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Commission D'histoire 2015 - Frederick Dalcho PDF
Commission D'histoire 2015 - Frederick Dalcho PDF
Frederick Dalcho
Alain BERNHEIM
Reproduction réservée à la Grande Loge de France
Toute numérisation expressément interdite
2
Commission d’Histoire
12 septembre 2015
Éléments biographiques
Frederick Dalcho fut le Lieutenant Grand Commandeur du premier Suprême
Conseil au monde, “ouvert” ou inauguré le 31 mai 1801 à Charleston en Caroline du
Sud et son second Grand Commandeur de 1816 à 1823. Baptisé à Londres en 1770,
né de parents prussiens, Dalcho arrive chez son oncle dans le Maryland le 23 mai
1787. Il reçoit son diplôme de médecin à Baltimore en 1790. Au lendemain de son
second mariage (Noël 1805), il devient rédacteur du Charleston Courier. En 1813 il
abandonne cette seconde profession et est ordonné diacre de l'église épiscopale le
15 février 1814. Il restera homme
d'église jusqu'à sa mort, le 24
novembre 1836.
Il écrira avoir été initié en
1792 dans une loge de Savannah en
Géorgie.1 Les Registres des loges de
Savannah ayant brûlé dans deux
incendies (1792 et 1820), aucune
vérification n'est possible. La
première trace documentaire que
nous ayons de son activité
maçonnique consiste en une copie
du rituel du 4ème grade de sa main,
datée du 16 février 1801.
Six Patentes
En 1801 il reçoit six patentes.2 Deux sont datées du 24 mai
1801. Dans l’une, John Mitchell le nomme Député Inspecteur
Général ; dans l’autre, Grand Député Inspecteur Général.
Trois autres ne sont datées que de l’année 1801. La sixième,
sa patente de « Souverain Grand Inspecteur Général et
membre du Suprême Conseil du 33ème grade », datée du 25
mai 1801, ne fut découverte qu’en 1874.3 [3. ILLUSTRATION
Dalcho 33°] J’ai mis son authenticité en doute pour trois
raisons.4 Sa date, indiquée en calendrier grégorien, ne
correspond pas à son équivalent en calendrier hébraïque.5
this Twenty Third day of the Third month, called Sivan of the
Restoration 5562. Anno Lucis 5801.—— and of the Christian Æra this
twenty fifth day of May One thousand Eight hundred and one. 1801.——
1
« The author received them [the degrees] in this manner, in an Ancient York Lodge, 30 years ago, from one
of the most intelligent and zealous Masons in Savannah, Georgia. » (Dalcho 1822, note de la p. 200).
2
Toutes reproduites en fac-similé in Harris 1964: 329-334.
3
Wilmot G. de Saussure en annonça la découverte dans les archives de l’époux décédé de Madame Robert
S. Breen dan uns lettre adressée au Grand Commandeur Pike le 14 novembre 1874, reproduite dans
l’Official Bulletin de la Juridiction Sud, Vol. III (juillet 1876): 349-350.
4
Bernheim 1997:31. Bernheim 2012: 68-71.
5
L’équivalent du 25 mai 1801 en chronologie hébraïque serait 13 Sivan 5561, l’équivalent du 23 Sivan 5562
en chronologie usuelle le 23 juin 1802 (Bernheim 1997, 31).
Comme ses deux patentes du 24 mai 1801, elle indique qu’il fait partie de la
Medical Society of South Carolina à laquelle il n’appartiendra que le 1er juillet
suivant. Et elle décrit Dalcho comme étant membre du Suprême Conseil du 33ème
grade, lequel ne sera ouvert que six jours plus tard.
Une circulaire
A la fin de l’année, il est un des trois signataires de la célèbre Circulaire du 4
décembre 1802 en qualité de Lieutenant Grand Commandeur ensemble avec Emanuel
De La Motta que nous retrouverons bientôt et d’Isaac Auld. Cette Circulaire est tout
à fait distincte de ses deux allocutions, mais les auteurs français, y compris Paul
Naudon, ont confondu ces trois textes et leurs dates respectives. 9 Cette Circulaire
6
Ces deux allocutions de Dalcho furent publiées séparément à Charleston peu de temps après avoir été
prononcées. Elles furent réimprimées ensemble avec des modifications à Dublin en 1808.
7
La plus récente des deux Grandes Loges de Caroline du Sud, fondée en 1787 par cinq loges (Bernheim
2007: 139-151).
8
La première réunion de La Candeur comme loge sauvage s’était tenue le 24 juillet 1796 sous la présidence
de Delahogue qui en sera le premier Vénérable et s’en retirera le 1er mai 1798. Grasse-Tilly succédera à
Delahogue comme Vénérable mais la quittera le 4 août 1799 pour fonder une loge relevant de la Grande
Loge des Anciens, La Réunion Française No 45 (Bernheim 2011: 164-167)..
9
« C'est à Dalcho que revint l'honneur de donner publiquement les premières informations sur ces
événements. Il s'agit du discours (Oration) qu'il prononça à Charleston le 8 décembre 1802 [sic] ou le 21
mars 1803 selon les auteurs, et qu’imprima T. B. Bowen avec en appendice la circulaire du 4 décembre
1802 comportant des modifications et des notes à Charleston en 1802. […] Ce discours, avec un autre de
Dalcho, étranger à la question et prononcé aussi à Charleston le 23 décembre 1801 [sic], sera réimprimé à
Dublin en 1808 [...] » (Naudon 2003, p. 145).
10
Le fac-similé de la Circulaire de 1802 fut publié pour la première fois in Harris 1964: 319-325. Ce livre
reproduit p. 106 – avec une légende erronée – la lettre de Mitchell qui accompagnait la Circulaire.
11
Bernheim 1986: 277-282. Dans le même article, j’ai également reproduit, en fac-similé, les quarante-deux
premières pages du Recueil de 1832 (Bernheim 1986: 283-303), elles le furent également dans Ordo ab
Chao numéro 37 (1998): 19-62.
12
L'une des raisons pour lesquelles le Recueil des Actes du Suprême Conseil de France fut publié en 1832
fut probablement de mettre fin à des rumeurs. Depuis des années certains maçons à Paris faisaient allusion
à cette Grande Constitution de 1786. Cinq ans plus tôt le Frère Vassal écrivait: « Ne perdons pas de vue
que ces immenses prérogatives ne sont concédées au F\ de Grasse que conformément aux grandes
constitutions: où sont-elles ? qui les a vues ? Le F\ de Grasse n'a jamais pu les exhiber. Il n'existe d’autres
constitutions que les réglemens établis à Bordeaux en 1762 » (Vassal 1827: 19).
13
Les dix folios de ce manuscrit sont reproduits en fac-similé in Harris 1964: 337-346.
14
Pour les détails concernant ces événements, Bernheim 2011: 184-194. Bideaud arrivera à Bordeaux le 10
janvier 1807. Malade, il transmettra ses pouvoirs à Pierre-Joseph de Fondeviolle. Son nom apparaît
(orthographié Bidault) comme l’un des six membres du Suprême Conseil pour les Isles françaises de
l’Amérique, page 44 de l’Extrait du Livre d’Or du Suprême Conseil publié en 1813 (Ordo ab Chao numéro
32, 1995: 110). Cet Extrait reproduit également, pp. 83-85, le Tableau du « Souverain Grand Consistoire
séant à New-Yorck » dont le Président est Joseph Cerneau.
15
Et non « à Viblevin » comme l’écrit Claude Gagne (Ordo ab Chao N° 32, 1995: 98). J’ai publié en fac-similés
ses actes de naissance et de décès que m’avait aimablement communiqués Monsieur Gilles Lorillon
(Bernheim 2010: 68-70).
16
Une seconde patente datée du 15 juillet 1806 reçue par Cerneau commence ainsi: « Nous Antoine Mathieu
Dupotet G: M: de toutes les L: L: Col:, ch:, cons:re ch: et cons:re des degres Supérieurs de la maçonnerie
député G: Me: du G: Ort: de Pennsilvanie, etats unis de lamérique & de la G: de L: et Souv:in Chev:er prov:al
d'Hérédom de Kilwinning d'Edimbourg, pour Lamérique, sous le titre distinctif du S.t Esprit; grand Prov:al de
Saint domingue au rit ancien, G: Commandeur ou president Souv:n du T: P:t G: Cons:l des S:mes P:ces du R:al
Secret, Etabli au port auprince, Isle S:t domingue par patente constitutive des 16 Janvier et19 avril 1801
sous le titre distinctif de la Triple unité, tranféré à Baracoa isle de Cuba, à cause des Evenements de la
guerre. » (Document que n’a transmis le T\ Ill\ F\ Brent Morris en mars 1999). Fac-similé du premier folio
in De Hoyos 2001: 78.
17
Décisions du Suprême Conseil tome 2: folio 431.
18
Il le sera également par le Grand Collège des Rites du Grand Orient de France en 1816, Germain Hacquet
étant passé alors du premier au second en 1815. A propos de Cerneau et de son Suprême Conseil,
Bernheim 2011: 206-221.
19
Imprimé de seize pages reproduit en fac-similé in Bernheim 2010: 71-77.
Il écrit à Charleston au mois d’août. Nous n’avons plus ses lettres mais nous
avons leurs réponses. Dans celle du 23 août, Dalcho regrette profondément la
conduite d’un certain individu à New York – Cerneau – qui y a établi des grades qui
ne peuvent exister légalement aux Etats-Unis qu’à Charleston. Ce que Dalcho
explique avec une phrase stupéfiante:
Il est bien connu de ceux qui ont légalement reçu le 33° qu’il ne peut avoir qu’un seul
Conseil de ce grade par nation ou par royaume ; et que le Conseil pour les Etats-Unis fut établi
légalement dans cette ville [Charleston] le 31 mai 1801.20
Phrase stupéfiante, parce que toutes les versions connues des Constitutions
de 1786 prévoient l’existence de deux Suprêmes Conseils aux Etats-Unis.
Le 14 septembre, accompagné de quatre témoins dont Gourgas, La Motta rend
visite à Cerneau. Le lendemain il rencontre De Witt Clinton. Le déroulement de ces
deux visites est décrit dans la lettre que je reproduis en annexe, adressée le 18 juin
1814 de New York par De La Motta au comte de Grasse-Tilly à Paris.21 La Motta
explique à Clinton qu’il va publier une circulaire dans laquelle Cerneau est qualifié
d’imposteur, mais que par délicatesse, il va attendre que Clinton et Cerneau entrent
en contact. Six jours plus tard, Clinton rend sa visite à La Motta et lui déclare qu’il
n’a pas pu joindre Cerneau. La Motta lui annonce qu’il part le lendemain pour
Philadelphie où il a l’intention de rester trois ou quatre semaines. Clinton lui dit qu’il
pourra sûrement joindre Cerneau dans l’intervalle et demande à La Motta de ne rien
publier entre temps.
La Motta envoie un projet de circulaire daté du 21 septembre à Charleston.
Le Grand Commandeur Mitchell et son Lieutenant Dalcho le lui renvoient approuvé
et signé la veille de Noël. Leur approbation est apportée à New York le 8 janvier
1814 par le fils de La Motta. Gourgas la fait suivre le 17 à Philadelphie avec une
lettre remarquablement intéressante.
Signée par Gourgas et par trois autres membre du Consistoire dont Tardy,
cette lettre n’était connue que par un résume d’Albert Pike. L’original réapparu en
2013 dans les archives de la Juridiction Nord m’ayant été aimablement communiqué,
je l’ai intégralement publié.22 Gourgas y annonce qu’après le départ de La Motta de
New York, Cerneau a créé un « Grand Conseil du 33° à Philadelphie ». Et il lui pose
la question suivante: « Nous serions heureux de connaître à l’heure actuelle
[souligné dans l’original] vos idées à propos de notre reconnaissance en tant que 33°
par votre Suprême Conseil à Charleston ».
Or, n’ayant reçu aucune nouvelle de Clinton, La Motta publie le 31 janvier
1814 de Philadelphie la Circulaire approuvée par Mitchell et Dalcho. Il y prononce
l’expulsion de la Maçonnerie de Cerneau, « imposteur der première grandeur » et
déclare en son nom et en celui de son Suprême Conseil: « le Souverain Grand
Consistoire des 30°, 31° et 32° établi le 6 août 1806 dans cette ville par les trois fois
Illustres Frères Tardy, Gourgas […] est le seul corps légal qui puisse exister à New
York pour le District Nord des Etats-Unis d’Amérique.23
20
Bernheim 2011: 224-227. Bernheim 2013: 11.
21
Voir aussi Bernheim 2013: 26-28.
22
Bernheim 2013: 16-17.
23
Bernheim 2011: 237-238.
La parution de la
circulaire de La Motta
amènera une réplique
cinglante du Grand
Consistoire Cerneau,
publié le 28 février, qui
relève que la latitude
(40° 23’) que La Motta
a attribuée à New York
au bas de sa circulaire
est gravement
inexacte. Cette
constatation anodine
mais parfaitement
justifiée me permettra
de mettre en doute
l’authenticité de
plusieurs documents
précédemment issus à
New York.24 La Motta répondra six mois plus tard par un pamphlet de 62 pages dans
lequel ne se trouve pas la moindre allusion à un Suprême Conseil qu’il aurait fondé
à New York. La Juridiction Nord des Etats-Unis prétend néanmoins encore
aujourd’hui avoir été créée par lui le 5 août 1813. J’ai démontré que les documents
sur lesquels se base sa prétention sont antidatés.25 Art de Hoyos et moi avons été
jusqu’à écrire l’année dernière que même si La Motta avait alors procédé à cette
création, il aurait agi irrégulièrement.26
D’autre part, en lisant la lettre qu’Emanuel De La Motta adresse en français
au comte de Grasse-Tilly, le 18 juin 1814, document découvert par Arturo de Hoyos, 27
transcrite intégralement en annexe, vous découvrirez l’une de ses phrases
essentielles:
Les Grandes Constitutions du 33e\ ordonnent deux Suprêmes Conseils du 33e\ pour la
Juridiction des Etats-Unis d’Amérique. Mais il est naturel et de droit que Charleston aide
l’établissement du second et c’est ce qu’ils feront pendant mon séjour içi sous peu de tems.
Elle est en contradiction formelle avec ce que Frederick Dalcho écrivait moins
d’un an plus tôt et évoque au futur la création d’un second Suprême Conseil pour
les États-Unis.
Charleston 1815
Le 8 mars 1815, La Motta quitte New York et rentre à Charleston. Dalcho écrit
quelques semaines plus tard que le Suprême Conseil va se réunir pour l’entendre. 28
Que se passe-t-il alors? Nous n’en savons rien.
24
Bernheim 2013: 68-70.
25
Bernheim 2013: 31-35 & 71.
26
Bernheim & De Hoyos 2014: 87-94.
27
Il en publia la traduction en anglais (De Hoyos 2001: 90-95).
28
Bernheim 2011: 260-262.
Mais nous savons que le 3 juillet 1815, Gourgas adresse à La Motta à Charleston
une lettre accompagnée d’un projet de circulaire antidaté qu’il lui demande de faire
signer par Dalcho et par le Suprême Conseil. Dans cette lettre, Gourgas écrit:
Mais en dehors de cela, Très lll\ F\, je ne doute pas que vous estimerez, comme nous,
qu’il est indispensable que nous nous fassions connaître, aussitôt que possible, à tous les autres
Conseils sur la surface des deux hémisphères, comme ayant été dûment et légalement formés
par vous, T\ Ill\ F\, et sous les heureux auspices de votre Sup\ Gr\ Conseil à Charleston […].
Voilà pourquoi je joins une circulaire29 que je suis sûr que vous approuverez ;
ayez la bonté d’y apposer votre signature et de la présenter à notre Ill\ F\, le Rév.
Dr. Frederick Dalcho, en lui demandant d’y inscrire au dos, en terme non équivoques,
la ratification de votre Sup. Gr. Conseil, signée au moins par cinq de ses lll\ Membres
et, si possible, scellée.
Ni La Motta ni le Suprême Conseil ne répondront. Sans doute parce qu’un
événement extraordinaire vient d’avoir lieu: le 10 avril 1815, un mois après le départ
de La Motta de New York, Joseph Cerneau a délivré une patente créant un Grand
Conseil de Princes du Royal Secret à Charleston. Ce n’est qu’en 2012 que la centaine
de folios du livre de procès-verbaux (Register) de ce Grand Conseil a été redécouvert
par Arturo de Hoyos. Il m’en a transmis une copie intégrale que j’ai analysée,
commentée et transcrite en partie dans un article de 170 pages.30 Une des
découvertes que j’y ai faite est la présence, à la suite de la patente, d’un document
intitulé Extraits des Lois Generales et des Instructions sur les principes G.x de la h\
mie - Instituts, Statuts et reglements Generaux de la Haute Maconnerie. [17.
ILLUSTRATION folio 8]
Cet ensemble de textes (folios 8-14) reproduit les 10 articles des Instituts ainsi
que les 18 articles des Statuts qui se trouvaient pages 19-25 du Recueil des Actes
publié à Paris en 1832 et, sous l’intitulé Extrait des Instructions sur les Principes
Generaux de la Haute Maçonnerie, l’article 12 qui s’y trouvait page 32. Autrement
dit, les documents d’origine inconnue, insérés entre les Constitutions de 1762 et
celles de 1786 dans le Recueil, étaient ceux qui avaient été transmis à Joseph
Cerneau par les organismes créés par Estienne Morin à Saint-Domingue qui s’étaient
exilés à Baracoa (Cuba) à cause de la guerre.
Ce Grand Conseil tient sa première réunion le 17 août. Thomas Wright Bacot,
qui en est le premier Président, a été nommé en 1794 Postmaster de Charleston par
le président George Washington. Et il est surtout le Grand Maître en exercice de la
Grande Loge de la Caroline du Sud.31 De son discours inaugural, retenons ceci:
Nous n’avons pas seulement à donner au Sublime Conseil que nous sommes sur le point
d’établir un caractère qui nous rendra honorés et respectés à l’étranger, mais nous aurons
probablement aussi à combattre les préjudices, ou même l’hostilité, des quelques membres de
l’ancien Grand Conseil de cette ville qui semble s’être éteint, faute d’avoir continué à exercer
ses fonctions essentielles.32
29
Bernheim 2011: 562-565 (Document antidaté du 7 janvier 1815, sur lequel manque la signature de La
Motta).
30
Bernheim 2012-1: 11-178.
31
T. W. Bacot deviendra le premier Grand Maître de la nouvelle obédience créée le 27 décembre 1817 par
les deux Grandes Loges qui, à l’instar de l’Angleterre, ont fini par s’unir en créant la Grande Loge des
Anciens Francs-Maçons de la Caroline du Sud. Résumé de sa biographie in Bernheim 2012-1: 76.
32
Bernheim 2012-1: 22.
Ces derniers mots constituent une allusion claire au Suprême Conseil fonde en
1801. Aucun document ne montre en effet que le premier Suprême Conseil du monde
ait eu alors la moindre activité bien que ses membres soient alors encore six. Ils ne
seront plus que cinq au début de 1816 après la mort de John Mitchell 33 auquel
succède automatiquement Frederick Dalcho comme Grand Commandeur. Et quatre
seulement, Dalcho, Isaac Auld, Moses Clava Levy et James Moultrie, le 17 mai 1821,
après le décès d’Emanuel De La Motta. Décès qui déclenche un cataclysme qui va
durer deux ans et culminera avec le retrait de Dalcho et de Bacot de toutes leurs
fonctions maçonniques.
Charleston 1821–1823
Nous savons ce qui arrive à Charleston à partir de l’été 1821 grâce aux procès-
verbaux du Conseil créé par Cerneau, aux comptes rendus des réunions de la Grande
Loge, à plusieurs lettres publiées ultérieurement et aussi grâce au petit livre publié
par Joseph M’Cosh en 1823, Documents upon Sublime Free-Masonry in the United
States of America.34
Peu après la mort de La Motta, ses archives et, semble-t-il, celles de John
Mitchell, tombent entre les mains d’un groupe de treize Maîtres-Maçons qui forment
une « Association ». Un comité de trois membres du Grand Conseil Cerneau dont
Bacot fait partie, leur rend visite le 20 août. Trois jours après, Bacot vient voir Dalcho
qui est le Grand Aumônier de sa Grande Loge. Dalcho lui déclare que trois membres
de l’Association sont venus lui dire être en possession de copies manuscrites de
plusieurs hauts grades et lui ont demandé conseil. Quelques heures plus tard, Dalcho
retourne voir Bacot. Il vient de rencontrer dans la rue l’un des Associés, Moses
Holbrook, qui a emmené Dalcho chez lui où ses amis sont réunis. Ils lui ont remis par
écrit la promesse de ne pas dévoiler les rituels en leur possession. Les Associés
retourneront voir Bacot en déclarant qu’ils souhaitent seulement recevoir le grade
de la Perfection. Cela leur sera refusé.
Les Associés se retournent alors vers le Suprême Conseil et le 9 février 1822,
le Suprême Conseil délivre à six d’entre eux une patente les autorisant à ouvrir à
Charleston un Grand Conseil de Princes de Jérusalem. Que s’est-il passé ce jour-là ?
D’après une lettre que Holbrook adressa peu après à New York, Dalcho refusa de
réunir le Suprême Conseil. Après quoi, les trois autres membres passèrent outre.
Toujours est-il que cette patente dont nous avons le fac-similé35 fut signée par Isaac
Auld « faisant fonction [acting] de Grand Commandeur », Moultrie « faisant fonction
de Lieutenant Grand Commandeur » et Levy, Trésorier Général du Saint Empire.
Le représentant de Cerneau à Charleston, Pierre Javain, informa le Consistoire
de New York que la Circulaire que La Motta avait distribuée à New York – dans
laquelle Cerneau était traité d’imposteur et qui était ignorée des maçons de
Charleston – venait d’être republiée dans les journaux locaux. Dalcho avait-il joué
un rôle dans la republication de la Circulaire La Motta ? Javain lui posa la question
33
A propos des doutes sur la date de sa mort, voir Bernheim 2012: 86.
34
Ce qui suit est décrit en détail in Bernheim 2012-1: 23-53.
35
Fac-similé de cette patente in Harris 1964: 140. Transcrite in Bernheim 2012-1: 122-123.
par écrit le 29 mars 1822. Dalcho lui répondit fraternellement – ils étaient amis –
deux jours plus tard:
Le docteur Auld n’a reçu de moi aucune autorité pour exécuter quelque acte maçonnique
que ce soit. Je n’ai transmis à personne le pouvoir dont je suis investi par la Constitution du 33°.
Au cours du mois de mai, Javain et un Irlandais nommé M’Cosh qui est l’un des
membres du Conseil de Princes de Jérusalem, échangent une polémique dans les
journaux de Charleston. En novembre, quatre Associés, dont Moses Holbrook et
Joseph M’Cosh, reçoivent le 33° par des patentes signées par Auld, Grand
Commandeur, et deviennent membres du Suprême Conseil.
Au début de 1823, Javain transmet à New York la proposition que Dalcho vient
de lui faire: diviser la juridiction des Etats-Unis en deux parties, l’une pour New
York, l’autre pour Charleston. Sa lettre sera lue à New York le 28 février et l’offre
de Dalcho qualifiée d’ « absurde » sera rejetée. Elle restera inconnue pendant près
de deux siècles.36
Les choses en seraient peut-être restées là si M’Cosh n’avait pas eu l’idée de
publier durant l’été 1823 Documents upon Sublime Free-Masonry dans lequel il
ajouta en note une allusion par laquelle Bacot se sentit visé. Bacot convoqua la
Grande Loge pour faire exclure ceux qui l’avaient insulté. Dalcho intervint alors
comme médiateur. Il fit signer par les deux parties des lettres dans lesquelles ils
retiraient leurs accusations réciproques. Elles furent lues et approuvées à la Grande
Loge le 31 octobre. Dalcho et Bacot présentèrent leurs démissions de leurs offices
avant la fin de l’année.37
36
J’en fis état dans une allocution devant la Scottish Rite Society le 6 octobre 2009 à Washington. Elle fut
publiée dans The Plumbline, 2010, Vol. 17, N° 1.
37
Le tiré à part imprimé, consacré à la réunion de la Grande Loge le 31 octobre 1823, ne semble plus exister
aux Etats-Unis. J’ai retrouvé ce qui est peut-être le seul exemplaire restant au monde au Fonds maçonnique
de la Bibliothèque Nationale (Bernheim 2012-1: 45).
38
A propos des « Constitutions Secrètes », voir Bernheim 1987: 46-66 & Bernheim 2013: 22, note 22.
Auguste de Grasse-Tilly
Michel PIQUET
Reproduction réservée à la Grande Loge de France
Toute numérisation expressément interdite
14
Commission d’Histoire
12 septembre 2015
1765 – 1789
Auguste de Grasse est né le 14 Février 1765 à Versailles(1), fils du capitaine de
Vaisseau, et futur amiral, François de Grasse et d’Antoinette Accaron, fille d’un
intendant général des colonies françaises. Sa mère décède en 1773 et son père se
remarie en 1775 avec Marie-Catherine de Pien, créole de Port de Paix (province du
nord) à Saint Domingue où elle possède de riches plantations. En avril 1781, à l’âge
de seize ans il obtient une charge de second sous lieutenant au régiment d’infanterie
du Roi puis achète en février 1786 un brevet de capitaine au régiment de Royal
Pologne cavalerie avant de rejoindre le 1° janvier 1789 le Royal Guyenne cavalerie.
Entretemps son père avait participé de façon décisive
à la guerre d’indépendance américaine en provoquant la
bataille de Chesapeake en septembre 1781 puis la capitulation
de l’amiral Cornwallis à Yorktown. Il créa alors des liens
d’amitié très sincères avec Washington qui, en souvenir,
aidera ses enfants lorsque les malheurs des temps les
atteindront. De retour aux Caraïbes comme lieutenant général
de l’armée navale de l’Atlantique, il est défait en avril 1782
lors de la bataille des Saintes et fait prisonnier. Veuf depuis
1780, il s’était remarié une troisième fois avec Christine de
Cibon, sa cadette de 32 ans. Il meurt en janvier 1788.
Après avoir été admis aux honneurs de la Cour, la même année, Auguste de
Grasse débarque en 1789 (2) au Cap Français pour recueillir l’héritage de son père. Ce
dernier avait acquis un premier domaine à Saint Domingue en 1762, puis en 1773 une
plantation plus importante, enfin par son second mariage il avait hérité d’une grosse
plantation. Mais, très endetté (il était très généreux et avait avancé sur ses biens
personnels la campagne de Rochambeau à Yorktown), il contraint ses héritiers à
vendre, lors de son décès, le château de Tilly. Au total, lors de l’établissement de
l’état détaillé des indemnités aux anciens colons de Saint Domingue (1828-1834), les
biens concernés comprenaient une indigoterie, deux cafèteries, trois maisons en ville
et un terrain, le tout à Port de Paix.
La carrière maçonnique d’Auguste de Grasse commence le 8 janvier 1783 par
sa réception au grade d’apprenti à la Loge Saint Jean d’Ecosse du Contrat Social,
Mère Loge Ecossaise de France. Il figurera sur le tableau jusqu’en 1787 (3). Il suit son
régiment qui arrive à Nancy le 6 juin 1783. En 1784, il apparait comme nouveau
membre de la loge Saint Louis(4), loge des officiers du régiment, avec le grade de M.P
(Maitre Parfait).
A partir de 1790, Saint Domingue doit faire face aux révoltes des mulâtres puis
des esclaves. On estime qu’en 1789 il y avait 500.000 habitants à Saint Domingue,
450.000 esclaves et 50.000 hommes libres répartis pour moitié entre colons d’une
part et mulâtres, affranchis et petits blancs d’autre part, dont 20.000 habitaient au
Cap Français.
La colonie se mobilise et de Grasse, ancien militaire, est sollicité par la Garde
Nationale (7). D’abord commandant du corps des Volontaires du Cap en 1790, il
devient capitaine général de la Garde Nationale de Port de Paix en 1791, inspecteur
du cordon de l’Ouest de la province du Nord en 1792. Il passe à la ligne et est nommé
en décembre 1792 commandant du 41° régiment d’infanterie, puis commandant en
chef des troupes de ligne en janvier 1793. Il s’illustre en défendant les habitants
réfugiés dans les casernes, après l’incendie au Cap Français du 20 juin 1793 et les
émeutes du 21 au 24. Mais, en conflit avec l’un des représentants de la
Convention, Sonthonax, il quitte Saint Domingue le 28 juillet 1793.
Entre temps il s’était marié le 17 septembre 1792(8) avec Sophie Delahogue,
âgée de dix sept ans, fille de son ami, notaire et frère en maçonnerie Jean Baptiste.
Famille (y compris Caroline sa première née le 7 juillet 1793), et belle famille,
embarquent sur un navire américain. Arraisonnés par un corsaire anglais qui les
dépouille de tous leurs biens, ils arrivent à Boston le 14 Août 1793(9)
coopté le 9 mai 1802 et James Moultrie le 3 août 1802, d’où l’expression de Ray
Harris : « The eleven gentlemen of Charleston ».
avril 1804. Il avait par ailleurs donné patente de DIG à Dupotet qui l’avait transmise
à Cerneau, à l’origine du deuxième Suprême Conseil de la Juridiction Nord).
Pendant son séjour à Saint Domingue de 1802-1803 de Grasse est souvent
terrassé par des crises de paludisme. Aide de camp du général Quentin puis versé à
l’Etat Major de Rochambeau, il combat, est fait prisonnier le 28 novembre 1803 et
conduit par les anglais à Kingston jusqu’en février 1804, date à laquelle il rejoint
Charleston.
A Kingston, il rencontre les frères Moralès, dont Salomon, qui fut secrétaire
provincial et V.M. de deux loges anglaises de la Grande Loge des Anciens. En 1815,
ce Salomon Moralès correspond avec Emmanuel de La Motta et signe comme « Grand
Secrétaire du Saint Empire du Suprême Conseil de Kingston » (c'est-à-dire du
Suprême Conseil des Iles anglaises d’Amérique)(17) et Isaac, Grand Secrétaire
provincial en 1799 puis député Grand Maitre de la Grande Loge provinciale de 1801
à 1809. Ils signèrent la patente de Grasse le 11 janvier 1804, Salomon comme P.R.S
et Isaac comme GIG, 33°(18). On notera que c’est ce dernier qui en 1797 avait
reproché au Consistoire de Charleston sa création spontanée, sans autorisation, puis
qui avait accordée cette dernière après soumission.
*
L’aventure maçonnique de Grasse se poursuivra, il apparaitra lors des
constitutions des Suprêmes Conseils d’Italie (Milan 1806), des Deux Siciles (Naples
1809), des Espagnes (Madrid 1811). Il reprendra en main en 1814, lors de son retour
de captivité, le Suprême Conseil (émigré) des Iles Françaises d’Amérique et le
conduira, après certes bien des vicissitudes à la fusion avec celui de France en 1821.
On le retrouvera dans des missions plus modestes comme l’installation d’un Chapitre
à Saint Germain en Laye en 1819 où sa participation la même année 1819 à une
réunion préparatoire du Suprême Conseil de France.(23)
Quant à l’aventure coloniale, elle se terminera par l’indemnisation ouverte
aux rapatriés par la loi de 1825 qui lui permettra dans les dernières années de sa vie
de recevoir deux cent mille francs dont il se fera déposséder bien rapidement.
Notes
1. Registre paroissial de Saint Louis de Versailles – (A.D. des Yvelines)
2. De Grasse (comte Auguste) – Notice biographique sur l’amiral comte de Grasse. D’après les
documents […] Bailly – Paris – 1840
3. Le Bihan (Alain) – Francs Maçons parisiens du Grand Orient de France – Paris – 1966 – P.234
4. Bernardin (Charles) – Notices pour servir à l’histoire de la Franc Maçonnerie à Nancy jusqu’en
1805 – Nancy – 1910
5. B.N.F – FM2-543
6. Le Bihan (Alain) – Loges et Chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France – Loges de
Province – Paris 1990 – P.389 à 395
7. Pour toutes les affectations militaires voir le dossier des Archives du SHAT – dossier 3yf. 69455 –
Auguste de Grasse
8. Registre paroissial de Port de Paix (A.N. d’Outre Mer – Aix en Provence)
9. City Gazette – 15 Août 1793 – Charleston
10. de Grasse (Marquis Guillaume) – Histoire de la maison de Grasse – Paris – 1933 - Tome1 – P ; 262-
263
11. Registre de La Candeur – (24 juillet 1796 – 4 février 1798) – (Archives du Suprême Conseil S.J. –
Washington), rapporté par A. Bernheim in op. cit. – 1997 – P. 167-178
12. Bernheim (Alain) – « Avatars of the knight Kadosch in France and in Charleston » - Heredom –
n°6 - 1997
13. Voir à ce propos, Bernheim (Alain) – « Le bicentenaire des grandes Constitutions de 1786 … » -
Renaissance Traditionnelle – n° 69 – 1987 – p.45
14. Livre d’Or de Grasse-Tilly – BNF – FM1 – 285 – p 8° (p.112 de l’édition du Suprême Conseil de
France – 2003)
15. B.N. F – FM2- 543
16. Official bulletin of The Suprême Council […] for the Southern Juridiction, VIII, p. 738
17. Bernheim (Alain) – op. cité – 1987 – p. 66 à 68
18. Livre d’Or de Thory – fol.34 vo – (Archives de la Grande Loge de France)
19. Livre d’Or du Suprême conseil d’Amérique – Séance du 18 Août 1818
20. à ce propos, il serait intéressant de poursuivre la réflexion d’Alain Bernheim (Renaissance
Traditionnelle – n° 69 – 1987 – p. 46 à 54) sur la distinction à faire entre les « Consistoires de
SPRS » et les « Grands Consistoires de D.I.G. »
21. BNF – FM5 -1162
22. BNF – FM1 Sup. Cons. (carton n°1)
23. Fonds Russe – Fonds 110 – opus 1 – boite 35 – cote 732 – fol. 2 – GLDF
Louis TREBUCHET
Plus âgé de six ans qu’Auguste de Grasse-Tilly, Claude Antoine Thory est
baptisé le 28 mai 1759 à Paris, nous le savons avec certitude malgré l’absence de
document d’état-civil. En effet, détruit lors des incendies de la Commune en mai
1871, l'état civil parisien antérieur à 1860 n’a pu être reconstitué qu’en partie. La
minute de l’acceptation de Thory dans la Compagnie des greffiers du Chatelet
indique : « Vu laditte assemblée l’acte de Baptême dudit Sr claude antoine Thory
en datte du 28 mai 1759 tiré du registre de la Paroisse St Laurent de cette ville signé
Breton ». Son environnement familial, de même que le cours de l’existence de sa
loge, Saint Alexandre d’Ecosse, ont été décrits de manière parfaitement documentée
par l’historien Jacques Tuchendler dans deux articles de Renaissance Traditionnelle
en 2004.
Aîné d’une fratrie de cinq, deux frères et deux sœurs, il nait dans une famille
devenue riche par la réussite de son père, négociant en vin à Paris, qui réussit à
devenir l’un des douze fournisseurs officiels du Roi. Ainsi, à la fin de ses études, ses
parents lui prêtent « lors de son établissement » une somme de 100 000 Livres à
valoir sur son héritage. À la mort de son père, le 23 mai 1809, sa part d’héritage, y
compris la dotation initiale, est évaluée à 250 000 Livres, pour la plus grande partie
en biens immobiliers. Pour comparaison, cela représente 1 250 années de salaire
d’un employé journalier à cette époque.
La plupart de ses biographes mentionnent qu’il reçut l’excellente éducation
du Collège de Lisieux, à l’époque où celui, pour permettre l’édification de l’Église
Ste Geneviève fut d’abord abrité par le Collège St Louis, puis installé rue Jean de
Beauvais, dans les locaux de l’ancien Collège de Dormans, l’actuelle place du
Panthéon. Si ce fut le cas, il eut comme
professeur un ami de Jérôme De
Lalande, l’astronome et VM de la loge
des neuf sœurs, Charles-François Dupuis
qui publiera en 1794 Origine de tous les
cultes ou Religion universelle, suivi en
1798 d’un Abrégé.
C’est le 25 mai 1784, que « Claude
Antoine Thory, avocat en parlement,
natif de Paris âgé de 24 ans [encore pour
quelques jours] demeurant à Paris rue
du Mouton, maison de Mr Minguet Notaire » est initié par le V\M\ Jean Jacques
Jérôme Ducos de la R\L\ St Alexandre d’Ecosse, au rite écossais philosophique. Ne
nous méprenons pas, Thory n’est pas avocat au Parlement de Paris. D’ailleurs son
nom n’est mentionné dans aucun des rôles du barreau du Parlement de Paris. « On
donne le nom d’avocat en parlement à ceux qui ont pris des degrés, qui n’ont point
suivi le palais, ni fait la profession d’avocat » indique le dictionnaire de Trévoux de
1771. Claude Antoine vient de finir ses études, d’ailleurs il réside encore chez son
beau-frère, le notaire Jean Baptiste Minguet.
Cela n’empêchera Claude Antoine
Thory de se montrer brillant dans sa loge.
Quatre mois après sa réception, le 23
septembre, et encore le 24 octobre,
remplaçant l’orateur titulaire, il se fait
applaudir pour son éloquence. Le 16 janvier
suivant, 1785, il est élu Orateur titulaire, et
le mois suivant chargé des archives. Il sera
désigné à l’unanimité comme Député de la
loge au Grand Orient de France le 30 avril
1785, 13 mois après son initiation, et enfin
élu Vénérable le 13 février 1787.
Le registre du Souverain Chapitre
Métropolitain Ecossais trace pour notre
homme une évolution tout aussi fulgurante.
Il est reçu Maître Parfait et entre au
Souverain Chapitre le 17 janvier 1785. Trois
mois plus tard, le 13 mars 1785, il est déjà
nommé Grand Ecossais. Il sera nommé
Chevaler Ecossais le 7 janvier 1788, et initié
le 14 avril à cet ultime grade donné par le
Chapitre au Rite Ecossais Philosophique,
dont il a été élu entretemps Grand Garde
des Sceaux, le 14 mars 1788.
À 25 ans, aîné d’une famille aisée, logé par sa sœur et son beau-frère, ses
études terminées, Claude Antoine a certainement dû consacrer tout son temps, sa
passion, et ses qualités intellectuelles, à cette franc-maçonnerie qu’il découvre.
Ce n’est qu’à 27 ans, au cours de l’été 1786, aidé par le prêt que lui accordent
ses parents, qu’il rachète à Maître Thomas
Nicolas Digard sa charge de Greffier commis
ancien et triennal de la chambre criminelle
de l’ancien et du nouveau Chatelet de Paris.
Nous n’avons pas trouvé trace d’un acte
notarié à ce sujet, mais la provision du Roi le
concernant est datée du 23 août 1786 et
l’assemblée de la Compagnie des Greffiers
commis au Chatelet qui l’agrée se réunit le 29
août, mentionnant sa prise de fonction pour
le 1er septembre 1786.
Cet investissement ne sera pas, sur le plan financier tout au moins, le meilleur
qu’ait réalisé Claude Antoine Thory au cours de sa vie ! Les turbulences de la
révolution s’annoncent, et Thory, greffier à la Chambre criminelle du Chatelet, se
retrouvera au cœur des décisions de police et de justice, jusqu’à ce que la
constituante ne réforme le système judiciaire et ne supprime toutes les charges, y
compris celles de greffier, au début de l’année 1791.
Le pamphlet de Marat « l’Ami du Peuple, citoyen du district des Cordeliers,
et auteur de plusieurs ouvrages patriotiques, contre le ministre des Finances, la
Municipalité et le Chatelet de Paris ; suivi de l’exposé des raisons urgentes de
destituer cet administrateur des deniers publics, de purger cette corporation,
d’abolir ce tribunal,
redoutables suppôts du
despotisme » reproduit
le décret de prise de
corps, d’arrestation, pris
contre lui le 8 octobre
1789 par la chambre
criminelle du Chatelet,
signé par Claude Antoine
Thory.
Le 27 janvier 1791 les affaires criminelles en cours au Chatelet de Paris sont
réparties dans les nouveaux tribunaux d’arrondissement. Le tableau correspondant
porte la signature de Thory pour un procès transmis au tribunal du 1er
arrondissement. Quelques jours plus tôt, le 15 janvier 1791 la dernière assemblée de
la Compagnie des greffiers du Chatelet de Paris avait assumé sa propre disparition,
constatant et répartissant les avoirs restant, dans une atmosphère de précision, de
rigueur et de grande dignité. Ses membres récupèreront les 3/11èmes de leurs
avoirs.
La notice biographique rédigée par Beaumont pour la 3ème édition des Roses
de Pierre Joseph Redouté le décrit ainsi : « Les offices de judicature ayant été
supprimés, il se montra insensible à cette perte, qui lui enlevait une partie de sa
fortune. De ce moment il se livra sans partage à ses inclinations studieuses, et à son
goût pour les sciences naturelles et les lettres… ».
Il ne fit pas que cela, puisque quelques mois plus tard, le 17 septembre 1791,
dans son contrat de mariage avec Marie Louise Olimpiade [sic] Chabouillé, il est
qualifié d’agent de change. Ce n’est surement pas une coïncidence si sont beau-
père, Pierre Vincent de Paule Chabouillé exerce la même profession, et si le grand-
père de son épouse, décédé en 1788, Nicolas Chabouillé, était un frère, Athirsata
fondateur du Chapitre du Choix le 4 octobre 1786.
La terreur passe avec son cortège d’exécutions, et pour l’ancien greffier du
Chatelet « de vives persécutions pendant les troubles révolutionnaires » selon
Beaumont. Saint Alexandre d’Ecosse entre en sommeil le 25 février 1792. Un premier
essai de réveil par le frère Burard se transforme en création d’une nouvelle loge,
non écossaise, Thémis, Burrard et Jacotot étant les seuls maîtres écossais alors
présents.
Ce sera seulement le 8 août 1804 que St Alexandre d’Ecosse reprend ses
travaux sous le vénéralat de Godefroid de la Tour d’Auvergne. Le 25 mars 1805, de
nouveau en possession de ses registres, Thory, « vénérable en exercice du fait de la
démission de Godefroid de la
Tour d’Auvergne » y décrit cette
période de recherche des sceaux
et archives confiés aux uns et
aux autres, précisant « le F.
Thory a déclaré que les
planches, cuivres, constitutions
capitulaires et archives des
hauts grades dont il était
dépositaire avaient été
soustraits de ses mains dans le
cours de l’année 1792 lors d’une
visite domiciliaire ».
Avec le retour d’Auguste de Grasse-Tilly à l’été 1804, tout s’accélère. Il
nomme Claude Antoine Thory au grade de Chevalier Kadosch le 28 septembre 1804
et l’élève au « poste éminent de Grand Inspecteur Général et membre du Souverain
Grand Conseil du trente-troisième grade » le 12 octobre 1804. Thory signe alors «
ancien agent de change banque et
finance de la ville de Paris ». Le
concordat du 5 décembre 1804 le
nomme Grand Officier de 2ème
classe du Grand Orient et secrétaire
du Grand Chapitre Général. On sait
ce qu’il adviendra de cette union
forcée malmenée dès le départ par
les manœuvres du Grand Orient, et
des difficultés que le Suprême
Conseil de France éprouvera pour
s’en défaire pendant toute la durée de l’Empire.
Le tableau de 1806 nous montre Thory Vénérable de St Alexandre d’Ecosse et
le Contrat Social réunis, celui du « Souverain Chapitre Métropolitain Ecossais,
attaché à la R M Loge Écossaise de France sous le titre distinctif de Saint Alexandre
tarif des grades du 14 septembre 1808, et sera constamment confirmé dans cette
charge jusques et y compris au décret du 7 mai 1721 qui acte la réunion avec le
Suprême Conseil d’Amérique, et nommera le Baron Fréteau de Pény conjointement
avec lui.
L’année 1809, il a 50 ans, marque un premier tournant dans la vie
professionnelle de Claude Antoine Thory. Son père meurt le 23 mai, laissant un
héritage considérable, évalué à environ 750 000 livres, à partager entre cinq frères
et sœurs. Claude Antoine verra donc environ 150 000 livres en biens immobiliers
s’ajouter aux 100 000 reçus dans sa jeunesse. Dorénavant il affichera la profession
de propriétaire, et pourra se consacrer en totalité à ses engagements maçonniques
et à l’écriture. Son Histoire de la fondation du Grand Orient de France paraîtra en
1812, sa traduction du livre d’Alexander Lawrie Histoire de la Franche-Maçonnerie
tirée des sources les plus authentiques avec un rapport sur la Grande Loge d’Ecosse
en 1813 et les deux volumes des Acta Latomorum en 1815.
Son ami et fidèle éditeur, Pierre Dufart, publia néanmoins au cours de l’année
1829 le manuscrit inachevé, avec les nombreuses illustrations peintes dans les jardins
de Clamart-sous-Meudon, concluant l’avertissement de l’éditeur par ces mots : «
Cette publication est d’ailleurs un hommage que nous nous faisons un devoir de
rendre à la mémoire d’un homme de bien, dont toute la vie a été consacrée aux
sciences utiles et au bonheur de la société ».
Son épouse et légataire universelle Marie Louise Olimpiade le rejoignit dans la
tombe le 11 mars 1830, léguant tous leurs biens meubles et immeubles à leurs neveux
et nièces. Les précieuses collections de Claude Antoine furent dispersées. Il semble
que ses archives furent mises en vente en 1863 par le libraire Tross, et que le Dr
Morisson de Greenfield acquit une grande partie de sa bibliothèque. Mais le
testament de Marie Louise Olimpiade recèle un autre trésor, que je ne peux manquer
de vous livrer pour conclure, son amour et son admiration pour son mari :
Commission d’Histoire
de la
Grande Loge de France
Décembre 2015