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ADHUC STAT !

ALGDGADLU

Ding ! Tel est l’un des pictogrammes chinois qui désigne l’homme adulte, l’homme
accompli : un trait reliant la terre au ciel.

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Quelques notes de musique résonnent à mes oreilles, celle d’une cantate : la cantate
n° 199 de Jean-Sébastien Bach. Son titre « Mon cœur baigne dans le sang » n’est
pas très engageant ; n’étant pas grand amateur de musique baroque, il s’agit pour
moi d’une œuvre chargée et difficile d’accès. Elle fait partie des « cantata da
chiesa » traitant des souffrances du christ et des doutes du chrétien, elle a
cependant une particularité qui m’a particulièrement marqué : elle finit par une gigue
symbolisant l’espoir. Ceci pourrait parfaitement résumer le tableau du grade
d’apprenti au Rite Ecossais Rectifié, un rite chrétien par essence mais universel par
son message d’amour. Afin de renforcer ce caractère universel et intemporel je vous
propose donc de retrouver comme fil rouge de ce travail quelques citations d’un
personnage historique qui n’est ni chrétien, ni contemporain de Jean-Baptiste
Willermoz : Le mahatma Gandhi.

Quel est le symbole du grade d’apprenti ?


Une colonne brisée et tronquée par le haut, mais ferme sur sa base avec cette
devise Adhuc Stat

Que signifie cet emblème avec sa devise ?


Que l’homme est dégradé mais qu’il lui reste des moyens suffisants pour obtenir
d’être rétabli dans son état originel, et que le maçon doit apprendre à les employer.

Revenons rapidement sur la description de ce tableau. Puisque l’essentiel est dit


dans cet extrait du catéchisme.

• Le tableau d’apprenti siège à l’Orient aux pieds du plateau du vénérable


maître.

• « Adhuc Stat ! »: Ni le rituel, ni le catéchisme n’en donne une traduction


littérale. On peut toutefois estimer que « elle tient toujours » ou « encore
debout » soient les significations les plus proches.

• La colonne est corinthienne symbole de la beauté

• Une nature généreuse, luxuriante apparait au second plan.


Si nous nous souvenons de l’enseignement du rituel la verticalité est représentée par


le fil à plomb. Le fil à plomb est le symbole du second surveillant qui dirige la colonne
des apprentis, la colonne de la beauté...

Chez les grecs et les romains les colonnes symbolisaient la relation entre l’homme et
les divinités, la relation entre la terre et le ciel, la reconnaissance de l’homme envers
la divinité, la puissance de Dieu en l’homme et la puissance de l’homme grâce à
Dieu. Elles représentaient aussi les limites d’un univers, le passage d’un monde à
l’autre.

Une colonne brisée symbolise généralement une mort violente survenue trop tôt, elle
symbolise aussi le deuil et la désillusion. Elle symbolise donc la première étape de
notre voyage et notre statut de cherchant : le désir de mettre fin à notre vie de
profane et de renaitre « maçoniquement ». Elle est ainsi la première marche à gravir
pour redevenir un « homme de désir ».

Ce tableau nous renvoie ainsi à notre premier voyage et plus particulièrement à la


maxime du VM : « L ‘homme est l’image immortelle de Dieu, mais qui pourra la
reconnaitre s’il la défigure lui-même ? » Il nous renvoie aussi aux réponses faites par
l’apprenti durant le catéchisme : « l’homme est dégradé », « il est vicieux et
corrompu », « c’est par sa faute que l’homme a perdu la lumière »

Mais cette colonne corinthienne, celle qui nous concerne, bien que brisée, reste
debout solidement ancrée sur sa base. L’espoir est donc permis et il ne s’agirait là
que d’un passage. Le rituel nous le dit : nous avons les moyens suffisants pour
retrouver notre état originel, à nous de savoir les employer.
La place du tableau de grade prend ici tout son sens : il est à l’orient, à l’endroit
même ou se trouve la lumière qui doit nous guider. La colonne brisée représente dès
lors la persévérance, l’effort d’élévation spirituelle par le travail.

« Adhuc Stat » traite donc de la chute adamique (la nature luxuriante du second plan
n’étant pas sans rappeler le jardin d’éden), de la quête de l’homme primordial et
donc notre capacité à redevenir ce lien spirituel reliant la terre aux cieux, de notre
capacité à retrouver la verticalité qui nous manque en parvenant à la réintégration

« L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » écrivait Lamartine.

« Le ciel et la terre sont en nous » écrivait Gandhi.


La réintégration est le signe particulier du Rite Ecossais Rectifié, une doctrine stricte
et aride inspirée à Jean-Baptiste Willermoz par Martinez de Pasqually et empruntant
certains aspects à la stricte observance templière. Cette doctrine est axée sur l’état
originel, la condition actuelle et future de l’homme. Il s’agit d’un chemin spirituel qui
nous pousse à prendre conscience de notre état de cherchant, de persévérant et de
souffrant en s’appuyant sur une source biblique. Le Rite Ecossais Rectifié propose
d’emprunter le chemin inverse à celui décrit par René Guénon dans « La crise du
monde moderne » où « l’homme s’est détourné du ciel sous prétexte de conquérir la
terre », de redevenir un être spirituel : d’associer la divinité à l’homme et donc de
rétablir la colonne brisée.

Mais le tableau de grade nous rappelle surtout que la voie que nous avons choisi en
intégrant notre fraternité est axée sur le travail, la rigueur et l’exemplarité. Le travail
sur soi que l’on retrouve dans la gnose (appréhender le divin par la connaissance
intérieure). La rigueur et l’exemplarité qui sont sans doutes les emprunts les plus
marquants à la stricte observance templière :

« Frère apprenti, vous venez de vous engager à exercer la bienfaisance envers


tous les hommes et principalement envers les indigents » (Extrait du rituel)

« La spiritualité demande d’abord une culture du cœur, une immense force,


une intrépidité sans faille. Les couards ne peuvent se satisfaire à une morale »
écrivait Gandhi.

Le tableau de grade semble nous montrer le chemin à suivre en tant qu’homme et


nous amène à nous poser des questions sur l’état de souffrant. Ainsi, après avoir
cherché la lumière et le chemin de notre réintégration nous devons persévérer dans
notre travail afin de nous rétablir en tant qu’être de lumière. La perfection n’étant pas
de ce monde et la vie étant une perpétuelle découverte l’aboutissement de la
démarche que nous avons entamé n’est pas du domaine du terrestre. Le statut de
souffrant pourrait-il venir de ce questionnement perpétuel ? Une autre piste pourrait
s’offrir à nous en ce qui concerne le statut de souffrant : La binarité induite par ce
tableau de loge nous ramène à une constante opposition entre destruction et
reconstruction, entre mort et renaissance, entre gnose et connaissance. Sommes-
nous amenés à souffrir car notre introspection ne pourra que nous pousser à
constater que nous sommes la cause même de nos tourments ? Que nous sommes
notre pire ennemi ?

Au delà des règles maçonniques constamment rappelées par le tableau de grade, le


principe de réintégration qu’il suggère nous pousse à nous poser une question
fondamentale : qu’est ce que Dieu ? Ainsi en travaillant de manière assidue sa pierre
brute, le maçon reconstruit son temple intérieur et tente de rétablir l’unité originelle
avec Dieu. Le concept de Dieu serait-il unique pour chacun de nous ? Dieu serait-il
un sentiment universel, le seul lien commun entre les hommes, le seul qui nous unit
tous ? Un début de réponse semble nous être apportée dans la bible :

« Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu
demeure en nous, et son Amour est parfait en nous. Nous connaissons que
nous demeurons en Lui et qu’Il demeure en nous, en ce qu’Il nous a donné son
Esprit. »

« Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour »
(Première épitre de Jean)

« La haine tue toujours, l’amour ne meurt jamais » écrivait Gandhi...

J’ai dit.

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