozart à Hugo Pratt, la franc-ma -
çonnerie irrigue régulièrement l’imaginaire artistique. Mozart fut initié à la franc-ma-
çonnerie en 1784 à Vienne, et resta un franc-maçon actif jusqu’à sa mort en 1791. Il
avait composé un hymne maçonnique dès 1772. L’un de ses opéras les plus cé-
lèbres, La Flûte enchantée, met en scène un parcours initiatique ponctué d’épreuves
sur fond de lutte entre les Ténèbres et la Lumière. C’est un franc-maçon, Auguste
Bartholdi qui conçoit la statue de la Liberté offerte par la France aux États-Unis pour
célébrer le centenaire de la guerre d’indépendance dans laquelle un autre franc-ma-
çon, le marquis de La Fayette, s’est illustré.
Le secret maçonnique
La franc-maçonnerie propose à l’initié un cheminement personnel qui s’appuie sur
des symboles et un rituel. Ce cheminement n’est pas le fruit de sa seule introspec -
tion mais aussi le résultat de l’action des frères qu’il côtoie dans sa loge. Cette évolu-
tion personnelle débouche pour le franc-maçon sur l’obligation d’être plus respon -
sable dans le monde profane.
Si chacun a la liberté de dévoiler son appartenance à la franc-maçonnerie, il est une
règle intangible, celle de ne jamais dévoiler un frère.
Mais le secret maçonnique, qui intrigue tant, n’est pas là et c’est Casanova, initié à
Lyon en 1750, qui en parle le mieux dans son oeuvre autobiographique Histoire de
ma vie :
« Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon
qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne, il l’a décou-
vert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner et de déduire. (…) Ce secret
sera donc toujours secret. »