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Ordo ab Chao

Réunion du 12 septembre 2015


Frederick Dalcho, Auguste de Grasse-Tilly
Claude Antoine Thory

Reproduction réservée à la Grande Loge de France


Toute numérisation expressément interdite
Commission d’Histoire
12 septembre 2015

Frederick Dalcho

Alain BERNHEIM
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Éléments biographiques
Frederick Dalcho fut le Lieutenant Grand Commandeur du premier Suprême
Conseil au monde, “ouvert” ou inauguré le 31 mai 1801 à Charleston en Caroline du
Sud et son second Grand Commandeur de 1816 à 1823. Baptisé à Londres en 1770,
né de parents prussiens, Dalcho arrive chez son oncle dans le Maryland le 23 mai
1787. Il reçoit son diplôme de médecin à Baltimore en 1790. Au lendemain de son
second mariage (Noël 1805), il devient rédacteur du Charleston Courier. En 1813 il
abandonne cette seconde profession et est ordonné diacre de l'église épiscopale le
15 février 1814. Il restera homme
d'église jusqu'à sa mort, le 24
novembre 1836.
Il écrira avoir été initié en
1792 dans une loge de Savannah en
Géorgie.1 Les Registres des loges de
Savannah ayant brûlé dans deux
incendies (1792 et 1820), aucune
vérification n'est possible. La
première trace documentaire que
nous ayons de son activité
maçonnique consiste en une copie
du rituel du 4ème grade de sa main,
datée du 16 février 1801.

Six Patentes
En 1801 il reçoit six patentes.2 Deux sont datées du 24 mai
1801. Dans l’une, John Mitchell le nomme Député Inspecteur
Général ; dans l’autre, Grand Député Inspecteur Général.
Trois autres ne sont datées que de l’année 1801. La sixième,
sa patente de « Souverain Grand Inspecteur Général et
membre du Suprême Conseil du 33ème grade », datée du 25
mai 1801, ne fut découverte qu’en 1874.3 [3. ILLUSTRATION
Dalcho 33°] J’ai mis son authenticité en doute pour trois
raisons.4 Sa date, indiquée en calendrier grégorien, ne
correspond pas à son équivalent en calendrier hébraïque.5
this Twenty Third day of the Third month, called Sivan of the
Restoration 5562. Anno Lucis 5801.—— and of the Christian Æra this
twenty fifth day of May One thousand Eight hundred and one. 1801.——

1
« The author received them [the degrees] in this manner, in an Ancient York Lodge, 30 years ago, from one
of the most intelligent and zealous Masons in Savannah, Georgia. » (Dalcho 1822, note de la p. 200).
2
Toutes reproduites en fac-similé in Harris 1964: 329-334.
3
Wilmot G. de Saussure en annonça la découverte dans les archives de l’époux décédé de Madame Robert
S. Breen dan uns lettre adressée au Grand Commandeur Pike le 14 novembre 1874, reproduite dans
l’Official Bulletin de la Juridiction Sud, Vol. III (juillet 1876): 349-350.
4
Bernheim 1997:31. Bernheim 2012: 68-71.
5
L’équivalent du 25 mai 1801 en chronologie hébraïque serait 13 Sivan 5561, l’équivalent du 23 Sivan 5562
en chronologie usuelle le 23 juin 1802 (Bernheim 1997, 31).

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Comme ses deux patentes du 24 mai 1801, elle indique qu’il fait partie de la
Medical Society of South Carolina à laquelle il n’appartiendra que le 1er juillet
suivant. Et elle décrit Dalcho comme étant membre du Suprême Conseil du 33ème
grade, lequel ne sera ouvert que six jours plus tard.

Deux allocutions (Orations)


En 1801 et en 1803, Dalcho prononce une allocution devant chacune des deux
Grandes Loges rivales qui existent en Caroline du Sud comme en Angleterre.6 La
première le 23 septembre 1801 « devant les membres de la Sublime Grande Loge de
Perfection », dont il est alors le Grand Orateur, et ceux de la Symbolic Grand Lodge
of Ancient York Masons 7 à laquelle il appartient. L'autre est prononcée le 21 mars
1803, également devant les membres de la Sublime Grande Loge dont il est devenu
entretemps Sublime Grand Maître, auxquels s'ajoutent ce jour-là des membres de la
Symbolic Grand Lodge of Free and Accepted Masons. Entre ces deux allocutions, il
visite La Candeur le 1er février 1802,8 dont le procès-verbal indique qu’il était alors
Vénérable de l'Union Nº 8 de Charleston.

Une circulaire
A la fin de l’année, il est un des trois signataires de la célèbre Circulaire du 4
décembre 1802 en qualité de Lieutenant Grand Commandeur ensemble avec Emanuel
De La Motta que nous retrouverons bientôt et d’Isaac Auld. Cette Circulaire est tout
à fait distincte de ses deux allocutions, mais les auteurs français, y compris Paul
Naudon, ont confondu ces trois textes et leurs dates respectives. 9 Cette Circulaire

6
Ces deux allocutions de Dalcho furent publiées séparément à Charleston peu de temps après avoir été
prononcées. Elles furent réimprimées ensemble avec des modifications à Dublin en 1808.
7
La plus récente des deux Grandes Loges de Caroline du Sud, fondée en 1787 par cinq loges (Bernheim
2007: 139-151).
8
La première réunion de La Candeur comme loge sauvage s’était tenue le 24 juillet 1796 sous la présidence
de Delahogue qui en sera le premier Vénérable et s’en retirera le 1er mai 1798. Grasse-Tilly succédera à
Delahogue comme Vénérable mais la quittera le 4 août 1799 pour fonder une loge relevant de la Grande
Loge des Anciens, La Réunion Française No 45 (Bernheim 2011: 164-167)..
9
« C'est à Dalcho que revint l'honneur de donner publiquement les premières informations sur ces
événements. Il s'agit du discours (Oration) qu'il prononça à Charleston le 8 décembre 1802 [sic] ou le 21

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est le premier document émis par le Suprême Conseil


des Etats-Unis d’Amérique. Elle comprend sept pages
imprimées dont le texte est diffusé en Amérique et en
Europe avec une lettre du Grand Commandeur John
Mitchell datée du 1er janvier 1803.10
· Elle annonce que « le 1er mai 1786, le roi de Prusse,
en sa qualité de Grand Commandeur de l’ordre de
Prince du Royal Secret, avait finalement ratifié la
Grande Constitution du 33ème grade, dénommé le
Suprême Conseil des Grands Inspecteurs
Généraux » et que « le Suprême Conseil du 33ème
grade pour les Etats-Unis d’Amérique avait été
ouvert par les Frères John Mitchell et Frederick
Dalcho le 31 mai 1801 ».
· Elle énumère « les noms des grades maçonniques » dans une liste qui va de un à
trente-trois, mais leur ordre est différent de celui qui est familier à beaucoup
d’entre nous. Le Kadosch y est le 29ème et il est suivi par le « Prince du Royal
Secret, Prince des Maçons », dénomination unique qui occupe les trois grades
suivants, 30, 31 et.32.
· Elle ne fait nulle part mention de la dénomination de cet ensemble de 33 grades.
L’expression « rit écossais ancien et accepté » apparaîtra pour la première fois
dans le texte du Concordat signé entre le Grand Orient de France et la Grande
Loge Générale Écossaise le 3 décembre 1804 à Paris.
Dans les annexes d’un article paru il y a une trentaine d’années,11 j’ai
reproduit en fac-similé l‘intégralité de cette Circulaire pour la première fois en
France.

Le recueil des actes du suprême conseil de France


Le texte de la « Grande Constitution du 33ème grade »
que cette Circulaire affirmait avoir été ratifiée par le roi de
Prusse le 1er mai 1786, fut imprimé pour la première fois au
monde dans un livre rare, imprimé à Paris en 1832, le Recueil
des Actes du Suprême Conseil de France. Elle l’était en
français. Son premier article était le suivant:
Les constitutions et les règlemens faits par les neufs commissaires
nommés par le grand conseil des princes du royal secret en 5762, seront

mars 1803 selon les auteurs, et qu’imprima T. B. Bowen avec en appendice la circulaire du 4 décembre
1802 comportant des modifications et des notes à Charleston en 1802. […] Ce discours, avec un autre de
Dalcho, étranger à la question et prononcé aussi à Charleston le 23 décembre 1801 [sic], sera réimprimé à
Dublin en 1808 [...] » (Naudon 2003, p. 145).
10
Le fac-similé de la Circulaire de 1802 fut publié pour la première fois in Harris 1964: 319-325. Ce livre
reproduit p. 106 – avec une légende erronée – la lettre de Mitchell qui accompagnait la Circulaire.
11
Bernheim 1986: 277-282. Dans le même article, j’ai également reproduit, en fac-similé, les quarante-deux
premières pages du Recueil de 1832 (Bernheim 1986: 283-303), elles le furent également dans Ordo ab
Chao numéro 37 (1998): 19-62.

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strictement exécutés dans tous leurs points, excepté dans ceux


qui militent contre les articles de la présente constitution,
mentionnés dans ces présentes.
Ceci explique pourquoi le premier document
par lequel s’ouvre le Recueil est celui des
Règlemens et Constitutions de 1762, attribués ici au
« souv\ grand consistoire établi à l’Or\ de
Bordeaux ».
Mais le texte de 1762 s’arrête à la page 19 et celui de la Constitution de 1786
ne commence qu’à la page 36. Entre les deux, le Recueil reproduisait quatre
documents intitulés
– Instituts.
– Statuts.
– Règlemens Généraux.
– Extrait du Recueil des Balustres Constitutionnels. Instructions sur les Principes
Généraux de la Haute Maçonnerie.
Le Recueil de 1832 ne donnait aucune indication sur la source des anciens
documents qu’il reproduisait.12 Personne n’a jamais expliqué la raison pour laquelle
ces quatre textes se trouvaient intercalés entre les deux Constitutions. Vous en aurez
l’explication tout à l’heure.

La « Version Latine » des Constitutions de 1786


Ajoutons qu’à la suite d’une conférence
tenue à Paris en février 1834 entre plusieurs
Suprêmes Conseils, une version différente des
Constitutions de 1786 fit son apparition en 1836
à la fin du volume dans lequel était publié le
Traité d’Union, d’Alliance et de Confédération
Maçonnique que ces Suprêmes Conseils avaient
conclu. Cette seconde version, apportée des
Etats-Unis à Paris par le comte de Saint Laurent
dans son Livre d’Or, était entièrement rédigée
en latin.
Enfin on possède également une version
manuscrite des Constitutions de 1786 rédigée en
anglais. Ce document de la main de Dalcho
n’indique pas la date à laquelle il fut rédigé. 13
Ceci posé, retournons aux Etats-Unis.

12
L'une des raisons pour lesquelles le Recueil des Actes du Suprême Conseil de France fut publié en 1832
fut probablement de mettre fin à des rumeurs. Depuis des années certains maçons à Paris faisaient allusion
à cette Grande Constitution de 1786. Cinq ans plus tôt le Frère Vassal écrivait: « Ne perdons pas de vue
que ces immenses prérogatives ne sont concédées au F\ de Grasse que conformément aux grandes
constitutions: où sont-elles ? qui les a vues ? Le F\ de Grasse n'a jamais pu les exhiber. Il n'existe d’autres
constitutions que les réglemens établis à Bordeaux en 1762 » (Vassal 1827: 19).
13
Les dix folios de ce manuscrit sont reproduits en fac-similé in Harris 1964: 337-346.

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New York et Charleston 1806–1823

New York 1806-1812


Gourgas et Tardy
Jean Jacques Joseph Gourgas, un Suisse né à
Genève le 23 mai 1777, arrive aux Etats-Unis avec sa
famille en 1803. Sa carrière maçonnique est rapide.
Initié à New York à l’Union Française le 2 avril 1806,
élevé à la maîtrise le 9 juin, il est reçu le 29 juillet dans
le Chapitre de l’Ordre Heredom de Kilwinning. Le
Président de ce Chapitre est aussi le Vénérable de
l’Union Française, c’est un autre Suisse, Jean Gabriel
Tardy.
Antoine Bideaud
Une semaine plus tard arrive à New York Antoine Bideaud. Il est 33°, membre
du Suprême Conseil que Grasse-Tilly a créé au Cap en 1802. Avant de s’embarquer
pour Bordeaux, Bideaud rencontre le 4 août cinq membres du Chapitre de l’Ordre
Heredom de Kilwinning, dont Tardy et Gourgas. Il les initie au grade de Princes du
Royal Secret et leur remet des rituels. Le surlendemain, ils ouvrent ensemble un
Souverain Grand Consistoire des 30°, 31° et 32°.14
Joseph Cerneau
Au mois de novembre suivant, un autre maçon français
arrive aussi à New York, Joseph Cerneau. C’est un bijoutier de
quarante et un ans, né à Villeblevin en Bourgogne le 14
novembre 1765.15 Il s’est marié à Saint-Domingue en 1798.
Maître Maçon depuis 1802, il a été Vénérable de la Réunion des
Cœurs à Port-au-Prince (Port Républicain). En 1803, par autorité
d’une patente que lui a adressée Dupotet de Baracoa, 16 il a créé
une loge à La Havane (Cuba) d’où une cabale l’a forcé de partir.

14
Pour les détails concernant ces événements, Bernheim 2011: 184-194. Bideaud arrivera à Bordeaux le 10
janvier 1807. Malade, il transmettra ses pouvoirs à Pierre-Joseph de Fondeviolle. Son nom apparaît
(orthographié Bidault) comme l’un des six membres du Suprême Conseil pour les Isles françaises de
l’Amérique, page 44 de l’Extrait du Livre d’Or du Suprême Conseil publié en 1813 (Ordo ab Chao numéro
32, 1995: 110). Cet Extrait reproduit également, pp. 83-85, le Tableau du « Souverain Grand Consistoire
séant à New-Yorck » dont le Président est Joseph Cerneau.
15
Et non « à Viblevin » comme l’écrit Claude Gagne (Ordo ab Chao N° 32, 1995: 98). J’ai publié en fac-similés
ses actes de naissance et de décès que m’avait aimablement communiqués Monsieur Gilles Lorillon
(Bernheim 2010: 68-70).
16
Une seconde patente datée du 15 juillet 1806 reçue par Cerneau commence ainsi: « Nous Antoine Mathieu
Dupotet G: M: de toutes les L: L: Col:, ch:, cons:re ch: et cons:re des degres Supérieurs de la maçonnerie
député G: Me: du G: Ort: de Pennsilvanie, etats unis de lamérique & de la G: de L: et Souv:in Chev:er prov:al
d'Hérédom de Kilwinning d'Edimbourg, pour Lamérique, sous le titre distinctif du S.t Esprit; grand Prov:al de
Saint domingue au rit ancien, G: Commandeur ou president Souv:n du T: P:t G: Cons:l des S:mes P:ces du R:al
Secret, Etabli au port auprince, Isle S:t domingue par patente constitutive des 16 Janvier et19 avril 1801
sous le titre distinctif de la Triple unité, tranféré à Baracoa isle de Cuba, à cause des Evenements de la
guerre. » (Document que n’a transmis le T\ Ill\ F\ Brent Morris en mars 1999). Fac-similé du premier folio
in De Hoyos 2001: 78.

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A-t-il une patente l’autorisant à fonder à New York en novembre 1808 un


Grand Consistoire, dit « de la Sainte Trinité »? Nos amis américains ne le pensent
pas, j’ai des raisons de croire qu’ils ont tort. Son Consistoire deviendra « le Grand
Consistoire des Etats-Unis d'Amérique & Dépendances » le 30 novembre 1811. 17 Il
expliquera que Charleston n'a jamais répondu aux lettres qui lui ont été adressées
en novembre 1808 et en juin 1809.
Six mois plus tard, le 25 mai 1812, Cerneau ouvre à New
York un Suprême Conseil qui sera reconnu en 1813 par le
« Suprême Conseil du 33° en France ». 18 Il en est le Grand
Commandeur avec De Witt Clinton comme « Député Grand
Commandeur ». Personnage important, Clinton est le
Lieutenant Gouverneur de l’État de New York et s’est présenté
un an plus tôt à la présidence des Etats-Unis. Il est aussi le Grand
Maître de la Grande Loge de l’État de New York.
Quittons New York et retrouvons Dalcho à Charleston.

Charleston et New York 1813–1815


Au mois de mars 1813 les deux Grandes Loges de Caroline du Sud sont en
procès. Frederick Dalcho et Emanuel De La Motta qui est le Grand Trésorier du
Suprême Conseil y ont déposé comme témoins. Aussitôt après, La Motta part pour
New York se faire opérer de la cataracte. L’opération ratera, il restera plusieurs mois
presque aveugle. Dès son arrivée, il entre en contact avec les membres du
Consistoire Gourgas qui lui montrent le Tableau du Suprême Conseil de Cerneau qui
vient d’être publié au mois de mai. 19

17
Décisions du Suprême Conseil tome 2: folio 431.
18
Il le sera également par le Grand Collège des Rites du Grand Orient de France en 1816, Germain Hacquet
étant passé alors du premier au second en 1815. A propos de Cerneau et de son Suprême Conseil,
Bernheim 2011: 206-221.
19
Imprimé de seize pages reproduit en fac-similé in Bernheim 2010: 71-77.

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Il écrit à Charleston au mois d’août. Nous n’avons plus ses lettres mais nous
avons leurs réponses. Dans celle du 23 août, Dalcho regrette profondément la
conduite d’un certain individu à New York – Cerneau – qui y a établi des grades qui
ne peuvent exister légalement aux Etats-Unis qu’à Charleston. Ce que Dalcho
explique avec une phrase stupéfiante:
Il est bien connu de ceux qui ont légalement reçu le 33° qu’il ne peut avoir qu’un seul
Conseil de ce grade par nation ou par royaume ; et que le Conseil pour les Etats-Unis fut établi
légalement dans cette ville [Charleston] le 31 mai 1801.20
Phrase stupéfiante, parce que toutes les versions connues des Constitutions
de 1786 prévoient l’existence de deux Suprêmes Conseils aux Etats-Unis.
Le 14 septembre, accompagné de quatre témoins dont Gourgas, La Motta rend
visite à Cerneau. Le lendemain il rencontre De Witt Clinton. Le déroulement de ces
deux visites est décrit dans la lettre que je reproduis en annexe, adressée le 18 juin
1814 de New York par De La Motta au comte de Grasse-Tilly à Paris.21 La Motta
explique à Clinton qu’il va publier une circulaire dans laquelle Cerneau est qualifié
d’imposteur, mais que par délicatesse, il va attendre que Clinton et Cerneau entrent
en contact. Six jours plus tard, Clinton rend sa visite à La Motta et lui déclare qu’il
n’a pas pu joindre Cerneau. La Motta lui annonce qu’il part le lendemain pour
Philadelphie où il a l’intention de rester trois ou quatre semaines. Clinton lui dit qu’il
pourra sûrement joindre Cerneau dans l’intervalle et demande à La Motta de ne rien
publier entre temps.
La Motta envoie un projet de circulaire daté du 21 septembre à Charleston.
Le Grand Commandeur Mitchell et son Lieutenant Dalcho le lui renvoient approuvé
et signé la veille de Noël. Leur approbation est apportée à New York le 8 janvier
1814 par le fils de La Motta. Gourgas la fait suivre le 17 à Philadelphie avec une
lettre remarquablement intéressante.
Signée par Gourgas et par trois autres membre du Consistoire dont Tardy,
cette lettre n’était connue que par un résume d’Albert Pike. L’original réapparu en
2013 dans les archives de la Juridiction Nord m’ayant été aimablement communiqué,
je l’ai intégralement publié.22 Gourgas y annonce qu’après le départ de La Motta de
New York, Cerneau a créé un « Grand Conseil du 33° à Philadelphie ». Et il lui pose
la question suivante: « Nous serions heureux de connaître à l’heure actuelle
[souligné dans l’original] vos idées à propos de notre reconnaissance en tant que 33°
par votre Suprême Conseil à Charleston ».
Or, n’ayant reçu aucune nouvelle de Clinton, La Motta publie le 31 janvier
1814 de Philadelphie la Circulaire approuvée par Mitchell et Dalcho. Il y prononce
l’expulsion de la Maçonnerie de Cerneau, « imposteur der première grandeur » et
déclare en son nom et en celui de son Suprême Conseil: « le Souverain Grand
Consistoire des 30°, 31° et 32° établi le 6 août 1806 dans cette ville par les trois fois
Illustres Frères Tardy, Gourgas […] est le seul corps légal qui puisse exister à New
York pour le District Nord des Etats-Unis d’Amérique.23

20
Bernheim 2011: 224-227. Bernheim 2013: 11.
21
Voir aussi Bernheim 2013: 26-28.
22
Bernheim 2013: 16-17.
23
Bernheim 2011: 237-238.

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La parution de la
circulaire de La Motta
amènera une réplique
cinglante du Grand
Consistoire Cerneau,
publié le 28 février, qui
relève que la latitude
(40° 23’) que La Motta
a attribuée à New York
au bas de sa circulaire
est gravement
inexacte. Cette
constatation anodine
mais parfaitement
justifiée me permettra
de mettre en doute
l’authenticité de
plusieurs documents
précédemment issus à
New York.24 La Motta répondra six mois plus tard par un pamphlet de 62 pages dans
lequel ne se trouve pas la moindre allusion à un Suprême Conseil qu’il aurait fondé
à New York. La Juridiction Nord des Etats-Unis prétend néanmoins encore
aujourd’hui avoir été créée par lui le 5 août 1813. J’ai démontré que les documents
sur lesquels se base sa prétention sont antidatés.25 Art de Hoyos et moi avons été
jusqu’à écrire l’année dernière que même si La Motta avait alors procédé à cette
création, il aurait agi irrégulièrement.26
D’autre part, en lisant la lettre qu’Emanuel De La Motta adresse en français
au comte de Grasse-Tilly, le 18 juin 1814, document découvert par Arturo de Hoyos, 27
transcrite intégralement en annexe, vous découvrirez l’une de ses phrases
essentielles:
Les Grandes Constitutions du 33e\ ordonnent deux Suprêmes Conseils du 33e\ pour la
Juridiction des Etats-Unis d’Amérique. Mais il est naturel et de droit que Charleston aide
l’établissement du second et c’est ce qu’ils feront pendant mon séjour içi sous peu de tems.
Elle est en contradiction formelle avec ce que Frederick Dalcho écrivait moins
d’un an plus tôt et évoque au futur la création d’un second Suprême Conseil pour
les États-Unis.

Charleston 1815
Le 8 mars 1815, La Motta quitte New York et rentre à Charleston. Dalcho écrit
quelques semaines plus tard que le Suprême Conseil va se réunir pour l’entendre. 28
Que se passe-t-il alors? Nous n’en savons rien.

24
Bernheim 2013: 68-70.
25
Bernheim 2013: 31-35 & 71.
26
Bernheim & De Hoyos 2014: 87-94.
27
Il en publia la traduction en anglais (De Hoyos 2001: 90-95).
28
Bernheim 2011: 260-262.

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Mais nous savons que le 3 juillet 1815, Gourgas adresse à La Motta à Charleston
une lettre accompagnée d’un projet de circulaire antidaté qu’il lui demande de faire
signer par Dalcho et par le Suprême Conseil. Dans cette lettre, Gourgas écrit:
Mais en dehors de cela, Très lll\ F\, je ne doute pas que vous estimerez, comme nous,
qu’il est indispensable que nous nous fassions connaître, aussitôt que possible, à tous les autres
Conseils sur la surface des deux hémisphères, comme ayant été dûment et légalement formés
par vous, T\ Ill\ F\, et sous les heureux auspices de votre Sup\ Gr\ Conseil à Charleston […].
Voilà pourquoi je joins une circulaire29 que je suis sûr que vous approuverez ;
ayez la bonté d’y apposer votre signature et de la présenter à notre Ill\ F\, le Rév.
Dr. Frederick Dalcho, en lui demandant d’y inscrire au dos, en terme non équivoques,
la ratification de votre Sup. Gr. Conseil, signée au moins par cinq de ses lll\ Membres
et, si possible, scellée.
Ni La Motta ni le Suprême Conseil ne répondront. Sans doute parce qu’un
événement extraordinaire vient d’avoir lieu: le 10 avril 1815, un mois après le départ
de La Motta de New York, Joseph Cerneau a délivré une patente créant un Grand
Conseil de Princes du Royal Secret à Charleston. Ce n’est qu’en 2012 que la centaine
de folios du livre de procès-verbaux (Register) de ce Grand Conseil a été redécouvert
par Arturo de Hoyos. Il m’en a transmis une copie intégrale que j’ai analysée,
commentée et transcrite en partie dans un article de 170 pages.30 Une des
découvertes que j’y ai faite est la présence, à la suite de la patente, d’un document
intitulé Extraits des Lois Generales et des Instructions sur les principes G.x de la h\
mie - Instituts, Statuts et reglements Generaux de la Haute Maconnerie. [17.
ILLUSTRATION folio 8]
Cet ensemble de textes (folios 8-14) reproduit les 10 articles des Instituts ainsi
que les 18 articles des Statuts qui se trouvaient pages 19-25 du Recueil des Actes
publié à Paris en 1832 et, sous l’intitulé Extrait des Instructions sur les Principes
Generaux de la Haute Maçonnerie, l’article 12 qui s’y trouvait page 32. Autrement
dit, les documents d’origine inconnue, insérés entre les Constitutions de 1762 et
celles de 1786 dans le Recueil, étaient ceux qui avaient été transmis à Joseph
Cerneau par les organismes créés par Estienne Morin à Saint-Domingue qui s’étaient
exilés à Baracoa (Cuba) à cause de la guerre.
Ce Grand Conseil tient sa première réunion le 17 août. Thomas Wright Bacot,
qui en est le premier Président, a été nommé en 1794 Postmaster de Charleston par
le président George Washington. Et il est surtout le Grand Maître en exercice de la
Grande Loge de la Caroline du Sud.31 De son discours inaugural, retenons ceci:
Nous n’avons pas seulement à donner au Sublime Conseil que nous sommes sur le point
d’établir un caractère qui nous rendra honorés et respectés à l’étranger, mais nous aurons
probablement aussi à combattre les préjudices, ou même l’hostilité, des quelques membres de
l’ancien Grand Conseil de cette ville qui semble s’être éteint, faute d’avoir continué à exercer
ses fonctions essentielles.32

29
Bernheim 2011: 562-565 (Document antidaté du 7 janvier 1815, sur lequel manque la signature de La
Motta).
30
Bernheim 2012-1: 11-178.
31
T. W. Bacot deviendra le premier Grand Maître de la nouvelle obédience créée le 27 décembre 1817 par
les deux Grandes Loges qui, à l’instar de l’Angleterre, ont fini par s’unir en créant la Grande Loge des
Anciens Francs-Maçons de la Caroline du Sud. Résumé de sa biographie in Bernheim 2012-1: 76.
32
Bernheim 2012-1: 22.

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Ces derniers mots constituent une allusion claire au Suprême Conseil fonde en
1801. Aucun document ne montre en effet que le premier Suprême Conseil du monde
ait eu alors la moindre activité bien que ses membres soient alors encore six. Ils ne
seront plus que cinq au début de 1816 après la mort de John Mitchell 33 auquel
succède automatiquement Frederick Dalcho comme Grand Commandeur. Et quatre
seulement, Dalcho, Isaac Auld, Moses Clava Levy et James Moultrie, le 17 mai 1821,
après le décès d’Emanuel De La Motta. Décès qui déclenche un cataclysme qui va
durer deux ans et culminera avec le retrait de Dalcho et de Bacot de toutes leurs
fonctions maçonniques.

Charleston 1821–1823
Nous savons ce qui arrive à Charleston à partir de l’été 1821 grâce aux procès-
verbaux du Conseil créé par Cerneau, aux comptes rendus des réunions de la Grande
Loge, à plusieurs lettres publiées ultérieurement et aussi grâce au petit livre publié
par Joseph M’Cosh en 1823, Documents upon Sublime Free-Masonry in the United
States of America.34
Peu après la mort de La Motta, ses archives et, semble-t-il, celles de John
Mitchell, tombent entre les mains d’un groupe de treize Maîtres-Maçons qui forment
une « Association ». Un comité de trois membres du Grand Conseil Cerneau dont
Bacot fait partie, leur rend visite le 20 août. Trois jours après, Bacot vient voir Dalcho
qui est le Grand Aumônier de sa Grande Loge. Dalcho lui déclare que trois membres
de l’Association sont venus lui dire être en possession de copies manuscrites de
plusieurs hauts grades et lui ont demandé conseil. Quelques heures plus tard, Dalcho
retourne voir Bacot. Il vient de rencontrer dans la rue l’un des Associés, Moses
Holbrook, qui a emmené Dalcho chez lui où ses amis sont réunis. Ils lui ont remis par
écrit la promesse de ne pas dévoiler les rituels en leur possession. Les Associés
retourneront voir Bacot en déclarant qu’ils souhaitent seulement recevoir le grade
de la Perfection. Cela leur sera refusé.
Les Associés se retournent alors vers le Suprême Conseil et le 9 février 1822,
le Suprême Conseil délivre à six d’entre eux une patente les autorisant à ouvrir à
Charleston un Grand Conseil de Princes de Jérusalem. Que s’est-il passé ce jour-là ?
D’après une lettre que Holbrook adressa peu après à New York, Dalcho refusa de
réunir le Suprême Conseil. Après quoi, les trois autres membres passèrent outre.
Toujours est-il que cette patente dont nous avons le fac-similé35 fut signée par Isaac
Auld « faisant fonction [acting] de Grand Commandeur », Moultrie « faisant fonction
de Lieutenant Grand Commandeur » et Levy, Trésorier Général du Saint Empire.
Le représentant de Cerneau à Charleston, Pierre Javain, informa le Consistoire
de New York que la Circulaire que La Motta avait distribuée à New York – dans
laquelle Cerneau était traité d’imposteur et qui était ignorée des maçons de
Charleston – venait d’être republiée dans les journaux locaux. Dalcho avait-il joué
un rôle dans la republication de la Circulaire La Motta ? Javain lui posa la question

33
A propos des doutes sur la date de sa mort, voir Bernheim 2012: 86.
34
Ce qui suit est décrit en détail in Bernheim 2012-1: 23-53.
35
Fac-similé de cette patente in Harris 1964: 140. Transcrite in Bernheim 2012-1: 122-123.

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par écrit le 29 mars 1822. Dalcho lui répondit fraternellement – ils étaient amis –
deux jours plus tard:
Le docteur Auld n’a reçu de moi aucune autorité pour exécuter quelque acte maçonnique
que ce soit. Je n’ai transmis à personne le pouvoir dont je suis investi par la Constitution du 33°.
Au cours du mois de mai, Javain et un Irlandais nommé M’Cosh qui est l’un des
membres du Conseil de Princes de Jérusalem, échangent une polémique dans les
journaux de Charleston. En novembre, quatre Associés, dont Moses Holbrook et
Joseph M’Cosh, reçoivent le 33° par des patentes signées par Auld, Grand
Commandeur, et deviennent membres du Suprême Conseil.
Au début de 1823, Javain transmet à New York la proposition que Dalcho vient
de lui faire: diviser la juridiction des Etats-Unis en deux parties, l’une pour New
York, l’autre pour Charleston. Sa lettre sera lue à New York le 28 février et l’offre
de Dalcho qualifiée d’ « absurde » sera rejetée. Elle restera inconnue pendant près
de deux siècles.36
Les choses en seraient peut-être restées là si M’Cosh n’avait pas eu l’idée de
publier durant l’été 1823 Documents upon Sublime Free-Masonry dans lequel il
ajouta en note une allusion par laquelle Bacot se sentit visé. Bacot convoqua la
Grande Loge pour faire exclure ceux qui l’avaient insulté. Dalcho intervint alors
comme médiateur. Il fit signer par les deux parties des lettres dans lesquelles ils
retiraient leurs accusations réciproques. Elles furent lues et approuvées à la Grande
Loge le 31 octobre. Dalcho et Bacot présentèrent leurs démissions de leurs offices
avant la fin de l’année.37

Mort et renaissance du suprême conseil de Charleston


Auld mourut en 1826, Moultrie en 1836, Levy en 1839. Holbrook devint Grand
Commandeur à la mort d’Isaac Auld. Gourgas et lui échangèrent plus d’une centaine
de lettres. En 1827, Gourgas lui envoya ce document singulier connu sous le nom de
« Constitutions Secrètes ».38 Holbrook le fit signer et
endosser par les membres du Suprême Conseil. Dalcho
fut le seul à ne pas y apposer son nom. Il signera
jusqu’en 1830 une quinzaine de documents émis par
le Suprême Conseil en tant que « Past Grand
Commander in the U. S. A. ». Il ne communiqua
jamais quelque document ou rituel que ce soit à
Holbrook. Dalcho mourut à Charleston en 1836,
Holbrook en Floride en 1844. Mackey devient cette
année-là Grand Secrétaire de la juridiction. En mars
1853 il décerna le 32° à un maçon de quarante-quatre
ans qui devait devenir un Grand Commandeur célèbre,
Albert Pike.

36
J’en fis état dans une allocution devant la Scottish Rite Society le 6 octobre 2009 à Washington. Elle fut
publiée dans The Plumbline, 2010, Vol. 17, N° 1.
37
Le tiré à part imprimé, consacré à la réunion de la Grande Loge le 31 octobre 1823, ne semble plus exister
aux Etats-Unis. J’ai retrouvé ce qui est peut-être le seul exemplaire restant au monde au Fonds maçonnique
de la Bibliothèque Nationale (Bernheim 2012-1: 45).
38
A propos des « Constitutions Secrètes », voir Bernheim 1987: 46-66 & Bernheim 2013: 22, note 22.

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Auguste de Grasse-Tilly

Michel PIQUET
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Sur un thème général de cette réunion concernant « Le retour des


américains », notre président m’avait demandé de traiter « Auguste de Grasse
Tilly ». Plutôt que de refaire en quelques pages une biographie du Grand
Commandeur de Grasse que j’ai déjà publiée en 50 pages, j’ai préféré vous proposer
une réflexion sur les liens d’Auguste de Grasse avec Saint Domingue, Charleston puis
son retour à Paris en soulignant les faits et rencontres qui ont pu l’imprégner et faire
de lui ce qu’il est devenu.

1765 – 1789
Auguste de Grasse est né le 14 Février 1765 à Versailles(1), fils du capitaine de
Vaisseau, et futur amiral, François de Grasse et d’Antoinette Accaron, fille d’un
intendant général des colonies françaises. Sa mère décède en 1773 et son père se
remarie en 1775 avec Marie-Catherine de Pien, créole de Port de Paix (province du
nord) à Saint Domingue où elle possède de riches plantations. En avril 1781, à l’âge
de seize ans il obtient une charge de second sous lieutenant au régiment d’infanterie
du Roi puis achète en février 1786 un brevet de capitaine au régiment de Royal
Pologne cavalerie avant de rejoindre le 1° janvier 1789 le Royal Guyenne cavalerie.
Entretemps son père avait participé de façon décisive
à la guerre d’indépendance américaine en provoquant la
bataille de Chesapeake en septembre 1781 puis la capitulation
de l’amiral Cornwallis à Yorktown. Il créa alors des liens
d’amitié très sincères avec Washington qui, en souvenir,
aidera ses enfants lorsque les malheurs des temps les
atteindront. De retour aux Caraïbes comme lieutenant général
de l’armée navale de l’Atlantique, il est défait en avril 1782
lors de la bataille des Saintes et fait prisonnier. Veuf depuis
1780, il s’était remarié une troisième fois avec Christine de
Cibon, sa cadette de 32 ans. Il meurt en janvier 1788.
Après avoir été admis aux honneurs de la Cour, la même année, Auguste de
Grasse débarque en 1789 (2) au Cap Français pour recueillir l’héritage de son père. Ce
dernier avait acquis un premier domaine à Saint Domingue en 1762, puis en 1773 une
plantation plus importante, enfin par son second mariage il avait hérité d’une grosse
plantation. Mais, très endetté (il était très généreux et avait avancé sur ses biens
personnels la campagne de Rochambeau à Yorktown), il contraint ses héritiers à
vendre, lors de son décès, le château de Tilly. Au total, lors de l’établissement de
l’état détaillé des indemnités aux anciens colons de Saint Domingue (1828-1834), les
biens concernés comprenaient une indigoterie, deux cafèteries, trois maisons en ville
et un terrain, le tout à Port de Paix.
La carrière maçonnique d’Auguste de Grasse commence le 8 janvier 1783 par
sa réception au grade d’apprenti à la Loge Saint Jean d’Ecosse du Contrat Social,
Mère Loge Ecossaise de France. Il figurera sur le tableau jusqu’en 1787 (3). Il suit son
régiment qui arrive à Nancy le 6 juin 1783. En 1784, il apparait comme nouveau
membre de la loge Saint Louis(4), loge des officiers du régiment, avec le grade de M.P
(Maitre Parfait).

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Premier séjour au Cap Français (1789 – 1793)


L’aventure américaine de Grasse commence réellement en 1789. Débarqué au
Cap Français pour régler la succession de son père, propriétaire à Port de Paix, il fait
la connaissance de Jean Baptiste Delahogue, notaire dans la ville. Ce dernier, arrivé
à Saint Domingue en 1773, est maitre maçon dans la Loge La Vérité au Cap Français(5)
qui est alors la capitale de la colonie.
En 1789, il y avait deux loges au Cap(6) : Saint Jean de Jérusalem écossaise,
constituée par la Parfaite Loge d’Ecosse à Bordeaux en 1749 avec un Souverain
Conseil de chevaliers d’Orient qui lui était lié. Ils cessèrent leur activité lors des
évènements de Saint Domingue. Et La Vérité constituée par le Frère Martin,
inspecteur, en 1767, pour le compte de la Grande Loge de France, qui possédait un
Collège de Chevaliers de Saint André d’Ecosse et également un Souverain Conseil de
Chevaliers d’Orient. Il y avait donc, dans cet Orient, de quoi maçonner dans les Hauts
Grades. Les deux hommes liés par leurs affaires, maçonnèrent ensemble de fin 1789
à mi 1793.

Loges de Saint Domingue au registre de la GLDF le 1er janvier 1769

A partir de 1790, Saint Domingue doit faire face aux révoltes des mulâtres puis
des esclaves. On estime qu’en 1789 il y avait 500.000 habitants à Saint Domingue,
450.000 esclaves et 50.000 hommes libres répartis pour moitié entre colons d’une
part et mulâtres, affranchis et petits blancs d’autre part, dont 20.000 habitaient au
Cap Français.
La colonie se mobilise et de Grasse, ancien militaire, est sollicité par la Garde
Nationale (7). D’abord commandant du corps des Volontaires du Cap en 1790, il
devient capitaine général de la Garde Nationale de Port de Paix en 1791, inspecteur
du cordon de l’Ouest de la province du Nord en 1792. Il passe à la ligne et est nommé
en décembre 1792 commandant du 41° régiment d’infanterie, puis commandant en
chef des troupes de ligne en janvier 1793. Il s’illustre en défendant les habitants
réfugiés dans les casernes, après l’incendie au Cap Français du 20 juin 1793 et les
émeutes du 21 au 24. Mais, en conflit avec l’un des représentants de la
Convention, Sonthonax, il quitte Saint Domingue le 28 juillet 1793.
Entre temps il s’était marié le 17 septembre 1792(8) avec Sophie Delahogue,
âgée de dix sept ans, fille de son ami, notaire et frère en maçonnerie Jean Baptiste.
Famille (y compris Caroline sa première née le 7 juillet 1793), et belle famille,
embarquent sur un navire américain. Arraisonnés par un corsaire anglais qui les
dépouille de tous leurs biens, ils arrivent à Boston le 14 Août 1793(9)

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Charleston (1793 – 1802)


De 1793 à 1801, de Grasse Tilly et Delahogue mènent une vie d’émigrants
désargentés. Auguste de grasse obtient un emploi d’ingénieur des deux Carolines et
de Géorgie, une « habitation » d’environ 60 hectares(10), puis, en 1799, la nationalité
américaine. Ils habitent à Charleston en Caroline du sud, mais souhaitent reprendre
possession de leurs biens. De Grasse se rend vraisemblablement à Saint Domingue au
printemps 1797, puis à celui de 1798. De nouveau présent au Cap en 1799, il est
arrêté par le général insurgé Christophe et est jeté aux fers. Il ne doit sa libération
qu’à l’intervention du consul américain en faveur de ce tout nouveau compatriote.
En juillet 1796, de Grasse et Delahogue avaient créé à Charleston la loge La
Candeur. Les 11 et 12 décembre 1796, Isaac Long patente Delahogue et de Grasse
comme DGIG puis installe un Consistoire de SPRS le 13 janvier 1797. En deux ans et
demi, la loge La Candeur a réuni plus de 200 tenues et a reçu, outre Long, les visites
de Alexander, de La Motta et Moultrie, trois futurs fondateurs du Suprême Conseil
des États Unis(11). En 1798, cette Loge est patentée par la Grand Lodge, of The State
of South Carolina, Free and Accepted Masons sous le n° 12 (Grande Loge
des Modernes)(12).
Cette même année pour Delahogue, en
1799 pour de Grasse, ils démissionnent de La
Candeur(11) et fondent le 10 Août 1799 La Réunion
Française qu’ils affilient à la Grand Lodge of the
State of South Carolina, Ancient York Masons
(grande loge des anciens) dont le député grand
maitre est Mitchell, futur Grand Commandeur du
Suprême conseil des États Unis. De Grasse en
devient le Grand Maitre des Cérémonies le 27
décembre 1800. Le colonel Mitchell qui avait été
reçu Sublime Prince du Royal Secret par Spitzer
en 1795 était Grand Inspecteur Général pour la
Caroline du Sud depuis 1796.
Quelle est la situation maçonnique à Charleston à cette époque ? Il existe un
premier Sublime Consistoire, créé en 1795 par une autorité maçonnique de
Philadelphie (13), qui reçut Mitchell cette année là, et un Consistoire créé par Long
en 1797 d’une filiation provenant de Kingston et dont en 1797 Delahogue est député
Grand Commandeur et de Grasse Grand Secrétaire et Grand Garde des Sceaux.
En 1800, Mitchell préside son Consistoire tout comme il préside tous les
ateliers des Hauts Grades de la ville. Il est vraisemblable que la fusion des deux
Consistoires se fit en 1799-1800, comme le suggère la soumission des français à la
Grande Loge des Anciens. (et on remarquera que lors de la création du Suprême
Conseil de Charleston, tous les fondateurs appartiennent à des ateliers de la Grande
Loge des anciens, mais aussi la présence des deux français comme 8° et 9°
fondateurs du Suprême Conseil).
On notera toutefois que cette position attestée à la fois dans le Livre d’Or de
Grasse (14) et dans le registre de Dalcho est omise dans le Annual register for the
year 1802 d’Octobre 1802 de la Grande Loge de Perfection de Charleston. Peut être
parce que de Grasse était parti à Saint Domingue au printemps 1802. Moses Levy fut

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coopté le 9 mai 1802 et James Moultrie le 3 août 1802, d’où l’expression de Ray
Harris : « The eleven gentlemen of Charleston ».

Retour à Saint Domingue (1802 – 1804)


Observons le déroulement de l’année 1802 :
· Le 15 février 1802 à Charleston, de Grasse
patente Dupont-Delorme en tant que Souverain
Grand Commandeur des Iles Françaises pour
l’Amérique du vent et sous le vent
· Le 21 février 1802 est la date fournie par la
Circulaire aux deux hémisphères pour la
création du Suprême Conseil des Iles françaises
· Le 13 mars 1802, de Grasse est encore à
Charleston
· Le 19 avril 1802, Dalcho est nommé
représentant du Suprême Conseil des Iles
françaises auprès de celui de Charleston
· Le 9 mai 1802, Levy est coopté au sein du
Suprême Conseil de Charleston
· Le 31 mai 1802, de Grasse est 1° Surveillant du
Chapitre Les 7 Frères réunis au Cap et signe la
demande de patente auprès de la Mère Loge
écossaise de Marseille (15) qui sera accordée le
30 novembre (16).
· Le 8 juillet 1802, de Grasse nomme Bideaud 33°
· Le 6 août 1802, il nomme Suckley Demande de patente des sept frères réunis

Pendant cette courte période de 1802-1803, sont présents à Saint Domingue


les SGIG membres du Suprême Conseil des Indes Occidentales Françaises (1801), ou
des Iles Françaises d’Amérique du vent et sous le vent (1805), ou pour les
dominations françaises d’Amérique (1810) :
Antoine Bideaud (fondateur en 1806 à New York d’un Consistoire dont sera
issue la « branche Gourgas » ayant donné naissance au Suprême Conseil de la
Juridiction Nord Jean Baptiste Aveilhé (visiteur de La Candeur en 1796, P.R.S avant
décembre 1797), Armand Caignet (Grand Maitre des Cérémonies du Suprême Conseil
des Iles Françaises d’Amérique, présidera plusieurs fois le Suprême Conseil de
France, à Paris en 1805 en l’absence de Grasse), Auguste Duquesne , Hennecart
Antoine, Pierre Toutain (membre du Grand Consistoire de Kingston, porteur d’une
lettre de créance de Moralès du 25 avril 1803 pour créer un Consistoire à Saint
Domingue et qui condamnait celui créé au Cap par Saint Paul. Le frère Toutain
donnera toutefois pouvoir à de Grasse pour la partie nord de la Colonie), Germain
Hacquet (DIG depuis 1798 à Philadelphie, Grand Maitre provincial de la Grande Loge
de Pennsylvanie pour Saint Domingue, ayant reçu le 8 avril 1801 d’Isaac Moralès
patente pour créer une Loge de Perfection à la Jamaïque. De retour dès 1802 en
France, mais Vénérable Maitre de La Réunion des Cœurs en juin 1802 à Jérémie
(Saint Domingue)et de retour la même année à Paris où il créera un Consistoire dès

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avril 1804. Il avait par ailleurs donné patente de DIG à Dupotet qui l’avait transmise
à Cerneau, à l’origine du deuxième Suprême Conseil de la Juridiction Nord).
Pendant son séjour à Saint Domingue de 1802-1803 de Grasse est souvent
terrassé par des crises de paludisme. Aide de camp du général Quentin puis versé à
l’Etat Major de Rochambeau, il combat, est fait prisonnier le 28 novembre 1803 et
conduit par les anglais à Kingston jusqu’en février 1804, date à laquelle il rejoint
Charleston.
A Kingston, il rencontre les frères Moralès, dont Salomon, qui fut secrétaire
provincial et V.M. de deux loges anglaises de la Grande Loge des Anciens. En 1815,
ce Salomon Moralès correspond avec Emmanuel de La Motta et signe comme « Grand
Secrétaire du Saint Empire du Suprême Conseil de Kingston » (c'est-à-dire du
Suprême Conseil des Iles anglaises d’Amérique)(17) et Isaac, Grand Secrétaire
provincial en 1799 puis député Grand Maitre de la Grande Loge provinciale de 1801
à 1809. Ils signèrent la patente de Grasse le 11 janvier 1804, Salomon comme P.R.S
et Isaac comme GIG, 33°(18). On notera que c’est ce dernier qui en 1797 avait
reproché au Consistoire de Charleston sa création spontanée, sans autorisation, puis
qui avait accordée cette dernière après soumission.

Retour en France (1804 – 1806)


La rencontre de tous ces frères du Suprême Conseil des Iles d’Amérique se
renouvellera à Paris, en 1804. De Grasse y arrive en Août, prend contact avec Saint
Alexandre d’Ecosse, fille de Saint Jean d’Ecosse du Contrat Social et Mère Loge
Ecossaise de France, et constate l’anathème du Grand Orient frappant les loges
écossaises. D’août à octobre 1804, il entreprend de communiquer « les hauts grades
de l’écossisme à plusieurs maçons aussi zélés que recommandables »(19). Ainsi le 20
octobre 1804, le Suprême Conseil de France est effectivement constitué avec dix
SGIG dont le Grand Commandeur de Grasse. Dans le même temps, en répartissant
les frères entre les deux instances, il complète le Suprême Conseil des Iles Françaises
d’Amérique (en exil) au nombre de dix également. De début 1805 à juin 1806,
pendant la Grande Commanderie de Grasse, la distinction entre les deux Suprêmes
Conseils est ténue. Les membres des deux Suprêmes Conseils siègent ensemble et il
est fréquent que le Conseil, en l’absence de Grasse, soit présidé par Caignet. Les
membres délibérants appartiennent à un tout petit cercle : ou ils sont membres de
Saint Alexandre d’Ecosse, ou de la Loge Saint Napoléon ou sont des émigrés des
colonies d’Amérique.
Les circonstances de la création de la Grande Loge Générale Ecossaise, de la
signature du Concordat de 1804, puis de sa rupture suivie d’un modus vivendi en
1805, n’ont pas leur place dans la présente étude, ni celles de l’arrivée du Grand
Commandeur Cambacérès à la tête du Suprême Conseil. Mais avec cette dernière,
l’influence des américains va s’estomper, de Grasse va devenir Grand Commandeur
honoraire et sera accaparé par son activité militaire. Un conflit naitra entre les deux
Suprêmes Conseils français entre 1810 et 1814, lorsqu’en l’absence de Grasse, son
beau père Delahogue agira en son nom pour le compte du Suprême Conseil
d’Amérique. L’épilogue sera la réunification que l’on connait des deux Suprêmes
Conseils en 1821.

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A propos des Consistoires


Avant de conclure, il est intéressant
de se pencher sur le rôle des SPRS et le
fonctionnement des Consistoires.
Le Rite de Perfection (du Royal
Secret) culmine avec le grade de SPRS qui
est sommital ou, plus précisément, central
dans la représentation symbolique de
l’Ordre écossais. Les premiers Consistoires
avaient, de par leurs statuts et
constitutions, un rôle exclusif sur un
territoire, et ceci a été prolongé, dans
l’esprit si ce n’est dans la lettre, par
l’existence de Députés Inspecteurs
Généraux, chargés d’un territoire (20).
Cette organisation s’implante selon
un système de filiation et de
communication d’individu à individu dont
les témoignages formels sont les Livres
d’Or, mais également par patente d’un
Grand Consistoire selon le modèle des
Mères Loges ou lettres de créance à
certains personnages pour certains
territoires. Et à ce titre, le rôle du Grand Consistoire convoqué par Grasse-Tilly 17 octobre 1804
Consistoire de Kingston, certes peut être surfait compte tenu de la personnalité des
frères Moralès, constitue néanmoins un exemple qui demanderait à être étudié plus
avant. Lorsque se crée le premier Suprême Conseil à Charleston, il y a déjà un
Consistoire. Quelles sont leurs places respectives ? De même à Saint Domingue où
Pierre Toutain est patenté pour établir un Consistoire puis de Grasse pour établir un
Suprême Conseil, ou encore l’épisode ultérieur de New York qui laisse planer un flou
entre un statut de Consistoire ou celui de Suprême Conseil, qui serait alors implanté
par des frères ne possédant pas le 33° degré.
Il en va de même en France avec la création le 20 Août 1804 par Germain
Hacquet d’un Consistoire (dit du Phénix)(21), puis la convocation à l’initiative de
Grasse d’un Consistoire réunissant les 32° présents à Paris le 17 octobre pour
autoriser la création de la Grande Loge Générale Ecossaise.
Le Suprême Conseil de France de Grasse va s’organiser avec une structure
bifide, d’une part un Grand Consistoire créé les 9 et 10 juillet 1805(22) à qui le
Suprême Conseil confiera la « puissance dogmatique » sur le Rite, c'est-à-dire sa
gestion réglementaire et administrative, tandis que le Suprême conseil conserverait
le pouvoir constitutionnel et l’arbitrage. En fait cette organisation ne perdurera pas
et le Grand Consistoire sera définitivement supprimé par Cambacérès en novembre
1806. Néanmoins il faut voir dans la création, le 21 novembre 1815 par le Grand
Orient, d’un nouveau Grand Consistoire auprès de son Grand Chapitre Général une
résurgence de cette organisation : Consistoire pour gérer, Suprême Conseil (ou Grand
Orient dans ce cas) pour délibérer.

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*
L’aventure maçonnique de Grasse se poursuivra, il apparaitra lors des
constitutions des Suprêmes Conseils d’Italie (Milan 1806), des Deux Siciles (Naples
1809), des Espagnes (Madrid 1811). Il reprendra en main en 1814, lors de son retour
de captivité, le Suprême Conseil (émigré) des Iles Françaises d’Amérique et le
conduira, après certes bien des vicissitudes à la fusion avec celui de France en 1821.
On le retrouvera dans des missions plus modestes comme l’installation d’un Chapitre
à Saint Germain en Laye en 1819 où sa participation la même année 1819 à une
réunion préparatoire du Suprême Conseil de France.(23)
Quant à l’aventure coloniale, elle se terminera par l’indemnisation ouverte
aux rapatriés par la loi de 1825 qui lui permettra dans les dernières années de sa vie
de recevoir deux cent mille francs dont il se fera déposséder bien rapidement.

Notes
1. Registre paroissial de Saint Louis de Versailles – (A.D. des Yvelines)
2. De Grasse (comte Auguste) – Notice biographique sur l’amiral comte de Grasse. D’après les
documents […] Bailly – Paris – 1840
3. Le Bihan (Alain) – Francs Maçons parisiens du Grand Orient de France – Paris – 1966 – P.234
4. Bernardin (Charles) – Notices pour servir à l’histoire de la Franc Maçonnerie à Nancy jusqu’en
1805 – Nancy – 1910
5. B.N.F – FM2-543
6. Le Bihan (Alain) – Loges et Chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France – Loges de
Province – Paris 1990 – P.389 à 395
7. Pour toutes les affectations militaires voir le dossier des Archives du SHAT – dossier 3yf. 69455 –
Auguste de Grasse
8. Registre paroissial de Port de Paix (A.N. d’Outre Mer – Aix en Provence)
9. City Gazette – 15 Août 1793 – Charleston
10. de Grasse (Marquis Guillaume) – Histoire de la maison de Grasse – Paris – 1933 - Tome1 – P ; 262-
263
11. Registre de La Candeur – (24 juillet 1796 – 4 février 1798) – (Archives du Suprême Conseil S.J. –
Washington), rapporté par A. Bernheim in op. cit. – 1997 – P. 167-178
12. Bernheim (Alain) – « Avatars of the knight Kadosch in France and in Charleston » - Heredom –
n°6 - 1997
13. Voir à ce propos, Bernheim (Alain) – « Le bicentenaire des grandes Constitutions de 1786 … » -
Renaissance Traditionnelle – n° 69 – 1987 – p.45
14. Livre d’Or de Grasse-Tilly – BNF – FM1 – 285 – p 8° (p.112 de l’édition du Suprême Conseil de
France – 2003)
15. B.N. F – FM2- 543
16. Official bulletin of The Suprême Council […] for the Southern Juridiction, VIII, p. 738
17. Bernheim (Alain) – op. cité – 1987 – p. 66 à 68
18. Livre d’Or de Thory – fol.34 vo – (Archives de la Grande Loge de France)
19. Livre d’Or du Suprême conseil d’Amérique – Séance du 18 Août 1818
20. à ce propos, il serait intéressant de poursuivre la réflexion d’Alain Bernheim (Renaissance
Traditionnelle – n° 69 – 1987 – p. 46 à 54) sur la distinction à faire entre les « Consistoires de
SPRS » et les « Grands Consistoires de D.I.G. »
21. BNF – FM5 -1162
22. BNF – FM1 Sup. Cons. (carton n°1)
23. Fonds Russe – Fonds 110 – opus 1 – boite 35 – cote 732 – fol. 2 – GLDF

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Claude Antoine Thory

Louis TREBUCHET

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Plus âgé de six ans qu’Auguste de Grasse-Tilly, Claude Antoine Thory est
baptisé le 28 mai 1759 à Paris, nous le savons avec certitude malgré l’absence de
document d’état-civil. En effet, détruit lors des incendies de la Commune en mai
1871, l'état civil parisien antérieur à 1860 n’a pu être reconstitué qu’en partie. La
minute de l’acceptation de Thory dans la Compagnie des greffiers du Chatelet
indique : « Vu laditte assemblée l’acte de Baptême dudit Sr claude antoine Thory
en datte du 28 mai 1759 tiré du registre de la Paroisse St Laurent de cette ville signé
Breton ». Son environnement familial, de même que le cours de l’existence de sa
loge, Saint Alexandre d’Ecosse, ont été décrits de manière parfaitement documentée
par l’historien Jacques Tuchendler dans deux articles de Renaissance Traditionnelle
en 2004.
Aîné d’une fratrie de cinq, deux frères et deux sœurs, il nait dans une famille
devenue riche par la réussite de son père, négociant en vin à Paris, qui réussit à
devenir l’un des douze fournisseurs officiels du Roi. Ainsi, à la fin de ses études, ses
parents lui prêtent « lors de son établissement » une somme de 100 000 Livres à
valoir sur son héritage. À la mort de son père, le 23 mai 1809, sa part d’héritage, y
compris la dotation initiale, est évaluée à 250 000 Livres, pour la plus grande partie
en biens immobiliers. Pour comparaison, cela représente 1 250 années de salaire
d’un employé journalier à cette époque.
La plupart de ses biographes mentionnent qu’il reçut l’excellente éducation
du Collège de Lisieux, à l’époque où celui, pour permettre l’édification de l’Église
Ste Geneviève fut d’abord abrité par le Collège St Louis, puis installé rue Jean de
Beauvais, dans les locaux de l’ancien Collège de Dormans, l’actuelle place du
Panthéon. Si ce fut le cas, il eut comme
professeur un ami de Jérôme De
Lalande, l’astronome et VM de la loge
des neuf sœurs, Charles-François Dupuis
qui publiera en 1794 Origine de tous les
cultes ou Religion universelle, suivi en
1798 d’un Abrégé.
C’est le 25 mai 1784, que « Claude
Antoine Thory, avocat en parlement,
natif de Paris âgé de 24 ans [encore pour
quelques jours] demeurant à Paris rue

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du Mouton, maison de Mr Minguet Notaire » est initié par le V\M\ Jean Jacques
Jérôme Ducos de la R\L\ St Alexandre d’Ecosse, au rite écossais philosophique. Ne
nous méprenons pas, Thory n’est pas avocat au Parlement de Paris. D’ailleurs son
nom n’est mentionné dans aucun des rôles du barreau du Parlement de Paris. « On
donne le nom d’avocat en parlement à ceux qui ont pris des degrés, qui n’ont point
suivi le palais, ni fait la profession d’avocat » indique le dictionnaire de Trévoux de
1771. Claude Antoine vient de finir ses études, d’ailleurs il réside encore chez son
beau-frère, le notaire Jean Baptiste Minguet.
Cela n’empêchera Claude Antoine
Thory de se montrer brillant dans sa loge.
Quatre mois après sa réception, le 23
septembre, et encore le 24 octobre,
remplaçant l’orateur titulaire, il se fait
applaudir pour son éloquence. Le 16 janvier
suivant, 1785, il est élu Orateur titulaire, et
le mois suivant chargé des archives. Il sera
désigné à l’unanimité comme Député de la
loge au Grand Orient de France le 30 avril
1785, 13 mois après son initiation, et enfin
élu Vénérable le 13 février 1787.
Le registre du Souverain Chapitre
Métropolitain Ecossais trace pour notre
homme une évolution tout aussi fulgurante.
Il est reçu Maître Parfait et entre au
Souverain Chapitre le 17 janvier 1785. Trois
mois plus tard, le 13 mars 1785, il est déjà
nommé Grand Ecossais. Il sera nommé
Chevaler Ecossais le 7 janvier 1788, et initié
le 14 avril à cet ultime grade donné par le
Chapitre au Rite Ecossais Philosophique,
dont il a été élu entretemps Grand Garde
des Sceaux, le 14 mars 1788.
À 25 ans, aîné d’une famille aisée, logé par sa sœur et son beau-frère, ses
études terminées, Claude Antoine a certainement dû consacrer tout son temps, sa
passion, et ses qualités intellectuelles, à cette franc-maçonnerie qu’il découvre.
Ce n’est qu’à 27 ans, au cours de l’été 1786, aidé par le prêt que lui accordent
ses parents, qu’il rachète à Maître Thomas
Nicolas Digard sa charge de Greffier commis
ancien et triennal de la chambre criminelle
de l’ancien et du nouveau Chatelet de Paris.
Nous n’avons pas trouvé trace d’un acte
notarié à ce sujet, mais la provision du Roi le
concernant est datée du 23 août 1786 et
l’assemblée de la Compagnie des Greffiers
commis au Chatelet qui l’agrée se réunit le 29
août, mentionnant sa prise de fonction pour
le 1er septembre 1786.

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Cet investissement ne sera pas, sur le plan financier tout au moins, le meilleur
qu’ait réalisé Claude Antoine Thory au cours de sa vie ! Les turbulences de la
révolution s’annoncent, et Thory, greffier à la Chambre criminelle du Chatelet, se
retrouvera au cœur des décisions de police et de justice, jusqu’à ce que la
constituante ne réforme le système judiciaire et ne supprime toutes les charges, y
compris celles de greffier, au début de l’année 1791.
Le pamphlet de Marat « l’Ami du Peuple, citoyen du district des Cordeliers,
et auteur de plusieurs ouvrages patriotiques, contre le ministre des Finances, la
Municipalité et le Chatelet de Paris ; suivi de l’exposé des raisons urgentes de
destituer cet administrateur des deniers publics, de purger cette corporation,
d’abolir ce tribunal,
redoutables suppôts du
despotisme » reproduit
le décret de prise de
corps, d’arrestation, pris
contre lui le 8 octobre
1789 par la chambre
criminelle du Chatelet,
signé par Claude Antoine
Thory.
Le 27 janvier 1791 les affaires criminelles en cours au Chatelet de Paris sont
réparties dans les nouveaux tribunaux d’arrondissement. Le tableau correspondant
porte la signature de Thory pour un procès transmis au tribunal du 1er
arrondissement. Quelques jours plus tôt, le 15 janvier 1791 la dernière assemblée de
la Compagnie des greffiers du Chatelet de Paris avait assumé sa propre disparition,
constatant et répartissant les avoirs restant, dans une atmosphère de précision, de
rigueur et de grande dignité. Ses membres récupèreront les 3/11èmes de leurs
avoirs.

La notice biographique rédigée par Beaumont pour la 3ème édition des Roses
de Pierre Joseph Redouté le décrit ainsi : « Les offices de judicature ayant été
supprimés, il se montra insensible à cette perte, qui lui enlevait une partie de sa
fortune. De ce moment il se livra sans partage à ses inclinations studieuses, et à son
goût pour les sciences naturelles et les lettres… ».

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Il ne fit pas que cela, puisque quelques mois plus tard, le 17 septembre 1791,
dans son contrat de mariage avec Marie Louise Olimpiade [sic] Chabouillé, il est
qualifié d’agent de change. Ce n’est surement pas une coïncidence si sont beau-
père, Pierre Vincent de Paule Chabouillé exerce la même profession, et si le grand-
père de son épouse, décédé en 1788, Nicolas Chabouillé, était un frère, Athirsata
fondateur du Chapitre du Choix le 4 octobre 1786.
La terreur passe avec son cortège d’exécutions, et pour l’ancien greffier du
Chatelet « de vives persécutions pendant les troubles révolutionnaires » selon
Beaumont. Saint Alexandre d’Ecosse entre en sommeil le 25 février 1792. Un premier
essai de réveil par le frère Burard se transforme en création d’une nouvelle loge,
non écossaise, Thémis, Burrard et Jacotot étant les seuls maîtres écossais alors
présents.
Ce sera seulement le 8 août 1804 que St Alexandre d’Ecosse reprend ses
travaux sous le vénéralat de Godefroid de la Tour d’Auvergne. Le 25 mars 1805, de
nouveau en possession de ses registres, Thory, « vénérable en exercice du fait de la
démission de Godefroid de la
Tour d’Auvergne » y décrit cette
période de recherche des sceaux
et archives confiés aux uns et
aux autres, précisant « le F.
Thory a déclaré que les
planches, cuivres, constitutions
capitulaires et archives des
hauts grades dont il était
dépositaire avaient été
soustraits de ses mains dans le
cours de l’année 1792 lors d’une
visite domiciliaire ».
Avec le retour d’Auguste de Grasse-Tilly à l’été 1804, tout s’accélère. Il
nomme Claude Antoine Thory au grade de Chevalier Kadosch le 28 septembre 1804
et l’élève au « poste éminent de Grand Inspecteur Général et membre du Souverain
Grand Conseil du trente-troisième grade » le 12 octobre 1804. Thory signe alors «
ancien agent de change banque et
finance de la ville de Paris ». Le
concordat du 5 décembre 1804 le
nomme Grand Officier de 2ème
classe du Grand Orient et secrétaire
du Grand Chapitre Général. On sait
ce qu’il adviendra de cette union
forcée malmenée dès le départ par
les manœuvres du Grand Orient, et
des difficultés que le Suprême
Conseil de France éprouvera pour
s’en défaire pendant toute la durée de l’Empire.
Le tableau de 1806 nous montre Thory Vénérable de St Alexandre d’Ecosse et
le Contrat Social réunis, celui du « Souverain Chapitre Métropolitain Ecossais,
attaché à la R M Loge Écossaise de France sous le titre distinctif de Saint Alexandre

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d’Ecosse et le Contrat Social réunis », sous la présidence incontournable de


Cambacérès qui contrôle tous les rites, le situe comme l’un des trois Grands
Administrateurs du Rite Ecossais Philosophique, et le Garde perpétuel des archives.
Un extrait du préambule à ce tableau donne une idée intéressante de cette période
d’incertitude dans laquelle les différents rites vont subsister et cohabiter : « Nous
n’avons cessé de correspondre avec le Suprême Conseil, le Grand Consistoire, et les
ateliers du rit ancien accepté, ceux du rit primitif, la Grande Loge du rit de Heredom
de Kilwinning en France, les Directoires écossais, enfin tous les rites connus, et de
les accueillir non seulement avec les plus grands égards et les témoignages d’une
tendre amitié, mais avec la confiance que leurs exemples et leurs lumières nous
feraient marcher avec plus d’assurance sur la route que nous nous sommes tracée
».
Claude Antoine lui-même
cumulera des responsabilités
éminentes dans de nombreux rites,
en particulier au Suprême Conseil de
France, au Souverain Chapitre
Métropolitain du Rite Ecossais
Philosophique et au Souverain
Chapitre du Choix du Rite de
Heredom of Kilwinning. Il procèdera
lui-même à la rédaction et la mise en
ordre des rituels de ce rite dans un manuscrit daté de 1807.
Le tableau du Chapitre du Choix
publié le 10 janvier 1808 rappelle que ce
chapitre, le plus ancien de l’ordre de
Heredom of Kilwinning en France, constitué
le 4 octobre 1786 avec pour Athirsata
Nicolas Chabouillé Ordre, le grand-père de
Marie Louise Olimpiade, avait suspendu ses
travaux le 15 octobre 1791 et a décidé le
31 décembre 1806 de les reprendre avec
pour Thirsata pro tempore Charles Auguste
Dubin de St Léonard Discrétion. Toutes les
démarches ayant été effectuées, tant auprès de son Altesse Sérénissime
l’Archichancelier que des autorités de l’ordre à Rouen, Dubin de St Léonard se démet
de son office le 5 mai 1807 et, notre frère Claude Antoine, qui porte la
caractéristique de Vérité, est élu Athirsata lors de la tenue solennelle du 6 novembre
1807. Notons que son beau-père
est lui-aussi membre du chapitre à
cette époque, de même que Pierre
Joseph Redouté, Jean Baptiste
Pyron et le comte de Valence.
En ce qui concerne le
Suprême Conseil de France, Thory
est le Grand Trésorier du Saint
Empire. Il signe le décret portant

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tarif des grades du 14 septembre 1808, et sera constamment confirmé dans cette
charge jusques et y compris au décret du 7 mai 1721 qui acte la réunion avec le
Suprême Conseil d’Amérique, et nommera le Baron Fréteau de Pény conjointement
avec lui.
L’année 1809, il a 50 ans, marque un premier tournant dans la vie
professionnelle de Claude Antoine Thory. Son père meurt le 23 mai, laissant un
héritage considérable, évalué à environ 750 000 livres, à partager entre cinq frères
et sœurs. Claude Antoine verra donc environ 150 000 livres en biens immobiliers
s’ajouter aux 100 000 reçus dans sa jeunesse. Dorénavant il affichera la profession
de propriétaire, et pourra se consacrer en totalité à ses engagements maçonniques
et à l’écriture. Son Histoire de la fondation du Grand Orient de France paraîtra en
1812, sa traduction du livre d’Alexander Lawrie Histoire de la Franche-Maçonnerie
tirée des sources les plus authentiques avec un rapport sur la Grande Loge d’Ecosse
en 1813 et les deux volumes des Acta Latomorum en 1815.

La Restauration sera le second tournant. Claude Antoine revient en grâce. Le


13 janvier 1816 il est nommé adjoint au Maire du 1er arrondissement de Paris, où il
habite, 392 rue Saint Honoré. Il le restera jusqu’à sa mort. Il est aussi nommé le 7
février juge de paix suppléant du tribunal du 1er arrondissement.
Mais avec la Restauration survient une nouvelle manœuvre du Grand Orient
pour tenter de s’approprier tous les rites. Le 23 décembre 1814 la Mère Loge
Ecossaise du Rite Philosophique dont Thory est à
nouveau Vénérable reçoit deux circulaires du
Grand Orient : « 1° une circulaire du GO de
France du 18 novembre 1814 […] dans laquelle il
déclare qu’il reprend les droits qu’il prétend
avoir sur tous les Grades & sur tous les rits ;
qu’en conséquence il délivrera seul à l’avenir les
constitutions et les capitulaires de tous les
grades etc. 2° une autre circulaire du 1er
décembre 1814 dans laquelle il dit que cet
arrêté n’est fixé qu’en principe, etc. ».

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La Mère Loge Ecossaise répond sous la signature de Thory en rappelant qu’elle


a toujours respecté le traité signé avec le Grand Orient le 30 novembre 1781, et
interdit à toutes ses loges et chapitres de fournir quelque pièce que ce soit au Grand
Orient.
Le Suprême Conseil de France, qui a reçu les mêmes circulaires, prend le 18
août 1815 un arrêté stipulant « Art. 1er Le projet de centralisation des rites, proposé
par le grand orient par les planches de ses commissaires, n’est pas admissible, il n’y
a pas lieu à cette centralisation. Art 2ème Il sera écrit aux conseils particuliers du
32ème degré, loges, chapitres, et divers ateliers du rit, pour leur faire connaître la
présente délibération… ». La signature de Thory figurera au pied de la circulaire en
question, qui sera expédiée le 26 août.
C’est l’occasion pour le Suprême
Conseil de France de réaffirmer son
indépendance, mais, avec l’exil de
Cambacérès s’ouvre une période de vide
existentiel pour le Suprême Conseil de
France et de turbulences au sein du
Suprême Conseil pour les îles françaises
de l’Amérique du vent et sous-le-vent,
qui ne sera réglée qu’en 1821. Le Recueil
des actes du Suprême Conseil de France,
publié en 1832, ne mentionne aucun
décret ou arrêté entre 26 août 1815 et le 7 mai 1821. En janvier 1816, Thory répond
au Général Jean Pascal Rouyer quadrature, son ancien adjoint à la tête du Chapitre
du Choix, ancien Vénérable de la MLE qui, se trouvant à Bruxelles, souhaite créer un
Suprême Conseil du 33ème degré au Royaume des Pays-Bas : « Il n’existe plus en
Europe de corps constituant. Celui du 33° à Paris ayant cessé ses travaux depuis plus
d’un an et ceux d’Italie et d’Espagne n’existant plus… ».
Claude Antoine pourra se consacrer à son jardin, au propre comme au figuré !
Il passera de plus en plus de temps à la « campagne » qu’il possédait à Belleville,
puis ensuite à Clamart-sous-Meudon. C’est la qu’il mettra en évidence deux espèces
nouvelles de roses dont il publiera la description en 1817, Rosa Redutea, et en 1819,
Rosa Condolleana. De sa collaboration avec son frère au Chapitre du Choix, le peintre
Pierre Joseph Redouté naîtra en 1817 le magnifique livre d’art Les Roses, dont il
composa le classement et
écrivit le texte. En 1818 il
publie une Bibliographie
spéciale des écrits publiés sur
la rose et le rosier, et en 1820
toujours chez le même
éditeur, Pierre Dufart quai
Voltaire, Prodrome de la
monographie des espèces et
variétés connues du genre
Rosier.

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La Mère Loge Ecossaise et le Souverain Chapitre Métropolitain, en fait le Rite


Ecossais Philosophique dont Thory est alors le Grand Conservateur, ne survivront pas
à la décennie. La dernière tenue du Souverain Chapitre aura lieu le 10 juillet 1819,
et la Mère Loge St Alexandre d’Ecosse et le Contrat Social réunis s’éteindra
doucement entre 1720 et 1721.
C’est l’époque ou le Suprême Conseil de France reprendra force et vigueur
sous l’impulsion du duc Decazes et du baron de Fernig, se réunissant le 7 mai 1821
avec le Suprême Conseil pour les
îles françaises de l’Amérique du
vent et sous-le-vent et nommant
Très Puissant Souverain Grand
Commandeur le comte de Valence.
Le baron Fréteau de Pény est «
nommé à l’unanimité Grand
Trésorier du Saint Empire, pour
lesdites fonctions être exercées
conjointement et supplétivement
l’un à l’autre avec le Très Illustre
Frère Thory ». Thory signera en
tant que Grand Trésorier du Saint
Empire la circulaire expédiée le 6 juin 1821. Notons en passant que cette date verra
aussi la création par le Suprême Conseil de la Loge de la Grande Commanderie, qui
se transformera en Grande Loge de France trois quarts de siècle plus tard.
Le 10 mai 1822, la
commission administrative reçoit la
lettre de démission de Claude
Antoine Thory qui « en témoignant
des regrets de ne pouvoir se
rejoindre au Suprême Conseil en
raison de son âge et de ses
infirmités qui l’ont fait renoncer à
tous travaux maçonniques, le
remercie et assure ses membres
qu’il ne leur demeure pas moins
attaché ». Le Suprême Conseil
exprime au Très Illustre Frère Thory
« la réciprocité des sentiments et des regrets du Suprême Conseil » en décidant
unanimement de garder son nom au tableau de l’ordre avec la qualité de membre
honoraire.
Claude Antoine préparait un mémoire
sur les groseilliers, entre travaux pratiques sur
ses plants dans sa campagne de Clamart-sous-
Meudon et recherches dans sa maison de la
rue Saint Honoré, lorsqu’il fut emporté,
semble-t-il subitement, le 22 octobre 1827 à
9 heures du matin, dans sa maison de Paris. Il avait donc 68 ans.

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Son ami et fidèle éditeur, Pierre Dufart, publia néanmoins au cours de l’année
1829 le manuscrit inachevé, avec les nombreuses illustrations peintes dans les jardins
de Clamart-sous-Meudon, concluant l’avertissement de l’éditeur par ces mots : «
Cette publication est d’ailleurs un hommage que nous nous faisons un devoir de
rendre à la mémoire d’un homme de bien, dont toute la vie a été consacrée aux
sciences utiles et au bonheur de la société ».
Son épouse et légataire universelle Marie Louise Olimpiade le rejoignit dans la
tombe le 11 mars 1830, léguant tous leurs biens meubles et immeubles à leurs neveux
et nièces. Les précieuses collections de Claude Antoine furent dispersées. Il semble
que ses archives furent mises en vente en 1863 par le libraire Tross, et que le Dr
Morisson de Greenfield acquit une grande partie de sa bibliothèque. Mais le
testament de Marie Louise Olimpiade recèle un autre trésor, que je ne peux manquer
de vous livrer pour conclure, son amour et son admiration pour son mari :

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